453 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 juin 1791.] dans la première partie qu’une disposition sévère contre les conseillers de l’évasion du roi. Le devoir des représentants de la nation les oblige à agiter une question plus importante. Vous la pressentez tous; je ne veux pas la développer, et ]’en demande l’ajournement. Vous avez reconnu avec sagesse que vous ne devez pas supposer des intentions coupables contre la personne du roi. Les mesures que vous avez déjà prises sont suffisantes. Depuis cet événement, le peuple a montré une conduite si sage, si imposante, qu’il est impossible de ne pas se reposer sur sa modération. Ce serait lui faire injure que de ne pas regarder comme suffisantes les précautions déjà prises. Je finis en disant que prévoir un désordre qui ne peut exister, c’est faire naître le danger. M. Rewbell. Ma première observation porte sur les mots de : traîtres à la nation. Pourquoi ne pas trancher le motet qualifier ce délit? Mettez : criminels de lèse-nation, sans quoi vous n’aurez ni délit, ni tribunal. Il vous faudra un autre décret. En second lieu, je remarque le mot : enlèvement. Je ne conçois pas comment, dans cette Assemblée... (Murmures.) Comment, Messieurs, après notre expérience, n’oserons-nous donc jamais dire la vérité? Et c’est pour ne savoir pas la dire jusqu’à présent que nous avons mis la France au bord du précipice. (Applaudissements.) Le mot d’enlèvement est déplacé pour tous les membres de l’Assemblée qui ne sont pas complices de l’évasion. (Applaudissements.) La dernière phrase de l’article est encore bien plus importante. Le roi doit revenir, Messieurs; sans doute nous devons protéger son retour; mais retranchez ces mots de : réunion aux représentants de la nation. Je n’en dirai pas davantage; car quiconque ne m’entend point est indigne d’être Français. (Applaudissements.) Je n’ai plus rien à dire, je demande l’ajournement. M. de Toulongeon. Sans doute, Messieurs, nous n’oublions pas que nous allons écrire une grande page de l’histoire de la nation, et transmettre à la postérité de grandes circonstances, dont peut-être l’histoire du monde ne donne pas d’exemple, ou du moins que nous donnerons celui d'une comparaison honorable par les rapprochements qui pourraient se faire, et qu’ont fourni les événements précédents chez d’autres peuples. Nous sommes placés bien favorablement ; car il est beau à des vainqueurs de ne pas vouloir tout ce qu’ils peuvent. (Bruit.) M. Rewbell. Vous ne l’êtes pas encore. M. de Toulongeon. Toutes les dispositions du projet de décret sont également dignes de l’Assemblée et du peuple français. Elles sont justes, en ce qu’elles ne préjugent rien. On dit, dans le décret qui vous est proposé, que le roi doit venir se réunir aux représentants de la nation, parce que la loi n’a encore rien prononcé de contraire, et qu’on ne juge point sans des formes, sans avoir vu, sans avoir examiné. Un membre à gauche : Et son manifeste, Monsieur? (Murmures.) M. le Président. Messieurs, l’importance de la délibération exige le plus profond silence. M. Rabaud-Saint-Etienne. Je demande l’ajournement. On veut nous faire préjuger en un instant, et sans réflexion, dix questions des plus importantes. (Vifs applaudissements.) M. Boissy-d’Anglas. Nous ne sommes ici en ce moment que pour des dispositions provisoires. La longueur de nos travaux influe sur nos forces, et la question que l’on agite me paraît d’une telle importance, que je crois devoir en demander l’ajournement à une séance du matin. (L’Assemblée décrète l’ajournement du projet de décret de M. Thouret.) La séance est suspendue à sept heures ; elle est reprise à sept heures et demie. M. Alexandre de Beauharnais, président , prend le fauteuil. M. le Président. M. de La Grange, lieutenant général des armées, désirerait prêter le serment avant de se rendre à sa destination. (Oui! oui!) M. de