66 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE aucune d’elles ne se concertant pour les réquisitions, leurs agents respectifs ont opéré sans ordre, sans mesure et sans intelligence, de manière que différents objets ont été requis par plusieurs commissions à la fois ; d’où il est souvent résulté l’embarras, l’inquiétude, la ruine et le découragement des propriétaires, colons, manufacturiers ou fabricants, et souvent aussi la perte, l’avarie ou la dissipation des matières mises en réquisition. Je pourrais citer des exemples, mais je crois inutile de retracer sans cesse l’image douloureuse et attristante des abus et des fautes qui ont été commises, puisque vous vous occupez des moyens de les réparer. J’insisterai cependant à vous rappeler sans cesse les motifs qui doivent exciter vos réflexions sur les vices de l’organisation de vos commissions exécutives, et particulièrement sur l’isolement dans lequel elles se trouvent les unes à l’égard des autres. Nous savons tous que, lorsque le plan de leur organisation fut présenté à la Convention, on était loin de redouter les projets désastreux et liberticides des derniers conspirateurs; mais, d’après la funeste et malheureuse expérience que nous avons faite de leur hypocrisie et de leur fureur, il doit être suffisamment démontré que les conspirateurs avaient accommodé à leur système contre-révolutionnaire l’essai de ce plan d’administration, qui n’avait été proposé dans le temps que dans des vues d’utilité générale, et parce qu’il fallait effectuer la réforme de l’ancien conseil exécutif; et cependant on peut dire encore qu’avant l’époque mémorable où vos comités ont été chargés de la surveillance des douze commissions, plusieurs d’entre elles étaient passivement exécutives sous la volonté audacieuse et entreprenante des conspirateurs, et qu’elles ressemblaient à douze chartreuses, dont ils avaient essayé de ravir la clef pour en enlever les trésors. Si, au lieu d’une organisation aussi impolitique qu’elle pouvait devenir désastreuse et funeste à la liberté, les commissions eussent eu des relations entre elles, sous l’inspection immédiate des comités qui auraient dû toujours être chargés de leur surveillance, pensez-vous que nous fussions arrivés jusqu’ici sans avoir remédié à l’abus qu’on a fait des réquisitions; sans que ces commissions eussent proposé des mesures pour assurer les approvisionnements, utiliser, économiser les transports par terre et par eau, rétablir les grandes routes et chemins vicinaux, procurer à l’agriculture les secours qu’elle réclame, au commerce et à l’industrie leur ancienne utilité et leur énergie naturelle, soit en créant des maisons ou banques nationales dans toutes les communes de la République, où elles auraient été jugées utiles, soit en indiquant les instants propices pour faire venir de l’étranger les matières premières et autres objets qui nous manquent, etc. ? Je pense, moi, que, si le concours des lumières, des talents et de l’expérience avait été mis en action pour diriger le mouvement et l’impulsion du gouvernement, nous serions beaucoup plus avancés que nous ne le sommes, et nous aurions beaucoup moins de maux à réparer. C’est aussi pourquoi je baserai sur ces principes le décret que je proposerai à la fin de ce discours. Citoyens, vous êtes avertis des dangers et des maux qui menacent la République ; vous ne souffrirez pas qu’ils se réalisent, et que des mouvements convulsifs, nés des besoins du peuple et de son inquiétude, exposent la liberté, qui est son ouvrage et le prix de ses vertus. Vous ne souffrirez pas que la victoire rétrograde sur nos frontières, parce que vous maintiendrez la paix dans l’intérieur, et que vous empêcherez que nos ennemis ne profitent de nos divisions. Vous ajournerez toute querelle particulière, jusqu’à ce que vous ayez consolidé le gouvernement et que vous ayez pourvu aux grands objets d’administration dont je vous ai révélé les fautes et les abus. Ne dormons pas, citoyens, tant que nous ne serons pas assurés que le commerce et l’industrie ont recouvré leur activité ; que l’agriculture est florissante, que les subsistances sont bien réparties et bien administrées; que les transports par terre et par eau sont assurés, et que tout est préparé pour que l’abondance renaisse dans toute la République : et si quelqu’un de nous s’oubliait au point de vouloir ressusciter les dissensions et les personnalités qui nous ont coûté tant de perte de temps, qu’il retrace les besoins de la patrie, et qu’il lise son mandat impératif dans les vertus du peuple et sur le sol arrosé de son sang et de ses sueurs. Eh quoi, il n’est pas un coin de la terre célèbre de la Grèce et de Rome qui ne soit honoré par les cendres d’un héros ou d’un sage; et nous, nous ne serions pas dignes de nous élever aux vertus des hommes illustres qui ont honoré ce beau siècle de la liberté et de la philosophie ! Les soldats de la République ont effacé les héros de la Grèce et de Rome, leur tâche est remplie, et l’immortalité s’assied déjà sur la tombe de ceux qui ont glorieusement péri dans les combats. Il nous reste, à nous, à compléter nos travaux, et à marier la palme civique aux lauriers de ceux de nos frères que la victoire a couronnés. Embrasons-nous donc des passions sublimes qui les ont fait vaincre ou périr avec gloire ; que leur dévoûment et leur noble désintéressement nous servent d’exemple; faisons le sacrifice de tout ce qui nous est personnel; rivalisons en grandeur d’âme et en courage ces magistrats illustres et ces sages que nous avons pris pour modèles, et que les vociférations de la calomnie, que les sifflements de l’envie et les rugissements de l’ambition et de l’aristocratie soient étouffés par nos chants de victoire et par le spectacle touchant et consolateur de la paix intérieure et de la félicité publique! Voici le projet de décret : Art. 1er. - Les commissions exécutives se réuniront sous trois jours à une commission