[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 novembre 1790.] 285 votre comité s’est d’abord arrêté à un moyen qui semblait devoir concilier l’équité qui leur est due avec l’économie des finances ; il croit indispensable de vous l'exposer. Les droits et émoluments des officiers d’amirauté sont fixés par un tarif général fait en 1770, revêtu des lettres patentes qui en ordonnent l’exécution. On assure que ce tarif est calqué sur ceux de 1677 et de 1648, de sorte que, malgré la progression du numéraire, les suppléments des finances et l’augmentation graduelle du droit des autres juridictions, les émoluments des officiers des amirautés sont restés à peu près les mêmes qu’ils avaient été fixés au siècle dernier ; ils sont d’ailleurs constatés d’une manière invariable par les registres des greffes. On concluait de cette facilité de connaître ce ue rendent les offices de l’amirauté qu’il serait gaiement facile d’établir la valeur des offices possédés à titre de succession, et on demanda que ceux des titulaires et propriétaires qui n’avaient pas personnellement acquis leur office, et qui les possédaient à titré de succession ou autres semblables, fussent remboursés sur le pied du capital au denier 20 du produit moyen et actuel de leurs offices pendant dix années, dont cinq de paix et cinq de guerre. Je dois dire que quelques membres du comité de judicature avaient adopté cette méthode d’indemnité, et peut-être, étant rigoureusement juste, avec quelques proportions, aurait-elle pu être admise, si de grandes considérations ne s’y opposaient. C’est ici le cas d’appliquer la maxime que l’intérêt général seul doit guider les législateurs ; car qui pourrait calculer l’exemple d’un pareil décret ? D’abord l’indemnité sur le pied du denier 20 du produit serait excessive; beaucoup d’officiers de l’amirauté céderaient leurs contrats pour l’obtenir de cette manière. Des lois pénales contre les recelés seraient sans effets ; car qui les dénoncerait ? Ce ne seraient pas les concitoyens des officiers d’amirauté. Mais l’inconvénient majeur serait celui que les divers officiers qui n’ont pas été soumis à l’évaluation, et dont les offices sont néanmoins uniques, pourraient facilement abuser de cette base. Tels seraient ici les ci-devant titulaires de charges de présidents, d’avocats généraux, procureurs généraux ; tels seraient encore les officiers des ci-devant provinces de Hainaut, Artois, Cambrésis et beaucoup d’autres qui n’ont pas été assujettis à l’évaluation. Un très grand nombre possèdent aussi à titre de succession ou d’arrangement de famille. Ces offices ne pouvant d’ailleurs être évalués sur le pied de ceux du même genre, notamment ceux d’avocats et procureurs généraux, il résulterait donc d’une loi de ce genre un vague, un arbitraire qui gênerait la liquidation et qui donnerait un vaste champ à l’intérêt personnel. D’un autre côté, n’y aurait-il pas de l’exagération à estimer la valeur d’une charge sur le montant des émoluments qui étaient perçus par le titulaire pour son exercice? Mais les émoluments étaient le prix de son travail bien plus que l’intérêt de la finance. Vous n’avez pas voulu mettre les officiers de judicature au pair du produit de leurs offices, mais vous n’avez voulu leur rendre que ce qu’ils ont déboursé; et qui oserait vous assurer qu’eu adoptant un mode de ce genre, même au taux le plus modique, il n’en résulterait un excès dans l’indemnité dont l’Assemblée nationale ne peut ni ne doit encourir le reproche de la part des peuples? Ces motifs, Messieurs, ont déterminé votre comité : on ne doit aux officiers qui ont évalué que le prix de leur évaluation; on ne doit à ceux qui n’ont pas été soumis à l’évaluation que le prix de leur contrat; on ne doit à ceux qui n’ont pas de contrat que le prix des finances versées au Trésor public. On ne peut ni s’accommoder, ni se plier aux circonstances particulières ou aux plus grands intérêts des individus ; c’est l’intérêt général qui doit dicter la loi; et, quand des intérêts isolés et locaux peuvent non seulement la rendre nuisible, mais en altérer la simplicité, il faut que le Corps législatif résiste à ce penchant naturel de désintéresser entièrement l’homme qui perd une partie de sa fortune. Le bien de tous est ce qui doit dicter ses décrets; c’est par cps motifs que votre comité a été unanimement d’avis de vous proposer le projet de décret suivant : «L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport du comité de judicature, décrète ; Art. 1er. « Les offices d’amirauté soumis à l’évaluation prescrite par l’édit de 1771 seront liquidés conformément à l’article 1er du titre Ier du décret du 12 septembre dernier. Art. 2. « Les titulaires ou propriétaires d’offices de l’amirauté de France et des autres amirautés, qui ne seraient pas soumis à l’évaluation, seront remboursés sur le pied de leurs contrats authentiques d’acquisition et autres titres translatifsde propriété, et, à leur défaut, au montant des quittances des finances et supplément d’icelles .» M. Ricard, député de Toulon. L’Assemblée nationale, en décrétant le mode de liquidation des offices de judicature, a adopté les principes d’équité qui lui ont été présentés par son comité. Ce comité a exposé qu’il serait juste de donner aux propriétaires actuels des offices la valeur réelle de ces offices, et on a senti combien il serait injuste, en privant ces magistrats de leur état, de leur enlever une portion de leur propriété, et d’employer pour cela les moyens de forme et les subtilités fiscales que l’on a mis si souvent en usage sous l’empire du pouvoir arbitraire. Les évaluations ordonnées par l’édit de 1771, et faites librement par les propriétaires des offices de magistrature, donnaient, pour la plupart des offices, un moyen sûr d’apprécier leur valeur réelle ; c’est le mode que l’Assemblée nationale a adopté. Presque toutes les charges de judicature ayant été soumises à cette évaluation, ce moyen est assez général pour remplir l’objet qu’on avait en vue; mais on a reconnu que quelques propriétaires pouvaient avoir négligé de faire ces évaluations ; on leur a laissé la ressource de constater la valeur de leurs offices par les contrats d’acquisition. Mais quoique l’édit de 1771 pour l’évaluation des offices fût très général, il contenait cependant quelques exceptions ; les principales et les plus remarquables étaient relatives a des compagnies nombreuses dont les offices avaient une valeur commune et uniforme. On a pu trouver un moyen de la constater par le prix ae ceux de ces offices dont la vente aurait été la plus récente; cette disposition adoptée par le décret prouve bien encore l’intention de liquider et payer aux propriétaires la vraie valeur actuelle de leurs offices, Une exception particulière s’est présentée. Les