78 19 juin 1791. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] forcé pour aller dans ce pays presque sauvage et très désagréable. Ce serait une inhumanité, une cruauté de l’Assemblée, d’empêcher un vieillard d’aller rétablir sa santé. ( Mouvements divers.) MM. Lavie et Boutteville-Dumetz. Il serait affreux de le retenir. M. GoiipH-Préfeïn. J’appuie la demande de congé en qualité de membre du comité de vérification. (L’Assemblée, consultée, accorde le congé.) M. Thouret, au nom du comité de Constitution. Messieurs, avant de vous lire le classement des décrets sur l’organisation du Corps législatif, je vais vous soumettre quelques articles relatifs aux incompatibilités à prononcer entre les fonctions législatives et différentes autres fonctions publiques , articles que vous avez renvoyés à l’examen de votre comité de Constitution. Nous avons reconnu la distinction qui fut faite dans la discussion qui eut lieu sur cette matière, à savoir qu’il peut y avoir des incompatibilités de deux espèces : les unes qui frapperaient sur le titre même de l’état de quelques fonctionnaires qui seraient élus au Corps législatif; les autres qui ne frapperaient que sur les simples fonctions, tels que les commissaires de la trésorerie nationale, et les divers agents du pouvoir exécutif qui sont révocables à volonté et qui ne pourraient quitter leurs fonctions sans paralyser un des services publics les plus importants. D’abord, il nous a paru que les percepleurs des contributions directes, étant chargés de fonctions qu’ils exercent individuellement et exclusivement, ne pouvaient mettre aucune intermittence dans l’exercice de leurs fonctions sans paralyser la perception. Ce sont, en effet, des officiers élus dans chaque district, chargés exclusivem nt des fonctions de la perception, dont le travail est journalier etquiu’ontd’ailieursaucun suppiéantcorntitution-nel. Dan-ces conditions, un percepteur s’il est élu au Corps législatif, peut-il rester percepteur? Il est évident que non, car il faudrait mettre à sa place un autre percepteur pour remplir ses fonctions : d’où suit nécessairement l’incompatibilité entte cette fonction et celle de représentant. Les mêmes raisons existent pour les receveurs descontributions directes, pour les vérificateurs, inspecteurs, direcieurs, régisseurs et administrateurs de ces contributions, en un mot pour tous les membres de la hiérarchie qui donne le mouvement à la perception. Le même système s’applique enfin aux commissaires de la trésorerie nationale et à tous les agents du pouvoir exéeutifrévocabies à volonté, parce que vou-s ne pouvez pas leur reconnaître une volonté assez indépendante pour remplir convenablement les fonctions de représentants de la nation et pour voter dans le Corps législatif. Ainsi, Messieurs, sur ces différentes raisons d’incompatibilité entre l’ancienne fonction et la nouvelle fonction d’éiu au Corps législatif, voici l’article que nous vous proposons : « Les percepteurs et receveurs des contributions directes, les préposés à la perception des contributions indirecte-, les xénficatcurs, inspecteurs, directeurs, régisseurs et administrateurs de ces dernières contributions, les commissaires à la trésorerie nationale, et tous les agents et employés du pouvoir exécutif, révocables à volonté, s’ils sont élus membres du Corps législatif, seront tenus d’opter. » M. !MaI»u«t. Vous éloignez par là du Corps législatif des régisseurs, des administrateurs, des hommes qui seraient infiniment utiles dans le Corps législatif, pour l’éclairer sur la matière de l’impôt. M. Thonret, rapporteur. L’inconvénient est réel; mais il y a ici une incompatibilité de service insurmontable. Vous ne pouvez laisser la perception de l’impôt en stagnation et en lacune, pour envoyer au Corps législatif les instruments nécessaires de la perception et du versement. Un membre : Je demande si les ministres sont compris sous la dénomination d’agents révocables à volomé. M. Thouret, rapporteur. Nous ne comprenons jamais les ministres dans les travaux