[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 décembre 1789.] 497 hors de cetle ligne, c’est prononcer exclusion contre eux, c’est les déshériter d’un droit naturel; mais fixer à la marche des avancements des règles qui sont les mêmes pour tous, qui laissent à tous les mêmes droits, les mêmes espérances, qui sont dirigées contre les privilèges en faveur de l’égalité, ce n’est point blesser le principe, c’est ïe protéger et le garantir. Le principe illimité de la liberté d’élire, irait donc à condamner aussi ces lois des peuples libres que nous avons adoptées, pour assurer l’amovibilité des emplois, pour en forcer le renouvellement après un certain nombre d’années ! Ce principe irait donc à condamner les lois qui fixent l’âge du majorai civil et politique! mais si la loi a voulu s’assurer de l’expérience et de la raison de ceux qui aspirent aux emplois, comme la raison et l’expérience dépendent moins du temps qu’on a vécu que de l’usage qu’on en a fait, c’est entrer dans l’esprit de cette loi que d’exiger un noviciat pour être éligible dans le corps législatif. Je vous prie , Messieurs, de faire sur la confiance une observation particulière à un gouvernement représentatif tel que le nôtre. Nous sommes élus par un seul département, et nous devenons les représentants de tout le royaume. Nous ne sommes pas même élus par la totalité des citoyens d’un département, mais par une assez petite délégation d’entre eux. De là, ce me semble, résulte une vérité que l’on ne saurait contester : c’est que la confiance dont jouira le corps législatif serait précaire, si on ne trouvait un moyen de la doubler en quelque sorte. Voyez combien vous donnez plus de base à la confiance, en la faisant porter sur le système des élections graduelles ; on n’aura pas à craindre les premiers choix des électeurs séduits, trompés, corrompus peut-être; mais tous leurs choix seront justifiés d’avance par les preuves qu’un candidat aura données de ses talents, de ses vertus. Ces choix seront d’autant plus populaires qu’un plus grand nombre de citoyens auront participé directement ou indirectement à la nomination des membres de l’Assemblée nationale. Les électeurs pourront dire à leurs concitoyens : Notre choix a été dicté par le vôtre ; nous ne vous donnons pas un homme inconnu. Il est précédé de ses services, et la voix publique nous l’a désigné. Quant aux provinces, elles se donneront par là des cautions réciproques que la brigue, la faveur, la complaisance, la vénalité, un caprice populaire, une fantaisie subite ne livreront pas les destinées de l’empire à des représentants corrompus ou ineptes. Les provinces seront ainsi plus calmes, plus tranquilles, sur la foi de la raison publique ; les décrets souverains seront plus respectés, et l’opinion morale sera leur plus grande puissance. Donner des bases plus solides à la confiance, ce n’est pas y attenter ; il ne faut donc pas faire une objection contre le système graduel d’un de ses plus grands avantages. Si les considérations morales et politiques que je vous ai présentées vous déterminent à consacrer cette marche expérimentale et graduelle, il convient d’assigner le terme où elle sera rigoureusement suivie. L’ordonner dès à présent, ce serait vouloir l’impossible ; mais dans huit ou dix ans, le nombre des citoyens qui auront passé par les municipalités, les tribunaux, les départements ou l’Assemblée nationale, formeront un fonds 1” Série, T. X. d’hommes suffisants pour présenter un champ très-vaste aux choix des électeurs. Je propose de décréter les articles suivants : 1° A compter du 1er janvier 1797, nul ne pourra être élu membre de l’Assemblée nationale, s’il n’a réuni au moins deux fois les suffrages du peuple, comme membre de quelque assemblée administrative de département, de district ou des municipalités ; ou s’il n’a rempli durant trois ans au moins une place de magistrature; ou enfin, s’il n’a déjà été une fois membre de l’Assemblée nationale; 2° A compter de 1795, nul ne pourra être élu membre des assemblées de département, s’il n’a déjà été pourvu de fonctions dans les assemblées de