214 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (20 juillet 1790.1 minelle commencée, doit porter sur les mêmes principes. Le projet de décret qui vous est présenté par vos comités, n’en est qu’une application exacte; il doit être adopté. M. Brocheton. La police n’appartient aux municipalités que provisoirement et sauf l’appel aux tribunaux ; vous l’avez ainsi décidé. Les boulangers de Soissons, en appelant au bailliage, se sont conformés à cette décision. D’après l’état d’insurrection où se trouve la ville de Soissons, il me semble prudent et nécessaire d’ordonner l’apport des pièces. M. Voidel. Il paraît que la taxe faite par les officiers municipaux est juste, puisque deux cents particuliers ont proposé de fournir du pain à ce prix. Cependant ce bailliage a. infirmé cette taxe que le directoire de district a confirmée après cette infirmation. Ce directoire n’a fait qu’user de son pouvoir ; le tribunal a entrepris sur un pouvoir qui lui est étranger. La taxe du pain est une affaire d’ordre général, elle appartient aux municipalités, sauf le recours des parties intéressées aux corps administratifs supérieurs et non aux tribunaux, autrement les tribunaux seraient des corps administratifs supérieurs. Si les boulangers avaient été condamnés à une amende par la municipalité, cette condamnation serait un acte de police contentieuse, et l’appel n’en aurait pu être porté que pardevant les tribunaux : mais tout ce qui dans la police n’est point contentieux est administratif. Cette distinction prouve évidemment la sagesse du décret qui vous est proposé par vos comités. M. Iioys. Sous tous les points de vue le bailliage n’était point compétent; si la taxe du pain est un objet d’administration, il est certain que le sénéchal ne pouvait s’en occuper ; si c’est un objet de police, il ne pouvait pas davantage, puisque l’appel des jugements de police était porté directement au parlement : cette règle n’a pas varié sous l’ancien régime. M. Chabroud. Toute cette discussion roule sur une fausse interprétation de vos décrets. 11 y a dans la ville de Soissons deux partis : l’un est extrêmement patriotique, l’autre est parfois aristocrate; celui-ci y a suscité toutes sortes de tracasseries à la municipalité, et cette ville seule a occupé le comité des rapports autant que toutes les autres. Je regarde la sentence du bailliage comme une tracasserie nouvelle ; la taxe faite par les officiers municipaux était nécessaire et juste. Je n’en veux d’autre preuve que la proposition de deux cents particuliers qui demandaient à fournir du pain à ce prix. On vous a cité un décret, dont il faut déterminer le véritable sens. Dans le second article de ce décret, la police contentieuse est confiée aux municipalités; dans l’article 6, l’appel des jugements de police est attribué aux bailliages. Il faut distinguer les actes d’administration des jugements : la taxe du pain est un acte de police d’administration, et non de police contentieuse; cette taxe n’est point un jugement, et ce n’est que d’un jugement qu’on peut appeler. Pour qu’il y ait un jugement, il faut qu’il y ait discussion, il faut qu’il y ait un différend qui divise les parties; or, dans ia taxe des denrées, il n’y a pas de différend, il n'y a pas de discussion entre la partie privée et la partie publique : donc il n’y a pas de jugement, donc il n’y a pas lieu à l’appel; les boulangers n’étaient donc pas dans le cas de l’article 6 du décret; le bailliage ne devait donc pas juger. M. Regnand (de Saint-Jean-d'Angely) . Il serait dangereux d’annuler la sentence du bailliage de Soissons : ce serait prononcer que les taxes des municipalités ne sont point assujetties à l’appel aux tribunaux, tandis qu’il est, dans les principes, de l’intérêt général, qu’elles y soient soumises. Il y a dans la taxe du pain deux parties intéressées; les boulangers qui doivent fournir cette denrée, et les consommateurs. Si le peuple ou les boulangers réclament, le juge doit être consulté. Il existe pour Soissons, comme pour Paris, un tarif enregistré. Le juge prononce ainsi : La loi dit que quand le blé coûte tant, le pain doit coûter tant, le peuple doit donc payer le pain à tel prix. Si cette loi n’était exécutée, la taxation du