1 Assemblée nationale. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 janvier 1791.| 233 les instruments nécessaires. Personne n’est à sa place, personne ne connaît ses fonctions; les départements hésiteut et cherchent l’autorité qu’ils doivent reconnaître ; tout appelle une force de compression qui unisse, qui relie toutes les parties de l’Empire. Je doute, ou plutôt je ne crains pas que vous adoptiez le plan qui vous a été proposé par votre comité de l’imposition; je le combattrai avec tout l’avantage de la raison et des principes, et j’aurai pour auxiliaires votre sagesse, le grand intérêt de la Constitution, votre intérêt à vous et votre gloire. 11 faut enfin que les incertitudes cessent, et que la nation sache à quels pouvoirs elle doit obéir. Je vous propose le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale décrète que la caisse de l’extraordinaire versera dans celle du Trésor public soixante millions cinq cent vingt et une mille livres. » M. «le EL a Ifiocliefoucauld. Je demande l’impression du rapport de M. Lebrun. Plusieurs voix: Oui! oui!... Non! non! M. Anson. J’ai l’honneur de prévenir l’Assemblée que le comité n’a pas eu connaissance du rapport qui vient d’être fait. Ce n’est pas la première fois que sur des matières importantes M. Lebrun a lu son travail sans l’avoir communiqué. Les états qu’il vous a présentés ne sont connus ni du comité des douze, ni du comité des finances. L’opinion particulière de M. Lebrun est ici un hors-d’œuvre ; il ne pouvait en présenter une sur les impositions, que quand celte matière aurait été à l’ordre du jour. Il y a môme dans ce travail des choses contraires à vos décrets. Si vous ordonnez l’impression, il faut séparer cetle opinion de la première partie, qui serait imprimée, non pas au nom du comité, mais pour lui être communiquée. Au surplus, je conclus à ce qu’on décrète les secours nécessaires au Trésor public. M. Lebrun, rapporteur. J’ai l’honneur d’observer au préopinant qu’il n’était point hier au comité des fiuances, quand j’ai présenté les états au nom de la section du Trésor public. 11 est inutile d’ordonner l’impression pour communiquer au comité. L’Assemblée doit se rappeler qu’elle avait ajourné ce rapport. Le jour fixé pour l’ajournement, je me suis présenté. Gomme il ne s’agissait que de l’exécution du décret, j’ai cru pouvoir rédiger ce travail ; je l’ai porté à la section du Trésor public, où les états ont été discutés. Quant à la seconde partie de mon rapport, il est certain qu’elle contient mon opinion personnelle. Je demande que l’Assemblée décrète le secours de 60 millions au Trésor public. Elle décidera sur le reste ce que sa sagesse lui prescrira. (Le projet de décret présenté par M. Lebrun est adopté.) M. SMonis dn Séjour. L’Assemblée a ordonné à son comité ecclésiastique de lui présenter une adresse aux Français sur la constitution civile du clergé. Le comité ecclésiastique a nommé des commissaires pour rédiger celte adresse. Un de MM. les commissaires a observé que M. de Mirabeau avait un travail sur celte matière; nous l’avons prié de vouloir bien nous le communiquer. D’après des observations que nous avons faites à M. de Mirabeau, et auxquelles il a bien voulu avoir égard, nous avons relu ce travail, et votre comité l’a adopté. En conséquence, je vous propose d’en entendre la lecture en ce moment. ( Applaudissements .) M. de Mirabeau lisant (1) : Français, au moment où l’Assemblée nationale coordonne le sacerdoce à vos lois nouvelles, afin que toutes les institutions de lE’mpire se prêtant un mutuel appui, votre liberté soit inébranlable, ou s’efforce d’égarer la conscience des peuples. On dénonce de toute part la constitution civile du clergé, décrétée par vos représentants, comme dénaturant l’organisation divine de l’Eglise chrétienne, et ne pouvant subsister avec les principes consacrés par J’antiquité ecclésiastique. Ainsi, nous n’aurions pu briser les chaînes de notre servitude sans secouer le joug de la loi?... Non : la liberté est loin de nous prescrire un si impraticable sacrifice. Regardez, ô concitoyens ! regardez cette église de France dont les fondements s’enlacent et se perdent dans ceux de l’empire lui-même ; voyez comme elle se régénère avec lui, et comme la liberté, qui vient du ciel, aussi bien que notre foi, semble montrer en elle la compagne de son éternité et de sa divinité! Voyez comme ces deux filles de la raison souveraine s’unissent pour développer et remplir toute la perfectibilité de votre sublime nature, et pour combler votre double besoin d’exister avecgloire, et d’exister toujours ! On nous reproche d’avoir refusé de décréter (1) Je livre cette adresse à l’impression ; car ce qu’on m’a le plus reproché, c’est qu’il est difficile de m’entendre, et je conviens que, pour être jugé, il faut être entendu. Un autre motif, c’est qu’un membre du comité ecclésiastique a désiré l’aveu que l’adresse, approuvée par lo comité dans deux conférences, n’est pas entièrement la mémo que j’ai lue dans la tribune. Or non seulement je n’ai pas voulu, pour lui plaire, dire celte fausseté ; mais j’ai dû constater, si mon adresse est mauvaise, que j’ai eu des censeurs trop indulgents ; et si elle est bonne, que l’approbation do plusieurs de mes collègues m’a autorisé à le croire. J’ai déposé mon manuscrit sur le bureau ; MM. les secrétaires en ont paraphé, signé et cacheté le dépôt, et il n’est sorti de leurs mains que pour passer dans celles de l’imprimeur de l’Assemblée nationale. Il était important, dans une matière aussi délicate, de ne pas laisser le choix à la critique entre ce que j’ai dit et ce que je n’ai pas dit. J’ai dû encore faire imprimer cette adresse pour que ceux qui ne l’ont pas entondue, ne soient pas obligés d’en croire sur parole ceux qui ont cru devoir ou la méconnaître ou la censurer. On a blâmé un discours, en effet très répréhensible, si un bon citoyen l’avait tenu ; et je Je plaçais dans la bouche d'un impie. On a supposé qu’en parlant de la feuille des bénéfices, j’avais attaqué tous les prélats. Il est vrai que je n’ai pas fait l’éloge de la feuille des bénéfices; mais, en disant qu’elle avait donné souvent de très mauvais choix, j’ai parlé seulement de quelques prélats. Enfin, on a supposé que je prêchais l’hércsie et la violence ; je le croirais si l’Assemblée l’avait pensé de même, et je me serais sur-le-champ rétracté. Mais n’ayant éprouvé qu’une attaque individuelle d’un homme qu’on a accusé lm-même de n’êlre pas orthodoxe, j’en appelle au public : c’est à lui à prononcer. Enfin, l’impression de cette adresse serait indispensable, ne fut-ce que pour empêcher qu'elle ne fût jugée d’après 1 (-journal taehy graphique. Je pardonne qu’on ne me comprenne pas; mais je dois au moins m’entendre moi-même, et je ne veux être ni hérétique ni absurde : or, je serais facilement tout cela d’a[irès le galimatias double que me prête ce journal. ( Note de l’ auteur .) 