218 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Les représentants du peuple en mission dans les départements rendront compte directement à la Convention de leurs opérations ; leur correspondance sera lue chaque jour à l’ouverture de la séance. » 5. « Les comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation réunis, présenteront dans le courant de la décade prochaine un projet de loi en forme de règlement sur la nature et la discipline des sociétés populaires, sur les pouvoirs des représentants en mission, et sur les moyens de les diriger de manière à ce que le bonheur du peuple ne puisse en être altéré. » 6. « Le rapport ordonné sur la question de savoir s’il convient de conserver, de supprimer, de réformer les commissions exécutives ou les agences, sera fait dans le courant de frimaire ». La Convention décrète l’impression, l’ajournement et le renvoi aux trois comités réunis, du discours et du projet de décret présenté par Cadroy (136). [DUBOIS-CRANCÉ propose, comme mesure additionnelle, de renvoyer aux trois comités l’examen de la question de savoir si l’on ne pourroit pas prévenir les mauvais effets de la négligence et de l’insouciance de certaines administrations, en plaçant auprès de chacune d’elles un représentant du peuple qui les sur-veilleroit. Renvoyé aux trois comités (137).] 64 Un membre [AUDOUIN] demande la parole pour une motion d’ordre: elle lui est accordée. Après un discours raisonné, il demande que la Convention nationale invite chacun de ses membres à s’occuper des lois organiques de la constitution que le peuple français, dit-il, embrassera avec transport. La Convention nationale ordonne l’impression et la distribution de la motion d’ordre faite par ce membre (138). AUDOUIN : Je crois que nous touchons à l’époque où les hommes que se sont tenus jusqu’à présent le plus isolés doivent élever la voix dans cette enceinte. La République tourmentée longtemps par les factions qui ont voulu déchirer la patrie pour s’en partager les lambeaux, attend son salut de la Convention nationale. Oui, tous les Français qui ont dans le coeur la liberté gravée, fixent leurs regards sur cette Assemblée, réunie au bruit du canon destruc-(136) Moniteur, XXII, 499-500. Débats, n° 782, 763 et n° 783, 772-775; J. Paris, n° 55; J. Mont., n° 31; Rép., n° 55; J. Perlet, n° 782; F. de la Républ., n° 55; M.U., n° 1342; J. Fr., n° 780; Ann. R. F., n° 54; Gazette Fr., n° 1047 et 1048; Ann. Patr., n° 683. (137) Débats, n° 783, 775. (138) P.-V., XLIX, 167. teur du trône, et victorieuse par ses vertus des nombreux obstacles qu’elle a rencontrés dans sa course révolutionnaire (139). Vous avez beaucoup fait, législateurs, pour arriver au but que vous vous êtes proposé, la félicité publique ; mais il vous reste encore beaucoup à faire. Votre sagesse empêchera les déchirements nouveaux que voudraient occasionner et les débris des factions, et le fanatisme expirant, et le royalisme déhonté, et l’aristocratie délirante, qui irait, si vous n’y preniez garde, jusqu’à augmenter votre puissance pour vous présenter ensuite au peuple comme usurpateurs de ses droits, vous avilir et vous dissoudre. La Convention nationale évitera ce piège, et ne perdra jamais de vue les devoirs qui lui ont été imposés. Qu’elle est grande la mission que nous avons à remplir! L’égalité, la liberté, la république démocratique sont proclamées; mais tous ces noms sublimes ne seront que des mots, tant que les lois qui dérivent naturellement de notre constitution populaire ne seront pas écrites en caractères ineffaçables. Vous avez décrété, et tous les Français ont sanctionné par leur adhésion, le gouvernement révolutionnaire : ce gouvernement doit exister jusqu’à la paix; il doit exister dans sa pureté primitive; juste envers les bons, juste contre les méchants. Mais ces drapeaux suspendus aux voûtes de vos salles, mais ces chants de victoire qui frappent vos oreilles, mais ces lauriers qui ceignent le front