pain serait arbitraire ; autrefois l’appel avait lieu. Si le bailliage favorisait les boulangers, la ville se plaignait, et le parlement infirmait ou confirmait la sentence. Votre décret sur les attributions des municipalités porte ces mots : « En se conformant au règlement actuel. » Ainsi, quand les boulangers se sont pourvus, ils en avaient le droit, le bailliage devait juger. Je n’examine pas s’il a voulu tracasser la municipalité; je n’examine pas si la sentence est juste ; il a pu se tromper, nous ne le savons pas, et c’est ce qu’il faut vérifier. La taxe est-elle bien ou mal faite? voilà la question importante. Je demande que l’Assemblée ordonne préalablement l’apport dés pièces. M. II ou gin s de Roquefort. Il est des objets extrajudiciaires qui ne souffrent pas d’appel. J’ai été maire pendant quatre ans, et je puis assurer que j’ai toujours cru la taxe du pain inattaquable par cette voie. Si vous déclarez le contraire, vous compromettez l’intérêt du peuple, pour lequel la surveillance des municipalités est établie, ét qui est essentiellement opposé à celui des boulangers. M. Bontteville-Dumeti. Toute la difficulté vient de ce que la ligne de démarcation entre la police contentieuse et la police administrative n’est pas encore tracée. On ne peut condamner ni la municipalité, ni le bailliage, qui n’ont pu la reconnaître. Il me paraît convenable de suspendre la décision et d’ordonner l’apport d«s pièces et le renvoi au comité de Constitution. Plusieurs membres réclament la clôture de la discussion. La clôture est prononcée. La motion de M. Boutteville-Dumetz est mise aux voix et adoptée, et l’Assemblée décrète l’apport des pièces et le renvoi de l’affaire au comité de Constitution. M. le Président demande à l’Assemblée de vouloir bien faire connaître son intention sur le désir que plusieurs de ses membres ont témoigné ce matin de réserver encore quelques jours les billets de tribune pour MM. les députés des gardes nationales à la fédération. L’Assemblée nationale décide qu’ils leur seront réservés jusques et compris ceux de la séance du 25 de ce mois. M. le Président. L’ordre du jour est un rapport du comité des domaines sur le droit de protection levé sur les juifs de Met%. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [20 juillet 1790.] 215 M. deUsmes, rapporteur (1). Messieurs les juifs de Metz sout assujettis, envers M. de Bran-cas, au payement d’une redevance annuelle de 20,000 livres, sous le nom de droit d'habitation , protection et tolérance. Cette redevance leur paraît devoir être rangée dans la classe de ces servitudes personnelles, dout la proscription est prononcée par vos décrets ; et ils ont espéré qu’aussitôt qu’elle vous serait dénoncée, votre humanité et votre justice vous porteraient à l’abolir. Avant de soumettre à votre examen les questions que fait naître cette affaire, sur laquelle vous avez demandé l’avis de votre comité des domaines, il faut, Messieurs, vous rendre compte des faits qui ont motivé la création et la jouissance du droit dont il s’agit. Les juifs établis à Metz depuis plus de deux siècles, n’y furent soumis qu’aux mêmes impôts que les autres citoyens, jusqu’à l’avènement de Louis XY au trône." Des lettres patentes du 31 décembre 1715 vinrent changer leur sort à cet égard. Le duc de Brancas et la comtesse de Fontaine exposèrent au monarque ou pial ôt au prince, qui exerçait alors la régence, qu’il était dû au souverain un droit d habitation, protection et tolérance , par chaque famille juive établie à Metz, et dans le pays Messin et par celles auxquelles il voudrait bien permettre de se fixer dans la même province, et ils demandèrent que ce droit leur fût accordé pendant le temps qu’il plairait au roi. Sur cet exposé, le roi établit et fixe le droit à 40 livres par an, payables par chaque famille juive actuellement domiciliée, ou qui s’établira par la suite à Metz ou dans le pays Messin, et il en accorde la jouissance pour trente années, à compter du lei janvier 1716, à M. de Brancas pour les trois quarts et à la dame de Fontaine pour l’autre quart, ainsi qu’à leurs héritiers, successeurs et ayants cause. Telle est, Messieurs, la valeur des lettres patentes du 31 décembre 1715, c’est-à-dire du titre