234 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [14 janvier 1791. J explicitement que la religion catholique, apostolique et romaine est la religion nationale; D’avoir changé, sans l'intervention de l’autorité ecclésiastique, l’ancienne démarcation des diocèses, et troublé par cette mesure, ainsi qu’en plusieurs autres points de l’organisation civile du clergé, la puissance épiscopale; Enfin, d’avoir aboli l’ancienne forme de nomination des pasteurs, et de la faire déterminer par l’élection des peuples. A ces trois points se rapportent toutes les accusations d’irréligion et de persécution, dont on voudrait flétrir l’intégrité, la sagesse et l’orthodoxie de vos représentants. Ils vont répondre, moins pour se justifier, que pour prémunir les vrais amis de la religion conlre les clameur? hypocrites des ennemis de la Révolution. ( Applaudissements .) Déclarer nationale la religion chrétienne, eût été flétrir le caractère le plus intime et le plus essentiel du christianisme. En général, la religion n’est pas, elle ne peut être un rapport social; elle est un rapport de l’homme privé avec l’être infini. Comprendriez-vous ce que l’on voudrait vousdire, si l’on vous parlait d’une conscience nationale ? Eh bien! la religion n’est pas plus nationale que Ja conscience ; car un homme n’est pas véritablement religieux, parce qu’il est de la religion d’une nation ; et quand il n’y aurait qu’une religion dans l’univers, et que tous les hommes se seraient accordés pour la professer, il serait encore vrai que chacun d’eux n’aurait un sentiment sincère de religion, qu’autant que chacun serait de la sienne ; c’est-à-dire qu’autant qu’il suivrait encore cette religion universelle, quand le genre humain viendrait à l’abjurer. ( Applaudissements .) Ainsi, de quelque manière que l’on envisage une religion, la dire nationale , c’est lui attribuer une dénomination insignifiante ou ridicule. Serait-ce comme juge de sa vérité, ou comme juge de son aptitude à former de bons citoyens, que le législateur rendrait une religion constitutionnelle? Mais d’abord y a-t-il des vérités nationales? En second lieu, peut-il jamais être utile au bonheur public que la conscience des hommes soit enchaînée par la loi de l’Etat ? La loi ne nous unit les uns aux autres que dans les points où nous nous touchons. Or, les hommes ne se touchent que par la superficie de leur être; par la pensée et la conscience, ils demeurent isolés, et l’association leur laisse, à cet égard, l’existence absolue de la nature. (Murmures.) Enfin, il ne peut y avoir de national, dans un Empire, que les institutions établies pour produire des effets politiques; et la religion n’étant que la correspondance de la pensée et de la spiritualité de l’homme avec la pensée divine, avec l’esprit universel, il s’ensuit qu’elle ne peut prendre sous ce rapport aucune forme civile ou légale. Le christianisme principalement s’exclut, par son essence, de tout système de législation locale. Dieu n’a pas créé ce flambeau pour prêter des formes et des couleurs à l’organisation sociale des Français; mais il l’a posé au milieu de l’univers pour être le point de ralliement et le centre d’unité du genre humain. Que ne nous blâme-t-on aussi de n’avoir pas déclaré que le soleil est l'astre de la nation , et que nul autre ne sera reconnu devant la loi, pour régler la succession des nuits et des jours? Ministres de l’Evangile I vous croyez que le christianisme est un profond et éternel système de Dieu; qu’il est la [raison de l’existence d’un univers et d’un genre humain ; qu’il embrasse toutes les générations et tous les temps ; qu’il est le lien d’une société éparse dans tous les empires du monde, et qui se rassemblera des quatre vents de la terre, pour s’élever dans les splendeurs de l’inébranlable empire de l’éternité; et avec ces idées si vastes, si universelles, si supérieures à toutes les localités humaines, vous demandez que, par une loi constitutionnelle de notre régime naissant, ce christianisme, si fort de sa majesté et de son antiquité, soit déclaré la religion des Français ! Ah! c’est vous qui outragez la religion dé nos pères ! vous voulez que, semblable à ces religions mensongères, nées de l’ignorance des hommes, accréditées par les dominateurs de la terre, et confondues dans les institutions politiques, comme un moyen d’oppression, elle soit déclarée la religion de la loi et des Césars ! Sans doute, là où une croyance absurde a enfanté un régime tyrannique, là où une Constitution perverse dérive d’un culte insensé, il faut bien que la religion fasse partie essentielle de la Constitution . Mais le christianisme, faible et chancelant dans sa naissance, n’a point invoqué l’appui des lois, ni l’adoption des gouvernements. Ses ministres eussent refusé -pour lui une existence légale, parce qu’il fallait que Dieu seul parût dans ce qui n’était que son ouvrage; et il nous manquerait aujourd’hui la preuve la plus éclatante de sa vérité, si tous ceux qui professèrent, avant nous, cette religion sainte, l’eussent trouvée dans la législation des empires. O étrange inconséquence ! quels sont ces hommes qui nous demandaient avec une chaleur et une amertume si peu chrétiennes un décret qui rendît le christianisme constitutionnel? Ce sont les mêmes qui blâmaient la Constitution nouvelle, qui laprésentaient comme la subversion de toutes les lois de la justice et de la sagesse, qui la dénonçaient de toute part comme l’arme de la perversité, de la force et de la vengeance: ce sont les mêmes qui nous disaient que cette Constitution devait perdre l’Etat et déshonorer la nation française. 