[10 octobre 1789.] 396 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. un seul et même acte, d’abord au récolement des témoins, et de suite à leur confrontation. Il en sera usé de môme par rapport au récolement des accusés, sur leur interrogatoire et à leur confrontation entre eux. Les reproches contre les témoins pourront être proposés et prouvés en tout état de cause, tant après qu’avant la connaissance des charges, et l’accusé sera admis à les prouver, si les juges les trouvent pertinents et admissibles. Art. 18. Le conseil de l’accusé aura le droit d’être présent à tous les actes de l’instruction, sans pouvoir y parler au nom de l’accusé, ni lui suggérer ce qu’il doit dire ou répondre, si ce n’est dans le cas d’une nouvelle visite ou rapport quelconque, lors desquels il pourra faire ses observations, dont mention sera faite dans le procès-verbal. Art. 19. L’accusé aura le droit de proposer, en tout état de cause, ses défenses et faits justificatifs ou d’atténuation ; et la preuve sera reçue de tous ceux qui seront jugés pertinents quoiqu’ils n’aient point été articulés par l’accusé dans son interrogatoire, et autres actes de la procédure. Les témoins que l’accusé voudra produire, sans être tenu de les nommer sur-le-champ, seront entendus publiquement, et pourront l’être en même temps que ceux de l’accusateur, sur la continuation ou addition d’information. _ Art. 20. Il sera libre à l’accusé, soit d’appeler ses témoins à sa requête, soit de les indiquer au ministère public pour qu’il les fasse assigner ; mais, dans l’un ou l’autre cas, il sera tenu de commencer ses diligences ou de fournir l’indication de ses témoins, dans les trois jours de la signification du jugement qui aura admis la preuve. Art. 21. Le rapport du procès sera fait par un des juges, les conclusions du ministère public données ensuite et motivées, le dernier interrogatoire prêté, et le jugement prononcé, le tout à l’audience publique. L’accusé ne comparaîtra à cette audience qu’au moment de l’interrogatoire, après lequel il sera reconduit, s’il est prisonnier ; mais son conseil pourra être présent pendant la séance entière, et parler pour sa défense après le rapport fini, les conclusions données, et le dernier interrogatoire prêté. Les juges seront tenus de se retirer ensuite à la chambre du conseil, d’y opiner sur délibéré, et de reprendre incontinent leur séance publique, pour la prononciation du jugement. Art. 22. Toute condamnation à peine afflictive ou infamante, en première instance ou en dernier ressort, exprimera les faits pour lesquels l’accusé sera condamné, sans qu’aucun juge puisse jamais employer la formule, pour les cas résultants du procès. Art. 23. Les personnes présentes aux actes publics de l’instruction criminelle se tiendront dans le silence et le respect dû au tribunal, et s’interdiront tout signe d’approbation et d’improbation, à peine d’être emprisonnées sur-le-champ par forme de correction, pour le temps qui sera fixé par le juge, et qui ne pourra cependant excéder huitaine, ou même poursuivies extraordinairement , en cas de trouble ou d’indécence grave. Art. 24. L’usage de la sellette au dernier interrogatoire, et la question, dans tous les cas, sont abolis. Art. 23. Aucune condamnation à peine afflictive ou infamante ne pourra être prononcée qu’aux deux tiers des voix, et la condamnation à mort ne pourra être prononcée par les juges, en dernier ressort, qu’aux quatre cinquièmes. Art. 26. Tout ce qui précède sera également observé dans les procès poursuivis d’office et dans ceux qui seront instruits en première instance dans les cours supérieures. La même publicité y aura lieu pour le rapport, les conclusions, le dernier interrogatoire, le plaidoyer du défenseur de l'accusé, et le jugement, dans les procès criminels qui y sont portés par appel. Art. 27. Dans les procès commencés, les procédures déjà faites subsisteront; mais il sera procédé au surplus de l’instruction et au jugement, suivant les formes prescrites par le présent décret à peine de nullité. Art. 28. L’ordonnance de 1670, et les édits, déclarations et règlements concernant la matière criminelle, continueront d’être observés en tout ce qui n’est pas contraire au présent décret, jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordonné. M. le Président a levé la séance et indiqué celle de demain à neuf heures du matin. