187 [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 septembre 1789.} à F Assemblé nationale de la somme de 2,400 livres, comme étant le quart de son revenu -, témoignage patriotique qui a été accueilli avec applaudisse-' ments. M. le Président a dit : Monsieur, vous avez joui des applaudissements de l’Assemblée : je ne puis suspendre plus long temps ses travaux ; pour vous marquer sa satisfaction, elle vous permet d’assister à sa séance. M. le vicomte de Mirabeau, l’un des secrétaires , donne lecture du procès-verbal des deux / séances de la veille. 11 s’élève des réclamations sur sa rédaction. M. Martineau et M. de Beaumetz accusent le procès-verbal de trop de laconisme et d’obscurité sur deux articles du décret relatif aux impositions, rendu dans la séance du soir. M. le vicomte de Mirabeau s’excuse, en disant que lors de sa dernière rédaction du procès-verbal, on l’avait accusé d’être trop long, et que cette fois-ci il a supprimé tous les détails ; qu’il ne sait comment faire pour obéir à l’Assemblée ; qu’il faut avoir une porte ouverte ou fermée. Toute la difficulté se termine par décider que >.M. le vicomte de Mirabeau énoncera l’état de la question et l’alternative préalable au décret des impositions. M. le vicomte de Mirabeau relit le décret d’hier soir. M. Dupont demande la parole pour proposer un amendement relatif àune difficulté qu’il croyait apercevoir dans le payement des impôts. Il vous ‘ sera impossible, dit-il, de recevoir aucune imposition. Pour payer, vous diront les contribuables, il faut que la répartition soit faite également; il faut des évaluations, des rôles ; tout cela entraînera des longueurs infinies. M. Démeunier observe que l’amendement de M. Dupont a été jugé hier, et rejeté. Cette observation fait descendre M. Dupont de la tribune. � M. Goulard, curé de Roanne. C’est contre vos principes que, détruisant tous ies privilèges, vous avez décrété que les curés à portion congrue seraient exempts de la taxe commune : en cela vous n’avez envisagé que leur situation ; mais nous sommes citoyens avant tout, nous devons donner l’exemple du patriotisme ; ne nous imposez pas la honte d’être les seuls à ne pas contribuer à la chose publique ; oui, Messieurs, la honte, c’en ’ serait une d’être seuls privilégiés dans le royaume, Votre décret n’est pas encore sanctionné, vous pouvez avoir égard à notre prière. (Cegénéreux dévouement est vivementapplaudi.) M. Démeunier propose d’accepter l’offre des curés congruistes en forme de don pour la caisse patriotique. D’autres membres défendent MM. les curés por-tionnaires contre cet enthousiasme patriotique. M. de Castellane observe que l’exception qui afflige la délicatesse de MM. les curés n’est que pour un temps, et qu’ils supporteront les impôts lorsque le nouveau régime sera établi. Ce combat de générosité était près de se terminer, on allait décider qu’il serait fait une mention honorable de l’offre patriotique deMM. les curés lorsque M. de Clermont-Lodève demande la parole. M.de Clermont-Lodève. Si l’on n’accepte pas l’offre de MM. les curés congruistes, je demande que tous les pères de familles qui n’ont que 700 livres de rente soient privilégiés. M.Dillon ,curé du Vieux-Pouzaug es, déclare qu’il estchargé de renoncer à tous les privilèges ; qu’il y a des villages si pauvres, que le curé avec 700 livres est le plus riche de sa paroisse, et qu’il serait humiliant pour lui d’être le seul dans la paroisse qui ne payât rien à la patrie. L’offre de MM. les curés congruistes est donc acceptée. La lecture des adresses est renvoyée à la prochaine séance. M. le Président rappelle l’ordre du jour qui consiste à entendre un rapport du comité des finances sur le discours du premier ministre des finances et sur les moyens qu’il indique pour venir promptement au secours de l’Etat et pour parer aux malheurs qui menacent la fortune publique. M. le marquis de Montesquiou (1) monte à la tribune et s’exprime en ces termes : Messieurs, le premier ministre des finances a mis sous vos yeux le tableau effrayant, mais fidèle, de la situation du royaume; il vous a peint la détresse du Trésor public, accrue par une détresse nouvelle ; les