0 hommes de mauvaise foi ! pourquoi voulez-vous donc introduire une religion que vous faites profession de chérir et d’adorer, dans une législation que vous faites gloire de décrier et de haïr ? Pourquoi voulez-vous unir ce qu’il y a de plus auguste et de plus saint dans l’univers, à ce que vous regardez comme le plus scandaleux monument de la malice humaine ? Quel rapport, vous dirait saint Paul, peut-il s’établir entre la justice et l'iniquité et que pourrait-il y avoir de commun entre Christ et Bélial ? ( Applaudissements .) Non, Français ! ce n’est ni la bonne foi, ni la piété sincère qui suscitent au milieu de vos représentants toutes ces contestations religieuses; ce sont les passions des hommes, qui s’efforcent de se cacher sous des voiles imposants, pour couvrir plus impunément leurs ténébreux desseins. Remontez au berceau de la religion ; c’est là que vous pourrez vous former l’idée de sa vraie nature, et déterminer le mode d’existence sous lequel son divin fondateur a voulu qu’elle régnât dans l’univers. Jésus-Christ est le seul de tous les sages qui se sont appliqués à instruire les hommes et à les rendre bons et heureux, qui ne les ait envisagés sous aucun rapport politique, et qui n’ait, en aucune circonstance, mêlé à son enseignement, des principes relatifs à la législation des empires. Quelle que soit l’influence de l'Evangile sur la moralité humaine, jamais, ni Jésus-Christ, ni ses disciples ne firent entendre que [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 janvier 1791.] 235 l’institution évangélique dût entrer dans les lois constitutionnelles des nations. Il n’ordonne nulle part à ceux qu’il a choisi pour publier sa doctrine, de la présenter aux législateurs du monde, comme renfermant des vues nouvelles sur l’art de gouverner les peuples: « Allez et instruisez « les hommes, en disant : Voici que le royaume « de Dieu approche; et lorsque vous entrerez « dans une ville ou dans un hameau, demandez « qui sont ceux qui veulent vous écouter, et res-« tez-y autant qu’il le faudra pour leur apprendre « ce que vous devez leur enseigner ; mais si l’on « refuse de vous écouter, sortez et soyez en tout « prudents comme les serpents, et simples comme « les colombes. » (Applaudissements.) L’Evangile est donc, par son institution une économie toute spirituelle, offerte aux mortels, en tant qu’ils ont une destination ultérieure aux fins de l'association civile, et considérée hors de toutes leurs relations politiques : il est proposé à l’homme, comme sa seconde raison, comme le supplément de sa conscience; et non à la société, comme un nouvel objet de mesures législatives. L’Evangile a demandé, en paraissant au monde, que les hommes le reçussent et que les gouvernements le souffrissent. C’est là le caractère extérieur qui le distingua, dès son origine, de toutes les religions qui avaient tyrannisé la terre ; et c’est aussi ce qui doit le distinguer, jusqu’à la fin des temps, de tous les cultes qui ne subsistent que par leur incorporation dans tes lois des empires. C’est donc une vérité établie sur la nature des choses, sur les lumières du bon sens et sur l’essence même de l’institution évangélique, que vos représentants, ô Français! ne devaient, ni ne pouvaient décréter nationale la religion catholique, apostolique et romaine. Mais puisque le christianisme est une économie toute spirituelle, hors de la puissance et de l'inspection des hommes, pourquoi nous sommes-nous attribué le droit de changer, sans l’intervention spirituelle, l’ancienne démarcation des diocèses? Certes on devrait nous demander aussi pourquoi nous sommes chrétiens, pourquoi nous avons assigné sur le Trésor national aux ministres de l’Evangile et aux dépenses du culte, la plus solide partie des revenus de l’Etat. {Murmures à droite.) D’après les éléments de la constitution chrétienne, son culte est l’objet de l’ acceptation libre des hommes et de la tolérance des gouvernements. Il ne peut être réputé que souffert , tant qu’il n’est reçu et observé que par un petit nombre de citoyens de l’Empire; mais, dès qu’il est devenu le culte de la majorité de la nation, il perd sa dénomination de culte toléré : il est alors un culte reçu; il est de fait la religion du public , sans être, de droit, la religion nationale ; car une religion n’est pas adoptée par la nation, en tant qu’elle est une puissance, mais en tant qu’elle est une collection d'hommes. Dans cet état du culte, son exercice n’ayant aucune correspondance avec l’ordre civil, il en résulte plusieurs conséquences. Premièrement : L’autorité ecclésiastique peut partager, entre les pasteurs, la conduite spirituelle des fidèles, suivant telles divisions ou démarcations que lui prescrira sa sagesse; et le gouvernement, qui n’est lié par aucun point au régime religieux, n’a rien à voir ni à réformer dans des circonscriptions qui n’ont pas de visibilité politique. Secondement : Dans cette situation du culte, qui fut si longtemps la seule que l’ancien sacerdoce ait demandée aux puissances de la terre, la subsistance des ministres, la construction et l’entretien des temples et toutes les dépenses du cérémonial religieux sont une charge étrangère au fisc; car ce qui n’appartient pas à l’institution pol tique, ne peut être du ressort de la dépense publique. Troisièmement : Mais du moment que l’institution chrétienne, adoptée par la majorité des citoyens de l’Empire, a été allouée par la puissance nationale; du moment que cette même puissance, prenant sur elle toutes les charges de i’état temporel de la religion, et pourvoyant à tous les besoins du culte et de ses ministres, a garanti, sur la foi de la nation et sur les fonds de son trésor, la perpétuité et l’immutabilité de l’acceptation qu’elle a faite du christianisme, dès lors cette religion a reçu dans l’Etat une existence civile et légale, qui est le plus grand honneur qu’une nation puisse rendre à la sainteté et à la majesté de l’Evangile; et dès lors aussi, c’est à cette puissance nationale, qui a donné à l’institution religieuse une existence civile, qu’appartient la faculté d’en déterminer l’organisation civile, et de lui assigner sa constitution extérieure et légale. Elle peut et elle doit s’emparer de la religion, selon tout le caractère public qu’elle lui a imprimé, et par tous les points où elle l’a établie en correspondance avec l’institution sociale. Elle peut et elle doit s’attribuer l’ordonnance du culte dans tout ce qu’elle lui a fait acquérir d’extérieur, dans toute l’ampleur physique qu’elle lui a fait contracter, dans tous les rapports où elle l’a mis avec la grande machine de l’Etat; enfin, dans tout ce qui n’est pas de sa constitution spirituelle, intime et primitive. C’est donc au gouvernement à régler les démarcations diocésaines , puisqu’elles sont le plus grand caractère public de la religion et la manifestalion de son existence légale. Le ministère sacerdotal est subordonné, dans la répartition