451 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 octobre 1789.] moins que ladite loi n’aura point d’effet rétroactif pour les suppléants déjà nommés. « Décrète enfin quehuitjours après la première séance de l’Assemblée nationale à Paris, il sera fait un appel nominal de tous les membres qui la composent. Sursis jusqu’à ce jour à délibérer sur l’impression de la liste des absents et son envoi dans les provinces.» M. de Donnai, évêque de Clermont, dit que des affaires urgentes et l’état de sa santé lui avaient fait demander un passe-port, qui lui a été accordé ; mais en présence de la fréquence des demandes qui se sont produites, il déclare qu’il renonce à en faire usage et qu’il reste uni à l’Assemblée. Cette déclaration est vivement applaudie. M. le Président. J’ai reçu de M. le garde des sceaux une lettre et deux mémoires qui contiennent des objets importants. Dans l’un de ces mémoires, ce ministre expose les motifs qui l’avaient déterminé à convoquer la noblesse de Guéret, pour le remplacement de M. le marquis de Saint-Maixant, député de cette sénéchaussée, absent pour cause de maladie. M. le garde des sceaux annonce qu’il a suspendu ces mesures, d’après les réclamations qui avaient été faites dans l’Assemblée. M. le Président dit : 11 paraît inutile, puisque vous avez statué sur cet objet par le décret que vous venez de rendre, de vous occuper de cette justification. Un des secrétaires fait lecture de la lettre et de l’autre mémoire-La lettre annonce qu’il vient de faire publier le décret sur Je prêt à intérêt, et qu’il a conféré avec la chambré des vacations pour l’exécution des nouveaux articles sur la justice criminelle. Le mémoire présente des observations sur les articles de la Constitution concernant le pouvoir judiciaire et la proposition des lois. Ces deux articles ont jeté du doute dans l’esprit des ministres sur l’organisation, les attributions et la juridiction des conseils du Loi. M. le garde des sceaux demande que l’Assemblée nationale lève ces doutes, soit en statuant dès à présent, soit en laissant aux conseils l'exercice provisoire de leurs fonctions. Les ministres rendent compte des différentes branches du conseil : ils donnent une définition du comité contentieux du Conseil d’Etat ; l’un est présidé par le garde des sceaux et composé des maîtres de requêtes, l’autre, présidé par le Roi, est composé de ceux auxquels le Roi accorde sa confiance. Les ministres observent que tout est en souffrance, qu’ils ne peuvent rendre la justice, etc. ( Voy . plus loin le mémoire des ministres, annexé à la séance de ce jour.) M. Martineau demande qu’on délibère sur-le-champ. M. Camus. Il ne nous faut pas déguiser que c’est le conseil du Roi qui a introduit le despotisme en France. Ce tribunal, composé presque toujours d’officiers qui ne sont ni magistrats, ni hommes publics, et qui, par circonstance, sont l’ùn et l’autre à la fois, a envahi tous les pouvoirs. Un homme était-il protégé? son adversaire était jugé au conseil et perdait sa cause. Réclamait-il ses juges naturels? c’est une affaire d’administration, cela ne se peut pas. Demandait-il justice? c’est une affaire d’administration. Enfin, Messieurs, le Roi, qui ne peut rien juger, a rendu des arrêts célèbres, arrêts du propre mouvement, arrêts illégaux et injustes, q mil ne pouvait rendre. Je pense qu’il faut ajourner. M. Martineau. Je réponds à M-Çpmus qu’il n’y a qu’à interdire au conseil tout arrêt du propre mouvement, toute évocation, et lui enjoindre de renvoyer je fpnd du procès. M. Garât appuie l’amendement de M. Martineau. M. Duport. Je crois devoir relever une très-grande inexactitude, et qpi n’est qu’un reste de l’habitude où le conseil était depuis sj longtemps de ne jamais dire la vérité. Le mémoire porte que les maîtres des requêtes ont voix délibérative; le fait est qu’ils n’ont tout au plus que voix consultative. D'autres membres demandent le renvoi du mémoire au comité de jqdicaturp. M. DU» insiste fortement §pr ce que l’on rende au conseil toute sa force pour ne pas augmenter, dans ce moment, le pouvoir des parlements. M. le Président lit les motions déposées sur le bureau. La première est pour l’ajournement