revenus de l’Etat, ou suspendus par la misère des peuples, ou interceptés, dans plusieurs provinces, par les troubles ; 50 millions versés dans les différents -marchés de l’Europe, pour acheter la subsistance du citoyen, et pesant contre nous dans la balance du commerce; le voyageur repoussé loin de la France par le malheur de nos divisions; le Français fuyant sa patrie, et portant à l’étranger nos richesses, ou les dérobant à la circulation; la défiance attachée à toutes nos opérations; la ressource même des anticipations évanouie ; le numéraire disparu ; 80 millions nécessaires pour arriver à de nouveaux besoins, et le vide dans toutes les caisses. Dans cette position, qu’il ne cherche point à vous dissimuler, M. Necker a osé ne pas désespérer de la chose publique; et il est venu vous offrir de grands' moyens dans le présent, et la certitude d’une restauration entière dans l’avenir, Au mois d’avril dernier, le déficit ordinaire était de ............ 56 millions. De cette somme il faut déduire . 5 pour intérêt d’anticipations; reste. 51 qui n’ont pu être renouvelés; mais il faut y ajouter 10 millions pour l’intérêt et le remboursement annuel du nouvel emprunt que vous avez décrété ............ 10 Ainsi le déficit ordinaire s’élève aujourd'hui à .......... 61 millions. M. Necker balance ce déficit par des économies, les unes certaines, les autres encore indéterminées; par 15 millions, somme à laquelle il (1) Le Moniteur ne donoe qu’une analyse du rapport de M. de Montesquiou. 188 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 septembre 1789.] évalue la contribution des privilégiés, ou le produit d’une répartition plus égale. Si on l’aime mieux, il propose d’abandonner cette contribution aux provinces, en la balançant avec une somme égale que le Roi sacrifiait ci-devant en modération d’impôts, en travaux de charité, en dépenses diverses. Cet arrangement offre aux provinces la chance heureuse d’économies utiles. Enfin il nous montre, dans le lointain, d’autres améliorations, d’autres accroissements de revenus, qui compenseront ou les pertes que quelques impôts ont déjà éprouvées, ou les nouveaux sacrifices qu’exigeront les besoins et la tranquillité des provinces. Mais il est des embarras actuels qu’il faut surmonter pour atteindre à toutes les prospérités qui nous sont promises. Il faut pour les trois derniers mois de cette année, 70 à 80 millions. Il faut 80 millions pour l’année prochaine, et éteindre au moins une partie des anticipations qui dévorent nos revenus : l’intérêt public le demande, et votre sagesse l’ordonnera. Ce n’est plus par des emprunts que vous pouvez remplir cette tâche : les emprunts sont décriés, et de nouvelles tentatives seraient vraisemblablement infructueuses; on ne peut donc parvenir à ce bien si désiré, que par un généreux effort, et cet effort, le patriotisme le sollicite et le provoque. Déjà un grand nombre de citoyens ont indiqué et offert une contribution sur’’ leurs capitaux. M. Necker pense, et il a raison de penser, que cette contribution ne doit porter que sur les revenus. 11 le démontre, Messieurs, parce qu’il est plus aisé d’évaluer les revenus que les capitaux; parce que la contribution ne peut être égale entre le capitaliste et le propriétaire, si le propriétaire paye le centième d’un capital qui ne lui rend que 3 0/0, et le capitaliste le centième d’un capital qui produit 5 et 6 pour0/0; parce qu’il est des citoyens qui ont des revenus et qui n’ont point de capitaux, et que ces citoyens aussi doivent et voudront faire un sacrifice à la fortune publique. En admettant tous les citoyens à cette honorable contribution, il demande qu’il soit fixé une somme de revenus, au-dessous de laquelle elle ne sera plus qu’un sacrifice, et non pas un devoir. Il désire qu’on assigne au payement de cette contribution quinze à dix-huit mois; mais qu’on encourage ceux qui anticiperont le payement, et qu’on le facilite encore, en permettant de s’acquitter avec de la vaisselle ou avec des bijoux d’or et d’argent, qui seront reçus à un prix avantageux aux contribuables. Point de serment : le premier ministre des finances ne donne pour frein à la mauvaise