des fonctions du culte, à la même autorité qui prescrit les limites de toutes les autres fonctions publiques et qui détermine toutes les circonscriptions de l’Empire. Eh I que l’on nous dise ce que signifie l’intervention de l’autorité spirituelle dans une distribution toute politique? Une nation qui, recevant dans son sein et unissant à son régime la religion chrétienne, dispose tellement le système de toutes ses administrations, que partout où elle trouve des hommes à gouverner, là aussi elle prépose un premier pasteur à leur enseignement religieux : une telle nation s’attribue-t-elle un pouvoir sacerdotal? entreprend - elle quelque chose sur les consciences, sur les dogmes de la foi, sur ses sacrements, sur ses rapports et ses dépendances hiérarchiques? Mais, nous dit-on, la juridiction spirituelle des évêques a changé avec l’ancienne division des diocèses; et il faut bien que le pontife de Rome intervienne pour accorder aux évêques des pouvoirs accommodés à la nouvelle Constitution. Que ceux d’entre nos pasteurs qui ont le cœur droit et l’esprit capable d’observation, s’élèvent au-dessus des idées et des traditions d’une théologie inventée pour défigurer la religion et la subordonner aux vues ambitieuses de quelques hommes, et ils reconnaîtront que le fondateur du christianisme semble avoir constitué son sacerdoce, d’après la prévoyance de sa destinée future; 236 lAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. c’est-à-dire qu’il l’a fait tel qu’il put se prêter à toutes les formes civiles des Etals où l’institution chrétienne serait adoptée, et s’exercer dans toutes les directions et selon toutes les circonscriptions qui lui seraient assignées par les lois des empires. Est-ce en donnant à chacun d’eux une portion de puissance, limitée par des bornes territoriales, que Jésus-Christ a institué les apôtres? Non! c’est en conférant à chacun d’eux la plénitude de la puissance spirituelle, en sorte qu’un seul, possédant la juridiction de tous, est établi le pasteur du genre humain. « Allez, leur dit-il ; ré-« pandez-vous dans l’univers ; prêchez l’Evangile « à toute créature ..... Je vous envoie comme mon «< père m’a envoyé . ■> Si donc, au moment de leur mission, les apôtres se fussent partagé l’enseignement de l’univers, et qu’ensuite les puissances fussent venues changer les circonscriptions qu’ils s’étaient volontairement assignées, aucun d'eux se serait-il inquiété que sa juridiction ne se trouvât point la mênie? Croit-on qu’ils eussent reproché à l’autorité publique de s’attribuer le droit de restreindre ou d’étendre l'autorité spirituelle ? Pense-t-on, surtout, qu’ils eussent invoqué l’intervention de saint Pierre pour se faire réintégrer dans les fonctions de l’apostolat, par une mission nouvelle ? El pourquoi auraient-ils recouru à ce premier chef de l’Eglise universelle? Sa primauté ne consistait pas dans la possession d’une plus grande puissance spirituelle, ni dans une juridiction plus éminente et plus étendue. Il n’avait pas reçu de mission particulière ; il n’avait pas été établi pasteur des hommes par une inauguration spéciale et séparée de celle des autres apôtres. Saint Pierre était pasteur en vertu des mêmes paroles qui donnèrent à tous ses collègues l’univers à instruire et le genre humain à sanctifier. Aussi voyons-nous saint Paul et les autres apôtres établir des évêques et des prêtres dans les différentes contrées où ils ont porté le flambeau de l’Evangile, et les instituer pasteurs des troupeaux qu’ils ont conquis au christianisme dès son origine ; et nous ne voyons nulle part qu’ils aient invoqué, pour remplir cet objet sacré, l’autorité de saint Pierre, ni que les nouveaux pasteurs aient attendu de lui l’institution canonique. Quoi ! les pontifes de notre culte ne reconnaissent plus, dans leur mission, le même caractère dont les apôtres furent revêtus? S’il est vrai que le sacerdoce chrétien n’a été institué qu’une fois pour tous les siècles, la puissance apostolique ne subsiste-t-elle pas aujourd’hui dans ses évêques comme successeurs des apôtres dans l’universalité de sa primitive institution ? Chacun d’eux, au moment de sa consécration, n’est-il pas devenu ce que fut chaque apôtre au moment où il reçut la sienne aux pieds du pasteuréterneldel’Eglise? et n’est-il pas envoyé comme Jésus-Christ l’a été par son père? Enfin, n’a-t-ii pas été investi d’une aptitude applicable à tous les lieux, à tous les hommes, et toujours subsistante, sans nulle altération, au milieu de tous les changements, de tous les croisements et de toutes les variations que peuvent éprouver les démarcations des églises ? « Veillez votre conduite, dit saint Paul aux « évêques qu’il avait établis en Asie; veillez « votre conduite et celle du troupeau pour lequel « le Saint-Esprit vous a consacrés évêques, en « vous donnant le gouvernement de l’Eglise de « Dieu que Jésus-Christ a fondé par son sang... » [14 janvier 1791 j Pesez ces paroles, et demandez-vous si saint Paul croyait à la localité de la juridiction épiscopale. Los évêques sont donc essentiellement chargés du régime de l’Eglise universelle, comme l’étaient les apôtres : leur .mission est actuelle, immédiate et absolument indépendante de toute circonscription locale. L’onction de l’épiscopat suffit aussi à leur institution, et ils n’ont pas plus besoin de la sanction du pontife de Rome, que saint Paul n’eut besoin de celle desaint Pierre. Le pontife de Rome n’est, comme saint Pierre le fut lui-même, que le pasteur indiqué pour être le point de réunion de tous les pasteurs, l’interpellateur des juges de la foi, le dépositaire de la croyance de toutes les Eglises, le conservateur de la communion universelle, le surveillant de tout le régime intérieur et spirituel de la religion. Or, tons ces rapports n’établissent aucune distinction, ni aucune dépendance réellement hiérarchique entre lui et les évêques des autres églises; et ceux-ci ne lui doivent, en montant sur leur siège, que l’attestation de leur union au centre de la foi universelle, et de leur volonté d’être pasteurs dans l’esprit et dans le sens de la croyance catholique, et de correspondre au saint-siège, comme au principal tronc de l’autorité que Jésus-Christ a donnée à son Eglise. On ne connut jamais, dans l’antiquité ecclésiastique, d’autres formes pour l’installation des pontifes. Je professe , écrivait une fois un évêque au pape saint Damaze, que je suis uni de communion à voire sainteté, c'est-à-dire à la chaire de saint Pierre. Je