732 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |3 février 1791. | un nouveau charme au plaisir de la victoire, qui fait retentir les voûtes des temples d’une pure et religieuse harmonie; en un mot, cet art touchant et sublime, qui maîtrise nos passions, en pénétrant nos cœurs d’accents nobles et animés, n’est pas moins que la peinture et la poésie, digne d’occuper un moment les plus austères législateurs. « Si des hommes peu versés dans l’économie morale, et qui dédaignent tout ce qu’ils ignorent, le regardaient comme indifférent et frivole, nous leur dirions que Socrate le cultiva, que Platon attachait à son enseignement le destin de la République, et que Pythagore jouit d’une réputation immortelle, pour en avoir seulement découvert les premiers principes; nous leur dirions que les plus grands philosophes modernes ont tous reconnu combien est grande l’influence politique de l’art musical sur les mœurs, et nous citerions avec confiance les noms à jamais célèbres de Descartes, de Condillac, de Montesquieu, de cet homme enfin dont vous estimez les écrits, dont vous respectez le génie, pour qui vous venez de renouveler des honneurs connus seulement des peuples antiques, et qui trouve dans votre admiration le prix le plus flatteur de ses travaux et de ses vertus. (Applaudissements.) « Eh ! pourriez-vous, hommes publics, pères de la patrie, laisser perdre au peuple français, quand il recouvre sa liberté, les plaisirs doux et consolateurs qui, sous le poids même du despotisme, ont si souvent charmé ses peines, jusqu’au jour où votre courage l’a débarrassé de ses fers ? « Mais une considération importante vous fait un devoir d’écouter nos vœux. Nous formons dans l’Etat une famille nombreuse : les talents qui nous font vivre ont besoin de protection, et leur célébrité même tourne au profit de l’industrie nationale. « Jusqu’ici, par la stupidité de notre ancien gouvernement, qui décriait nos productions, qui avilissait nos artistes, qui nous refusait les écoles nécessaires à leur perfection, deux nations voisines, et constamment nos rivales, nous ont enlevé la gloire, et avec elle le bénéfice qui devait payer nos travaux. Ressaisissons-nous aujourd’hui d’une branche de commerce d’autant plus précieuse, qu’elle doit tout à l’imagination : champ vaste et fertile, dont la culture n’est point onéreuse au peuple, et dont les fruits, dans les Etats policés, sont aussi certains que flatteurs. Trop longtemps les habitants de l’Allemagne et de l’Italie nous ont vaincus par leurs institutions dans cette lutte savante : qu’ils redeviennent à leur tour nos disciples, nos admirateurs et nos tributaires. Vous nous avez défendu de conquérir les nations par la force et la violence; mais vous saurez nous conserver les moyens de les conquérir par les arts et notre génie. (. Applaudissements. ) « Vous le savez, Messieurs, non seulement les arts polissent l’esprit, mais ils éclairent la raison, ils accoutument à penser, à réfléchir, à s’instruire; ils ont toujours le bien pour but, le beau pour modèle; ils ouvrent à l’intelligence une carrière immense, une communication rapide: ehl serait-il prudent de les négliger, quand tout présage à la nation des jours de pompe et de magnificence? Car vous instituerez certainement, Messieurs, des fêtes nationales, où le luxe d’un peuple libre se déploiera dans tout son éclat; vous donnerez à l’allégresse publique ce caractère imposant de grandeur et de majesté, qui en augmente la jouissance, qui en prolonge le souvenir, et qui, plus que personne peut-être, cimente au fond des cœurs l’amour sacré de la patrie. ( Vifs applaudissements.) « S’il fut jamais à propos d’employer ces moyens touchants, c'est à présent surtout, que la France offre le spectacle fier et terrible d'un peuple armé. 11 s’est uni, dans sa colère, d’un bout du royaume à l’autre ; il défie ses ennemis, il prend sous les drapeaux et dans l’exercice des armes, un caractère de sévérité qu’il est déjà temps d’adoucir. C’est à vous, législateurs, qu’il appartient de tempérer son courage, de lui fournir les établissements capables de perfectionner ses talents rares, ses goûts brillants et ses vertus sociales. Voyez les Rénubliques de la Grèce ; toutes n’ont pas été guerrières ou agricoles, et toutes ont goûté cependant les douceurs de la liberté. Athènes, ce centre des arts, a même succombé plus tard que Tbèbesetque Lacédémone, aux coups irrésistibles du sort. Réunissez donc sous vos yeux les diverses institutions de ces trois villes fameuses; daignez protéger les arts qui ont couvert la Grèce de gloire, qui, le siècle dernier, nous ont rendus l’admiration de l’univers, qui même ont favorisé cette Révolution mémorable, digne effort d’un peuple éclairé. Craignez, par un oubli funeste, de laisser éteindre le feu du génie, si difficile à rallumer ; prévenez, par quelques précautions bienfaisantes, l’émigration irréparable des artistes; et vous verrez, au sein d’une capitale, devenue celle de tous les peuples civilisés, briller dans tout son éclat Turuanité sans mollesse, la bonne foi sans ignorance, et le civisme sans férocité. < Nous demandons que vous nous autorisiez, Messieurs, à présenter au comité de Constitution, relativement à la partie des beaux-arts que nous professons , des règlements analogues à ceux que les peintres ont eu l’honneur de lui soumettre. » ( Applaudissements .) M. le Président répond : « Tous les beaux-arts sont une propriété publique ; tous ont des rapports avec les mœurs des citoyens, avec cette éducation générale qui change les peuplades d’hommes en corps de nation. « La musique a longtemps conduit les armées à la victoire; des camps elle a passé dans les palais des rois, de ces palais sur nos théâtres, de nos théâtres dans nos fêtes civiques; et peut-être i lie donna tout leur empire aux premières lois des sociétés. Cet art, fondé sur la régularité des mouvements si sensibles dans toutes les parties de l’univers, mais principalement dans les êtres animés, chez lesquels tout s’exécute avec rythme, et dont le penchant à la mélodie se manifeste dans tous leurs goûts; cet art n’est qu’une imitation de l’harmonie de la nature, et lorsqu’il peint les passions, il a pour modèle le cœur humain, que le législateur doit étudier sous ce point de vue ; car là, sans doute, se trouvent les motifs de toutes les institutions sociales. « L’Assemblée prendra votre demande en considération; elle vous permet d’assister à sa séance. » ( Applaudissements .) (L’Assemblée ordonne le renvoi de l’adresse au comité de Constitution et l’impression des deux discours.) L’ordre du jour est un rapport du comité de | commerce et d' agriculture sur une découverte phy-3 sique de M . de Trouville.