foi, que sa vertu ne saurait soupçonner, que l’engagement pur et simple de dire la vérité. Point d’inquisition dans les fortunes; chaque citoyen sera l’arbitre de son offrande; et cette offrande, mesurée par le sentiment, ne pourra jamais être regardée comme la mesure de la fortune, et par conséquent de l’imposition. Enfin, Messieurs, il environne cette proposition de tout ce qui peut encourager le patriotisme et déterminer ses efforts. Il ajoute qu’on pourrait encore donner à cette contribution la forme d’un prêt remboursable dans des temps plus heureux, et lorsque l’ordre et la confiance auront ramené le taux de l’argent à 4 0/0. M. Necker n’a point déterminé le produit possible d’une pareille contribution; mais sans exagération, il a calculé sur le. patriotisme connu de la nation, et il croit qu’une délibération propre à inspirer la confiance dans le retour du crédit ajouterait beaucoup à l’énergie de ces sentiments. Il désirerait que l’Assemblée nationale nommât des commissaires qui, de concert avec le ministre des finances, veilleraient sur la rentrée des fonds et en dirigeraient l’emploi . Persuadé que ce mouvement patriotique influera tout à coup sur la circulation, il pense cependant qu’il faudrait encore la ranimer par d’autres moyens. C’est dans cette vue que Sa Majesté a déjà autorisé les directeurs des monnaies à recevoir la vaisselle, les bijoux d’or et d’argent, et à donner leurs récépissés en échange ; elle a réservé à l’Assemblée nationale de déterminer l’époque du payement, l’intérêt jusqu’à cette époque, et la fixation du prix. M. Necker propose de donner 54 livres par marc de vaisselle, payables dans six mois, ou 58 livres par marc à ceux qui voudront en verser le prix dans le dernier emprunt, mais à condition qu’ils ne jouiront pas de la faculté d’y joindre une somme égale en effets royaux. Enfin, M. le premier ministre des finances a pensé qu’un établissement qui s’est associé aux dangers du Trésor public, et qui en a partagé le discrédit, doit fixer vos regards; et qu’en le régénérant sous une forme nouvelle, sous le titre nouveau de banque nationale, vous achèveriez de rendre à la circulation son activité, et d’assurer le retour de la prospérité publique. Telles sont, Messieurs, les principales dispositions du mémoire dont vous nous avez chargés de vous rendre compte. Avant de le connaître, votre comité des finances ' s’était proposé de vous entretenir incessamment des mêmes objets. Placé, pour l’exécution de vos ordres, au milieu des détails de la fortune publique, il n’avait pu les considérer de plus près sans se pénétrer tous les jours davantage de la nécessité urgente de prendre un grand parti. Si • quelque chose pouvait ajouter encore à la juste confiance que vous inspire depuis longtemps le ministre dont vous venez de recueillir les observations, et d’entendre les conseils, ce serait de voir� que les coopérateurs de vos travaux, sans aucune communication avec lui, n’ayant d’autre secours que les pièces qu’ils ont reçues de tous les départements, et suivant une méthode différente de la sienne, ont pourtant obtenu des résultats presque entièrement les mêmes. C’est en vous rendant compte de son travail que le comité va vous donner son opinion sur chaque partie du mémoire, dont il vous a fait f l’exposé ; nous ne vous offrirons rien de neuf, mais peut être apercevrez-vous dans nos recherches quelques développements analogues aux grands objets qui vous occupent, et aux principes - qui vous dirigent. Le premier examen général que nous ayons dû faire a été celui des recettes et des dépenses publiques. Un dernier état, signé de M. Dufresne ,, au mois d’août dernier, et conforme aux pièces qui nous avaient été communiquées, établit une différence entre la recette et la dépense; cette différence est environ de 56 millions, et c’est à quoi montait effectivement le déficit avant le dernier emprunt de 40 millions en argent, et de 40 millions en effets. Cette base nous est absolument commune avec M. Necker. Autrefois, dans un état ordinaire de calme et * [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 septembre 1789.] j§9 de confiance, si on n’eût songé, comme on l’a