sais que l'Eglise a été bâtie sur cette pierre. Celui qui mange la pàque hors de cette maison , est un profane. Qui n'amasse pas avec vous, est un dissipateur. Voilà la détermination précise du rapport que Jésus-Christ a établi entre saint Pierre et les autres apôtres, et la seule règle de la correspondance à maintenir entre Rome et toutes les églises de la catholicité ; et c’est aussi la seule dont l’Assemblée nationale ait recommandé l'observation aux premiers pasteurs de l’Eglise de France. C’est en recourant à cette source antique et incorruptible de la vraie science ecclésiastique, que Ses bons esprits se convaincront aussi que les évêques métropolitains reçoivent, par leur seule occupation du siège désigné pour métropole, tous les pouvoirs nécessaires pour exercer leurs fonctions. Les bornes purement territoriales, que des considérations d’ordre et de police ont forcé de prescrire à la puissance épiscopale, sont les seules limites qu’on lui ait jamais reconnues dans l’Empire français. Les métropoles ne sont elles-mêmes que des établissements de police. L’épiscopat du métropolitain D’est pas différent de celui de ses évêques suffragants. Sa supériorité sur eux, il ne la lient pas d’une mission particulière, mais seulement de la suprématie de ia ville où son siège est établi. Cette espèce d’hiérarchie sacerdotale était toute calquée sur la hiérarchie civile, et les empereurs désignaient à leur gré le siège de ces établissements. Loin ü’avoir rétréci la puissance épiscopale, et d’avoir élevé le simple sacerdoce au niveau de l’épiscopat, dans les dispositions que nous avons statuées sur son régime, nous lui avons plutôt rendu cette immensité qu’il eut dans son origine, nous avons détruit toutes ces limites où uu ancien et épais nuage de préjugés et d’erreurs en avaient concentré l’exercice, à moins que ce n’eût été rompre la gradation hiérarchique qui distingue les premiers pasteurs et les pasteurs [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 237 inférieurs, que de donner à l’évêque de chaque église un conseil, et de régler qu’il ne pourrait faire aucun acte d’autorité, en ce qui concerne le gouvernement du diocèse, qu'a près en avoir délibéré avec le presbytère diocésain : comme si cotte supériorité que le pontife possède de droit divin sur son clergé l’affranchissait du devoir imposé de droit naturel à tous les hommes chargés d’un soin vaste et difficile, d’invoquer le secours et de consulter les lumières de l'expérience, de la maturité et de ia sagesse ! comme si, dans ce point, de même que dans tous les autres, l’Assemblée nationale n’avait pas rétabli l’usage des premiers siècles de l’Eglise! « Tout s’y faisait par « conseil, dit Fleury, parce qu’on ne cherchait « qu’à y faire régner la raison, la règle, la vu-« lonté de Dieu ..... Eu chaque église l’évèque « ne faisait rien d’important sans le consentement < des prêtres, des diacres et des principaux de « son clergé : souvent même il consultait tout le « peuple, quand il avait intérêt à i’aftaire, comme « aux ordinations. » Mais la même puissance qui possède exclusivement la législation nationale a-t-elle pu et du faire disparaître l’ancienne forme de ia nomination des pasteurs, et la soumettre à l’élection des peuples ? Oui, certes, elle a eu ce droit, si l’attribution d’une fonction appartient essentiellement à ceux qui en sont l’objet et la lin; et le sacerdoce français doit aussi, à cet égard, l’exemple du respect et de l’obéissance. C’est pour les hommes qu’il existe une religion et un sacerdoce, et non pour la divinité, qui n’en a pas besoin. Tout pontife, dit saint Paul, choisi du milieu des hommes, est établi pour le service des hommes; il doit être tel qu'il sache compatir à l’ignorance, se plier à la faiblesse et éclairer Terreur. Et non seulement l’apôtre proclame ici le droit du peuple aux élections ecclésiastiques, comme dérivant de la nature des choses, mais il l’appuie par des considérations particulières d’ordre et de circonstances. Le service sacerdotal est un ministère d’humanité, de condescendance, de zèle et de charité; c’est pourquoi .saint Paul recommande de ne le confier qu’à des hommes doués d’une âme vraiment paternelle et sensible, qu’à des hommes dès longtemps exercés aux bonnes actions, et connus publiquement par leurs inclinations pacifiques et leurs habitudes bienfaisantes. C’est pourquoi aussi il indique pour juges de leur aptitude aux fonctions de pontifes et de pasteurs du peuple, ceux qui ont été les spectateurs de leur conduite, et les objets de leurs soins. Cependant, parce que l’Assemblée nationale de France, chargée de proclamer les droits sacrés du peuple, l’a rappelé aux élections ecclésiastiques; parce qu’elle a rétabli la forme antique de ces élections, et tiré de sa désuétude un procédé qui fut une source de gloire pourla religion aux beaux jours de sa nouveauté, voilà que des ministres de cette religion crient à l’usurpation, au scandale, à l’impiété; réprouvent, comme un attentat à la plus imprescriptible autorité du clergé, le droit d’élection restitué au peuple, et osent réclamer le concours prétendu nécessaire du pontife de Home. Lorsqu’autrefois un pape immoral et un despote �violent fabriquèrent, à l’insu de l’Eglise et de l’Empire, ce contrat profane et scandaleux, ce concordat qui n’était que la coalition de deux usurpateurs pour se partager les droits et l’or des Français, on villa nation, le clergé à sa tête, op-[14 janvier 1791. J poser à ce brigandage tout l’éclat d’une résistance unanime, redemander les élections, et revendiquer avec une énergique persévérance la pragmatique, qui seule avait fait jusqu’alors le droit commun du royaume. Et c’est ce concordat irréligieux, cette convention siraoniaque qui, au temps où elle se lit, attira sur elle tous les anathèmes du sacerdoce français; c’est cette stipulation criminelle de l’ambition et de l’avarice, ce pacte ignominieux qui imprimait, depuis des siècles, aux plus saintes fonctions la tache honteuse de la vénalité, qu’aujourd’hui nos prélats ont l’impudeur de réclamer au nom de la religion, à la l'ace de l’univers, à côté du berceau de la liberté, dans ie sanctuaire même des lois régénératrices de l’Empire et de l’autel ! Plusieurs voix à droite : A l’ordre t... Lisez les Pères de l’Eglise! ( Applaudissements à gauche.) M. de Mirabeau. Mais, dit-on, le choix des pasteurs, confié à la disposition du peuple, ne sera plus que le produit de la cabale. Parmi les plus implacables