jusqu’à mardi, et que le mémoire des ministres soit rgq-voyé à un comité de quatre personnes. La seconde, deM. Dqport, dont l'esprit est que jusqu’à ce que l'organisation du pouvoir judiciaire soit déterminée, ainsi que celle des municipalités, le conseil du Roi sera autorisé à continuer ses fonctions comme par le passé à l’exception des arrêts du propre mouvement, et ces arrêts portant évocation du fpnd du procès, lesquels n’auront plus lieu à compter du jour du présent décret, et qu’il sera nommé pn comité de quatre personnes pour examiner le mémoire. M. Démeunier. Perniettez-moi deux observations : 1° Les députés n’auront vraisemblablement pas le temps de se retirer dans les bureaux pour nommer les quatre membres; il est naturel qu’ils s’occupent de leur départ; il convient donc de renvoyer le mémoire au comité des sept. 2° M. le garde des sceaux , dans sa leftre, s’explique sur la convocation de la noblesse de Guéret ; M. le président peut lqi répondre en lui envoyant le décret pris au commencement de la séance sur les suppléants. Après quelques autres observations, le dpcret suivant est rendu : « L’Assemblée nationale décrète que jusqu’à ce qu’elle ait déterminé l'organisation du pouvoir judiciaire et pelle des administrations provinciales, le conseil du Roi est autorisé à continuer ses fonctions comme par le passé, à l’exceptipu des arrêts du propre mouvement, et de ceux portant évocation des affaires au fond, lesquels qe pourront plus avoir lieu à compter de ce jour ; décrète en outre qu’il sera pris dans le cotpjfé de réformation des lois, quatre commissaires pour examiner le surplus du mémoire du garde dés sceaux, et en faire leur rapport à i’Assemblée. « Arrête en outre que M. Je Prpsjdept sera Chargé d’envoyer dans le jour à M. je garde des 115 octobre 1789. J [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 452 sceaux Je décret qui a été rendu ce matin sur la forme de convocation des bailliages pour la nomination des suppléants. » M. Prieur rend compte, au nom du comité des rapports, d’une demande formée par la commune de Fontainebleau. Les habitants de celte ville représentent que les anciens officiers municipaux voulant conserver leurs fonctions, cette cité se trouvait dans une anarchie qui compromettait non-seulement leur sûreté, mais encore celle du palais du Roi. Le comité propose d’ordonner, conformément aux demandes des habitants de Fontainebleau, que la commune soit autorisée à se nommer des officiers municipaux, et à établir une milice nationale, avec défense aux anciens officiers civils ou militaires, de s’immiscer dans l’administration de cette ville. L’Assemblée a décrété que « M. le président de F Assemblée nationale sera chargé d’écrire à la commune de Fontainebleau, que, provisoirement et jusqu’à çe que l’Assemblée nationale ait organisé les municipalités et milices nationales du royaume, les comités civil et de police doivent être élus, librement et au scrutin, par les communautés assemblées, et prendre seuls les arrêtés propres à maintenir l’exécution des décrets de l’Assemblée nationale et la paix et la tranquillité publiques; que les milices nationales et leurs chefs doivent prêter la main à l’exécution de ces arrêtés, sans pouvoir les contrarier sous aucun rapport ; enfin, que les officiers, tant municipaux que militaires, élus dans cette forme, sont les seuls qui puissent légalement exercer ces fonctions, sans que, sous prétexte d’autorisation ministérielle, aucun citoyen puisse, contre le vœu de la commune, se perpétuer ou s’immiscer dans ces mêmes fonctions. » L’ordre du jour appelle la discussion sur le projet de loi relatif aux attroupements. M. Target lit un plan fait par le comité de Constitution. Il est ainsi conçu : « L’Assemblée nationale, considérant que la liberté honore et affermit les empires; que la licence les affaiblit et les dégrade ; qu’au lieu de donner le pouvoir de tout faire, la liberté consiste dans l’obéissance à la loi ; qu’il n’y a plus ni sûreté, ni liberté, ni propriété pour personne, lorsque ces biens ne sont plus assurés à tous les citoyens; que plus les peuples s’approchent de la licence, puis ils s’éloignent de la