La Grange est introduit à la barre. M. le Président lit la formule du serment. M. de La Grange. Je le jure I (Applaudissements.) M. le Président. Plusieurs députés suppléants à l’Assemblée nationale qui se trouvent fonctionnaires publics militaires demandent également à prêter le serment à l’Assemblée. (Oui! oui!) MM. Pnget, de Barbantano, Bory, Duval-Monville et de 'Valence, députés suppléants, prêtent le serment. M. Dnpont (de Nemours) fait lecture de la suite du procès-verbal de la séance permanente commencée le 21 juin 1791. M. le Président. Une députation de la garde na tionale parisienne demande à prêter le serment. (Oui! oui!) (La députation, ayant à la tête M. de Lafayette, son commandant, est introduite dans la salle.) M. de Lafayette prend la parole et dit ; « Messieurs, « Vous voyez devant vous des citoyens qui n’ont jamais mesuré qu’aux besoins delà patrie le dévouement qu’ils lui doivent. <> Ils défendirent la liberté naissante contre les premières conspirations qui l’attaquèrent; ils se rallient plus étroitement encore autour d’elle dans ces jours où des dangers imprévus l’ont menacée. Que nos ennemis apprennent enfin que ce n’est ni par la multiplicité, ni même par la grandeur de leurs complots, qu’ils étonneront des hommes aux yeux de qui les derniers événements n’ont été que ce que doivent être pour un peuple libre des mouvements qui ne compromettent point ses lois. « Recevez, Messieurs, de ces soldats éprouvés par de grandes circonstances, la nouvelle assurance d’un dévouement auquel la France se confiera. Croyez que ceux-là seront fidèles à la nation qui, dans ces temps de troubles, ont su maintenir l’ordre public, ne craindre que pour la liberté, et qui vous répondent encore et de l’un et de l’autre ; et s’il est vrai que nos enne- 454 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 juin 1791.] mis ne soient que plus aigris et de leurs plans déconcertés, et surtout de celte calme fierté du peuple, qui fait leur désespoir, hâtez-vous de diriger vers les lieux que pourraient menacer leurs projets, ceux qui ont su les braver, et que les premiers soldats de la liberté soient des premiers à repousser les soldats du despotisme. « (Vifs applaudissments.) M. le Président répond : « Messieurs, « Après avoir donné le premier exemple à toutes les gardes nationales du royaume, et après avoir, par cet accord unanime, assuré le succès de notre Révolution, vous avez trouvé des forces pour conserver la tranquillité publique et faire jouir la nation de la paix qui était nécessaire à l’établissement de la Constitution. La France entière sait trop ce qu’elle vous doit, pour ne pas apprécier tous les services que vous pouvez lui rendre encore ; elle a proclamé avec enthousiasme vos vertus civiques, et l’Assemblée nationale a plus d’une fois, avec intérêt, offert pour prix de vos veilles l’expression de sa reconnaissance. Elle voit sans inquiétude des événements qui peuvent rendre pénibles encore vos honorables fonctions; car, si nos ennemis oubliaient que le peuple français est libre, vous saurez leur prouver que les forces des citoyens armés pour leur liberté sont aussi inépuisables que leur courage. » {Applaudissements.) Je vais lire la formule du serment. {Il lit cette formule). (Tous les gardes nationales présents prononcent ensemble : Je le jure; ils sont remplacés par d’autres gardes nationales, mêlés de citoyens de toute classe et de tout âge, qui prêtent le même serment. Cette cérémonie, qui dure une heure et demie, a lieu au milieu des applaudissements les plus vifs de l’Assemblée et au son de la musique, qui joue alternativement les airs: Ça ira ! et Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille.) (L’Assemblée ordonne l’impression du discours de M. de La Fayette et de la réponse du Président et leur insertion dans le procès-verbal.) La séance est suspendue à dix heures