[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 septembre 1789.] 196 qui pensez que ces convulsions du désespoir et de la misère passeront comme tant d’autres, et d’autant plus rapidement quelles seront plus violentes, êtes-vous bien sûrs que tant d’hommes sans pain vous laisseront tranquillement savourer les mets dont vous n’aurez voulu diminuer ni le nombre, ni la délicatesse?... Non, vous périrez, et dans la conflagration universelle que vous ne frémissez pas d’allumer, la perte de votre honneur ne sauvera pas une seule de vos détestables jouissances I Voilà où nous marchons... J'entends parler de patriotisme, d’élans du patriotisme, d’invocations du patriotisme. Ah I ne prostituez pas ces mots de patrie et de patriotisme. Il est donc bien magnanime, l’effort de donner une portion de son revenu pour sauver tout ce qu’on possède! Eh ! Messieurs, ce n’est là que de la simple arithmétique, et celui qui hésitera ne peut désarmer l’indignation que parle mépris que doit inspirer sa stupidité. Oui, Messieurs, c’est la prudence la plus ordinaire, la sagesse la plus triviale, c’est votre inlérêt le plus grossier que j'invoque. Je ne vous dis plus comme autrefois : donnerez - vous les premiers aux nations le spectacle d’un peuple assemblé pour manquer à la foi publique? Je ne vous dis plus : eh ! quels titres avez-vous à la liberté, quels moyens vous resteront pour la maintenir, si dès votre premier pas vous surpassez les turpitudes des gouvernements les plus corrompus? si le besoin de votre concours et de votre surveillance n’est pas le garant de votre Constitution ?... Je vous dis : vous serez tous entraînés dans la ruine universelle; et les premiers intéressés au sacrifice que le gouvernement vous demande, c’est vous-mêmes. Votez donc ce subside extraordinaire. Eh 1 puisse-t-il être suffisant! Votez-le, parce que, si vous avez des doutes sur les moyens (doutes vagues et non éclaircis), vous n’en avez pas sur sa nécessité et sur notre impuissance à le remplacer, immédiatement du moins. Votez-le, parce que les circonstances publiques ne souffrent aucun retard, et que nous serions comptables de tout délai. Gardez-vous de demander du temps, le malheur n’en accorde jamais... Eh ! Messieurs, à propos d’une ridicule motion du Palais-Royal, d’une risible insurrection qui n’eùt jamais d’importance que dans les imaginations faibles ou les desseins pervers de quelques hommes de mauvaise foi, vous avez entendu naguère ces mots forcenés : Catilina est aux portes de Home, et Von délibère! Et certes il n’y avait autour de nous ni Catilina, ni périls, ni factions, ni Rome... Mais aujourd’hui la banqueroute, la hideuse banqueroute est là ; elle menace de consumer vous, vos propriétés, votre honneur... et vous délibérez ! Nous n’essayerons pas de rendre l’impression que ce discours improvisé produisit sur l’Assemblée. Des applaudissements presque convulsifs firent place à un décret très-simple, conçu en ces termes, qui passa après un appel nominatif, commencé à cinq heures et demie et fini après sept heures. « Vu l’urgence des circonstances , et ouï le rapport du comité des finances, l’Assemblée nationale accepte de. confiance le plan de M. le premier ministre des finances. » M. le Président prévient l’Assemblée que la réunion des bureaux aura lieu lundi matin à huit heures et demie pour y procéder à l’élection d’un président, de trois secrétaires et de trois trésoriers de la caisse patriotique et que de là on se rendra à l’Assemblée générale à neuf heures et demie. La séance est levée. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. MOUNIER. Séance du lundi 28 septembre 1789, au matin (1). La séance a été retardée jusqu’à onze heures par la nomination du président et de trois secrétaires. M. le comte de Clermont Tonnerre, Président sortant, a annoncé que dans le scrutin pour le président M. Mounier avait réuni la pluralité 1 absolue des suffrages. Les voix se sont réparties de la façon suivante : M. Mounier, 365; M.Pétion de Villeneuve 143; M. Target 52. Les secrétaires élus sont : MM. de Lafare, évêque de Nancy, Bureaux de Puzy et Faydel. M. le comte de Clermont-Tonnerre a dit ensuite : Je ne puis, Messieurs, que vous offrir � l’hommage d’une reconnaissance toujours renaissante, et d’un zèle qui ne finira jamais. M. Pochet propose de voter des remerciements sur la manière dont le Président sortant a rempli ' ses fonctions. L’Assemblée a accueilli cette motion par d’unauimes applaudissements. M. Mounier, en prenant place au fauteuil,. a dit : Messieurs, celui qui m’a précédé dans le poste honorable que vous avez bien voulu me confier, m’inspire tout à la fois le désir de suivre ses traces, et la certitude de ne pouvoir le remplacer; je réclame donc votre indulgence, et j’esr père l’obtenir en faveur de mon zèle. Des députés de quelques jeunes citoyens employés dans les maisons de commerce de Paris, ayant apporté 6,209 livres à la caisse patriotique� on leur a permis de se présenter à la barre, et M. le président leur a dit : L’Assemblée nationale reçoit votre offre patriotique; c’est un bel exemple digne d’être suivi., L’Assemblée vous permet d’assister à sa séance. M. de Boulainvilliers, prévôt de Paris, ayant demandé la permission de présenter 26,000 livres, il a été introduit ; sur l’explication qu’il a donnée de la manière dont celte somme lui est parvenue dans le courant du mois de mai dernier, de la part d’un citoyen, qui, à cette époque, ne voulait pas être nommé, et d’une lettre subséquente du même citoyen, l’Assemblée a* reçu ce don avec d’autant plus d’éloges qu’il vient de M. Berthier, qui a déjà donné des sommes considérables, et qui promet de consacrer ses jours au service du Roi et de la patrie, sans am cune espèce de récompense. M. le Président a dit: Vous voudrez bien vous charger d’instruire ce digne citoyen de 1� satisfaction avec laquelle l’Assemblée a reçu cette preuve de patriotisme. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. 197 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 septembre 1789.] On a ensuite rendu compte des sacrifices patriotiques suivants : M. Chassey a remis 150 livres de la part d’un ecclésiastique. Le sieur Volland a abandonné jusqu’au 1er octobre 1790, 5 0/0 du produit de la vente des taffetas qu’il a fait fabriquer à l’instar de celui d’Angleterre. M. Merlin, député de Douai, a offert une somme de 1,000 livres sur les 2,750 livres qui composent le montant des gages de son office de secrétaire du Roi. Le sieur Rousseau, receveur des fermes du Roi, à Sèvres, a fait hommage de 100 livres, quinzième du revenu de sa place. MM. les députes de la sénéchaussée de La Rochelle ont remis de la part de M. Baudin, négociant à Saint-Martin de l’île de Ré, une lettre de change de 2,100 livres. M. Canary, dessinateur des bâtiments du Roi, à Rambouillet, a fait hommage d’une médaille d’or qu’il a remportée à Rome pour prix d’architecture. Ou a chargé M. le président d’écrire à M. Canary une lettre qui, par les suffrages de l’Assemblée, pût le dédommager du sacrifice de sa médaille : on a déciué en même temps que M. le président écrirait une lettre semblable à M. Gilbert, professeur de l’école vétérinaire, qui a donné cinq médailles obtenues dans des concours, pour prix de ses talents. M. de Bauve, membre du collège de chirurgie de Paris, a remis une somme de 600 livres, pour son compte, et 24 livres pour une femme attachée à son service. Madame la comtesse de Maurepas, qui avait envoyé à la Monnaie 243 marcs d’argenterie, a fait don de cette argenterie, dont la valeur est consignée dans un bordereau signée du directeur de la monnaie de Paris. On donne lecture delà lettre suivante des religieux de Saint-Martin-des-Champs, à Paris. « Nosseigneurs, les religieux de Saint-Martin-des-Champs, instruits des besoins urgents de l’Etat, prient nosseigneurs les députés de l’Assemblée nationale d’accepter