constitutif de la redevance qui se lève annuellement sur les juifs de Metz, Les lettres patentes de 1715 ayant été présentées au parlement de Metz, le procureur général de cette cour crut devoir en requérir la communication aux syndics de la communauté des juifs, et ceux-ci s’empressèrent de former opposition à l’enregistrement ; mais cette opposition fut évoquée au conseil, par un arrêt du 19 mars 1716, qui ordonne, par provision, que les lettres patentes seront enregistrées purement et simplement, et qu’elles seront exécutées. Cet arrêt auquel le parlement de Metz fut obligé de céder, apprit aux juifs que toute résistance de leur part serait désormais inutile. Peu de temps après, Messieurs, la prestation dont ils venaient d’être chargés, subit une modification remarquable. De nouvelles lettres patentes du 9 juillet 1718, registrées au parlement de Metz, le 3 septembre suivant, permettent aux juifs établis à Metz, d'y continuer leur demeure au nombre de 480 familles (c’était le nombre de celles qui y existaient alors); elles étendent la même permission à leurs descendants, mais elles y attachent des conditions rigoureuses, dont la plus considérable est celle que les juifs demeu-(1) Le Moniteur ne donne qu’un extrait du rapport de M.deVismes. reront séparés des autres citoyens, dans un quar-tier qui leur est affecté exclusivement ; et au lieu de 40 livres imposées ci-devant sur chaque famille, elles ordonnent qu’il sera levé, chaque année, sur toute la communauté des juifs une somme fixe de 20,000 livres. C’est sur ce pied que ce droit a été perçu depuis 1718. Les trente années de la première concession devant expirer en 1745, elle fut renouvelée en 1742 , pour trente autres années, au profit seulement de M. de Brancas fils, alors duc de Lauraguais, tant en considération de ses services personnels et de ceux rendus par sa maison , qu'en faveur du, mariage qu'il était sur le point de contracter avec la demoiselle de Mailly : ce sont les termes du brevet du 15 décembre 1742, sur lequel ont été expédiées, le 4 avril 1743, des lettres patentes qui ont été enregistrées au parlement de Metz et qui règlent, avec beaucoup de détails, les droits de l’épouse et des enfants de M. de Brancas sur la rente de 20,000 livres. Quoique la durée de la deuxième concession dut s’étendre jusqu’au 31 décembre 1775, dès le premier mai 1750, M. de Brancas a obtenu un nouveau brevet qui proroge, pour lui et pour les siens, jusqu’en 1805, et avec les mômes clauses, la jouissance du droit de protection. Les lettres patentes expédiées sur ce dernier brevet, qui forme le titre actuel de M. de Brancas, ont été enregistrées au parlement de Metz, le 2 septembre 1751. Le motif de cette dernière grâce est le désir du roi de donner à M. de Brancas une nouvelle marque de sa bienveillance. Avilis et découragés sous l’empire du despotisme, les juifs de Metz ont senti renaître leurs espérances sous un nouvel ordre de choses. Ils ont demandé avec confiance, et la participation des droits civils dont ils sont exclus, et l’affranchissement d’une prestation qu’ils regardent comme humiliante. C’est à votre comité de Constitution qu’il est réservé, Messieurs, de préparer votre décision sur la première de ces deux demandes. Votre comité des domaines n’a dû s’occuper que de ce qui concerne la redevance dont les juifs de Metz demandent provisoirement la suppression. Il a cru devoir y donner une attention d’autant plus grande, que la question tient à l’existence politique d’une classe d’hommes aussi nombreuse qu'industrieuse; que la même charge pèse sur les juifs en différents endroits et que la réclamation de ceux de Metz peut et doit naturellement donner lieu à une décision générale. Deux points paraissent devoir être traités dans cette affaire : 1° le droit de protection peut-il subsister désormais, soit au profit du concessionnaire, soit au profit du domaine, c’est-à-dire de la nation ? 