[Etats généraux.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 mai 1789.] On va aux voix sur les objets de la motion. Les premiers opinants sont d’avis d’abandonner cette motion qui convenait peu à la dignité d’une nation rassemblée ; que de semblables discussions ne fourniraient que trop de matière aux plaisanteries des folliculaires; et que, lorsqu’on avait à délibérer sur des affaires beaucoup plus importantes, ou ne devait pas s’agiter sur la manière dont on serait vêtu. D’autres veulent prouver que chaque député ne doit pas entrer dans la salle sans son habit noir, costume qui, par son uniformité, fait disparaître la vanité ridicule des riches. M. le comte de Mirabeau. Toutes ces discussions prouvent la nécessité d’un règlement de police, dans lequel les objets proposés pourront êtredéterminés. Je demande qu’on nomme des commissaires pour travailler à la rédaction de ce règlement, qui sera sanctionné par l’Assemblée, et au moyen duquel on remédiera au tumulte et à la longueur des délibérations. Gomme les délibérations les plus sérieuses vont se présenter chaque jour, il faut nécessairement arrêter les formes les plus sévères pour établir l’ordre et la liberté des débats, et recueillir les voix dans toute leur intégrité. A Dieu ne plaise que je blesse aucun amour-propre, ni même que je m’afflige de nos débats un peu bruyants, qui jusqu’à présent ont mieux montré notre zèle et notre ferme volonté d’être libres que ne l’eût fait la tranquillité la plus passive. Mais la liberté suppose la discipline; et puisque tous les moments peuvent nécessiter des démarches dont on ne saurait prévoir toutes les suites ni s’exagérer l’importance, il faut pour l’acquit de tous nos devoirs, et même pour notre sûreté individuelle, prendre un mode de débattre et de voter qui donne incontestablement le résul tat de l’opinion de tous. M. Mounier. J’expose qu’il y a quinze jours, ayant proposé la même motion, elle fut rejetée par l’avis même de M. de Mirabeau. Les causes qui lui ont servi de prétexte pour faire rejeter ce règlement étaient qu’il fallait opposer une force d’inaction aux refus des deux ordres de vérifier les pouvoirs en commun ; ces motifs subsistent encore, je ne peux pas me rendre à l’opinion actuelle de M. le comte de Mirabeau. M. le comte de Mirabeau. Le règlement ne sera que provisoire, au lieu qu’on proposait il y a quinze jours un règlement définitif. Un membre. J’observe que les rangs et les dignités ne doivent pas être répétés sans cesse dans une Assemblée d’hommes égaux. M. le comte de Mirabeau. J’attache si peu d’importance à mon titre de comte que je le donne à qui le voudra ; mon plus beau titre, le seul dont je m’honore, est celui de représentant d’une grande province, et d'un grand nombre de mes concitoyens. Un membre. Je suis de l’avis de M. le comte de Mirabeau. Je dis M. le comte, car j’ajoute si ( peu d’importance à un semblable titre, aujourd’hui si prodigué, que je le donne gratis à qui voudra le porter. L’avis de M. de Mirabeau passe à la pluralité de 436 voix contre 11. SUITE DES CONFÉRENCES, Pour la vérification des pouvoirs. Les objets traités dans la première conférence sont rappelés sommairement. Un des membres de la noblesse citant de nouveau les Etats de 1588, qui ont déployé beaucoup de vigueur et qui ont fait séparément la vérification des pouvoirs, un membre des communes lui répond que depuis la dernière conférence, il a vérifié le pro� cès-verbal des Etats de 1588, tiré des manuscrits de la bibliothèque du Roi, et qu’il est maintenant avéré que le renvoi des contestations sur les pouvoirs au conseil du Roi a eu lieu dans ces Etats comme dans ceux de 1614, et que dans les uns comme dans les autres le jugement des pouvoirs) n’a appartenu aux Chambres que lorsque les par4 ties ont consenti à se soumettre à leur arbitrage. MM. de la noblesse déclarent