fait trop souvent, qu’à entretenir la profusion des dépenses, il eût suffi, pour le moment, de suspendre, ainsi que l’année dernière, les remboursements exigibles, de préparer par ta régularité des payements le renouvellement des anticipations, et de suppléer à l’insuffisance des revenus par un emprunt de 56 millions, gui se serait accru tous les ans d’une somme suffisante pour payer l’intérêt de l’emprunt précédent. De cette sorte, avec un peu d’ordre, on aurait pu faire encore illusion pendant quelque temps, et achever graduellement la ruine de l’Etat; mais heureusement le temps des illusions est passé. Les besoins de cette année n’auraient pas excédé la somme du déficit, sans toutes les circonstances qui ont concouru à les augmenter. La première a été la disette des grains, qui a forcé le gouvernement à des achats considérables dans les pays étrangers. La grande secousse qu’a éprouvée le royaume a causé, dans ces derniers temps, l’interruption de plusieurs recettes. La gabelle, les aides, le tabac, les droits domaniaux, ont été de toutes parts exposés à la violence ou à la fraude; et loin que les compagnies de finance aient pu remplir leurs engagements, plusieurs ont eu besoin de secours. Les recettes ordinaires des impositions se sont de même senties de la commotion générale, et la * difficulté des recouvrements augmente encore tous les jours. Une autre cause d’embarras s’est réunie aux précédentes, ou plutôt en a été la suite. Cette cause a pour principe un abus très-ancien, et qu’il vous tarde sans doute de faire disparaître de votre régime fiscal: l’usage de consommer d’avance les revenus de l’année suivante, et de remplacer cette , avance dans la main de ceux qui la font par des prescriptions sur les recettes futures. Quand une fois cette méthode d’anticipations est établie, les revenus s’évanouissent à chaque échéance, à moins que la confiance n’engage les porteurs des rescrip-tions à les renouveler. C’est un acte libre et volontaire. Or, les malheurs publics, la suspension des recettes, la connaissance trop générale, et malheureusement trop certaine du mauvais état des finances, sont de grands obstacles à la confiance, sans laquelle il est impossible de renou-ü-veler toutes les anticipations. Ainsi le Trésor public s’est vu privé à la fois des sommes qu’il a fallu sacrifier à l’approvisionnement des blés, de la somme effective du déficit, de la rentrée des revenus ordinaires, et du montant des anticipations qui n’ont pas été renouvelées. C’est la réunion de ces quatre causes qui a rendu insuffisants les emprunts de cette année, qui rend � impossible d’en entreprendre de nouveaux, et qui jette le Trésor public dans une pénurie incalculable pour la somme, et incalculable pour les effets. � Le détail dans lequel nous venons d’entrer vous démontre assez que le récit du ministre des finances est appuyé sur des faits incontestables, et que le mal est arrivé à une période où les remèdes ordinaires ne sont plus suffisants. * Nous ne pouvons qu’applaudir aux moyens qu’il vous propose pour tirer l’Etat de la crise où des circonstances impérieuses l’ont jeté. 11 ne songe qu’à rétablir, avant tout, la confiance et la sûreté publiques, inséparables l’une de l’autre, en montrant combien il est facile de mettre promptement un niveau exact entre la recette et la dépense. Dans une circonstance où tant d’autres auraient épuisé les vaines et fausses ressources du génie fiscal, il se borne à vous indiquer simplement des économies raisonnables et des bonifications faciles. 11 ne vous déguise cependant ni vos maux, ni les sacrifices que la patrie réclame ; et c’est ainsi qu’il convient de parler de ses affaires à une nation généreuse et éclairée. Votre comité, dans le silence du travail qui l’occupe depuis deux mois, agissant d’après les mêmes principes, et recherchant les mêmes objets que le ministre des finances présente rapidement à vos observations, est parvenu à fixer à peu près les économies dont ils sont susceptibles. Si, dans les réductions qu’il aura l’honneur de vous proposer, le comité surpasse encore les espérances que le ministre du Roi vous a présentées, ces réductions, sans