2° supposé qu’il doive être aboli, la suppression doit-elle s'opérer sans aucune indemnité pour le concessionnaire? Pour prononcer en connaissance de cause sur le sort du droit de protection, dû par les juifs de Metz, il faut, avant tout, se former une juste idée de la nature de la redevance. M. de Brancas dit qu’elle prend sa source dans le droit qu’a le souverain de fermer aux étrangers l’entrée du royaume. Elle est, suivant lui, le prix du consentement donné par le roi à l’établissement des juifs dans la ville de Metz ; elle est représentative du droit d’aubaine , que le fisc aurait pu exercer sur les successions. Ce n’est pas, Messieurs, sous le même aspect que les juifs de Metz envisagent les choses. Suivant eux, le gouvernement les a considérés comme 5J-K3 [Assemblée nationale.] ARCHIVES un peuple condamné, par nos lois, à la servitude; et la taxe levée annuellement sur eux, parait destinée à les marquer à perpétuité du sceau de cette honteuse condition. Cette dernière idée se rapproche davantage de celle d'un écrivain qui a fait un traité du domaine : « Outre le droit, dit-il, qui appartient au « roi sur les étrangers et leurs successions, il en « a un particulier sur celles des juifs qui sont « demeurés plus que les autres dans cet état de « servitude où tous les roturiers avaient été ré-« duits sous la première race. Les juifs, ajoute-« t-il, qui ne peuvent paraître dans le royaume, « ont toujours été obligés d’y acheter la tolé-« rance. La confiscation de leurs biens étant la « peine sous laquelle les ordonnances leur en « défendent l’entrée, ils en ont volontairement v sacrifié une petite partie, pour conserver i’au-« tre. Cette prestation, qui s’est quelquefois contt vertie en redevance annuelle, est appelée « droit de protection et d'habitation , connu à « Metz et en quelques autres lieux; mais ce droit « n’éteint point celui de l’aubaine, qui doit être « exercé sur leurs successions, après leur « mort. » Considérons maintenant, Messieurs, la difficulté sous les points de vue que présentent ces diverses définitions. Et d’abord celle que donne M. de Brancas ne peut pas être exacte. Il est impossible, en effet, d’admettre qu’il s’agisse ici d’un droit d’aubaine, soit que l’on fasse attention à la nature de la redevance, soit que l’on observe les circonstances dans lesquelles elle a été créée. Ceci, Messieurs, est essentiel à établir, par deux raisons : 1° vous n’avez encore rien décidé sur le droit d’aubaine, dont il est vrai cependant que le droit est facile à prévoir, d’après les maximes nobles et généreuses dont vous faites profession; 2° quand le droit d’aubaine serait aboli, il serait toujours de notre devoir d’examiner si M. de Brancas ne se trompe pas, en affirmant que la prestation dont il jouit en est une émanation : car la justice d’abord l’exige ainsi, et l’intérêt particulier de M. de Brancas est lié à celui de la nation qui serait propriétaire du droit. Qu’est-ce, Messieurs, que le droit d’aubaine ? C’est le droit de recueillir la succession des étrangers qui meurent dans le royaume. Ainsi c’est un droit casuel et momentané, qui s’ouvre par la mort d’un individu, et dont l’exercice se consomme parla prise de possession de ses biens. Ce droit ne subsiste pas perpétuellement contre fa postérité de l’étranger, parce que la qualité d’étranger est un vice personnel à l’individu qui est venu s’établir dans le royaume, et que ce vice s’est effacé dans la personne de ses descendants, dont la naissance, dans la patrie adoptive de leur père, a fait des régnicoles. De là il résulte que la taxe imposée a toujours sur les familles juives de Metz différé essentiellement du droit d’aubaine, par ce caractère de perpétuité qui y soumet des individus, que, depuis longtemps on ne peut plus considérer comme des aubains. Que l’on parcoure les fastes de notre jurisprudence fiscale, et l’on verra que si l’on a autrefois levé sur les étrangers un tribut annuel sous le nom de droit de chevage; que si, depuis l’extinction de ce droit, on a, dans diverses cir-constan ces, exigé d’eux des taxes pour les besoins de l’Etat, ces impositions, bornées à la personne de l’étranger, ne se sont jamais étendues jusque lur sa deseeûd&ncgé ’ARLEMENTAIRES. [20 juillet 1790.] Ce n’est pas seulement parce qu’il doit grever à toujours les familles juives de Metz, que le droit de protection n’est point un droit d’aubaine, c’est encore parce qu’à l’époque où il fut créé, les juifs de Metz n’étaient pas des étrangers. Ils prétendent qu’ils étaient établis à