généraux que nous soumettons à l’Assemblée : il a été décidé que l’état des ministres formerait la matière d’un titre particulier. M. Pétion de Villeneuve. Je propose, par amendement, que l’incompatibilité prévue par l’article soit étendue à toutes les personnes de la domesticité du roi. M. Thouret, rapporteur. Nous ne les avons pas comprises dans notre rédaction, parce que nous n’avons pas, dans ce moment, d’expression technique à leur appliquer. Ils ne sont pas agents du pouvoir exécutif; ils ne sont pas en ce moment révocables à volonté, puisqu’ils exercent à titre d’office. Ainsi, avant que la maison du roi soit organisée, avant de connaître ce que ces individus seront dans le nouvel ordre de choses qui se prépare, on ne pourrait les désigner que par une circonlocution extrêmement vague. M. iVlalouet. Je crois qu’il faut réduirel’amen-dement aux officiers servants et domestiques dans la maison du roi. M. d’André. Il me paraît impossible que dans une nation qui veut être libre, qui veut avoir un gouvernement, indépendant dans un Etat où il y a une différence très considérable entre les fortunes, on permette que des personnes qui sont aux gages d’une autre soient ici membres du Corps legislatif. Plusieurs membres . C’est décrété! M. d’André. Vous voyez bien que cela n’est pas décrété, puisque M. le rapporteur ne le croit pas. Je dis que tonie personne qui non seulement est en état de domesticité, mais qui est dans la dépendance immédiate soit du roi, soit d’un particulier, doit être exclue de la législature. M. Rœderer. Cette opinion est impopulaire. M. d'André. J’entends une voix qui me dit que mon opinion eff impopulaire. Je ne sais ce que c’ est qu’une motion populaire ou impopulaire. Apparemment celui qui me dit cela connaît les nmyens d’obtenir la popularité : pour moi je les ignore et je ne recherche que ce qui est ju.ffe et raisonnable. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]9 juin 17î>l.j Je dis, Messieurs, que tout homme qui est dans la dépendance absolue d’un autre n’est pas libre dans l’expression de sa volonté. Il faut que le grand écuyer du roi, comme le mien, si j’avais les moyens d’en entretenir, il faut, dis-je, qu’ils soient l’un et l’autre inéligibles aux fonctions de représentant de la nation. M. Thouret, rapporteur. Ce n’est pas l’influence d’un simple particulier que nous devons craindre. Je pense qu’on ne doit fixer l’incompatibilité que pour les officiers servant domestiquement dans la maison uu roi. M. d’André. Je cite un exemple. M. d’Orléans jouissait et jouit peut-être encore de 3 millions de revenu et plus. Il peut avoir un chancelier, un grand écuyer, des intendants, des chefs de conseils, des conseillers, des administrateurs : je demande s'il ne serait pas possible à plusieurs hommes aussi opulents de faire une -coalition enire eux, et de remplir un Corps législatif de 30 ou 40 de leurs agents. Je demande, s’ils avaient le moyen de prendre à leurs gagei des gens à talents, des gens qui fus eut populaires, c’est-à-dire qui eussent de la popularité, s’ils avaient le talent ensuite de faire élire soit par les séductions, soit par les caresses, soit p ut-être par de l’argent, ces 20, 30 ou 40 agent-, je demande, dis-je, s’ils ne se rendraient pas les maîtres du pouvoir législatif, et si la liberté ne courrait pas les plus grands dangers. Je prétends donc, et je crois pouvoir le soutenir, qu’il est impossible qu’un homme qui est aux gages d’un autre soit représentant de la nation, parce qu’un homme qui est représentant de la nation doit être indépendant. (Applaudissements.) Kn supposant même que les personnes les plus puissantes de l’Etat par leur richesse n’eusse: it pas pris d’avance les moyens défaire mét ré dans le Corps législatif leurs agents, ne serait il pas dans l’ordre des choses que, le Corps législatif étant assemblé, ces gins puissants ne gagnassent dans le Corps législatif les membres qui auraient le plus de talent-, en leur promettant des p aces qui leur assureraient, pour le reste de leurs