l’offre volontaire qu’ils font de tous leurs biens à la nation. Ils peuvent faire le même abandon, au nom de tout leur corps, avec la ferme confiance que tous les membres (un très-petit nombre excepté) y souscriront avec empressement. Les lettres qu’ils reçoivent chaque jour de leurs confrères des provinces les autorisent à manifester ces sentiments de patriotisme. « L’ordre de Cluny,dont ils dépendent, est composé de 280 religieux dans trente-six maisons ; son revenu total est estimé 1,800,000 livres, dont la moitié appartient aux abbés et prieurs commandataires ; l’emplacement de ses trois maisons de Paris est évalué au moins 4 millions, qui joints aux produits des emplacements du reste de leurs maisons situées dans différentes provinces, peuvent faire à chaque individu une pension au-dessus de 1,500 livres. Cet arrangement donnerait à l’Etat un revenu de 900,000 livres, et aux religieux la liberté , qu’ils auront le bonheur de partager avec tous les Français, et de consacrer à l’éducation de la jeunesse et au ministère des autels; et ont signé Doin J. Ducoin. Dom Robin, Dom Lain-gault, Dom Barjon, Dom Baudot, Dom Poiral, Dom Perret, sous-prieur, et sénieur, Dom Des-martin, Dom Hilaire, Dom Meffre, maître des novices; Dom Sénéchal, Dom Mugues, ancien célé-rier de la maison ; Dom Etienne, Dom Bailleul, Dom B. Adam, Dom de Saint-Martin, ex-prieur. » L’Assemblée nationale accueille avec satisfaction cette preuve de patriotisme et ordonne l’impression et la distribution de la lettre des religieux de Saint-Martin-des-Champs. Des soldats de la garde nationale soldée du district des Filles-Saint-Thomas de Paris, sont venus offrir 336 livres. Ils ont été introduits à la barre. M. le Président leur a dit : Il est beau de voir les défenseurs de la patrie venir à son secours non-seulement par leur courage, mais par des contributions pécuniaires. M. le vicomte de üfoailles a donné sa démission des fonctions dont il était chargé, comme membre du comité des finances. Afin de consacrer les séances du matin au travail de la Constitution et des finances, on a statué que la lecture des adresses, des lettres et des détails sur les offrandes patriotiques, serait renvoyée aux séances du soir. L’Assemblée a agréé un projet de monument à la gloire du Roi, offert par le sieur de Yarenne, l'un des huissiers de l’Assemblée. M. Laborde, cure’ de Corneillan , député de Condom , donne sa démission pour cause de santé. M. l’abbé d’Eymar, l’un des secrétaires, donne lecture du procès-verbal de la séance de samedi. La rédaction soulève diverses réclamations. M. le comte de Mirabeau lui représente qu’il n’est pas exact daus le récit, en disant que l'Assemblée nationale avait été impatiente d'aller aux voix; qu’il r.e faisait pas mention de l’adresse qu’il avait proposé de faire aux commettants, pour les instruire des motifs du dernier décret de l’Assemblée. M. Duport propose de renvoyer le procès-verbal au comité de rédaction. Ces deux motions sont appuyées. Cependant un membre ayant observé qu’il convenait plutôt de charger M. l’abbé d’Eymar de représenter le procès-verbal demain à i’Assem-blée avec les corrections proposées, ce dernier parti est adopté. M. Garat l'aîné reprend la question élevée par M. de Mirabeau, de savoir si l’Assemblée nationale fera une adresse aux commettants pour les instruire des motifs du dernier décret. Celte motion est vivement appuyée. M. le président la met aux voix, et l’adresse est décrétée. Il reste une question secondaire à examiner. M. Garat avait proposé de charger M. le comte de Mirabeau de la rédaction de cette adresse. Un membre voulait que le comité des finance* fût chargé de cet ouvrage. M. de Mirabeau fait cesser ce combat d’opinions, en déclarant que tout le monde pourra communiquer ses idées au comité de rédaction et que lui-même y portera les siennes. M. Achard de Bonvouloir (1) fait la motion (1) L’Assemblée ayant jugé que les motifs de la mo-