de douze membres nommés par les comités chargés de leur surveillance, pour faire, avec cette commission, le tableau de toutes les ressources SÉANCE DU 4 VENDÉMIAIRE AN III (25 SEPTEMBRE 1794) - N° 63 67 commerciales, alimentaires et industrielles, ainsi que celui des approvisionnements des armées de terre et de mer de la République. IL - Ce tableau sera suivi de l’exposé des moyens propres à revivifier le commerce et l’industrie, soit en accordant des primes de fabrication, soit en créant des bureaux ou banques de secours pour le commerce, soit en procurant de toute autre manière des fonds aux propriétaires ou aux locataires des ateliers des manufactures qui sont momentanément abandonnées ou paralysées. III. - Cette commission examinera quelle doit être la mesure des réquisitions jugées nécessaires et indispensables pour les approvisionnements des armées de terre et de mer de la République et des grandes communes ; quelle doit en être l’application, l’usage et la durée, et on cherchera à préparer l’équilibre du prix des denrées et comestibles, sur la quantité des valeurs en émission. IV. - On réglera le mouvement et le service des transports, soit par eau, soit par terre, de tous les approvisionnemnts et marchandises de la République et de ses armées de terre et de mer. V. - On indiquera quels sont les secours qui peuvent être accordés à l’agriculture, et les moyens les plus propres à rétablir promptement les haras. On pourvoira aux réparations des grandes routes et chemins vicinaux, et l’on examinera si les prisonniers de guerre peuvent être employés à ces travaux sans inconvénient. VI. - Ce travail général sera présenté à la discussion de l’Assemblée par la commission chargée de la rédiger, et cette discussion sera maintenue à l’ordre du jour, jusqu’à ce que tous les articles jugés nécessaires aient été décrétés. VII. - Il sera fait une adresse au peuple par les comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation réunis, pour l’instruire des moyens que la Convention prend pour consolider le gouvernement, ramener l’abondance des choses nécessaires à la vie et créer le bonheur public formé sur les principes de la liberté et de l’égalité. La Convention ordonne l’impression et l’ajournement (101). 63 MERLIN (de Douai) au nom du comité de Salut public : Vos comités de Sûreté générale, de Salut public et de Législation, consultés par plusieurs comités révolutionnaires de Paris, sur quelques difficultés résultantes de la loi du troisième jour des sans-culottides, se sont concertés pour les examiner et en préparer la solution. Elles se sont toutes réduites à cette question principale : les personnes arrivées depuis la pu-(101) Moniteur, XXII, 80-83. Le Moniteur situe cette intervention au 5 vendémiaire. Mention dans Débats, n" 734, 50 ; Ann. R. F., n 4; C. Eg., n° 768; J. Paris, n° 5; Mess. Soir., n° 768. blication de la loi sont-elles sujettes à ses dispositions ? Le texte de la loi est muet à cet égard, mais son esprit n’a paru à vos comités ni obscur, ni équivoque. Une foule extraordinaire d’individus, partis de tous les points de la République, s’était agglomérée à Paris, et y prenait chaque jour de nouveaux accroissements. Ce rassemblement était évidemment combiné avec les mouvements pratiqués en d’autres communes pour diviser les citoyens et les armer les uns contre les autres ; il a dû à ce seul titre exciter votre sollicitude ; et par votre décret du troisième jour des sans-culottides vous avez pris les mesures nécessaires pour le dissiper. Mais ces mesures, de quelle efficacité seraient-elles, si les individus arrivés à Paris depuis la publication de la loi pouvaient y rester, s’y réunir, s’y concerter, comme si la loi n’existait pas? Vous ne pouvez pas ignorer qu’à l’instant où vous rendiez votre décret, une infinité de personnes étaient en route pour venir à Paris grossir le rassemblement que votre sagesse et votre fermeté ont fait évanouir. Eh bien, que ces personnes arrivent, qu’elles aient la faculté de séjourner à Paris, et qu’elles soient suivies par d’autres animées du même esprit ! ne voilà-t-il pas le rassemblement recréé, la tranquillité publique une seconde fois compromise, la liberté menacée de nouveaux dangers, votre loi enfin éludée, avilie, et manquant totalement son but ? Assurément ce n’est point là ce que vous avez voulu; en faisant une loi salutaire, votre intention a été qu’elle fût exécutée ; et puisqu’elle ne peut l’être sans comprendre dans sa disposition les personnes arrivées à Paris depuis qu’elle est publiée, il est clair qu’en effet ces personnes y sont virtuellement comprises. C’est aussi ce que vos comités vous proposent de déclarer par un décret formel; et que la malveillance ne vienne pas saisir ce prétexte pour inquiéter les citoyens de Paris, en leur présentant des mesures momentanées de sûreté générale comme des moyens employés pour dépeupler cette grande commune et la priver de ses principales ressources. Les citoyens de Paris ne donneront pas dans un piège aussi grossier. Plus l’aristocratie emploie d’astuce pour les tromper plus ils déploient de lumières pour déjouer ses manœuvres ; et ils savent bien que dans toutes les circonstances la Convention nationale a exprimé fortement le vœu du peuple français pour faire de la commune centrale de la République le séjour des sciences, des arts, de l’industrie, par conséquent pour y réunir, pour y fixer à jamais tout ce qui peut rendre agréable et commode la vie d’un peuple libre, probe et laborieux. Ce vœu, n’en doutons pas, sera rempli : il le sera bientôt; et certes ce n’est pas l’éluder, ce n’est pas diminuer dans les citoyens de Paris la juste certitude qu’ils ont de le voir réaliser, que de les soustraire, et avec eux toute la France, à la guerre civile, aux malheurs, aux pillages, dont l’infâme Pitt avait préparé ici le foyer. Au surplus, vos comités ont pensé qu’après avoir éloigné de Paris, par votre premier dé-