jours, une existence très considérable? Dans ua gouvernement représentatif, il faut prendre tous les moyens pour prévenir la séduction et en ôter l’intérêt à ceux qui pourraient l’employer. Je crois donc nécessaire de prononcer l’exclusion du Corps législatif contre toute personne qui se trouve aux gages d’une autre. (À pplaudissements .) M. Rœderer. L’opinion de M. d’André, conçue dans desgermes généraux, semble être déterminée plutôt par des haines particulières que par l’amour du peuple qui est la vraie popularité, popularité qu’il ne devrait pas ignorer. Messieurs, je vais m’expliquer d’une manière très simp e. Je pense, tout comme M. d’André, que toute personne aitachée à un service personnel et individuel, < araclérisant la pure domesticité, rie doit pas être éligible au Corps législatif. (Murmures.) Mais il résulterait de l’opinion de M. d’André i’exclusion d’un très grand nombre de citoyens qui ont, à la vérité, des gages payés par des particuliers, mais qui cependant sont absolument indépendants dans leurs opinions, comme ils le sont dans leur propriété; il en résulterait que vous excluriez de Ja législature les chefs d’ate-79 liers, les commis, les directeurs de manufactures. J’ai, par exemple, à mes gages, à ma solde, des ci-devant gentilshommes dans des verreries qui m’appartiennent. Eh! bien, Messieurs, ces gens-là qui, je le répète, sont à mes gages, sont aussi indépendants que moi : ce sont des citoyens recommandables, d’honnêtes chefs de famille, des hommes très industrieux, très dignes de l’estime publique, citoyens a tifs, propriétaires domiciliés. Comment voudi ait-on les frapper ainsi d’une exhérédation politique? Il résulte de là un amendement très sage à la proposition de M. d’André. C’est qu’il ne faut pas dire tout simplement et vaguement, comme il vous l’a proposé, que toute personne aux gages d’une autre est inéligible ; mais il faut dire qu’on rendra inéligible tout homme attaché au service personnel et individuel d’un autre : et alors je suis de son avis. M. d’André. C’est la même chose, car le menuisier du roi n’est pas dépouillé du titre de citoyen actif. M. Rœderer. Eh! bien, trouvez donc raisonnable ce qu’on vous dit. M. d’André. Si le préopinant ne s’était pas laissé entraîner à un premier mouvement, dont il va sans doute revenir bientôt, il n’aurait pas ainsi travesti mon opinion. Et en effet mon opinion s’expliquait très naturellement par ce qui venait d’être dit : on venait de parler des gens qui servaient le roi, j’ai dit qu’il ne fallait pas excepter les gens qui servaient les particuliers : voilà tout ce j’ai dit. Je n’ai cité ni les gentilshommes verriers, ni les ouvriers et je demande que mou amendement soit mis aux voix. M. Regnaud (de Sain t-Jean-d’ Angély) . Nous convenons tous du principe que nul homme étant aux gages d’un autre, de telle manière qu’il soit sous ses ordres habituels, n’a pas l’in-dépendauce nécessaire à un représentant de la nation. Un intendant, par exemple, ne peut pas exercer librement ses fonctions à la législature, puisqu’à chaque instant son maître peut l’appeler auprès de lui. Je demande donc que l’on adopte, sauf rédaction, le principe « que nul ho urne aux gages et aux ordres habituels d’un autre, ne puisse être élu à la législature. » (L’amendement de M. Regnaud de Saint-Jean_ d’Augély est mis aux voix et adopté.) M. Thouret, rapporteur. Voici avec l’amendement quelle serait la rédaction de l’article : Art. 1er. « Lf s percepteurs et receveurs des contributions directes, les préposés à la perception des contributions indirectes, les vérificateurs, ins-p cteurs, directeurs, régisseurs et administrateurs de ces dernières contributions, les commissaires à la trésorerie nationale, et tous les agents et employés du pouvoir exécutif, révocables à volonté, ainsi que tous ceux qui seront aux gages et aux ordres habituels d’un autre, s’ils sontelus membres du Corps législatif, seront tenus d’opter. » (Cet article est mis aux voix et adopté.) M. Thouret, rapporteur . Le second article que