[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 octobre 1789.] 611 n’aperçoit point de formes. L’édit de 1749 lui-même n’a pas prononcé l’inaptitude du clergé à �être propriétaire ; il n’a voulu qu'arrêter l’accaparement des propriétés. On dit qu’il importe de multiplier les mutations; est-il des propriétés qui changent plus rapidement de main ? Tous les vingt ans il y a mutation. On prétend favoriser l’agriculture; est-il des terres mieux cultivées que les nôtres? On assure qu’on augmenterait, qu’on doublerait les revenus des hôpitaux, des collèges, etc., en vendant leurs biens au denier 30. Eh 1 qui voudra acheter si vous mettez pour 2 milliards de biens ►en circulation? Les capitalistes trouvent plus de prolit au mouvement de leurs fonds que dans l’acquisiliou des terres. Comparez les provinces où l’Eglise possède des biens, vous verrez quelles sont les plus riches ; comparez celles où les ecclésiastiques ont peu de �propriétés, vous verrez que la terre s’ouvre à regret pour récompenser les bras languissants de �peux qui la cultivent sans amour. w Le prix croissant du pain, l’augmentation du numéraire, la banque nationale, tout apprend ' aux corps qu’ils ne pourraient subsister s’ils n’avaient qu’un revenu pécuniaire. M. Necker, avec une adresse particulière, a proposé en 1780 une loi qui permettait aux hôpitaux ue vendre leurs biens, et d’en placer sur le Roi le produit, qu’il payerait annuellement, soit en grain, soit en argent. Ce projet était un peu plus favorable que celui de M. d’Autun ; malgré tout, aucun hôpital na vendu, et les bons citoyens ont applaudi à leur zèle. M. le comte de Mirabeau vous a proposé de consacrer le principe, sans s’occuper des conséquences. Je m’honore d’avoir à combattre un tel adversaire; mais je ne lui répondrai que quand id’Assemblée nationale sera devenue une école de métaphysiciens. Il ne veut pas qu’on discute les conséquences; mais si elles sont funestes, dangereuses, il faut donc laisser de côté le principe. Au surplus, M. le comte de Mirabeau, dans son syslème, rempli de paralogismes, dit que les fondations ont été faites par le culte. Non, jamais le clergé n’a été salarié, et toutes les fondations ont été particulières; vous ne pouvez pas plus vous ''en emparer que le parlement d’Angleterre ne peut s’emparer de l’électorat de Hanovre. Le préopinant a déclaré qu’il n’y avait aucune loi qui autorisât les fondations. Qu’il lise les capitulaires : Quidquid ecclesia possidet, in illius ditione maneat res possessa , etc., etc. S’il y a trop de bénéfices simples, comme je le reconnais, il faut y remédier; pour remédier aux i-abus d’un corps, il n’est pas nécessaire de l’étouffer. Il existe des monastères sans religieux; mais en les a fait retirer pour doter des hôpitaux. Pourquoi dépouiller les curés qui ont plus de 1,2UÜ livres? pourquoi dépouiller les ecclésiastiques que vous appelez riches, et qui n’étaient que les distributeurs de ces richesses, qui assistaient les pauvres, les orphelins, qui faisaient des avances aux laboureurs? La France vous de-amande d’améliorer le sort des curés congruistes, et non d’appauvrir ceux qui jouissent légalement fl’une dotation plus opulente. Au surplus, il faut respecter les fondations. M. de Mirabeau dit oui; je réponds que le culte n’a jamais été payé par la nation. Il n’y a pas de fondations publiques, mais des fondations particulières. Les fiefs sont des donations des rois; si -l’on peut s’emparer des biens du clergé sous ce prétexte, pourquoi respecterait-on les fiefs ? S’il y a trop de bénéfices simples, il faut en diminuer le nombre; mais cette réduction partielle n’est pas une raison pour opérer une destruction totale. Le talent de régénérer ne sera-t-il donc que l’art malheureux de détruire? Vous l’avez dit vous-mêmes avec amertume, vous êtes environnés de ruines, et vous voulez augmenter les décombres qui couvrent le sol où vous deviez bâtir. Tout est en fermentation dans le royaume, nos provinces sont assemblées ..... Est-ce en faisant sans cesse des victimes que vous voulez opérer le bien public? Déjà vous êtes réduits à empêcher les citoyens de s’assembler ..... (Violents murmures.) Le plus terrible despotisme est celui qui prend le masque de la liberté. M. Thouret. J’ai brigué l’avantage de répondre à M. l’abbé Maury, parce qu’il