district ou dans les municipalités ; 3° Pour que les lois ci-dessus ne renvoient pas à un âge trop avancé, tout citoyen actif pourra être admis aux emplois municipaux dès l'âge de 21 ans. M. ISamave. Si pour anéantir la constitution d’un seul coup, il suffisait de s’envelopper de principes contraires , de quelques idées morales, et de quelques preuves d’érudition, le préopinant pourrait se flatter de produire de l’effet sur vous; mais heureusement il vous a aguerris contre les prestiges de son éloquence, et plusieurs fois nous avons eu l’occasion de chercher la raison et le bien parmi les traits élégants dont il avait embelli ses opinions. Celte occasion se présente aujourd’hui d’une manière plus éclatante. Le bon sens le plus ordinaire suffit pour démontrer que les pouvoirs doivent être répartis entre tous ; le même bon sens prouve que sans cetle égale répartition l’égalité sociale ne peut exister. La déclaration des droits a consacré ces principes. La motion de M. de Mirabeau tend à réunir dans un petit nombre de personnes les pouvoirs municipaux, administratifs et législatifs, et l’on prétend qu’elle doit établir l’égalité et la liberté. Elle est contraire aux décrets : la majorité pour les municipalités est fixée à 25 ans : l’auteur de la motion la réduit à 21 ; il l’étend à 35 pour l’Assemblée nationale. En effet, on devrait avoir occupé deux fois des places dont les fonctions durent 4 ans ; il faut au moins deux années d’intervalle : ainsi voilà dix années à ajouter à la majorité de 25 ans. Cette motion étant opposée aux précédents décrets, aux termes du réglement, on pourrait l’attaquer par la question préalable. Elle est, de plus, contraire à la nature des choses, aux convenances et à l’intérêt public. C’est dans les assemblées administratives qu’il faut porter une expérience qui ne s’acquiert qu’avec le temps; ces assemblées sont moins nombreuses que les assemblées nationales, et l’effet d’un petit nombre de jeunes gens inexpérimentés y serait bien plus fâcheux. Les hommes qui se seront, par leurs études, destinés à l’Assemblée nationale, se verront forcés de passer par des places auxquelles il ne seront pas propres; il faudra qu’ils renoncent à ieur fortune pour se livrer à un noviciat d’une aussi grande durée; et les gens riches, seuls capables de ce sacrifice, concourront seuls à la représentation nationale. Ma conclusion m’est offerte par le préopinant. Je ne conçois pas comment on peut proposer à une nation de faire une loi qui ne pourra être exécutée que dans 10 ans ; je ne sais pas si elle conviendra à cette époque. Vous aurez besoin, 32 498 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 décembre 1789.1 dans quelques années, d’une Convention nationale, pour réformer les erreurs que l’expérience aura fait reconnaître dans la constitution ; je demande l’ajournement de la motion à cette Convention. M. le comte de Mirabeau. Le préopinant paraît oublier que si les rhéteurs parlent pour 24 heures, les législateurs parlent pour le temps. Je demande à lui répondre; mais, comme le comité des dix, dont je suis membre, m’appelle, et qu’il est temps de passer à l’ordre de 2 heures, je prie l’Assemblée d’ajourner la discussion. M. de Mirabeau sort. M. Dufraisse-Duehey demande alors la question préalable sur la motion de M. de Mirabeau. M. le comte de Clermont-Tonnerre. La motion est d’une trop haute importance pour que la question préalable lui soit appliquée. Je demande que la discussion soit ajournée à une prochaine séance. L’ajournement est ordonné. L’Assemblée passe à son ordre du jour de 2 heures. Les six chirurgiens-majors des divisions de la garde nationale parisienne, qui avaient été admis à la barre au commencement de cette séance, font l’hommage du don patriotique de la première année des appointements attachés à leur place. Cet hommage consiste dans la somme de 3,600 livres sur laquelle somme il y a déjà trois mois échus. L’Assemblée, par l’organe de son président, leur témoigne sa satisfaction des preuves du zèle et du désintéressement qu’ils offrent, et leur donne l’assurance que leurs utiles