détracteurs du rétablissement des élections, combien en est-il à qui nous pourrions faire cette terrible réponse ? <- Est-« ce à vous d’emprunter l’accent de la piété pour « condamner une loi qui vous assigne des suc-« cesseurs dignes de l’estime et de la vénération « de ce peuple qui n’a cessé de conjurer le ciel « d’accorder à ses enfants un pasteur qui les « console et les édifie ? Est-ce à vous d’invoquer « la religion contre la stabilité d’une Constitu-« tion qui doit en être ie plus inébranlable « appui, vous qui ne pourriez soutenir un seul « instant la vue de ce que vous êtes, si tout à « coup l’austère vérité venait à manifester au i grand jour les ténébreuses et lâches intrigues « qui ont déterminé votre élévation à l’épisco-« pat ; vous, qui ôtes les créatures de la plus « perverse administration ( Applaudissements à « gauche ); vous, qui êtes le fruit de cette iniquité « effrayante qui appelait aux premiers emplois « du sacerdoce ceux qui croupissaieut dans l’oi-« siveté et l’ignorance, et qui fermait impitoya-« blement les portes du sanctuaire à la portion « sage et laborieuse de l’ordre ecclésiastique ? » ( Murmures à droite.) M. Lavie. Ce sont des vérités ! Une voix : Ce sont des horreurs ! M. de Mirabeau. Comment ces hommes, qui fout ostentation d’un si grand zèle pour assurer aux églises un choix de pasteurs dignes d’un nom si saint, comment ont-ils donc pu se taire si longtemps, lorsqu’ils voyaient le sort de la religion et le partage des augustes fonctions de l’apostolat abandonnés à la gestion d’un ministre esclave des intrigues qui environnaient le trône? Les occasions de s’élever contre un sacrilège trafic se présentaient an clergé à des époques régulièrement renaissantes; mais que faisait-il dans ces assemblées ? Au lieu de chercher un remède à la déplorable deslinée de la religion, et d’éclairer la sagesse d’an priuce religieux et juste, sur l’impiété qui laissait le soin de pourvoir de pasteurs l’église de France aux impitoyables oppresseurs du peuple, ils portaient puérilement aux pieds du monarque un vain et lâche Iribut d’adulalion, et des contributions dont 238 |Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 janvier 1791.] il imposait la charge à la classe pauvre, assidue et résidente des ouvriers évangéliques. ( Applaudissements ;.) Eh ! qui ne voit que demander une autre forme de nominations aux offices ecclésiastiques eût été, dans nos prélats, condamner trop ouvertement leur création anti-canonique, et s’avouer, à la face de la nation, pour des intrus qu’il fallait destituer et remplacer? Que si, n’osant réprouver d’une manière absolue le rétablissement de la forme élective pour les offices ecclésiastiques, les prélats répètent encore que le mode décrété par le corps constituant -est contraire aux formes anciennes , qui toujours accordèrent au sacerdoce les honneurs de la prépondérance, nous leur demanderons s’ils ont trouvé cette influence fondée sur une loi précise de la constitution évangélique, et si elle était un effet des règles sur lesquelles Jésus-Christ a organisé le régime de la religion. Noos leur demanderons quelles furent les premières élections qui suivirent immédiatement la fondation du christianisme. La multitude des disciples choisit, sur l’invitation des apôtres, sept hommes pleins du Saint-Esprit et de sagesse, pour les aider dans les soins de l’apostolat ; ces hommes reçurent des apôtres l’imposition des mains, et ils furent les premiers diacres. Et de nos jours, quand, et comment le clergé intervenait-il donc dans le travail de la distribution des places diocésaines et paroissiales? Il y avait des sièges pontificaux à remplir, et le roi les donnait; il y avait des titres de riches abbayes à conférer, et la cour les conférait; une très grande partie des bénéfices-cures était à la disposition des patrons ou collateurs laïcs, et ces laïcs en disposaient. Un non-catholique, un juif, par la simple acquisition de certaines seigneuries, devenaient les arbitres de la destinée de la religion et de l’état moral d’un grand nombre de paroisses; ainsi les grands titres et les grandes places de l’Eglise se distribuaient sans la participation et même à l’insu du clergé; et ce qui fui restait de droit, sur les nominations obscures et subalternes, ne servait qu’à rendre plus publique et plus sensible sa nullité en administration bé-néficiale. Sans doute, il fut un âge de l’Eglise où le sacerdoce présidait les assemblées convoquées pour créer des pasteurs, et où le peuple réglait, sur le suffrage du clergé, la détermination de son choix. Mais pourquoi nos prélats, au lieu de s’arrêter à des temps intermédiaires où les formes primitives étaient déjà altérées, ne remontent-ils pas jusqu’à ces élections si contiguës au berceau de l’Eglise, où chaque ville et chaque hameau avait son pontife, et où le peuple seul proclamait et intronisait son pasteur? Car il faut bien remarquer que l’association du clergé aux assemblées électives date de la diminution des sièges épiscopaux; c’est-à-dire qu’elle a sa cause dans fa difficulté de rassembler la multitude de ceux qui appartenaient à une seule église. A ces mêmes époques où le sacerdoce était l'âme des assemblées convoquées pour l’élection des ministres du sanctuaire, les évêques pauvres et austères portaient tout le fardeau du ministère religieux; les prêtres inférieurs n’étaient que leurs assistants; c’étaient Ils évêques seuls qui offraient le sacrifice public, qui prêchaient les fidèles, qui catéchisaient ks enfants, qui portaient les aumônes de l’Eglise dans les réduits de l’infortune, qui visitaient les asiles publics de la vieillesse, de l’infirmité et de l’indigence, qui parcouraient de leurs pieds meurtris et vénérables les vallées profondes et les montagnes escarpées, pour répandre les lumières et les consolations de la foi dans le sein des innocents habitants des champs et des bourgades. Voilà des faits précisément parallèles à celui de l’influence des évoques sur le choix des pasteurs. Or, voudrait-on transformer ces faits en autant de points du droit ecclésiastique, et prononcer que la conduite des prélats qui n’évangelisent pas leur troupeau, et qui voyagent dans des chars somptueux, est contraire à Ja constitution essentielle de l’Eglise? Le mode d’élection adopté par l’Assemblée nationale est donc le plus parlait, puisqu’il est le plus conforme au procédé des temps apostoliques, et que rien n’est si évangélique et si pur que ce qui dérive de la haute antiquité