112 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. { 22 brumaire an II 12 novembre 1.93 bourg, aux représentants du peuple à la Con¬ vention nationale. « Caen, le 15e jour du 2e mois de la 2e an¬ née de l’ère républicaine. « Citoyens collègues, « Je vous ai mandé, par ma lettre d’hier (1) que je partirais aujourd’hui à la tête des troupes que j’avais rassemblées pour me porter sur Falaise, et m’opposer de ce point aux projets qu’on soupçonnait aux rebelles de la Vendée, de vouloir tenter, pour pénétrer dans le Calva¬ dos et dans la Manche. Les soins multipliés qu’exige la formation d’une armée, même peu nombreuse, cependant forte de 4,000 hommes au moins; les dispositions à arrêter pour assurer ses subsistances de manière à ce qu’elles soient assez abondantes pour que la marche des troupes ne soit point ralentie par leur rareté ou leur défaut absolu, m’ont forcé, malgré moi, de modérer l’ardeur des troupes qui brûlent de me suivre, en remettant notre départ à de¬ main 16. « Des courriers m’arrivent de toutes parts, de tous les points des départements menacés, ils se succèdent avec la plus active rapidité. Je juge par les dépêches qu’ils me remettent que tous les patriotes sont dans les meilleures dispositions et qu’ils n’attendent que d’être guidés pour marcher contre les rebelles. Tous les rapports qui me sont faits s’accordent sur ce point que la force des ennemis est à peu près de 9 à 10,000 hommes, dont 800 de cava¬ lerie, et qu’ils sont suivis d’une troupe de femmes abusées et de prêtres scélérats. « J’apprends dans ce moment que les re¬ belles qui avaient d’abord menacé Alençon, ont changé leur marche et que leurs colonnes, après avoir longé les environs de Domfront, se sont portées sur Fougères, dont elles se sont emparées, et que tout donne à croire qu’elles se dirigeront sur Granville après avoir tenté de prendre Pontorson et Avranches pour ensuite s’emparer de Granville et des côtes de Cher¬ bourg au gré de Jersey et Guernesey. La certi¬ tude de la prise de Fougères ne changera rien aux dispositions que j’ai arrêtées de concert avec les généraux Sepher et Tilly. « L’armée se rendra toujours à Falaise, et de ce point nous déterminerons définitivement toutes nos opérations ultérieures. « Je dois vous dire que la généralité des ci¬ toyens de Caen a montré le plus vif désir de me suivre lorsque mon projet a été connu. Je n’ai eu d’autre soin que de modérer l’ardeur de tous, et d’empêcher des sections mêmes de marcher en masse. « C’est avec plaisir que je rends hommage au généreux dévouement de ces braves républi¬ cains, toute la justice qui leur est due; j’en em¬ mènerai avec moi 2,000 à peu près et tous bien déterminés à seconder mes efforts. « La nouvelle de la juste punition qu’ont subie les 21 députés coupables a produit ici le plus grand effet, le peuple est maintenant (1) Voy. cette lettre : Archives parlementaires, lre série, t. LXXVIII, séance du 16 brumaire an II, p. 468. ' convaincu que la Montagne veut sincèrement son bien et que si la Convention nationale est toujours disposée à reconnaître les services que les bons républicains rendent à la patrie, elle est inflexible pour ceux dont les crimes peuvent attenter à l’unité et à l’indivisibilité de la République, et je finirai par vous assurer que le fanatisme est entièrement anéanti ici, puisque j’ai acquis la certitude que le juste supplice de Fauchet a fait le plus grand plaisir dans le Calvados. « Le représentant du peuple, « Laplanche. » IL Lettre des membres composant le conseil d’administration du 3e bataillon du Nord, DANS LAQUELLE ILS RACONTENT LA MORT HÉROÏQUE DU CITOYEN ClIEMAIN, CHEF DE BATAILLON (1). Compte rendu du Bulletin de la Convention (2). Les membres composant le conseil d’admi¬ nistration du 3e bataillon du Nord certifient que, dans l’affaire qu’ont essuyée les garnisons de Cambray et de Bouchain, le 12 septembre dernier, le citoyen Chemain, chef de bataillon, s’y est immortalisé par son courage et son intré¬ pidité, en prouvant à la République française qu’il savait mourir pour elle, en montrant toute la fermeté et le calme d’un héros républicain qui sourit au milieu des plus grands dangers. Après avoir terrassé de sa main, et fait mordre la poussière à trois de ces tigres affamés du sang des français, se voyant cerné de toutes parts par une nombreuse cavalerie ennemie, et prêt de tomber en leurs mains, ayant déjà reçu plusieurs blessures très graves, voyant, de plus, la cause de la liberté trahie par l’ignorance et l’ineptie d’un être qui ne consultait que son ambition, il prononça ces mots chéris de Vive la Bépublique! qui furent répétés par son bataillon, se brûla la cervelle, et tomba au pied de son drapeau. C’est ainsi que finit la carrière de ce guerrier républicain qui, en se donnant la mort pour se soustraire à la barbarie de nos ennemis, la fit donner à 200 de ses frères d’armes qui le cou¬ vrirent de leurs corps. Mention honorable. (1) La lettre des membres composant le conseil d’administration du 3e bataillon du Nord n’est pas mentionnée au procès-verbal de la séance du 22 bru¬ maire an II; mais on en trouve un extrait dans le Bulletin de la Convention de cette séance. (2) Supplément au Bulletin de la Convention du 22 brumaire an II (mardi 12 novembre 1793). D’autre part, le Mercure universel, dans son compte rendu de la séance du 22 brumaire an II [24 bru¬ maire an II (jeudi 14 novembre 1793), p. 215, col. 1], donne un court extrait de la lettre des membres du conseil d’administration du 3e bataillon du Nord. Le voici : « Une lettre de Cambrai porte qu’un républicain, dans une affaire entre cette ville et Bouchain, se voyant dans l’impossibilité de résister et ne pou¬ vant s’empêcher de tomber dans les mains de l’en¬ nemi, se battit en désespéré, tua plusieurs esclaves du despotisme, en blessa beaucoup, et ne pouvant plus résister, il se brûla la cervelle. Ainsi, dit cette lettre, se conduisent les vrais républicains. »