qu’ils ont dessein de maintenir l’arrêté pris dans leur Chambre pour la vérification par ordre ; que leur honneur est attaché à l’exécution de cet article ; qu’ils pourront se prêter seulement à un projet de conci-t Ration qui tiendra à donner connaissance deé pouvoirs de leurs députés à MM. du clergé et dii tiers-état, mais sans déroger à la vérification par ordre, et ils ont demandé que MM. du tiers-état proposassent quelques projets de conciliation. Les membres des communes répondent que la conférence s’étant établie pour s’éclairer mutuelt lement, ils seront toujours persuadés que MM. de la noblesse, animés du zèle le plus pur pour l’intérêt public, donneront le noble exemple de bannir de cette discussion tout sentiment d’amour-propre, et que c’est dans la rétractation d’une erreur, si elle leur est échappée, qu’ils placeront ce véritable honneur si cher à la nation française; qu’au surplus, réclamant la vérification en commun, et croyant avoir démontré la justice de cette vérification, ils n’ont à proposer sur cet objet aucune composition, et qu’ils n’ont aucune mission à cet égard. ! L’un des membres’ de la noblesse dit que les Chambres pourront renvoyer à des commissaires tirés des trois ordres l’examen des pouvoirs suif lesquels il s’élèvera quelques contestations ; que ces commissaires feront le rapport de cet examen à leurs Chambres respectives, et qu’en cas de différence dans les jugements, ils se réuniront encore jusqu’à ce que les Chambres se soient accordées. Sur ce qu’il est observé que cette forme nés présente au fond que des vérifications par ordre séparé; qu’elle entraînera beaucoup de lenteur et pourra ne conduire à aucun résultat, un membre du clergé dit qu’on pourra en ce cas renvoyer le jugement au Roi, ou convenir que le jugement se formera de la pluralité de deux Chambres contre une. Cette idée, abandonnée aussitôt que présentée, ne donne lieu à aucune discussion. Les membres des communes répètent que leur mission se borne à réclamer la vérification des pouvoirs en commun; et, rentrant dans le fond de la discussion, ils s’attachent à prouver que les députés de toutes les classes ont qualité et intérêt à cette vérification. I Les commissaires de la noblesse demandent qu’on ne s’occupe plus que des projets de concii-liation qui laisseraient néanmoins subsister les principes de l’arrêté de leur Chambre. [27 mai 4789.] 49 [États généraux.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Alors un membre du clergé présente un projet conciliateur en ces termes : « Les pouvoirs de l’ordre de la noblesse seront portés dans les deux autres Chambres pour que la vérification en soit confirmée ; il en sera usé de même à l’égard des pouvoirs des députés du clergé et du tiers-état. S’il s’élève des difficultés sur les pouvoirs des députés de quelque ordre, il sera nommé des commissaires" dans chacune des trois Chambres selon la proportion établie; ils rapporteront dans leur Chambre leur avis, et, s’il arrivait que les jugements des Chambres fussent différents, la question sera jugée par les trois ordres réunis, sans que cela puisse préjuger la question de l’opinion par ordre ou par tête et sans tirer à conséquence pour l’avenir. » Quelques-uns de MM. de la noblesse annoncent qu’ils doutent que le projet soit adopté dans leur Chambre. Les autres membres du clergé ne disent rien ni pour ni contre le projet. MM. des [communes déclarent qu’ils ne peuvent pas prendre de parti et qu’ils rendront compte à l’Assemblée des communes tant de la conférence que du projet présenté. f Alors la conférence cesse. Aucun jour n’est [indiqué pour la continuer; mais il est dit que, [s’il y a lieu de la reprendre, les Assemblées s’aver-itirohi mutuellement. ÉTATS GÉNÉRAUX. Séance clu mardi 26 mai 1789. • CLERGÉ. La séance est employée à entendre le rapport qes commissaires conciliateurs. Il