doute, objet particulier de notre travail, ne lui avaient pas échappé, et nous ne pouvons trop louer la sage circonspection avec laquelle il a modéré ses spéculations dans un genre où l’exagération est accueillie par la raison même. Ici nous nous permettrons cependant quelques observations. Le ministre des finances suppose, avec raison, que les revenus de l’Etat demeureront, à l’avenir, égaux en somme à ce qu’ils étaient au moment de ses calculs. Il prévoit cependant que vous supprimerez quelques droits onéreux. D’avance il vous indique divers moyens d’y suppléer; mais nous croyons indispensable d’arrêter, dès cet instant môme, toutes vos idées sur cet objet important, essentiel même au but si raisonnable que M. Necker se propose, d’établir solidement le crédit. La gabelle est comptée pour 58,560,000 livres dans le produit de la ferme générale; les aides et droits réservés le sont pour 50,220,000 livres dans le produit de la régie générale. Le premier de ces impôts est proscrit par la nation ; le second pèse excessivement à plusieurs provinces. Si, avec un régime modéré, il eût été possible autrefois d’asseoir et de maintenir des taxes raisonnables sur ces objets de consommation, il ne l’est plus aujourd’hui de conserver leurs noms mêmes, à qui plusieurs siècles d’abus ont imprimé le sceau de la réprobation. Plus de gabelles, plus d’aides : voilà le cri de presque toute la France; et le Trésor public, au moment de la suppression de ces droits, aura besoin d’un remplacement de 109 millions. Les créanciers de l’Etat n’aperçoivent déjà plus un gage certain dans les revenus qui ont fait longtemps l’appui de leur confiance et leur hypothèque directe. Il faut donc leur déclarer d’avance quel gage votre loyauté leur présentera désormais, au lieu de ceux qui n’ont plus qu’une existence provisoire. Nous espérons, en vous soumettant les idées du comité à cet égard, offrir du moins des bases certaines à vos calculs. Nous commencerons par vous informer que les différents travaux de votre comité des finances ont déjà assuré, sur les diverses dépenses de l’Etat, une réduction certaine de 48,502,000 livres, et qu’ayant compté, comme nous le devons, sur le dévouement du clergé, nous avons cru pouvoir vous proposer la suppression d’une créance, à son profit, de 2,500,000 livres par an, et de lui confier une distribution de charité, de 5,711,000 1., de sorte que par ces seules opérations préliminaires , nous sommes assurés de combler , et au delà , le déficit qui existait avant le dernier emprunt. Des états circonstanciés accompagnent tous les calculs que nous avons l’honneur de vous attester. Nous vous proposerons ensuite de déterminer, dans votre administration future, une ligne de 490 démarcation précise entre deux parties essentielles qui peuvent désormais être distinctes, et dont la confusion est peut-être le principe caché de tous nos malheurs. Cette opération simple consiste à réunir d’ün côté les seuls objets de dépensés qui doivent rester sous la main immédiate du gouvernement, et de leur assigner une portion égale de revenus susceptibles, pour la plus grande partie du moins, d’être mis en ferme ou en régie. Ges objets recevront sans doute, dans la suite, des réformes ou des améliorations ; mais nous ne vous en occuperons pas dans ce moment-ci. 11 nous suffit de vous indiquer aujourd’hui qu’il faut un revenu de 205 millions, et que vous l’avez, pour acquitter une dépense semblable et fixe de 205 millions, somme à laquelle nous avons évalué les différents départements, la maison du Roi, et tous les objets qui tiennent directement à l’administration royale, en laissant à chaque partie des dépenses publiques, la consistance et la dignité même qui conviennent à une grande nation* De l’autre côté, et sous la garde immédiate de la nation * nous vous proposons de réunir la totalité de la dette publique, et quelques dépenses qu’il nous parait avantageux de confier à l’administration particulière des provinces. Pour satisfaire à ces deux objets, nous vous proposerons de déléguer spécialement à une caisse nationale, les impositions territoriales de tout le royaume, la capitation et les contributions qui serviront à remplacer la gabelle et les aides. Cette disposition doit paraître bien importante aux dépositaires des intérêts du peuple. 