liberté ; qu’il est des cas où les moyens ordinaires peuvent devenir impuissants pour rétablir l’ordre général, qu’alors la force militaire est nécessaire ; que cependant il faut que ces moyens se concilient avec la paix, la liberté et l’indépendance ; « A décrété et décrète : « 1° Que tous attroupements séditieux, en armes ou sans armes, seront défendus, et dans le cas où la paix sera troublée par de tels attroupements, les officiers municipaux auront recours au pouvoir militaire ; 2° Sur cette demande, et non autrement faite au nom du Roi, les troupes réglées, maréchaussées, gardes nationales, seront tenues de déployer la force des armes; « 3° Les troupes, maréchaussées, gardes nationales, requises par les officiers municipaux, marcheront commandées par leur chef et accompagnées de deux officiers municipaux; « 4® Lecture sera faite de la présente loi au peuple attroupé ; il lui sera fait trois sommations au nom de la nation, du Roi et de la loi, de se retirer sans délai ; « Dans le cas où, pendant ou après la lecture et les sommations, le peuple se porterait à des violences contre les officiers municipaux ou contre d’autres citoyens, la force des armes sera alors déployée contre les séditieux, sans que ces' officiers municipaux ou militaires soient respon-cables des événements ; « 6° Dans le cas où le peuple se retirerait paisiblement, les chefs et instigateurs des attroupements pourront seuls être poursuivis et condamnés à trois ans de prison au moins, pour attroupements sans armes, et à la mort pour attroupements avec des armes; « 7° Dans le cas où le peuple ne se retirerait pas, ceux que l’on arrêterait seraient punis d’un an de prison au moins pour attroupements sans armes, et de la mort pour attroupements avec des armes ; « 8° Les chefs, officiers ou soldats qui fomenteraient des émeutes, ou qui refuseraient leur service sur la réquisition des officiers municipaux, seront déclarés rebelles à la nation, au Roi et à la loi, et punis de six ans de prison pour des émeutes sans armes, et de mort pour des émeutes avec des armes; «9° Le droit de présenter des requêtes, adresses ou pétitions, appartient au peuple, qui, lorsqu’il sera attroupé, pourra nommer vingt députés pour rédiger et signer une requête, adresse ou pétition, que les officiers municipaux seront tenus défaire parvenir à qui il appartiendra. » M. Pétion de Tilleneuve. 11 m’est impossible d’avoir une opinion sur le projet qui vient d’être lu. Je vais me borner à présenter quelques observations sur celui de M. le comte de Mirabeau. Dans le préambule on a adopté une forme absolument opposée à celle que l’Assemblée a décrétée, et l’on a suivi très-scrupuleusement celle que vous avez proscrite. C’est toujours le Roi qui considère ; et cependant si l’Assemblée nationale a seule le droit de faire la loi, c’est à elle seule aussi qu’il appartient d’exposer les motifs de cette loi. Dans beaucoup d’articles se trouve le mot excès, dont la signification est très-vague et très-étendue : la peine de mort est prononcée contre les excès de même que contre les violences. La loi ne doit être exécutée que dans la capitale et. à quinze lieues de Paris: nous ne devons pas 1 faire une loi qui paraisse n’exister que pour nous ; la réponse que M. le comte de Mirabeau a faite à une objection assez forte n’est pas absolument d’accord avec une disposition prise par l’Assemblée, qui a ordonné que le serment des troupes serait prêté devant les officiers municipaux, dans un temps où il y avait bien moins de municipalités élues qu’à présent. t L’article 4 porte la peine de mort contre ceux qui troubleront les officiers municipaux dans les fonctions prescrites par l’article précédent. Celte disposition est bien sévère, pour ne pas dire bien inhumaine ; il y a beaucoup de manières de troubler, et la conviction de trouble pourrait souvent être très-arbitraire. Ne le fùt-elle pas, la peine pourrait-elle paraître proportionnée au crime? La peine de mort est encore la seule peine ’ prononcée dans plusieurs articles, et notamment dans l’article 8. Cette loi importante, par cette espèce de condamnation et par les maux qu’elle doit prévenir, mérite un examen très-ap-