(Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 septembre 1790.] à ses comités réunis de la marine et des finances. M. le Président lève la séance à trois heures et demie. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 5 SEPTEMBRE 1790. Adresse à l'Assemblée nationale , par les administrateurs du directoire du département de la Seine-Inférieure , le directoire du district de Rouen, le conseil général de la commune et la chambre du commerce de la même ville , SUR CETTE QUESTION : Convient-il, pour acquiter la dette exigible de l’Etat, de faire l’émission immédiate de deux milliards d’assignats-monnaie ne portant point intérêt et subdivisés en coupons de sommes très modiques ? Messieurs, les administrateurs composant le directoire du département de la Seine-Inférieure, le directoire du district de Rouen, le conseil général de la commune et la chambre du commerce de la même ville, obéissent à un sentiment de sollicitude pour leurs commettants, et d’inquiétude pour la nation entière, en vous adressant des observations sur une question importante, soumise présentement à votre discussion. On vous a proposé, Messieurs, de décréter la vente immédiate delà totalité des domaines nationaux, et le remboursement immédiat aussi de la totalité de la dette exigible, en assignats-monnaie, ne portant point intérêt, et subdivisés en coupons de sommes très modiques. Nous savons que ce système a trouvé de nombreux partisans, qu’il à été développé, défendu avec toutes les armes de l’éloquence ; mais, dans l’esprit de la Constitution, le cri de la conscience des administrateurs doit-il être étouffé par la crainte de déplaire à des législateurs dont ils admirent d’ailleurs les talents et dont ils respectent les principes? Nous ne pouvons le croire, Messieurs ; et si, en vous parlant avec cette assurance qu’inspire la bonne intention, nous nous trouvons en contradiction avec quelques-uns de vous, nous espérons au moins, par notre franchise, acquérir des droits à leur estime. On vous propose de décréter la vente immédiate de tous les biens nationaux ; et, sans nous dissimuler que, quelque mesure qu’on adopte, la vente précipitée d’une masse si énorme de propriétés foncières donnera un moindre produit que n’auraient fait des ventes partielles et successives, nous croyons cependant qu’il est de la sagesse, de la politique même, d’opérer, dans le plus court délai possible, la transmutation de ces propriétés, qui doit consolider à jamais l’édifice de la Constitution. Mais en adoptant, en appuyant même de notre ■vœu cette première partie de la proposition, nous devons mettre sous vos yeux les dangers sans nombre attachés au mode de remboursement indiqué par la seconde. On vous propose, Messieurs, l’émission immédiate de deux milliards d’assignats - monnaie , 9W comme un moyen sûr de relever le crédit, et de faire reparaître le numéraire réel. Mais d’abord qu’est-ce que le crédit public? c’est la confiance qu’inspire la position intérieure et extérieure d’un Etat. Qu’est-ce que l’argent? celui des signes de propriétés qui doit être le plus recherché dans les temps de troubles, parce qu’il réunit à l’avantage d’être disponible, celui d’avoir une valeur intrinsèque de tous les temps, de tous les pays, et qui survit à la révolution des empires. Si donc, dans un Etat, les limites des pouvoirs sont sagement déterminées ; si les ministres ne peuvent disposer arbitraitement du Trésor public; si la paix règne au dedans; si des traités avantageux et de bons alliés tiennent dans le respect des voisins inquiets, le crédit public sera florissant; le numéraire réel et le numéraire fictif circuleront avec une égale facilité; souvent môme on préférera le signe fictif qui se prête mieux par sa nature aux opérations de la banque du commerce et des caisses publiques. Mais, après des déprédations énormes et à la suite de violentes convulsions, lorsque le Trésor public est épuisé, lorsque l’impôt ne présente pas encore l’équilibre de la dépense, lorsque les ennemis de la Révolution affectent d’exagérer le mal et de ne pas croire au remède, le discrédit est inévitable, le papier doit refluer, l’argent doit disparaître ; et telle est malheureusement la position actuelle de la France. Et, quel est le moyen que l’on vous propose, Messieurs, pour rétablir la circulation du numéraire? Une émission de deux milliards et plus d’assignats-monnaie. Où a-t-on vu que dans des temps de crise une émission extraordinaire de papier-monnaie ait relevé le crédit d’une nation? L’Èspagne, au milieu des embarras de la dernière guerre, créa un papier public ; quel en a été le succès pendant tout le temps qu’a duré cette guerre? Les Américains aussi, lorsqu’ils ont conquis leur liberté, firent une émission considérable d’effets nationaux; et ne sait-on pas que ces effets ont perdu jusqu’à 98 0/0? Et c’est dans des circonstances plus critiques que celles où se sont trouvées ces deux nations ; c’est lorsque la grande quantité du papier en circulation a facilité déjà le resserrement de l’argent que l’on propose une émission nouvelle de deux milliards de numéraire fictif; mais si les propriétaires de-la dette exigible que l’on propose de rembourser avec ces signes fictifs et disponibles ; si ces créanciers de l’Etat, parmi lesquels on compte un grand nombre d’ennemis de la Révolution, pressés par la crainte, tourmentés par la malveillance, venaient à réaliser, enfouir, ou exporter en métaux monnayés une portion même légère du remboursement qui leur sera fait, ne voit-on pas qu’ils pourraient enlever de la circulation jusqu’à la dernière pièce d’or ou d’argent? La mesure proposée peut mettre dans les mains des ennemis de la Révolution les moyens les plus sûrs de séduction, de puissance, de despotisme ; en faut-il davantage pour la faire rejeter avec frayeur? Mais, qu’importe, objecte-t-on, l’extrême rareté du numéraire ! Il faudra beaucoup moins d'argent, il n’en faudra presque plus, si l’on fait des assignats dont la valeur descende progressivement depuis la somme de deux cents livres jusqu’à celle des pièces d’or ordinaires. Ceux-là connaîtraient mal les besoins journaliers de l’agriculture et les détails infinis des