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE CHAPELIER. Séance du samedi 10 octobre 1789, au matin (1). On donne lecture des procès-verbaux de la séance d’hier. MM. Thoret , député du Berry ; l’abbé d’Héral, député de Bordeaux ; Loaisel, recteur de Redon, député de Vannes, demandent et obtiennent la permission de s'absenter à raison de leur santé : l’Assemblée autorise M. le Président à leur délivrer des passe-ports. Un membre. 11 est plaisant de considérer combien de collègues la résidence prochaine de l’Assemblée à Paris a rendus malades. M. le duc de Mailly, député des bailliages de Péronne, Montdidier et Roye, donne sa démission en annonçant qu’il en a rendu compte à ses commettants, qui vont le faire remplacer par un des suppléants élus dans ses bailliages. M. ïe Président annonce que l’ordre du jour est d’entendre M-l’évêque d’Autun ; mais M. de Talleyrand n’étant pas encore arrivé, il demande qu’on s’occupe de rintitulé de la loi, proposé par M. de Mirabeau. D’autres membres veulent que l’on passe aux finances. L’Assemblée décrète que l’on s’occupera de l'intitulé de la loi. On donne lecture de celui que M. de Mirabeau a proposé jeudi. On adopte plusieurs amendements qui ne sont que des mots changés. Ainsi on met sceau de l'Etal , au lieu de sceau national ; on ajoute afficher à publier. M. Target propose d’ajouter dans leur ressort , au lieu de département ; sa proposition est adoptée. M. Tanjuinais rappelle ce qu’il avait dit pour déterminer l’époque de la publication et de l’exécution de la loi. U demande que la loi soit envoyée et publiée par tous les corps administratifs. M. Tronchet suppose que l’envoi de la loi doit se faire aux cours supérieures et par celles-ci aux municipalités. M. Briois «le Beaumetz proposait que les lois envoyées aux tribunaux ne fussent exêcu-* toires qu’un mois après leur promulgation. M. Barrère de Vieuzac. On ne doit avoir égard qu’à l’époque de la publication faite dans les tribunaux chargés seuls de l’exécution et de l’application des lois. Les corps municipaux et (1) Cette séance est fort incomplète au Moniteur , [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]10 octobre 1789.] 397 administratifs ne peuvent donner à la loi aucune date utile, ils peuvent seulement servir de dépôt et de moyen de publicité. Voici mon projet de rédaction : « Tous les tribunaux du royaume, tant supérieurs qu’inférieurs, seront tenus de faire publier et transcrire la loi dans le registre, du moment qu’elle leur sera envoyée, et la loi n’aura son exécution dans le ressort de chaque tribunal que du jour où elle aura été publiée à l’audience, transcrite et affichée. » M. Target propose de dire : « L’exécution des lois aura lieu, à compter du jour de leur transcription sur les registres des tribunaux supérieurs et de leur publication : ce qu’ils seront tenus de faire du moment que la loi leur sera parvenue. » Après la présentation de quelques autres amendements, la formule est ainsi adoptée : « Louis, par la grâce de Dieu, et la loi constitutionnelle de l’Etat, Roi des Français.. .. à tous présents et à venir, salut. L’Assemblée nationale a décrété, et Nous voulons et ordonnons ce qui suit, etc. » Ici doit être inséré le décret. L’acte de proclamation sera terminé par ces mots : « Mandons et ordonnons à tous les tribunaux , corps administratifs et municipalités , que les présentes ils fassent transcrire sur leurs registres, lire, publier et afficher dans leurs ressorts et départements respectifs, et exécuter comme loi du royaume; en foi de quoi nous avons signé et fait contresigner lesdites présentes, auxquelles nous avons fait apposer le sceau de l’Etat. A... le... > Une addition proposée par M. Camus est adoptée, et forme un article particulier. « Il sera apporté une expédition de la loi, signée, scellée et contresignée, à l’Assemblée nationale, pour être déposée dans les archives. » L’Assemblée charge son comité de Constitution de lui présenter un projet de rédaction sur la manière dont seront intitulés les décrets sanctionnés par le Roi. M. de Cocherel demande à