n’est pris aucune délibération. NOBLESSE. MM. de Bouthilier et d’Antraignes font, au nom des commissaires nommés par la noblesse, le rapport des conférences. Ils disent qu’après des raisonnements et des citations de part et d’autre, les commissaires du tiers-état ont paru Convenir que les faits sont pour la noblesse, mais que les anciens Etats ne peuvent servir de règle; que les membres du tiers-état n’ont fait pucune proposition; qu’après de longs débats et irois propositions faites par la noblesse et le clergé, ils ont annoncé que leurs pouvoirs expiraient. ! La délibération est ouverte sur ce rapport. Sur fa proposition de M. de Villequier, la noblesse prend l’arrêté suivant : j « La Chambre de la noblesse, après avoir en-Î tendu le rapport des commissaires chargés de conférer avec ceux des autres ordres, arrête que, pour cette tenue des Etats généraux, les pouvoirs mont vérifiés séparément, et que l’examen des mntages ou inconvénients qui pourraient exister ms la forme actuelle sera remis à l’époque où s trois ordres s’occuperont des formes à obser-;r pour l’organisation des prochains Etats gé-iraux. » La séance est levée. I Série, T. VIII. COMMUNES. L’Assemblée des communes ayant déterminé qu’il serait établi un règlement provisoire de discipline et de bon ordre, on demande si tes commissaires rédacteurs de ce règlement seront choisis par tous les députés ou par MM. du bureau à la majorité des suffrages. Il est décidé que M. le doyen et les adjoints seront autorisés à choisir parmi eux le nombre de commissaires pour la rédaction de ce plan. Les commissaires conciliateurs font à l’Assemblée le rapport des conférences. Elles n’ont eu pour objet que la vérification des pouvoirs. M. Rabaud deSainldEtienne présente le plan qu’on a suivi, et les divisions de preuves et de fait qui ont été soumises à l’examen des commissaires. Cette division s’est rapportée au droit positif, c’est à dire aux témoignages fournis par l’histoire, et au droit naturel, c’est-à-dire aux raisons d’équité, et aux principes de liberté et de constitution sociale. Il annonce que M. Mounier s’est chargé de rendre compte à l’Assemblée des motifs de discussion employés dans la première partie, et M. Target de ceux développés dans la seconde. MM. mounier et Target sont entendus successivement et sont entrés dans les détails de discussion qui ont fait l’objet des conférences dont on a rendu compte. M. Rabaud de Saint-Etienne termine le rapport en annonçant les moyens de conciliation offerts par MM. de la noblesse, qui consistent à vérifier les pouvoirs à part, mais à soumettre les constatations qui pourront en dériver au jugement des commissaires nommés par les trois ordres; et enfin celui présenté par M. le curé de Souppes, qui propose, dans le cas où le jugement des Chambres serait différent, que la difficulté fût jugée par les trois ordres réunis. 11 a observé que les autres commissaires du clergé ont gardé le silence sur cette ouverture. ÉTATS GÉNÉRAUX. Séance du mercredi 27 mai 1789. CLERGÉ. M. Target, portant la parole au nom de la députation envoyée vers le clergé, dit aux députés de cet ordre « que ceux des communes les priaient et les adjuraient au nom du Dieu de paix, dont ils étaient les ministres, et au nom de la nation, de se réunir à eux dans la sallêf de l’Assemblée générale, afin de chercher ensemble les moyens d’établir la paix et la concorde. » Après avoir appuyé cette invitation de tous les motifs qui devaient déterminer à l’accueillir, il prie le clergé de vouloir bien délibérer tout de suite sur l’objet de sa mission. M. le Président répond que l’ordre du clergé va s’occuper avec zèle d’une matière d’un si grand intérêt. Plusieurs membres du clergé, au nombre desquels était M. de Lubersac, évêque de Chartres , proposent par acclamation de se rendre sur-le-champ à l’Assemblée des communes; mais un 4