Metz, avant que cette ville passât, en 1552, sous la domination française. Je ne sais si ce fait est bien exact; je vois en effet qu’en 1718, les marchands de Metz dataient de 1567 l’arrivée des quatre premières familles juives dans cette ville, et que cet événement est particularisé par la citation de l ordonnance du maréchal de La Vieuville, qui leur permit de s’y fixer. Quoiqu’il en soit, Messieurs, il est toujours certain, qu’établis dans le royaume au plus tard en 1567, les juifs de Metz n’y étaient plus étrangers en 1715, et qu’on ne put les condamner alors à expier, par une taxe annuelle, un vice imaginaire de pérégrinité. Et si l’on prétendait, Messieurs, que, par une police particulière aux juifs, ils sont perpétuellement considérés comme étrangers parmi nous, je demanderais alors où sont les monuments de cette police absurde? quelles sont les lois qui l’ont établie? quels sont les actes qui constatent qu’elle soit restée en vigueur, même au milieu du progrès des lumières? Mais je ne suis pas même réduit à cette preuve négative. Les doma-nistes les plus fiscaux, les plus remplis de préjugés, reconnaissent que le droit d’aubaine ne s’exerce pas contre les juifs nés dans le royaume ; qu’un usage certain assure entre eux l’ordre des successions; et que cet usage est même autorisé par une loi expresse, par une ordonnance de Philippe le Long, d’avril 1317, qui prononce, en faveur des juifs, non pas seulement la capacité de succéder, mais même la validité des dispositions qu’ils pourront faire de leurs biens. On a objecté, Messieurs, de la part de M. de Brancas, que les juifs de Metz ont reconnu eux-mêmes dans tous les temps leur qualité d’étrangers, en obtenant, de règne en règne, des lettres de confirmation; mais la réponse est simple et péremptoire. Les juifs forment à Metz une corporation particulière, etce n’estpas comme étrangers, c’est comme corporation qu’à chaque changement de règne, ils ont sollicité des lettres patentes confirmatives de leurs droits ; ils ont suivi en cela et iis ont dû suivre l’exemple de tous les régnicoles réunis en corps ou communautés. Ainsi, ce fait loin de s’élever contre eux, repousse, au contraire, de plus en plus la supposition d’un vice perpétuel de pérégrinité : car assurément il n’est point d’exemple qu’une sage police ait jamais permis aux étrangers de se réunir en corporation au sein de cette même société qui les méconnaît. Au surplus, Messieurs, M. de Brancas n’a pas fait attention sans doute que son propre système fournissait des armes contre lui. Il est de principe, en effet, que le droit d’aubaine est un droit de souveraineté, et qu’à ce titre, il est incessible et incommunicable à aucun citoyen. Cette maxime est depuis longtemps de notre droit public, et les parlements avaient soin d’en maintenir l’exécution en exceptant l’aubaine des droits dont l’apanagé pouvait jouir. Je ne sais, Messieurs, si vous trouverez bien exacte l’idée que les juifs donnent de la redevance à laquelle ils sont assujettis, et qu’ils font considérer comme une servitude personnelle. Trop longtemps, il est vrai, les juifs ont été regardés en Europe comme une daste avilie et vouée 4 la haine et aux outrages des chrétiens [ trop long* [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 juillet 1790.J 217 temps on s’est permis de les traiter comme des esclaves, de les taxer même, comme un vil bétail, à des droits de péage; et de là sans doute la facilité qu’ont eue des personnes puissantes de faire imposer à ceux de Metz une charge particulière. Mais enfin cette charge n’est par elle�même ni une servitude, ni le rachat d’une servitude ; la dénomination sous laquelle elle a été établie, suffirait seule pour écarter cette idée. Un droit de protection , d'habitation et de tolérance ne peut être que le prix de la permission d’habiter dans le royaume, et de la protection promise par le souverain. Il existait, dans le régime féodal, des droits de cette nature, et vous ne les avez pas confondus, Messieurs, avec ceux de servitude personnelle. Mais le droit échappera-t-il plutôt à la proscription, considéré sous ce dernier aspect? Devez-vous souffrir, Messieurs, qu’une classe d’hommes à qui l’on ne peut contester le titre de