11 serait consolant pour eux de penser, en lui imposant une grande charge, qu’elle décroîtra tous les jours, au moyen de l’extinction des rentes viagères, dont la somme est, dans ce moment-ci, de 105 millions, par l’effet des remboursements, dès qu’ils seront possibles; et enfin, par la réduction de l’intérêt, fruit prochain de la confiance publique. 11 ne s’agit plus que de fixer la somme dont vous aurez besoin pour la caisse nationale. Les intérêts de la dette entière, y compris les anticipations, montent à 240 millions de livres. Diverses dépenses que nous estimons devoir confier aux administrations des provinces, et que bientôt leur économie rendra beaucoup moins considérables, montent à 29 millions de livres, Ainsi la totalité des revenus nécessaires pour acquitter l’intérêt de la dette, et les dépenses à la charge des provinces > seraient de 269 millions de livres. Mais de cette somme, nous vous proposons de rejeter 15,800,000 livres, à quoi monte l’intérêt des anticipations, parce que nous vous proposerons d’v pourvoir d’une autre manière. De la”sorte, la somme qui sera nécessaire à la caisse nationale pour remplir tous ses engagements, ne sera plus que de 253 millions de livres. Mais, comme les revenus affermés, que nous avons destinés à la dépense du gouvernement, ne montent qu’à 185 millions, et qu’il lui en faut 20 de plus, la caisse nationale aura encore à fournir ces 20 millions par an au Trésor royal, Ainsi, la somme qui lui est nécessaire, est de 273 millions. Daignez, Messieurs, vous souvenir de cette somme de 273 millions. C’est de cette base certaine que nous allons partir. Les contributions actuelles que nous destinons à la caisse nationale sont la recette de tous les vingtièmes, la taille et la capitation dii royaume entier, montant à 182 millions, la gabelle et les [*6 septembre 1789.] aides montant à 109 millions : total, 291 millions de livres* Vous n’avez pas oublié, Messieurs, que les besoins publics vous demandent un revenu de 273 millions, Vous venez de voir que dans l’état actuel, ceux qui existent, et dont je viens de vous faire la récapitulation , montent à 291 millions, c’est-à-dire, à 18 millions au delà de vos besoins. Ainsi, pour satisfaire à tous, il vous suffira de remplacer la gabelle, les aides et les droits réservés, qui montent actuellement à près de 109 millions, par une contribution de 91 millions seulement ; vous pouvez , dans votre nouveau mode d’impositions, alléger effectivement la charge du peuple de 18 millions de produit net, sans compter plus de 25 millions de faux frais, qui tombent à sa charge, et sans compter les vexations de tout genre qui accompagnent aujourd’hui cette partie du régime fiscal. Vous pouvez de plus faire tourner au profit du peuple la contrK bution entière des privilégiés ; et vous observerez, Messieurs, que nous n’avons pas encore entamé la ressource des domaines, et tant d’autres qui n’échapperont pas à votre sagacité. D’après cet aperçu qui, bien que fort rapide, est rigoureusement exact, d’après la facilité que vous auriez même d’appliquer, si vous le vouliez, au profit de la chose publique, une partie du produit de la dîme, nous pensons que le premier* acte du pouvoir législatif doit être de décréter que l’impôt territorial ou personnel , ou tel enfin que vous le déterminerez, qui sera établi sur les peuples, en représentation de la taille, de la capitation, des vingtièmes, de la gabelle et des aides, sera porté à la somme de 273 millions , répartis également sur tous les citoyens, et destinés uniquement, après avoir fourni 20 millions au Trésor < royal, à acquitter l’intérêt de la dette publique et les dépenses particulières aux provinces, soüs l’inspection immédiate de la nation. Alors, plus d’alarmes possibles ; alors on pourrait défier même le créancier le plus ombrageux de concevoir la moindre inquiétude * Nous voilà parvenus, Messieurs, après avoir écarté tous les obstacles de notre route, à l’instant critique dont le ministre du Roi vous a présenté un tableau si frappant* Vous