[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]24 mars 1791.] 364 on veuille faire leur bonheur contre leur vœu, et leur bonheur même. Il n’y a pas un dixième des ohiciers et pas un soldat qui demandent la conservation de l'hôtel. Ce n’est donc pas sans motif que le comité a proposé la suppression d’un établissement qui ne serait plus utile qu’au gouvernement. Ce n'est pas un secret que les abominables déprédations de l’hôtel... ( Murmures et interruptions.) J’entends dire ici : ce n’est pas là la question; ailleurs, la discussion est fermée. . . Eh bien ! je dirai la vérité, si on la veut entendre. Ce n’est pas un secret que les fortunes sacrilèges faites sur la subsistance de ces malheureux; et ces abus, quoiqu’on en dise, subsisteront toujours, si l’on conserve un pareil établissement. Nous connaissons des familles qui ont gagné 100,000 livres de rente. . . ( Murmures prolongés.) M. Arthur Dillon. Je demande qu’on aille aux voix. M. Ee Chapelier. L’opinant n’est pas dans l’ordre de la discussion. M. Charles de Eameth. L’ordre de la discussion n’est pas de favoriser ici les intérêts d’une administration reconnue pour coupable. . . Ce qu’on vous propose, c’est la continuation des abus. (Murmures.) 11 est impossible que l’Assemblée prononce sur la conservation d’une administration, sans savoir comment elle sera réformée. . . Il est bien singulier que, tandis qu’au-trefois les dénonciations des abus étaient, non seulement écoutées avec patience, mais accueillies avec faveur, on murmure aujourd’hui quand je dénonce les plus horribles déprédations. ( Mouvement prolongé.) Un grand nombre de membres à droite et à gauche se lèvent pour demander à aller aux voix. Les membres de l'extrême gauche protestent vivement. M. le Président. Il est de mon devoir d’obéir à l’Assemblée et de rappeler l’opinant à la question. M. Charles de Eameth. C’est un genre de despotisme tout nouveau... M. Prieur. Monsieur le Président, je demande à vous rappeler à l’ordre. M. Dubois-Crancé, rapporteur. Puisque l’on ne veut pas entendre, je demande la permission de faire imprimer mon opinion pour me justifier et pour justifier le comité militaire. (Bruit prolongé.) Un grand nombre de membres : Aux voix ! aux voix 1 La question préalable ! M. le Président. Je mets aux voix la question préalable demandée sur l’amendement de M. Dubois-Crancé. (L’Assemblée décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur l’amendement de M. Dubois-Crancé.) Un très grand nombre de membres à droite et à gauche demandent qu’on aille aux voix sur le projet de M. Emmery. M. deUîoailleg. Je désirerais qu’on s’expliquât sur le traitement des invalides qui sortiront de l’hôtel. M. Emmery. Ce traitement sera le même que celui proposé par le comité. M. Dubois-Crancé, rapporteur. Je demande que les pensions qui seront accordées aux invalides qui voudraient sortir de l’hôtel soient réglées, non sur les décrets antérieurs qui déterminent le traitement de retraite des officiers et soldats, mais suivant la proposition du comité. (Cet amendement est décrété.) M. le Président. Je mets aux voix le projet de décret de M. Emmery. (Ce projet de décret est adopté avec l’amendement de M. Dubois-Crancé, sauf rédaction.) La séance est levée à onze heures. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU JEUDI 24 MARS 1791. Opinion de M. d’Estonrmel, député du Cambrésü , département du Nord, sur le projet de décret concernant l’hôtel des Invalides (1). Messieurs, le projet qui vous est soumis présente des dispositions qui méritent d’être discutées avec la plus grande attention ; quand il s’agit de réformer un établissement aussi intéressant que celui de l’hôtel des Invalides, établissement qui a servi de modèle aux différentes puissances de l’Europe, il faut également se garantir, et du prestige de l’éloquence qui entraîne les applaudissements, et de l’abus