régnicoles, soit cependant réduite à payer le prix de la permission d’habiter dans le royaume, et à acheter la protection du souverain? Il est évident d’abord que si une taxe semblable pouvait être légitime, ce serait encore un droit de souveraineté, dont un sujet ne pourrait exercer la jouissance. Mais elle n’est pas légitime; la chose a paru indubitable à votre comité, soit dans la thèse générale, soit dans les circonstances particulières. Dans la thèse générale, quiconque s’est habitué dans un pays, de l’aveu du souverain, quiconque surtout est né de parents domiciliés dans ce pays, est de droit membre du corps social. A ce titre, il ne peut être privé de la faculté d’y continuer sa résidence, tant qu’il ne s’en est pas rendu indigne par quelques délits, et par conséquent, il doit y être protégé par le gouvernement. Ce droit de tous les citoyens est incontestable, non seulement parce qu’il est de l’intérêt de tous que le repos public ne soit pas troublé sans cesse par des querelles particulières, mais encore parce que la protection de la force publique est une dette du gouvernement, qui en reçoit le prix par la perception des impôts. La condition des juifs de Metz ne peut pas être différente à cet égard de celle des autres habitants de ce royaume. Les assujettir spécialement à un droit de protection, tandis qu’ils contribuent à tous les subsides qui se lèvent sur tous les citoyens, c’est donc leur faire payer deux fois la même chose; c’est prostituer l’emploi de la force publique à l’oppression de ceux qu’elle doit protéger. Si vous avez cru de votre justice, Messieurs, d’anéantir tous ces droits que percevaient les anciens seigneurs, pour prix d’une protection qu’il leur était impossible de garantir, ne devez-vous pas, par la même raison, supprimer un droit perçu au nom du souverain pour une protection qu’il lui est impossible de refuser ? Je ne parle point, Messieurs, de la tolérance religieuse de laquelle ont joui de tous les temps les juifs de Metz. Jamais dans une nation chrétienne, la diversité des cultes n’a pu devenir l’objet d’un trafic honteux. Un zèle mal entendu a souvent égaré nos aïeux, il ne les a jamais avilis. Qu’importerait en tout cas qu’un gouvernement sordide se fût déshonoré par un tel marché? N’avez-vous pas reconnu, Messieurs, le droit imprescriptible de l’homme, de ne pouvoir être inquiété pour ses opinions religieuses, et par conséquent de ne pouvoir être réduit à acheter la faculté de professer la foi de ses pères ? Lis circonstancii particulières donnent une nouvelle force à la réclamation des juifs de Metz. Quand est-ce, en effet, Messieurs, que le droit a été créé ? Go n’est pas au moment où ceux-ci s’introduisaient pour la première fois dans le royaume, et où le gouvernement pouvait se croire dans le cas de leur vendre la tolérance. Je l’ai déjà dit, Messieurs, ils étaient établis à Metz depuis longtemps; leur résidence dans cette ville y date à peu près delà même époque que la domination française; les prédécesseurs de Louis XV les avaient reconnus dans tous les temps comme de bons et fidèles sujets; et les lettres patentes qui, depuis Henri IV, ont confirmé leurs droits de chaque renouvellement de règne, attestent à la fois leur ancienne qualité de français, leur loyauté et même leurs services. Or, si dès longtemps avant le règne de Louis XV, ils étaient en possession de cette protection, de cette tolérance, que la patrie doit à tous ses enfants, que restait-il à leur vendre en 1715? Ce n’est pas seulement à Metz, Messieurs, que les juifs ont été assujettis à un droit de protection contre lequel réclament tous les principes. Nous sommes instruits que ce même droit existe dans plusieurs cantons de la Lorraine et de l’Alsace, où il se lève, tantôt au profit du domaine, tantôt au profit de différents seigneurs particuliers. Quelles que soient les circonstances qui ont donné lieu à l’établissement de cette taxe ailleurs qu’à Metz, c’est sous le même prétexte qu’elle s’y est introduite. Partout on a vendu aux juifs une protection due indistinctement à tous les habitants de cet Empire qui en supportent les impôts : et ce contrat honteux, où la force a dicté des lois à la faiblesse, doit disparaître à jamais d’une terre libre qui ne connaît plus que les droits de la raison, de la justice et de l’humanité. Déjà, par un édit du mois de janvier 1784, le meilleur des rois avait prononcé la suppression des droits de péage corporels, qui se levait sur les juifs, à l’entrée de différentes villes ; il avait été révolté de voir des hommes assimilés à des animaux. Achevez, Messieurs, l’œuvre de sa bienfaisance et de sa justice ; et que les juifs régnicoles ne soient plus désormais grevées d’aucune taxe qui ne leur soit commune avec tous les Français. 