ecclésiastique. La coupable résistance d’une multitude de prêtres aux lois de leur pays, l’opiniâtreté de leurs efforts pour faire revivre le double despotisme du sacerdoce et du trône, ont aliéné d’eux la confiance de leurs concitoyens, et iis n’ont pas, de nos jours, été appelés en grand nombre dans les corps chargés désormais de proclamer le choix du peuple. Mais le temps arrivera où une autre génération de pasteurs, s’attachant aux iois et à la liberté comme à la source de son existence et de sa vraie grandeur, regagnera cette haute considération qui donnait tant d’autorité au sacerdoce de la primitive Eglise, et rendait sa présence si chère à ses assemblées majestueuses, où les mains d’un peuple innombrable portaient solennellement la tiare sacrée sur la tête la plus humble et la plus sage. Alors les défiances inquiètes et les soupçons fâcheux disparaîtront; la confiance, le respect et l’ainour du pauvre ouvriront aux prêtres les portes de ces assemblées, comme aux plus respectables conservateurs de l’esprit public et de l’incorruptible patriotisme. On s’honorera de déférer à leurs suffrages; car rien n’est en effet plus honorable pour une nation, que d’accorder une grande autorité à ceux que son choix n’a pu appeler aux grandes places de la religion, sans leur reconnaître l’avantage des grands talents et le mérite des grandes vertus. Alors le sacerdoce et l’Empire, la religion et la patrie, le sanctuaire des mystères sacrés, et le temple de la liberté et des lois, au lieu de se croiser et de se heurter au gré des intérêts qui divisent les hommes, ne composeront plus qu’un seul système de bonheur public; et la France apprendra aux nations que l’évangile et la liberté sont les bases inséparables de la vraie législation, et le fondement éternel de l’état le plus parfait du genre humain. "Voilà i’époque glorieuse et salutaire qu’a voulu préparer l’Assemblée nationale, que hâteront, de concert avec les lois nouvelles, les lumières et les vertus du sacerdoce, mais que pourraient aussi reculer ses préjugés, ses passions, ses résistances. Pasteurs et disciples de l’Evangile, qui calomniez les principes des législateurs de votre patrie, savez-vous ce que vous faites? Vous consolez l’impiété des insurmontables obstacles que la loi avait opposés an progrès de son désolant système; et c’est de vous-mêmes que l’ennemi du dogme évangélique attend aujourd’hui l’abolition de tout culte, et l'extinction de tout sentiment religieux. Figurez-vous que les partisans de l’irréligion, calculant les gradations par où Je [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. J J 4 janvier 1791. J faux zèle de la foi la conduit à sa perte, prononcent dans leurs cercles ce discours : « Nos représentants avaient reporté sur ses « bases antiques l’édifice du christianisme, et « nos mesures pour le renverser étaient à jamais « déconcertées. Mais ce qui devait donner à la « religion une si grande et si imperturbable « existence, devient maintenant le gage de notre « triomphe, et le signal de la chute du sacer-« doce et de ses temples. Voyez ces prélats et ces « prêtres qui soufflent, dans toutes les contrées « du royaume , l’esprit de soulèvement et de « fureur;� voyez ces protestations perfides où l’on « menace de l’enfer ceux qui reçoivent la liberté ; « voyez cette affectation de prêter aux régéné-o rateurs de l’Empire le caractère atroce des an-« ciens persécuteurs des chrétiens; voyez ce « sacerdoce méditant sans cesse des moyens « pour s’emparer de la force publique, pour la « déployer contre ceux qui l’ont dépouillé de a ses anciennes usurpations ..... Plusieurs voix à droite : C’est faux! Plusieurs voix à gauche : C’est vrai ! « M. de Mirabeau ...... pour remonter sur le « trône de son orgueil, pour faire refluer dans « ses palais un or qui en était le scandale et la « honte; voyez avec quelle ardeur il égare les > consciences, alarme la piété des simples, effraye « la timidité des faibles, et comme il s’attache à < faire croire au peuple que la Révolution et la « religion ne peuvent subsister ensemble. « Or, le peuple finira par le croire en effet; et « balancé dans l’alternative d’être chrétien ou « libre, il prendra le parti qui coûtera le moins « à son besoin de respirer de ses anciens mal-« heurs. 11 abjurera son christianisme ; il maudira « ses pasteurs; il ne voudra plus connaître ni « adorer que le Dieu créateur de la nature et de « la liberté. Et alors, tout ce qui lui retracera le >< souvenir du Dieu de l’Evangile, lui sera « odieux; il ne voudra plus sacrifier que sur « l’autel de la patrie; il ne verra ses anciens « temples que comme des monuments qui ne » sauraient plus servir qu’à attester combien il « fut longtemps le jouet de l’imposture et la « victime du mensonge : il ne pourra donc plus « souffrir que le prix de sa sueur et de son « sang soit appliqué aux dépenses d’un culte « qu’il rejette, et qu’une portion immense de la « ressource publique soit attribuée à un sacer-« doce conspirateur. Et voilà comment cette re-« ligion, qui a résisté à toutes les controverses « humaines, était destinée à s’anéantir dans le « tombeau que lui creuseraient ses propres rni-« nistresl « Ah ! tremblons que cette supputation de l’incrédulité ne soit fondée sur les plus alarmantes vraisemblances ! Ne croirait-on pas que tous ceux qui se font une étude de décrier comme attentatoire aux droits de la religion, le procédé que vos représentants ont suivi dans l’organisation du ministère ecclésiastique, ne croirait-on pas qu’ils ont le même but que l’impie, qu’ils prévoient le même dénouement, et qu’ils sont résolus à la perte du christianisme, pourvu qu’ils soient vengés, et qu’ils aient épuisé tous les moyens de recouvrer leur puissance, et de vous replonger dans la servitude? {Tumulte à droite. Applaudissements à gauche.) 