de l’éloquence qui excite les improbations. Si on peut rappeler l’établissement des Invalides à son ancienne institution, corriger les abus qui se sont successivement introduits dans sort administration, ce parti n’est-il pas cent fois préférable à la suppression qui vous est proposée par votre comité militaire? Ne perdons pas de vue, Messieurs, les dispositions consignées dans l’édit du roi, de 1674. Ces dispositions portent l’empreinte du grand monarque qui les a adoptées ; leur lecture vous convaincra du désir qu’il avait d’empêcher à jamais les abus de s’y glisser. Ces abus ont été tellement sentis que, dans le supplément d’instruction rédigé par le conseil de la guerre le 16 juin 1788, pour les inspecteurs divisionnaires, le roi, en fixant le nombre des hommes qui pourront être proposés, dans la présente année, pour l'hôtel des Invalides, défend aux chefs de division d’outrepasser ce nombre, l’intention de Sa Majesté étant d’opérer successivement une réduction dans le nombre des invalides, soit à l’hôtel, soit détachés. Le nombre des invalides, tant officiers que sous-ofliciers et soldats établis à l’hôtel, s’élève en ce moment à 3,000 hommes , dont 400 et La discussion a été fermée avant que j’aie pu obtenir la parole. Je crois, et comme militaire et comme citoyen, devoir rendre publique l’expression démon vœu. (Note de l’auteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mars 1791.] 365 quelques officiers. On y en compte plus de 1,100 depuis l’âge de 70 jusqu’à 90 ans et au-dessus. Le nombre des infirmes blessés et décrépits s’élève à près de 1,500. Je doute que, dans ce nombre, aucun préfère à l’existence de l’iiôtel le traitement proposé par le comité. Les plaintes qui peuvent être faites contre l’admiaistration émanent donc uniquement du surplus, gens inconstants, et à qui le prestige du changement et de l’indiscipline, qui malheureusement a gangrené une partie de l’armée, a été inoculé; et certes, j’en suis d’autant plus convaincu, que pareille idée est bien loin du spectacle touchant que présentent ces anciens militaires, lorsque, prosternés dans le magnifique temple que Louis XIV a élevé à la divinité, ils donnent Je plus touchant exemple de la véritable piété, et prouvent à tous ceux qui les contemplent, que le Dieu d’Israël est le Dieu des armées : Deus Israël , Deus exercituum. Votre comité, Messieurs, confond, par un étrange abus, les différentes classes admises aux Invalides. Il n’a fait aucune distinction entre ceux qui ont été admis à l’hôtel et ceux qui, ayant obtenu la vétérance, ou après 20 ans de services, se sont retirés de leur corps avec un congé absolu, et, se trouvant dans le cas de subsister avec peine, ont été, par une décision du roi, admis pour servir dans les compagnies détachées, sous la condition d’être enregistrés à l’hôtel comme invalides quand ils auraient accompli 35 ans de services. Le rapporteur du comité a cherché à vous intéresser, Messieurs, en faveur de son projet destructif, en vous exposant que par une suite du principe d’après' lequel vous avez voulu que, de grade en grade, jusqu’au dernier soldat, chacun reçût de la nation une récompense proportionnée, qui le mît à l’abri du besoin, vous aviez rappelé à jouir de ce bienfait la classe très nombreuse de ceux qui n’avaient point été récompensés d’une manière digne de leurs services. Dans une note à l’appui de cette observation, le rapporteur cite, Messieurs, le sieur Dufort, lieutenant-colonel retiré en 1775, après 44 ans de services et 17 campagnes dans la gendarmerie, et porté dans la première liste des pensions recréées en faveur des septuagénaires pour 4,000 livres au lieu de 355 livres. Si votre rapporteur, Messieurs, avait approfondi cet article, il aurait su que, le 31 mai 1775, le roi, sur le compte qui lui avait été rendu des services de M. Dufort, et de l’impossibilité où ses infirmités le