m’a fait l’honneur de me distinguer particulièrement; il m’a accusé, dans sa très-antipatriotique et très-pompeuse péroraison, d’avoir arrangé des phrases; je ne m’attribue pas ce mérite; l’honneur en reste, aux yeux des connaisseurs, à M. l’abbé Maury. Il m’accuse d’avoir employé des idées métaphysiques; mais en peut-on employer d’autres sur le clergé, sur des corps qui, par une fiction, partagent les droits des individus? M. l’abbé Maury m’a-t-il réfuté? Je ne le pense pas. Si je suivais le plan qu’il a tracé, nous serions toujours hors de la question; il a posé en question ce qui lui incombait à prouver. J’ai soutenu que la nation avait le droit de décréter que la propriété des biens du clergé appartient à l’Etat, qu’il était utile que ce décret fût porté. Qu’a dit M. l’abbé Maury contre ce droit ? Que la nation n’a pas le droit de violer la propriété : cela est imposant, mais ce n’est qu’un sophisme. Il prétend que je n’ai pas prononcé positivement contre la propriété du clergé; je me suis expliqué, et je m’explique nettement : le corps du clergé n’est pas propriétaire. J’ai distingué les corps et les individus; c’est là ce que M. Maury appelle de la métaphysique; mais je ne sais si les corps moraux qui n’ont qu’une existence idéale, peuvent être définis par d’autres mots que ceux qui leur sont propres ..... Ces corps n’existent pas par eux, mais par la loi, et la loi doit mesurer l’étendue dans laquelle elle leur donnera la communication des droits des individus. Tous les corps ne sont que des instruments fabriqués par la loi pour faire le plus grand bien possible. Que fait l’ouvrier, lorsque son instrument ne lui convient plus ? il le brise ou le modifie. Je n’en dirai pas davantage, parce que M. l’abbé Maury a rempli son discours d’idées incohérentes et nullement relatives à cette question. Je ne suis entré dans aucun détail sur l’emploi des biens du clergé ; je ne l’ai pas dû. La motion ne porte que sur le principe, et il est instant qu’il soit décrété. L’heure de 2 heures étant arrivée, l’Assemblée suspend la discussion pour s’occuper selon l’usage d’affaires urgentes. MM. le baron de Landenberg-Wagenbourg, le marquis de Lancosne et Bordeaux, députés, demandent des congés pour un temps très-court et limité. Les congés sont accordés. M. Camus, président, étant incommodé, cède le fauteuil à M. Fréteau, ancien président. M. Defermon, membre du comité des rapports, rend compte à l’Assemblée d’une requête pré- 612 [30 octobre 1789. J [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. sentée par la commune et le corps municipal de la ville de Nevers, par laquelle ils dénoncent un membre de la municipalité de cette ville, accusé de malversations dans l’administration des subsistances, dont il était chargé, et demandent qu’il en soit fait une prompte et sévère justice. M. De-f'ermon fait lecture d’un projet d’arrêté, proposé par le comité des rapports, tendant à traduire l’accusé par devant le Châtelet, et à inviter le corps municipal de Nevers à continuer ses soins pour le maintien de la tranquillité publique. M. Garat aîné. Il ne faut pas prodiguer les titres d’accusation ; ce n’est là qu’un vol et les tribunaux ordinaires sont compétents ; il suffit donc de renvoyer au pouvoir exécutif, qui donnera les ordres nécessaires pour faire juger l’accusé. M. Haies. J’appuie l’amendement de M. Carat, comme étant conforme aux principes de la justice. M. le Président consulte l'Assemblée et le décret suivant est rendu : « L’Assemblée nationale, ouï le rapport d’une dénonciation à elle adressée par la commune et le corps municipal de la ville de Nevers contre un membre de la municipalité de cette ville, accusé de malversations dans l’administration des subsistances, dont il était chargé, a renvoyé l’affaire au pouvoir exécutif, pour en déférer le jugement au tribunal qui doit en connaître. » M. Target fait la motion suivante concernant l’instruction publique et l’éducation nationale (1) : Messieurs, l’Assemblée nationale exerce la plénitude du pouvoir législatif; la liberté de la nation consiste à n’obéir qu’aux lois qui lui sont données par les citoyens qu’elle a choisis elle-même ; mais c’est surtout à cet empire qui vient de la persuasion, que l’Assemblée doit aspirer. Des idées nouvelles ne sont pas toujours facilement