11 reste une question à examiner. La suppression du droit doit-elle s’effectuer sans aucune indemnité pour les concessionnaires? Il nous a paru impossible, Messieurs, de résoudre ce point d’une manière générale. Il peut exister, et il existe vraisemblablement, à cet égard, une grande variété dans les titres des particuliers. Ce qui a été accordé aux uns sans cause valable, et comme pure libéralité, d’autres peuvent en avoir payé le prix, et par conséquent le posséder à un titre plus légitime : et quoique les surprises en ce genre n’aient été que trop fréquentes, il ne faut point oublier que l’abus ne se présume pas. La prudence veut donc, que, pour ne rien préjuger sans connaissance de cause, on adopte le parti qui avait été pris par l’édit de suppression des péages corporels : c’est-à-dire que l’on réserve de statuer ultérieurement sur les indemnités qu’il y aura lieu d’accorder. Ceux qui auront des prétentions à former à cet égard, seront tenus de représenter leurs titres aux administrations de département, d’après l’avis desquelles le Corps législatif décidera. Mais vous êtes en état, Messieurs, de prononcer, dès à présent, sur ce qui concerne le droit levé -à Metz, au profit de M. de Brancas : ses titres particulière sout connus j et lëür examen. n’k 218 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PAllLE MENT AIRES [20 juillet 1790.] pas présenté au comité l’apparence d’un doute. Le principe de décision est simple et incontestable. L’Etat ne peut être chargé d’une indemnité envers le concessionnaire, qu’au tant que la concession n’a pas été purement gratuite, c’est-à-dire qu’au tant qu’il n’en a pas reçu un prix quelconque, ou qu’elle n’a pas servi à acquitter une dette légitime. Or, il résulte des titres de M. de Bran-cas, que la triple concession faite à son père et à lui, est une véritable libéralité, une pure grâce pécuniaire. Par la suppression de la redevance dont il a été gratifié, il ne peut donc devenir créancier de l’Etat, et il n’aura aucuoe action ouverte pour répéter une indemnité. Un dernier point de vue doit être présenté, non plus à votre sévérité ou à votre justice, mais à votre bienfaisance. M. de Brancas n’a aucune pension ; sa rente de 20,000 livres sur les juifs de Metz lui en tenait lieu. Cela est si vrai, que, recherché, en 1783, par l’administration des domaines, comme engagiste d’un bien domanial, une décision du conseil déclara qu’il n’était point dans le cas du règlement du 14 janvier 1781, la concession dont il jouissait ne pouvant être considérée que comme une pension. M. de Brancas résigné d’avance à tout ce qu’il vous plaira prononcer à son égard, demande, en tout cas, Messieurs, si son sort doit être différent de celui des autres pensionnaires, et si, lorsque les grâces accordées à ceux-ci pourront n’éprouver que des réductions, il doit perdre en entier le bienfait du gouvernement, parce que ce bienfait était accompagné d’une faveur particulière, c’est-à-dire d’un assignat sur les juifs de Metz. M. de Brancas expose qu’issu d’une famille qui a rendu de grands services à l’Etat, il s’est appliqué à marcher sur les traces de ses ancêtres ; qu’il est depuis trente-deux ans lieutenant général des armées ; qu’il a fait onze campagnes ; qu’il a servi à trois sièges, et qu’il s’est trouvé à deux batailles. Il ajoute qu’il est âgé de soixante-dix-sept ans et accablé d’infirmités ; que sa fortune est médiocre; que tous ses biens sont substitués, et que ses revenus considérablement diminués par la suppression des droits féodaux, sont presque épuisés par différentes délégations à ses cré anciers. Nous avons cru, Messieurs, qu’il était de votre dignité de ne point rejeter ces considérations ; puisque M. de Brancas n’était pas dénué de titres pour solliciter des grâces, et puisque le gouvernement a témoigné, d’une manière expresse, la volonté de le considérer comme pensionnaire, il nous a paru naturel qu’il fût rangé dans la classe des pensionnaires, et qu’il fût soumis aux règles auxquelles elle sera désormais assujettie. Car pourquoi serait-il traité plus sévèrement que tant d’autres dont on trouve le nom sur la liste des pensions, et dont on se demande en vain les services ? Par ce tempérament raisonnable, vous aurez rempli ce que vous devez à la pureté des principes et à cette impartialité exacte qui caractérisent vos décrets. Le comité me charge de vous proposer le projet de décret dont la teneur suit : « L’Assemblée nationale, considérant que la protection de la force publique est due à tous les habitants du royaume indistinctement, sans autre condition que celle d’en acquitter les contributions communes; « Après avoir ouï le rapport de son comité des domaines, a décrété et décrète qu’à compter du jour de la publication du présent décret , la redevance annuelle de 20,000 livres levée sur les juifs de Metz et du pays Messin, sous la dénomination de droit d’habitation, protection ou tolérance, est et demeure supprimée et abolie, sans aucune indemnité pour le concessionnaire et possesseur actuel de ladite redevance. « Décrète en outre que les redevances de même nature qui se lèvent partout ailleurs sur les juifs, sous quelque dénomination que ce soit, sont pareillement abolies et supprimées, soit que les-dites redevances se perçoivent au profit du Trésor public, ou qu’elles soient possédées par des villes, par des communautés, ou par des particuliers, sauf à statuer, ainsi qu’il appartiendra, sur les indemnités qui pourraient être dues aux possesseurs et concessionnaires, d’après l’avis des départements dans le territoire desquels les redevances se perçoivent; à l’effet de quoi les titres leur en seront représentés dans l’année par les possesseurs et concessionnaires. « Décrète enfin que la concession portée par le brevet du 1er mai 1750, en faveur de M. de Brancas, sera considérée comme une pension de 20,000 livres, et soumise aux règles qui seront ci-après décrétées par l’Assemblée nationale, relativement aux pensions. » M. Rewbell. Si le comité des domaines s’était borné à la faveur singulière qui avait été accordée à la famille de Brancas, je ne prendrais pas la parole ; mais le projet de décret qu’on vient de lire présente une question constitutionnelle qui ne devrait pas être mise à la discussion à dix heures du soir, et qui, sans doute, est bien digne d’une Assemblée complète et d’une séance du matin. Les juifs n’ont jamais élevé de réclamation contre le droit qui les frappe, parce qu’ils le regardaient comme une conséquence de ce qu’ils habitaient Metz non comme citoyens, mais comme négociants et comme étrangers. Une voix : Ce n’est pas vrai ! M. Rewbel. Celui qui m’interrompt se trompe et la preuve c’estque les juifs vivent à Metz comme des juifs, c’est-à-dire qu’il3 y ont un autre culte, d’autres usages, une langue différente, des mœurs conformes à leurs lois, qu’ils n’ont aucune analogie avec la manière d’être des habitants de Metz auprès de qui ils vivent. Jamais l’ancien gouvernement n’aurait souffert deux cultes, s’il n’eût pas regardé les juifs comme des étrangers; car les juifs sont juifs en France, comme les Français sont Français partout. Les juifs payent dans tous les lieux qu’ils habitent. Les juifs d’Alsace particulièrement ne payent point d’impôt, parce qu’ils sont redevables d’un droit pour la protection qu’on leur accorde et ils ne payent pas d’impôts, parce qu’ils sont étrangers. Sans entrer dans de longs développements, je considère que vous ne pouvez affranchir les juifs de la redevance qu’ils payent sans les regarder comme des citoyens français, d’où je conclus au renvoi de l’affaire au comité de Constitution. M. Robespierre. Je ne crois pas qu’une société puisse défendre à des hommes quelconques d’habiter son soi lorsqu’ils ne troublent pas l’ordre social. J’en conclus que le titre de possession du droit de M. de Brancas est illégitime et j’adopte la première partie du décret du comité. Quant à