des intrépides défenseurs de la patrie, mais ces cris lugubres des rois humiliés ne nous annoncent-ils pas l’heure où nous devrons poser pour borne de la révolution le gouvernement républicain? O vous qui soupirez après l’amélioration de l’agriculture, vous qui appelez le commerce et les arts, vous qui demandez que le numéraire en circulation soit proportionné à vos richesses territoriales, vous qui désirez des travaux régénérateurs du sol français, vous tous, amis de l’égalité, des moeurs et de la liberté, vous verrez vos voeux remplis par la Convention nationale et par le courage des armées. Les armées ! Il me semble déjà voir ces phalanges guerrières apporter dans cette enceinte, au pied de cette arche, dépositaire du pacte social, les trophées qui attestent leurs triomphes ; il me semble entendre ces généreux républicains réclamer les lois bienfaisantes pour l’affermissement desquelles ils ont versé leur sang dans les combats. (On applaudit.) «Nous avons chassé, vous diront-ils, loin de notre territoire les satellites de la tyrannie; nous avons marché à pas de géant contre les rois et leurs esclaves; vous avez décrété souvent que nous avions bien mérité de la patrie ; nos législateurs songeaient à nos victoires : ont-ils travaillé à nous en assurer les fruits? ont-ils écrasé les ennemis de l’intérieur, tandis que (139) J. Mont., n° 31 indique « au bruit du canon du 10 août et des Autrichiens, et victorieuse des factions par sa sagesse et son courage ». Rép., n° 55, idem. SÉANCE DU 24 BRUMAIRE AN III (14 NOVEMBRE 1794) - N° 64 219 nous pulvérisions les ennemis du dehors? ont-ils donné des colonnes à l’édifice constitutionnel porté pendant deux ans sur les épaules du peuple, et préservé, par notre courage et nos fatigues, des attaques de la coalition impie armée contre la République? Jouirons-nous dans nos chaumières, au milieu de nos familles, des douceurs d’une paix honorable et solide, achetée par tant de sacrifices? Pourrons-nous glorieusement sillonner la terre que nous avons contribué à affranchir ? Pourrons-nous cultiver les arts que nous avons abandonnés pour voler à la défense de la patrie? Pourrons-nous faire fleurir le commerce après avoir moissonné des lauriers ? et la France aura-t-elle toutes les vertus après avoir combattu tous les vices?» Citoyens, que le langage de nos braves frères d’armes retentisse dans nos âmes ! que chacun de nous (après la grande affaire qui va nous occuper) emploie tout son temps, tous ses soins à servir sa patrie : que l’éducation nationale, les institutions républicaines, le code civil, le code criminel, le code militaire, le système des finances, enfin toutes les lois qui doivent être basées sur la constitution acceptée par le peuple français, deviennent notre principale étude. Repoussons par ce bel ordre de travail tous les débats qui n’ont point pour but la chose publique. Je ne suis point ici pour entrer en lutte avec les passions ou être témoin de leurs combats : je n’y ai été envoyé que pour concourir à sauver mon pays par la sagesse des lois. Consumer son temps pour le peuple, c’est la meilleure manière de répondre aux calomnies et aux chansons aristocratiques. {Applaudissements.) Le calomniateur n’avilit que lui-même ; l’aristocratie n’est brave que dans ses couplets ; et celui-là n’a rien à redouter des méchants, qui n’a rien à craindre de sa conscience. Disons franchement à ces hommes qui parlent avant le temps et d’assemblées primaires et de législature, que nous ne demeurerons pas ici un jour de plus qu’il ne sera nécessaire. Ah ! qui de nous, s’il ne consultait que son propre goût, ne préférerait pas la solitude à ce tourbillon d’affaires et d’événements dont nous sommes enveloppés ? Mais nous devons obéir au peuple : mais nous devons établir d’après la constitution de 93, la nouvelle distribution du territoire français; mais nous devons conduire le char de la révolution jusqu’au bout de la carrière qu’il a à parcourir ; mais nous devons, pendant sa course, préparer les lois conservatrices de l’acte constitutionnel, afin qu’il n’y ait aucun intervalle entre l’anéantissement du gouvernement révolutionnaire et l’établissement du gouvernement républicain. {Applaudissements.) C’est dans la discussion solennelle de ces lois que les vrais amis de la liberté apporteront à cette tribune le fruit de leurs travaux, le tribut de leurs lumières ; chacun de nous y sera entendu avec cet intérêt qu’inspire l’amour de la patrie et le désir de la rendre heureuse : le peuple satisfait sortira de nos séances en bénissant ses législateurs. Nos journées seront pleines, puisque nous aurons travaillé au bonheur de nos concitoyens et à notre propre bonheur. Pourrions-nous être heureux si le peuple ne l’était pas? Aussi, quand on me dit que tel ou tel homme, qui pourrait être utile à sa patrie, conspire contre elle, je ne puis m’empêcher de le plaindre, tout en détestant son crime. Eh quoi ! misérable, tu te donnes tant de peines pour trouver l’échafaud et l’infamie, et il te serait si aisé d’obtenir l’estime publique et une gloire durable! Sers ton pays, au lieu de machiner sa perte à laquelle tu ne parviendras pas. Eh! quand il y parviendrait, ne serait-il pas la première victime des tyrans dont il aurait embrassé la cause? Quel coin de terre reste-t-il au conspirateur? un tombeau ignominieux. Quelle récompense? les galères de la postérité. Mais écartons ce hideux tableau, ne touchons point à des plaies qui saignent encore ; oublions ceux qui ont oublié la patrie, et réunissons tous nos moyens, toutes nos forces, toutes nos intentions pour cicatriser les blessures qu’a reçues la liberté; défendons-la d’une main contre ceux qui tenteraient de défigurer son image ou de l’ensevelir tout entière sous le trône du royalisme ou sous les pieds de l’aristocratie, et travaillons, de l’autre, à cimenter la république pour laquelle tant de sang a coulé, et si pur et en si grande abondance. Citoyens, pénétrons-nous bien de cette vérité ; que les fibres du corps politique ne sont point à leur place ; de là ce malaise général que nous ressentons. Attachons-nous à laisser agir la nature dans notre législation ; attachons-nous à laisser faire au peuple tout ce qu’il peut faire par lui-même et sans danger pour la liberté publique. Presque toutes nos lois sont autant de ligaments qui serrent dans tous les sens le corps politique; occupons-nous de rompre ces entraves, plus puissantes pour la contre-révolution que les rois et leurs complices. Que tous les mouvements du corps politique soient tellement libres, tellement naturels, qu’ils concourent à lui donner cette santé forte et vigoureuse qui le rendra invincible. Ce n’est pas de cette effrayante multiplicité de lois que sortira la félicité publique : le bonheur sera dans un petit nombre de lois gravées, pour ainsi dire, par les mains de la nature. Qu’elles seront belles ces journées où, ne craignant plus de voir dans notre voisin un ennemi de la patrie, nous pourrons renvoyer chez les nations barbares le supplice des fers, et briser à jamais la hache sanglante de la mort ! ces journées où nous tirerons de notre constitution républicaine les précieuses conséquences qui en dérivent si naturellement ; ces journées où, réformant tant de lois indigestes, incohérentes, source étemelle de divisions, de déchirements, d’abus, de mécontentement ; ces journées enfin où, coupant d’une main sagement hardie toutes les lisières du peuple français, les législateurs n’auront, en quelque sorte, besoin que d’un ruban tricolore et d’un épi de blé pour faire régner dans la République la fraternité et le bonheur. Je demande que la Convention nationale invite chacun de ses membres à s’occuper des lois organiques de la constitution, que le peuple français embrassera avec transport après avoir traversé le torrent révolutionnaire et dicté aux ennemis de son indépendance une paix honorable et solide.