êtes désormais assurés de l’avenir ; mais il faut l’atteindre, ceH avenir, et ici les difficultés s’accumulent. Le Trésor public est vide , les besoins de l’année exigent impérieusement 80 millions de livres* Les mêmes besoins prévus pour l’année prochaine ■ montent à la même somme* Des engagements pris cette année avec la Caisse d’escompte, pour le mois d’avril prochain , montent à 25 millions de livres ; enfin, il existe encore au moins pour,, 250 millions de livres d’anticipations, et nous ne doutons pas que votre intention positive ne soit de les anéantir entièrement. Ce moyen de circulation qui impose une rétribution d’intérêts � et qui laisse un prétexte aux abus, vous paraîtra, sans doute, incompatible avec l’administration sévère que vous voulez établir, et que peut-être nous n’aurons pas toujours le bonheur de voir dans des mains aussi pures. * Ces sommes réunies composent un total de 435 millions de livres, et quelques objets arriérés peuvent les accroître encore. Cette masse est sans doute effrayante ; c’est - presque une année entière des revenus de l’Etat. Mais quelque effrayante que soit cette somme, il est aisé de sentir que son recouvrement subit serait le salut de la France. Il est certain qu’alors < [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 191 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 septembre 1789.] sans crainte, sans embarras, nous arriverions à l’époque de prospérité que nous avons osé vous faire entrevoir; que nous y arriverions à l’instant même; que ces jours de détresse seraient tout à coup transformés dans les plus beaux jours de la monarchie; que d’un état désespérant nous passerions sans intervalle à l’état brillant et prospère dont chacun de nos concitoyens attacherait la date à celle de la régénération de nos lois et de noire liberté. Le ministre compte avec raison sur le patriotisme qui éclate de toutes parts : nous osons y compter de même ; et comment, dans ce sanctuaire de l’honneur français, serait-il possible d’en douter? Rappelez-vous, Messieurs, à quels généreux efforts la nation s’est portée dans vingt époques différentes, où son élan semblait retenu par la méfiance qu’ont toujours inspirée les opérations ministérielles. A quel excès le même sentiment ne doit-il pas aller, au moment où la certitude est acquise que cet honorable effort est le dernier de ceux qu’elle aura jamais à faire ; au moment où, en présentant à la France un nouvel ordre de choses, la nation est garante envers elle-même de toutes ses opérations, où tout ce qu’elle promet est certain, où tout ce qu’elle surveille est inviolable ! Aussi sommes-nous persuadés que c’est bien plus pour arrêter les excès du zèlet que pour lui imposer des devoirs, que le ministre propose de le soumettre à une règle commune. Sa proposition, comme nous avons eu l’honneur de vous le dire, consiste dans la fixation d’une taxe à peu près équivalente au centième des capitaux. C’est pour atteindre plus exactement les fortunes qui existent sans capitaux, et pour faire payer les capitalistes dans une proportion aussi convenable que les propriétaires, que M. Necker propose d’assujettir chaque citoyen à faire une seule fois la remise du quart de son revenu. Ses calculs à cet égard nous ont paru justes, et le comité est unanimement d’avis de suivre à la lettre le plan du premier ministre des finances. Mais un honorable membre de cette Assemblée a paru jeter des doutes sur le produit de cette taxe ; il l’a réduite, par ses calculs, à 75 millions. Nous pourrions lui opposer ses propres calculs, qui exceptent de la contribution les 500 millions dont il fait la part du fisc; comme si les rentes et les appointements que paye le fisc, ne composaient pas les revenus qui seraient soumis à la taxe générale 1 Mais si nous croyons pouvoir réfuter son objection, nous ne sentons pas moins le poids de son autorité, et c’est à lui-même que nous devons les moyens de suppléer à ce qui pourrait manquer encore, lorsque le zèleetle patriotisme auront offert tout ce qu’ils peuvent offrir ; il faut surtout ne pas perdre de vue, un seul instant, que le salut du royaume tient essentiellement à l'effet