[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]9 juin 17î>l.j Je dis, Messieurs, que tout homme qui est dans la dépendance absolue d’un autre n’est pas libre dans l’expression de sa volonté. Il faut que le grand écuyer du roi, comme le mien, si j’avais les moyens d’en entretenir, il faut, dis-je, qu’ils soient l’un et l’autre inéligibles aux fonctions de représentant de la nation. M. Thouret, rapporteur. Ce n’est pas l’influence d’un simple particulier que nous devons craindre. Je pense qu’on ne doit fixer l’incompatibilité que pour les officiers servant domestiquement dans la maison uu roi. M. d’André. Je cite un exemple. M. d’Orléans jouissait et jouit peut-être encore de 3 millions de revenu et plus. Il peut avoir un chancelier, un grand écuyer, des intendants, des chefs de conseils, des conseillers, des administrateurs : je demande s'il ne serait pas possible à plusieurs hommes aussi opulents de faire une -coalition enire eux, et de remplir un Corps législatif de 30 ou 40 de leurs agents. Je demande, s’ils avaient le moyen de prendre à leurs gagei des gens à talents, des gens qui fus eut populaires, c’est-à-dire qui eussent de la popularité, s’ils avaient le talent ensuite de faire élire soit par les séductions, soit par les caresses, soit p ut-être par de l’argent, ces 20, 30 ou 40 agent-, je demande, dis-je, s’ils ne se rendraient pas les maîtres du pouvoir législatif, et si la liberté ne courrait pas les plus grands dangers. Je prétends donc, et je crois pouvoir le soutenir, qu’il est impossible qu’un homme qui est aux gages d’un autre soit représentant de la nation, parce qu’un homme qui est représentant de la nation doit être indépendant. (Applaudissements.) Kn supposant même que les personnes les plus puissantes de l’Etat par leur richesse n’eusse: it pas pris d’avance les moyens défaire mét ré dans le Corps législatif leurs agents, ne serait il pas dans l’ordre des choses que, le Corps législatif étant assemblé, ces gins puissants ne gagnassent dans le Corps législatif les membres qui auraient le plus de talent-, en leur promettant des p aces qui leur assureraient, pour le reste de leurs jours, une existence très considérable? Dans ua gouvernement représentatif, il faut prendre tous les moyens pour prévenir la séduction et en ôter l’intérêt à ceux qui pourraient l’employer. Je crois donc nécessaire de prononcer l’exclusion du Corps législatif contre toute personne qui se trouve aux gages d’une autre. (À pplaudissements .) M. Rœderer. L’opinion de M. d’André, conçue dans desgermes généraux, semble être déterminée plutôt par des haines particulières que par l’amour du peuple qui est la vraie popularité, popularité qu’il ne devrait pas ignorer. Messieurs, je vais m’expliquer d’une manière très simp e. Je pense, tout comme M. d’André, que toute personne aitachée à un service personnel et individuel, < araclérisant la pure domesticité, rie doit pas être éligible au Corps législatif. (Murmures.) Mais il résulterait de l’opinion de M. d’André i’exclusion d’un très grand nombre de citoyens qui ont, à la vérité, des gages payés par des particuliers, mais qui cependant sont absolument indépendants dans leurs opinions, comme ils le sont dans leur propriété; il en résulterait que vous excluriez de Ja législature les chefs d’ate-79 liers, les commis, les directeurs de manufactures. J’ai, par exemple, à mes gages, à ma solde, des ci-devant gentilshommes dans des verreries qui m’appartiennent. Eh! bien, Messieurs, ces gens-là qui, je le répète, sont à mes gages, sont aussi indépendants que moi : ce sont des citoyens recommandables, d’honnêtes chefs de famille, des hommes très industrieux, très dignes de l’estime publique, citoyens a tifs, propriétaires domiciliés. Comment voudi ait-on les frapper ainsi d’une exhérédation politique? Il résulte de là un amendement très sage à la proposition de M. d’André. C’est qu’il ne faut pas dire tout simplement et vaguement, comme il vous l’a proposé, que toute personne aux gages d’une autre est inéligible ; mais il faut dire qu’on rendra inéligible tout homme attaché au service personnel et individuel d’un autre : et alors je suis de son avis. M. d’André. C’est la même chose, car le menuisier du roi n’est pas dépouillé du titre de citoyen actif. M. Rœderer. Eh! bien, trouvez donc raisonnable ce qu’on vous dit. M. d’André. Si le préopinant ne s’était pas laissé entraîner à un premier mouvement, dont il va sans doute revenir bientôt, il n’aurait pas ainsi travesti mon opinion. Et en effet mon opinion s’expliquait très naturellement par ce qui venait d’être dit : on venait de parler des gens qui servaient le roi, j’ai dit qu’il ne fallait pas excepter les gens qui servaient les particuliers : voilà tout ce j’ai dit. Je n’ai cité ni les gentilshommes verriers, ni les ouvriers et je demande que mou amendement soit mis aux voix. M. Regnaud (de Sain t-Jean-d’ Angély) . Nous convenons tous du principe que nul homme étant aux gages d’un autre, de telle manière qu’il soit sous ses ordres habituels, n’a pas l’in-dépendauce nécessaire à un représentant de la nation. Un intendant, par exemple, ne peut pas exercer librement ses fonctions à la législature, puisqu’à chaque instant son maître peut l’appeler auprès de lui. Je demande donc que l’on adopte, sauf rédaction, le principe « que nul ho urne aux gages et aux ordres habituels d’un autre, ne puisse être élu à la législature. » (L’amendement de M. Regnaud de Saint-Jean_ d’Augély est mis aux voix et adopté.) M. Thouret, rapporteur. Voici avec l’amendement quelle serait la rédaction de l’article : Art. 1er. « Lf s percepteurs et receveurs des contributions directes, les préposés à la perception des contributions indirectes, les vérificateurs, ins-p cteurs, directeurs, régisseurs et administrateurs de ces dernières contributions, les commissaires à la trésorerie nationale, et tous les agents et employés du pouvoir exécutif, révocables à volonté, ainsi que tous ceux qui seront aux gages et aux ordres habituels d’un autre, s’ils sontelus membres du Corps législatif, seront tenus d’opter. » (Cet article est mis aux voix et adopté.) M. Thouret, rapporteur . Le second article que