services leur attachent tous les citoyens, et que les représentants de la nation ne peuvent qu’être sensibles à leur dévouement à la chose publique. Le comité des tinances annonce que son travail sur les impôts de la Bretagne n’est pas prêt et que cette affaire ne peut être discutée dans cette séance. La discussion sur la demande de la ville de Nérac, relative à la mendicité et au quart du bien ecclésiastique est également ajournée jusqu’à ce que le comité des finances ait été entendu sur cette affaire. M. Bion, au nom du comité des rapports , dont il est membre, rend compte de Y affaire de la ville de Troyes. Sur la demande et la convocation des officiers municipaux, les habitants de cette ville avaient adjoint à la municipalité soixante-quatre personnes, et cette réunion avait formé un comité général et provisoire , chargé de la police et d’administrer civilement et militairement sur les réquisitions du ministère public. Le bailliage a déclaré ce comité illégal, et par hasard 1 ,200 hommes sont arrivés à Troyes pour soutenir cette sentence. Le président du comité a interjeté appel : il a été décrété d’ajournement personnel. Le bailliage demande que l’Assemblée nationale approuve la sentence, et la ville, que les décrets de l’Assemblée soient maintenus. Le rapporteur propose le décret suivant : « L’Assemblée nationale ordonne que son décret du 2 de ce mois, concernant les officiers municipaux et autres corps établis par les communes et municipalités des villes pour leur administration, sera exécuté selon sa forme et teneur; en conséquence, fait défense à tous juges de les troubler dans leurs fonctions , et notamment à ceux de Troyes, dont elle déclare la sentence du 29 septembre dernier, attentatoire à la liberté des communes , sauf aux membres du comité de Troyes à se pourvoir ainsi et contre qui bon leur semblera, pour leurs dommages et intérêts. » Ce projet de décret soulève de nombreuses protestations et plusieurs membres demandent à le combattre. M. le marquis de Foucault-Lardinalie. Cette affaire est une des plus importantes de celles auxquelles les municipalités anciennes et nouvelles ont donné lieu. Je m’intéresse personnellement à la ville de Troyes, parce que j’y ai des propriétés. Un décret favorable au comité ferait émigrer beaucoup de personnes riches qui font vivre un grand nombre de citoyens ..... Je demande le renvoi au pouvoir exécutif ; et dans le cas où l’Assemblée ne l’ordonnerait pas ainsi, je propose d’ajourner pour attendre la procédure qui a été demandée par le comité des recherches. M. Bion. La discussion peut être, à cause de l’heure avancée, remise à ce soir ou du moins à jour fixe. M. le Président consulte l’Assemblée qui prononce un ajournement indéfini. La séance est levée à 3 heures 1/2. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. FRÉTEAU DE SAINT-JUST. Séance du jeudi 10 décembre 1789, au soir (1). M. le Président annonce diverses adresses, par lesquelles plusieurs villes, notamment celle de Grépy-en-Valois, se plaignent de la difficulté qu’elles ont à pourvoir à leur subsistance. M. le président invite le comité des recherches à informer l’Assemblée des découvertes qu’il a pu faire sur les enharrements et sur l’exportation. M. le marquis de Foucault-Lardinalfe, membre de ce comité, dit que M. Emmery, membre du nouveau comité, et qui l’était déjà de l’ancien, est chargé de ce travail. M. Dubois de Crancé rappelle à l’Assemblée une dénonciation, qu’il lui a déjà faite plusieurs fois. Il affirme de nouveau que l’exportation se fait par la Champagne dans le Luxembourg. Que depuis peu de temps on a fait sortir plus de cent quarante mille quartaux de blés de la Champagne, sous prétexte d’approvisionner Gharleville, qui n’en a pas reçu plus de six mille. M. Dubois de Crancé est interpellé d’administrer la preuve de ce fait. Il répond que le député de Charleville doit être dans la tribune des suppléants, et que, dans ce cas, il prie l’Assemblée de î admettre à la barre. L’Assemblée décrète que le député de Gharleville sera admis à la barre. (1) Cette séance est incomplète an Moniteur.