239 M. l’abbé llaury sort; plusiei.rs membre du clergé le suivent. M. de Mirabeau. C’est à dire que la seule différence qui distingue ici la doctrine irréligieuse de l’aristocratie ecclésiastique, c’est que la première ne souhaite la ruine de la religion que pour rendre plus sûr le triomphe de la Constitution et de la liberté, et que la seconde ne tend à la destruction de la foi, que dans l’espoir de la voir entraîner dans sa chute la liberté et la constitution de l’Empire. L’une n’aspire à voir la foi s’éteindre parmi nous qu’en croyant qu’elle est un obstacle à la parfaite délivrance des hommes; l’autre expose la foi aux plus grands dangers dans le dessein de vous ravir ce que vous avez reconquis de vos droits, et de jouir encore une fois de votre abaissement et de votre misère. Enfin, l’une ne hait dans la religion que ce qui paraît y consacrer des principes favorables aux tyrans, et l’autre la livre volontairement à tous les hasards d’un choc dont elle attend le retour de la tyrannie, et la renaissance de tous les désordres. Ainsi, l’esprit d’humanité qui se mêle aux entreprises de l’incrédulité contre l’Evangile, en adoucit et en fait, en quelque sorte, pardonner la témérité et l’injustice. Mais comment pourrait être excusé notre sacerdoce du mal qu’il fait à la religion, pour renfoncer les hommes dans le malheur, et recouvrer une puissance dont la privation soulève toutes ses passions, et contrarie toutes ses habitudes? O vous qui êtes de bonne foi avec le ciel et votre conscience! pasteurs, qui n’avez balancé jusqu’à ce jour à sceller de votre serment la nouvelle constitution civile du clergé que par l’appréhension sincère de vous rendre complices d’une usurpation, rappelez-vous ces temps anciens où la foi chrétienne, réduite à concentrer toute sa majesté et tous ses trésors dans le silence et les ténèbres des cavernes, tressaillait d’une joie si pure, lorsqu’on venait annoncer à ses pontifes austères et vénérables le repos du glaive de la persécution; lorsqu’on leur apprenait la fin d’un règne cruel, et l’avènement d’un prince plus humain et plus sage ; lorsqu’ils pouvaient sortir, avec moins de frayeur, des cavités profondes où ils avaient érigé le"urs autels, pour aller consoler et affermir la piété de leurs humbles disciples, et laisser jaillir de dessous terre quelques étincelles du flambeau divin dont ils gardaient le précieux dépôt. Or, supposons que l’un de ces hommes vénérables, sortant tout à coup de ces catacombes antiques où sa cendre est confondue avec celle de tant de martyrs, vienne aujourd’hui contempler au milieu de nous la gloire dont la religion s’y voit environnée, et qu’il découvre d’un coup d’œil tous ces temples, ces tours qui portent si haut dans les airs les éclatants attributs du christianisme, cette croix de l’Evangile qui s’élance au sommet de tous les départements de ce grand Empire. . . . quel spectacle pour les regards de celui qui, en descendant au tombeau, n’avait jamais vu la religion que dans les antres des forêts et des déserts! quel ravissement ! quels transports! Je crois l’entendre s’écrier, comme autrefois cet étranger à la vue du camp du peuple de Dieu: O Israël! que vos TENTES SONT BELLES! Ô JACOB! QUEL ORDRE, QUELLE MAJESTÉ DANS VOS PAVILLONS !... Calmez donc, ah! calmez vos craintes: ministres du Dieu de paix et de vérité, rougissez de vos exagérations incendiaires, et ne voyez plus 240 [14 janvier 1791. J [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. notre ouvrage à Iravers vos passions. Nous ne vous demandons pas de jurer contre la loi de votre cœur ; mais nous vous demandons, au nom du Dieu suint qui doit nous juger tous, de ne pas confondre des opinions humaines et des traditions scholastiques, avec les règles inviolables et sacrées de l'évangile. S’il est contraire à la morale d’agir contre sa conscience, il ne l’est pas moins de se faire une conscience d’après des principes faux et arbitraires. L’obligation de faire sa conscience est antérieure à l’obligation de suivre sa conscience. Les plus grands malheurs publics ont été causés par des hommes qui ont cru obéir à Dieu et sauver leur âme. Et vous, adorateurs de la religion et de Ja patrie, Français, peuple fidèle et généreux, mais fier et reconnaissant ! voulez-vous juger les grands changements qui viennent de régénérer ce vaste Empire ? contemplez le contraste de votre état passé et de votre situation à venir. Qu’était la France il y a peu de mois ? Les sages y invoquaient la liberté; et la liberté était sourde à la voix des sages. Les chrétiens éclairés y demandaient où s’était réfugiée l’auguste religion de leurs pères; et la vraie religion de l’Evangile ne s’y trouvait pas. Nous étions unenation sans patrie, un peuple sans gouvernement, et une église sans caractère et sans régime. M. Camus. On ne peut pas entendre cela, on a mis là des abominations qu’on ne peut écouter de sang-froid ; je demande l’ajournement et le renvoi au comité... 11 faut lever la séance. (Tumulte.) M. de Mirabeau. 11 n’y avait de régulier et de stable parmi nous que la déflagration de tous les vices, que le scandale de toutes les injustices, que le mépris public du ciel et des hommes, que J’extinciion totale des derniers principes de la religion et de la morale. Quel pays que celui où tout se trouve à la disposition absolue de quelques hommes sans frein, sans honneur et sans lumières, et devant qui Dieu et le genre humain sont comptés pour rien ! et quelle révolution que celle qui fait succéder tout à coup à ce désordre un spectacle où tout se place et s’ordonne selon 1 ancien vœu de la nature, et où l’on ne voit plus dissonner que la fureur impuissante de quelques âmes incapables de s’élever à la hauteur d’un sentiment public, et faites pour rester dans la bassesse de leurs passions personnelles ! Français 1 vous êtes les conquérants de votre liberté, vous l’avez reproduite au sein de ce vaste Empire par les grands mouvements de votre courage; soyez-en maintenant les conservateurs par votre modération et votre sagesse. Répandez autour de vous l’esprit de patience et de raison ; versez les consolations de la fraternité dans le sein de ceux de vos concitoyens à qui la Révolution a imposé de douloureux sacrifices; et n’oubliez jamais que, si la régénération des Empires ne peut s’exécuter que par l’explosion de la force du peuple, elle ne peut non plus se maintenir que dans le recueillement des vertus de la paix. Songez que le repos et le silence d’une nation victorieuse de tant d’efforts et de complots dirigés contre son bonheur et sa liberté, sont encore la plus redoutable des résistances à la tyrannie qui voudrait tenter de relever ses remparts; et que rien ne déconcerte plus efficacement les desseins des pervers que la tranquillité des grands cœurs. (Les membres de la partie droite se répandent tumultueusement dans la salle; les misse portent vers le bureau, les autres vers la tribune; quelques membres du côté gauche se lèvent. — Plusieurs minutes se passent dans de vives agitations. — Différentes personnes demandent ou prennent la parole. — Un murmure général étouffe leurs voix.) M. Régnant! (de Saint-Jean-