d’un secours qui lui rend son bonheur, sa force et la considération, en rétablissant l’ordre dans toutes les parties de l’administration. Déclarons donc, Messieurs, déclarons inviola-blement que nous ne souffrirons pas qu’une semblable entreprise échoue. Convenons que nous allons nous livrer d’abord à toute l’ardeur que l’amour de la patrie va sans doute inspirer. Et, lorsque l’effet en sera connu, décrétons qu’un gage particulier sera sur-le-champ attribué à un emprunt de toute la somme qui pourrait encore être nécessaire; que ce gage sera en biens-fonds; et ne doutons pas que le clergé ne s’empresse de vous offrir une valeur foncière de 5, 10, 12, plus encore s’il le faut, pour consommer à l’instant l’opération salutaire qui achèvera la libération de la France. Quant à la circulation si nécessaire à rétablir, Messieurs, nous avons pensé qu’elle ne peut revivre que par la confiance, mais que la confiance seule la fera bientôt revivre. Le patriotisme déterminera sans doute les bons citoyens à porter à la Monnaie leur vaisselle et leurs bijoux d’or et d’argent. L’exemple du Souverain les y engagera ; la circonstance où nous sommes leur en fera la loi ; et nous croirions blesser le sentiment pur qui doit les animer, en leur offrant un faible encouragement qui ne compenserait pas le sacrifice de leur jouissance. S’il en était cependant parmi eux à qui il ne fût pas libre de suivre les mouvements de leur coeur, et qui fussent obligés de calculer des intérêts pécuniaires, nous pensons que les propositions du premier ministre des finances sont justes et leur sont assez favorables. Mais cette ressource ne peut pas suffire aux besoins du moment. Le ministre croit nécessaire encore d’user du secours que peuvent lui procurer les billets de la Caisse d’escompte. M. Necker mérite à trop d’égards notre confiance, pour que nous hésitions à la lui donner encore sur ce point délicat. D’ailleurs le numéraire que la vaisselle Ya lui fournir, les dons des citoyens, tout lui procurera bientôt la facilité de rendre aux effets de cette caisse, le crédit qu’ils n’auraient jamais dû perdre. M. Necker vous parle avec éloge de ses administrateurs, il vous invite à les entendre ; rien ne paraît plus juste que d’entendre les chefs d’un établissement si important. Le comité des finances ne s’est point permis encore de discuter le projet d’une banque nationale. Si vous le lui ordonnez, il se livrera à ce travail avec le zèle qu’il doit à un si grand intérêt, et à la confiance dont vous daignerez l’honorer. Permettez-nous, Messieurs, en achevant la tâche que vous nous aviez imposée, permettez-nous d’arrêter un instant des regards satisfaits sur le beau mouvement qu’un seul élan de patriotisme peut imprimer à ce beau royaume. G’est aux représentants de la nation qu’il appartient d’en donner le signal ; et bientôt il sera démontré encore une fois, il le sera plus que jamais, que le calcul ne peut atteindre, en France, aux effets du sentiment, et qu’un peuple libre ne connaît point d’obstacles dont l’amour de la patrie ne le fasse aisément triompher. M. Hébrard. Messieurs, je voudrais être riche pour offrir davantage à l’Etat; le peu que j’ai, il peut le prendre; mais il faut que je sois avare du bien de mes commettants. — Est-il ici question d’une générosité? alors je dirai qu’elle ne reçoit de loi de qui que ce soit; que la charité ne se prend point d’assaut. — - S’agit-il ici de voter un impôt? je dirai que l’on ne proposa jamais de le faire par acclamation ; qu’il n’y a que la conviction la plus intime de la nécessité de l’État et de l’impossibilité de le sauver sans cela, qui puisse le déterminer ; et heureusement nous n’en sommes pas encore à cette cruelle extrémité, et j’ose dire, au nom de la patrie, de la province que j’habite, que je désavoue et même proteste contre tout ce qui pourrait être fait au mépris et à la violation de la liberté des opinions, et contre les formes de toute Assemblée bien et légalement organisée. M. le comte de Mirabeau. Messieurs, demander des détails sur des objets de détail, c’est s’éloigner de la question. Il y a déjà trois jours que le ministre des finances vous a peint les dan-