[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 février 1T90-] 583 quatre cents millions de valeurs mortes, comme maisons et emplacements appartenant à l’Eglise, et qu’en conséquence il faut soustraire du calcul les dix millions de rente,, représentatifs de valeur de deux cents millions de biens territoriaux et productifs. Je n’estime pas, à beaucoup près, qu’il puisse être vendu pour une pareille somme de valeurs mortes ; mais en l’admettant, la dépense, provisoirement déterminée par vos décrets, déborderait encore de six millions la possibilité des revenus du clergé, avant qu’il eût été rien attribué à l’entretien du culte et des ministres. Voilà pourtant, Messieurs, où vous mènent ces motions isolées, étendues ou divisées avec art, qui se pressent et se précipitent sans cesse avec une incroyable rapidité. Encore quelques décrets, et il ne restera plus rien de ces vastes possessions qui naguères excitaient l’envie, mais dont bientôt la déplorable dilapidation fera pitié. Dans cette triste subversion, qui pourvoira à l'entretien du culte ? Je vous laisse à juger, Messieurs, quel sera, pour la religion de nos pères, l’effet de la réaction inévitable ; et, sans l’avoir prévu, sans l’avoir voulu, vous aurez la douleur éternelle d’avoir été les instruments et les agents de sa ruine. Que diront les provinces, en voyant aboutir à ce terme la disposition des biens ecclésiastiques , que vous vous étiez attribuée pour agir, disiez-vous, d’après leurs instructions et sous leur surveillance ? Que répondrons-nous aux vertueux citoyens qui nous ont envoyés, lorsque, sur leurs foyers, devenus nos maîtres et nos juges à leur tour, ils nous demanderont le compte que nous leur devons ? Que diront-ils, lorsqu’ils auront vu les fondations de leurs pères dissipées, la religion ébranlée, les autels et les ministres dépouillés, les cloîtres ouverts et profanés, les biens de l’Eglise mis à l’encan, la subsistance des pauvres compromise, les campagnes frappées de stérilité par la suppression de ces établissements religieux qui leur donnaient la vie, en entretenant le travail et la circulation? Prévenons, Messieurs, prévenons des plaintes légitimes et des maux irréparables. Arrêtez l’im-pétuosité de vos décrets; éclairez vos consciences avant qu’on les entraîne. Le plan de votre comité n’a point de base ; il n’a calculé ni la nécessité des dépenses, ni la possibilité des ressources. La gloire du barreau ne suffit pas pour procurer cette immensité de connaissances de détails dont le régime ecclésiastique est enveloppé. Ordonnez à ceux dont la vie est consacrée à les connaître, et qui ont fait une étude particulière de les méditer ; ordonnez-leur de vous présenter des projets possibles, et dont la combinaison sache toujours allier la nécessité avec la justice. Le moment est venu de ramener la sécurité dans tous les esprits : c’est lorsque les fondations d’un grand édifice viennent dmtre posées qu’il faut surtout éviter les ébranlements. Un honorable membre vous l’a dit sagement : « Il est d’une nation qui se régénère, de ne jamais s’écarter des lois de la justice. Ce qui est juste est encore politique. Il faut que la Révolution mécontente le moins de citoyens possible. » Oui, Messieurs, la sécurité générale doit être, si je peux m’exprimer ainsi, la clef de voûte de notre constitution; seule, elle assurera mieux sa solidité que la force des légions armées et l’appareil menaçant de la guerre. Et quelles circonstances en firent jamais plus impérieusement la loi que celles où la France se trouve aujourd’hui ? Chaque jour voit crouler autour de nous quelque appui du système financier de l’Etat. Le crédit public est anéanti; la confiance a disparu; le numéraire s’est caché; la circulation est interrompue et les affaires publiques vont toujours se détériorant. Ce malheur, Messieurs, est sans doute inséparable d’une grande révolution, où la machine politique est agitée en tout sens et avec tant de violence ; mais il ne faut pas s’y tromper, il est encore plus l’ouvrage de cet ébranlement convulsif et presque continu qu’ont éprouvé à la fois toutes les propriétés. Si ce n’est pas toujours les propriétés physiques, ce sont du moins les propriétés morales du citoyen, son état, ses goûts, son libre arbitre qui sont attaqués par des motions violentes et trop souvent irréfléchies. Ah ! Messieurs, c’est assez de ruines ; sortons, sortons enfin du milieu de tant de décombres amoncelées: ce n’est pas par de nouveaux malheurs que nos finances se rétabliront, que les créanciers de l’Etat, cette classe de citoyens si nombreuse et peut-être si alarmée, pourront être payés ! Renonçons à tous ces remèdes empiriques dont l'annonce fastueuse semble promettre la vie, mais dont l’effet inévitable est de donner la mort. Ce n’est pas d’évacuer les cloîtres, c’est de remplir le Trésor public qu’il faut s’occuper, et s’occuper sans délai. Hâtons-nous d’organiser le nouveau système de finance, d’établir le niveau des dépenses, d’y proportionner les recettes, de régler la masse des contributions publiques, d’aàsurer la perception dans les provinces, et de rétablir l’ordre partout, par une autorité centrale et constitutionnelle ; voilà, Messieurs, notre devoir, notre devoir pressant, le plus pressant de tous. Le temps ne manquera point aux réformes à faire sur le temporel du clergé : car il faut qu’il en soit fait; mais bientôt peut-être le temps manquera pour remédier aux dangers imminents et à la catastrophe terrible de nos finances. Empêchons, empêchons du moins que jamais on puisse accuser d'un semblable malheur la marche incohérente de nos travaux. Pour me résumer, je pense que, conformément au décret du 2 novembre, il ne peut être rien statué sur la suppression des corps religieux que d’après les instructions des provinces; que rien, à cet égard, ne doit être exécuté que sous leur surveillance; et que la loi suprême du salut de l’Etat exige que l’Assemblée s’occupe sans délai, et dès ce moment, du rapport et de la plus prompte organisation possible du nouveau système de finances, seul remède aux maux incalculables qui menacent la fortune publique. Une partie de la salle applaudit et demande l’impression de ce discours. — L’Assembée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer. On propose de fermer la discussion. MM. de Cazalès et d’Eprémesnil s’y opposent, et réclament l’exécution du règlement qui veut qu’une motion importante soit discutée pendant trois jours. M. le Président consulte l’Assemblée, qui renvoie à demain, samedi, la suite delà discussion. Elle décide, en même temps quelle ne se séparera pas demain sans avoir porté un décret sur la première question conçue en ces termes : Les ordres religieux seront-ils abolis? Y aura-t-il des exceptions ? M. le marquis d’Estourmel, député du Cam-