et demie du soir ; elle est reprise à trois heures du matin. M. l’abbé Gouttes, ex-président, occupe le fauteuil. Un de MM. les secrétaires donne lecture des adresses suivantes, qui parviennent àl’Assemblée dans la nuit, par divers courriers extraordinaires : 1° Lettre des administrateurs du directoire du département de la Marne. Cette lettre est ainsi conçue : « Châlons, le 23 juin 1791. « Monsieur le Président, « Nous vous prions de faire part à l’Assemblée nationale que le roi et sa famille sont arrivés hier à 11 heures et demie du soir en cette ville, escortés des gardes nationales de Varennes, Clermont, Sainte-Menehoud et de tous les villages des environs, et d’une partie de celles de Châlons, qui étaient allées au-devant du roi jusqu’à Sainte-Menehould, et commandée par M. Bayon, commandant de la garde nationale parisienne. « Il a été arrêté que le roi irait coucher à Kpernay. Nous avons pourvu à tout ce qui est nécessaire à sa sûreté et à celle de sa famille, et l’Assemblée peut, à cet égard, s’en rapporter à notre zèle et au patriotisme des gardes nationales. « Nous sommes, etc. « Signé : Les administrateurs du directoire et le procureur général syndic du département de la Marne. » 2° Lettre des administrateurs du directoire du département de l'Oise , des membres du district , du tribunal et de la municipalité de Beauvais. Ils instruisent l’Assemblée des précautions prises pour maintenir l’ordre, la paix et la bonne intelligence entre les citoyens de ce département. Ils annoncent que le commandant des gardes du corps, en garnison dans cette ville, a offert les armes et les chevaux de la caserne pour faire le service qui sera jugé nécessaire, et que les gardes du corps eux-mêmes se sont présentés, pour assurer les corps administratifs de leur dévouement. Ils demandent les ordres de l’Assemblée concernant l’arrestation d’un courrier, porteur d’une lettre adressée à Mme d’Orléans, à Aumale; et de trois autres courriers, dont le premier sans passeport, chargé d’une lettre à l’adresse de M. Bour-bon-Penthièvre, à Aumale; le second, muni d’un passeport de la municipalité de Paris, se disant palefrenier de Mme d’Orléans, et porteur d’une lettre à son adresse, à Aumale; le troisième, se disant postillon de M. Bourbon-Penthièvre, muni d’un passeport de la municipalité de Paris, et porteur de deux lettres adressées à M. Drye, écuyer, et à M‘*\ échanson de M. Bourbon-Penthièvre. Ils demandent aussi des munitions pour être distribuées entre les citoyens armés. M. d’Ailly. Gomme cette dépêche vous apprend le départ de la famille de M. de Penthièvre, j’eu demande le renvoi au comité militaire et des recherches. (L’Assemblée, consultée, ordonne le renvoi de la lettre aux comités des rapports et des recherches, pour ce qui concerne l’arrestation des courriers; et au comité militaire quant à la demande de munitions.) 3° Lettre et arrêté du directoire du département d'Indre-et-Loire , de celui du district et de la muni - cipalité de Tours. Gette lettre concerne les mesures prises pour assurer, dans ce département, l’ordre et la paix, et la conservation des propriétés, pour rallier tous les citoyens autour de l’autel de la patrie, leur rappeler le respect et la soumission qu’ils doivent aux lois, et les armer pour leur exécution. 4° Lettre des officiers municipaux de Valenciennes. Gette lettre est ainsi conçue : « Valenciennes, le 23 juin 1791. « Monsieur le Président, « Un courrier envoyé par la section des quatre nations nous a jetés dans la plus grande douleur, en nous annonçant le départ du roi et de la famille royale. Nous avons pris toutes les mesures et les précautions que nous crûmes nécessaires pour le moment, « Nous vous prions de vouloir bien nous instruire sur la vérité de cette nouvelle affligeante ; et, si elle existe, de prendre les moyens les plus prompts, les plus sûrs pour mettre notre ville et