336 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE 17 Des élèves de David, sans vouloir préjuger sur la conduite du représentant du peuple, sollicitent, en sa faveur, le même décret qui a été porté à l’égard de plusieurs députés détenus, et demandent qu'il soit rendu aux arts, à la peinture, à l’instruction publique qui le réclament, en lui laissant la faculté d’habiter son domicile. Cette pétition est renvoyée aux trois comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation, pour en faire un prompt rapport. Un membre [CHÉNIER] demande que l’affaire David soit séparée de celle de Joseph Lebon. Un autre membre [RAFFRON] s’oppose à cette proposition, et demande l’ordre du jour, motivé sur ce que les comités doivent avoir la faculté de réunir ou de séparer les affaires, lorsqu'elles leur paraissent avoir ou n’avoir pas de connexité entr’elles. Cette dernière opinion est adoptée, et en conséquence, la Convention passe à l’ordre du jour sur l’autre proposition (46). Des élèves de David sont admis à la barre. L’ORATEUR: Représentants du peuple, élèves de David, nous ne dirons pas s’il est coupable, nous ne dirons pas s’il est innocent; pleins de confiance et de respect en la Convention nationale, nous attendons en silence le rapport que le comité de Sûreté générale est chargé de faire sur sa conduite ; nous nous bornons à vous représenter que David, incarcéré depuis quatre mois, voit chaque jour sa santé dépérir. Cette situation cruelle émeut sans doute vos âmes sensibles, et nous espérons de votre justice que vous ne repousserez pas plus longtemps, pour David, la mesure que vous avez adoptée en faveur de vos collègues ; comme eux vous le rendrez à sa famille, à l’instruction de ses élèves, et aux travaux d’un art qu’il a toujours consacré à la propagation des vertus républicaines, auxquelles il a voué ses pinceaux bien avant la Révolution; comme eux aussi il attendra dans son domicile le rapport qui doit le signaler à la République comme un homme trompé, mais dont l’âme est restée pure au milieu des orages qui ont couvert l’horizon politique. Pères de la Patrie, vous qui sans relâche travaillez au bonheur de la nation, vous avez senti que l’instruction publique est la source dont découlent les vertus qui viennent soutenir et alimenter la liberté ; de là sont venus les décrets bienfaisants que vous avez rendus pour l’encouragement des sciences et des arts. Suivez la marche qui vous rend dignes de la législation d’un peuple éclairé et libre ; rendez David aux arts, à la peinture et à l’instruction publique qui le réclament; ne laissez pas plus longtemps ses talents dans l’avilissement: qu’il soit rendu à son atelier et à ses élèves. (46) P.-V., L, 206. LE PRÉSIDENT : Votre démarche en faveur de David, qui vous a instruits dans l’art sublime de la peinture, honore également votre sensibilité et votre reconnaissance ; mais la Convention, doit, quand un de ses membres est accusé, le juger avec la plus impartiale justice, afin qu’il doit puni s’il est coupable, ou, s’il est innocent, que la confiance dont il a besoin pour exercer sa mission lui soit rendue sans réserve. (On applaudit.) CHÉNIER : Je ne veux pas pallier les torts de David. Je sais combien il a été injuste envers les artistes, et personne ne connaît mieux que moi peut-être jusqu’où il a poussé la prévention. Mais tout aurait été beaucoup mieux dans la Révolution si l’on n’avait pas mis les passions particulières à la place de l’intérêt public, et si les factions qui se sont succédé tour à tour n’avaient pas pris à tâche de traîner sous le glaive de la loi des citoyens qui n’avaient commis d’autre crime que celui d’avoir attaqué les hommes de tel ou tel parti. David a été fanatique de Robespierre, mais beaucoup d’autres ont été aussi fanatiques que lui ; beaucoup d’autres ont plus que lui servi les crimes de ce tyran, et ils ne sont point incarcérés. C’est à tort qu’on a comparé David à Joseph Lebon ; il n’existe aucune parité entre eux. Celui-ci est accusé par une grande commune d’avoir avili la représentation nationale par des crimes atroces ; on ne reproche à David qu’une extrême rigueur dans ses fonctions comme membre du comité de Sûreté générale, et sa prévention contre les artistes dont les talents lui portaient quelque ombrage ; mais ce ne sont pas là des crimes. Quant au talent de David, il n’est pas contesté. Avant la Révolution, son pinceau avait tracé des tableaux qui attestent son amour pour la liberté; vous avez encore au milieu de vous deux tableaux qui sont l’hommage de son patriotisme. Sans doute ce patriotisme a été plus ardent qu’éclairé ; mais la leçon que vous lui avez donnée doit lui faire sentir ce que vaut le sang d’un homme, et nous devons espérer que dorénavant il ne traînera pas sous la hache de la loi, ou sous celle de l’opinion, ce qui est à peu près la même chose, ceux dont les talents pourraient l’offusquer. Il est nécessaire que David soit jugé, je le demande moi-même ; mais en attendant je crois que la Convention pourrait lui accorder d’être gardé chez lui. RAFFRON : On ne peut faire valoir dans cette occasion les talents de David ; tout homme, quels que soient ses talents, ne mérite aucun égard s’il est coupable. Je n’ai point assimilé David à Lebon; leur cause n’est point pareille; mais tous deux sont prévenus, et j’ai demandé que tous deux fussent jugés. Je crois que la Convention doit passer à l’ordre du jour, motivé sur le décret qui charge les trois comités d’examiner la conduite de David. BOISSY [D’ANGLAS] : Je suis aussi d’avis qu’il faut que les trois comités examinent la