saisies par un peuple accoutumé aux procédés du gouvernement absolu ; ou s’il vient à les détester autant qu’ils le méritent, il est à craindre qu’il n’évite pas toujours l’excès contraire. Quel est le préservatif de ces dangers qui bordent la route que nous avons à parcourir? L’instruction ! C’est la législation des esprits ; elle tait descendre sur le peuple la sagesse de ses représentants; elle éclaire quand la loi commande; elle plie les mœurs; elle accommode les idées aux besoins de la révolution; elle donne aux décrets qu’il faut observer, la puissance des pensées que l’esprit humain produit de lui-même et qu’il embrasse comme son propre ouvrage; enfin, dans le temps des intrigues, des fausses rumeurs, des séductions accumulées, des maximes pernicieuses, c’est l’instruction qui doit venir au secours de la vérité outragée et ramener la paix : elle renverse également les projets des esclaves et des despotes. Le moment est donc venu où notre premier devpir est d’instruire. Il ne faut point ici de hautes conceptions ni de principes métaphysiques. Nous avons besoin du ton simple et familier de la vérité qui persuade en se montrant et qui se rend visible à tous les yeux. Les représentants de la nation n’ont pas de plus beau ministère à remplir, puisqu’il est le plus utile. L’Assemblée nationale n’y perd rien en respect, elle y gagne beaucoup en amour. Voici mon projet de décret : « L’Assemblée nationale arrête que le comité de rédaction fera choix de cinq de ses membres, lesquels seront chargés de rédiger sur chacun de! décrets importants de l’Assemblée, de soumettre à son jugement, de faire ensuite imprimer à un très-grand nombre d’exemplaires, publier et distribuer, dans tout le royaume, des instructions simples, précises et familières, dans lesquelles les principes seront mis à la portée de tous, et la� sagesse des décrets rendue sensible. « L’Assemblée arrête également que les mêmesg commissaires prépareront un plan d’éducation nationale et d’instruction publique, et qu’ils en communiqueront avec les membres du comité de Constitution, pour porter ensemble ce travail au degré de perfection dont il est susceptible. » M. Le Chapelier. J’observerai sur cette mo-'1 tion qu’il est infiniment dangereux de faire soi-même le commentaire de sa loi, et que les com� mentaires attaquent toujours et détruisent souvent les lois. ‘ 1 M. Garat aîné. Je l’avoue, les commentaires des commentateurs étrangers à la loi sont destructeurs de la loi; ou ils ne la connaissent pas]- ou ils cherchent à égarer plutôt qu’à instruire. Mais lorsque les commentateurs sont les législateurs eux-mêmes, peut-on conserver ces craintes? Instruire les peuples et les conduire à l’obéissance par la raison, c’est leur rendre le plus grand de tous les services. M. Mo u gin s de Roquefort. Je demande qu$ la motion soit divisée et que l’Assemblée statue sur la partie qui concerne le plan d’éducation nq* tionale. M. de Montlosier. La motion est aussi inutile que dangereuse. Il n’y a pas lieu d’y donner suite. M. le Président consulte l’Assemblée, qui décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer quant à présent. A M. le marquis de Rostaing, l’un des secrétaires, a présenté un extrait du procès-verbal de l’Assemblée nationale, du 29 octobre, revêtu du1 sceau de l’Assemblée, renfermant la mention d’une adresse du clergé de Dax, qui contient des protestations contre le décret de l’Assemblée nationale du 11 août, quoique dans le procès-verbal qui a été lu, il ne soit rien dit de cette adresse. M. de Rostaing a dit l’avoir reçu des mains d’un des commis du secrétariat : celui-ci ayant été appelé, il a été reconnu que l’erreur avait été occasionnée parce que la notice des adresses qui devait être lue à la séance du 29 octobre était restée parmi les papiers de cette séance, quoique la lecture n’en ait pas été faite. . « L’Assemblée a ordonné la suppression du faufl extrait, et cependant que les commis ne pourront donner communication ou copie des procès-vt#- baux, décrets ou papiers, sans un ordre des secrétaires de l’Assemblée nationale, et que sorc imprimeur n’imprimera aucun acte émané d’elle, sans en avoir reçu l’ordre du président ou des secrétaires. » :A M. le Président lève la séance, après avoir (1) Le Moniteur ne fait que mentionner la motion de M. Target.