mettaient de les continuer, lui avait accordé pour retraite l’hôtel des Invalides avec le traitement de lieutenant-colonel. Il aurait su que le roi, sur le compte qui lui avait été rendu des services de M. Dufort, le 19 juin 1776, avait bien voulu lui accorder une pension de 200 livres, dont son intention était qu’il jouît, en sus du traitement de lieutenant-colonel, dont il était en possession à l’hôtel des Invalides. Le sieur Dufort ayant, ainsi qu’ont fait plusieurs de ses camarades, traité avec l’hôtel, pour pouvoir se retirer chez lui, il lui a été expédié un brevet sur le Trésor royal de 355 livres, et l’hôtel lui faisait don d’un traitement tous les six mois. Il est constant, Messieurs, que l’arrangement fait par le sieur Dufort a été adopté par beaucoup d’autres officiers, qui, à l’époque où il s’est retiré, avaient préféré l’hôtel à des pensions sur le Trésor royal, qui étaient souvent arréragées de trois et quatre ans. Je ne suivrai point le rapporteur, Messieurs, dans les différents articles qu’il propose pour les éclopés et moines lais. Quel que fût le sort que vous leur fixiez dans votre sagesse, il est vraisemblable qu’ils préféreront rester à l’hôtel, la plupart d’entre eux n’ayant point de domicile, ni de parents qui veuillent prendre la charge de les soigner. Je n’abuserai point de vos moments, en réfutant le projet des 83 hospices proposés par les articles 9 et 10 du rapport, et dont certainement la dépense équivaudrait, si elle ne surpassait, celle de l’hôtel des Invalides dans l’état actuel. Il a été fait, par les ordres du roi, sous le ministère de M. de La Tour du Pin, un travail très étendu sur l’administration des Invalides; 2 de vos commissaires y ont assisté; votre rapporteur ne vous en rend qu’un compte très sommaire : je pense cependant qu’il valait bien la peine d’être mis sous vos yeux. La manie de destruction qui séduit votre rapporteur frappe jusque sur un établissement local, fait à Lunéville, pour 12 malheureux individus de la gendarmerie, n’ayant ni feu ni lieu, à qui il a été concédé une portion de l’ancienne orangerie du roi de Pologne. Je me réserve de développer les motifs qui militent pour la conservation de cet établissement, il présente d’autant moins d’inconvénients que la suppression de la gendarmerie empêche qu’il ne puisse être étendu à d’autres qu’aux usufruitiers actuels. Les idées qui vous ont été présentées hier sur les invalides de la marine, méritent, Messieurs, une grande considération. Je pense que ceux qui n’ont point de domicile pourraient être réunis dans un établissement national, celui de Marmoutier, par exemple, près de Tours, mais, sur ce point, je crois qu’il faut avoir le vœu du comité de la marine qui sera à même d’apprécier, si l’avantage qui en résulterait pour les individus, formerait augmentation de charge pour le Trésor public. Je pense aussi qu’on pourrait tirer parti d’un grand établissement, tel que celui de Lunéville, pour y réunir la portion d’invalides que leurs infirmités ne nécessiteront pas de conserver à Paris ; cet établissement aurait le double avantage de diminuer la dépense et de procurer à Lunéville un dédommagement de la perte qu’elle a faite à la mort du roi de Pologne. Je crois devoir proposer le projet de décret suivant : PROJET DE DÉCRET. « L’Assemblée nationale, ouï le rapport de son comité militaire, décrète ; « Art. l,r. L’hôtel des Invalides est conservé à t. Paris. « Art. 2. Cet établissement sera sous la sur-< veillance immédiate du ministre de la guerre, « en qualité de directeur et administrateur gé-« néral. « Art. 3. Le roi nommera six commissaires, « dont trois militaires et trois parmi les admi-« ministrateurs du Trésor public pour assister « chaque mois à la reddition des comptes de l’hô-« tel. « Art. 4. Les comptes de recette et de dépense « seront rendus publics tous les ans par la voie « de l’impression.