faire une motion concernant la sûreté personnelle des députés. M. le chevalier de Cocherel (1). Nommés par vous, Messieurs, mardi dernier, pour accompagner Sa Majesté à Paris, M. de Gouy et moi sommes partis de Versailles avant les voitures du Roi : arrêtée un instant à Sèvres , notre voiture a été aussitôt entourée par un grand nombre de particuliers ; un d’eux m’a adressé la parole, m’a demandé si je n’étais pas un député, si je n’étais pas M. de Virieu : M. de Gouy lui ayant répondu que non, plusieurs d’entre eux ont aussitôt élevé la voix, et lui ont dit qu’ils le connaissaient parfaitement bien et qu’il était, lui, M. de Gouy, un bon député ; M. de Gouy ayant demandé à l’orateur le motif de sa question, il a répondu que son dessein était de massacrer M. de Virieu, qu’il ne périrait que de sa main ; il a ajouté qu’il ne serait pas le seul ; qu’il existait une liste nombreuse des proscrits de l’Assemblée nationale. M. de Gouy a été interpellé par ce particulier (1) Le Moniteur 11e donne qu’un sommaire de la motion de M. le chevalier de Cocherel. de dire mon nom, ce qu’il a fait ; ensuite nous avons continué notre route. Ce fait, Messieurs, n’intéresse pas seulement l’honorable membre que je viens de nommer; il attaque directement la sûreté de l’Assemblée nationale, et la liberté de ses délibérations. Vous ne pouvez laisser subsister cette liste de proscription ; je vous le dis, Messieurs, avec le courage que doit montrer un représentant de la nation, dussé-je augmenter le nombre des proscrits. Quoi! existerait-il parmi les Français un autre Catilina qui désignerait ici ses victimes, qui vouerait à une mort infâme ceux parmi nous qui, fidèles à leurs serments, auraient la noble fermeté de développer leurs sentiments et de parler le langage de leurs cœurs ? Si malheureusement lê courage des représentants de Ja nation se laissait abattre par des menaces criminelles , pourriez-vous , Messieurs , compter dorénavant Sur la sagesse de vos décrets qui ne seraient dictés que par la crainte ? Je crois donc, Messieurs, qu’il est urgent de prendre en considération la déclaration que je viens de vous faire et de délibérer, sans délai, sur de nouvelles mesures tendantes à assurer la liberté de vos opinions. Ungrand nombre de membres réclament l’ordre du jour; d’autres la question préalable. M. Malouet. L’Assemblée peut-elle être indifférente sur les dangers qui menacent ses membres ? Peut-elle ne pas délibérer quand ils lui sont dénoncés? Je suis partie intéressée dans la dénonciation, car j’ai été insulté, menacé et poursuivi. S’il y a quelques reproches à faire à ma conduite, que l’accusateur se lève, et que je sois puni. On égare le peuple, on l’enivre, en lui indiquant des victimes, qui sans doute sont innocentes ; il serait affreux que l’Assemblée se tût lorsqu’on proscrit ses membres ; il serait affreux qu’ils fussent responsables de leurs opinions aux passants, aux malheureux qui sont à votre porte. Plusieurs représentants de la nation sont diffamés dans les journaux, dans les libelles qu’on crie dans les rues, qu’on envoie dans les provinces, et l’on appelle ces désordres la liberté! La liberté ne peut s’obtenir que par la vertu, que par la modération. Combien j’ai gémi de voir les spectateurs de nos travaux avilir les opinions et se porter à l’audace de les juger ! L’Assemblée doit réprimer ces excès par un moyen digne d’elle. Je demande qu’en proscrivant les libelles, elle enjoigne à la commune de Paris de défendre et d’empêcher par la force les attroupements ; et que , s’occupant de la stabilité de la Constitution, elle réclame l’inviolabilité des droits de l’homme et du citoyen, plus méconnus maintenant que jamais. M. Lanjuiiiais demande l’ajournement à ce soir. M. Ifiewbell. Il est sans doute bon d’empêcher que les députés soient calomniés dans les journaux, et je demanderai qu’en proscrivant les nôtres on défende aussi la réimpression des gazettes étrangères. Sans cette précaution, on n’aura fait que la moitié de ce qui est sollicité par le préopinant. Barnave. Je ne crois pas qu’il y ait lieu à délibérer sur la partie de la motion de M. Malouet qui concerne les journaux; si l’ajournement est accordé , je me réserve de parler sur le reste.