BAILLIAGE DE MEAUX, CAHIER Contenant les pouvoirs et instructions remis , par l'ordre du clergé du bailliage de Meaux, à son député, M. Barbou, curé d'Isle-lès-Vilnoi , et à M. l'abbé de Ruallem, chef du conseil de Mesdames, tantes du Roi, abbé commendataire de Saint-Faron de Meaux , nommé pour le suppléer aux Etats généraux , en 1789 (1). BASES CONSTITUTIONNELLES DE L’ÉTAT. Hit. 1er. L’ordre du clergé du bailliage de Meaux, considérant que, lorsque le Roi va rendre à la nation française les droits imprescriptibles qui appartiennent essentiellement à un peuple libre, ce serait mal répondre à un acte aussi mémorable de sa justice, que de retarder, par des dissensions intestines, la régénération de l’Etat, que Sa Majesté veut opérer efficacement, et que les citoyens de tous les ordres désirent depuis si longtemps. Que l’amour du bien public ne doit inspirer à tous les ordres qu’une seule volonté, celle de la prospérité générale de la nation et de la gloire de l’Etat ; que devant des considérations aussi élevées, tous les intérêts particuliers, toutes les prétentions qui pourraient troubler l’harmonie générale, doivent entièrement disparaître ; et que, dirigées avec sagesse vers le bonheur commun, toutes les facultés individuelles doivent s’unir indistinctement, sans préjugé et sans rivalité, pour assurer au gouvernement un ordre constant et invariable ; à la nation, sa prospérité et sa gloire; et au Roi, l’amour de sujets fidèles et reconnaissants. En conséquence, afin de contribuer, autant qu’il est en son pouvoir, à affermir la constitution française sur des bases solides et inébranlables, et conformément au vœu de Sa Majesté, annoncé par le résultat de son conseil du 27 décembre 1788, l’assemblée charge spécialement son député de concourir, avec les autres représentants de la nation, à faire statuer, aux Etats généraux, dans la forme la plus authentique : 1° Que les Etats généraux seront permanents, et dans le cas où la permanence ne pourrait pas avoir lieu, le retour périodique en sera fixé à l’époque la plus rapprochée, laquelle néanmoins ne pourra excéder le terme de trois ans; et qu’ils s’assembleront dans un lieu déterminé, sans qu’il soit besoin de convocation préalable, attendu que les assemblées de la nation étant proposées par Sa Majesté comme un ressort désormais nécessaire du gouvernement français, elles seules peuvent préserver le royaume de retomber dans le chaos d’où l’on s’efforce de le faire sortir. 2° Qu’afin d’imprimer aux assemblées de la nation des caractères certains d’une représentation libre et complète , il sera arrêté, qu’avant la séparation des Etats généraux, il sera fait une loi, par laquelle le nombre des députés, nécessaire (1) Nous publions ce cahier d’après un imprimé de la Bibliothèque du Sénat. lre Série, T. III pour représenter la nation, sera fixé d’une manière invariable; et que les formes des élections seront réglées d’après les principes d’une représentation libre, et de la distinction des trois ordres. 3° Qu’afin de former un lien durable entre l’administration particulière de chaque province et les délibérations générales de la nation, il sera établi, dans toutes les provinces du royaume qui n’en possèdent pas encore, des Etats provinciaux, lesquels seront constitués au sein des Etats généraux, et seront chargés de la répartition, assiette et perception des impôts. 4° Que, pour consacrer comme un principe fondamental de la constitution française le droit certain et reconnu qui appartient à la nation assemblée en Etats généraux de consentir ou octroyer les impôts de quelque nature qu’ils soient, directs ou indirects, de même que les emprunts, qui ne sont que des impôts déguisés et de les voter librement dans les assemblées nationales, aucun emprunt ne pourra être fait, ni aucun impôt être levé en France, sans que l'édit ou déclaration qui établira l’impôt ou l’emprunt ne renferme une disposition expresse du consentement de la nation assemblée; et qu’en conséquence toutes impositions établies ou prorogées par le gouvernement, sans cette condition, seront milles et illégales, et qu’il sera défendu de les percevoir, sous peine de concussion. 5» Que la durée des impôts, qui seront consentis par les Etats généraux, sera toujours limitée d’une assemblée à l’autre. 6° Qu’à la nation française, assemblée en Etats généraux, appartient essentiellement le droit imprescriptible de proposer au souverain les lois qu’elle croit nécessaires au bien du royaume, et de donner ou refuser son consentement à celles qui lui seront proposées par le souverain, sans que jamais aucun acte public puisse être réputé loi sans le consentement exprès et formel de l’assemblée nationale ; que les lois, après avoir reçu ainsi la double sanction également essentielle du souverain et de la nation, seront adressées aux parlements et aux autres cours chargées de veiller à leur exécution ; et que, pour prévenir les atteintes qui pourraient être portées à un droit qui constitue aussi essentiellement l’ordre public, il sera défendu aux parlements et autres cours d’enregistrer, publier ni poursuivre l’exécution d’aucune loi qui ne contiendrait pas la sanction expresse de la nation assemblée. 7° Que, pour confirmer aux citoyens de tous les ordres la sûreté personnelle et individuelle que chacun a droit d’attendre de la protection des lois, sous un gouvernement bien ordonné, et prévenir à jamais l’abus contre la liberté des personnes, il sera défendu qu’aucun citoyen ne puisse être privé de sa liberté, sous quelque prétexte que ce soit, autrement que suivant les formes consacrées par les ordonnances du royaume, et qu’aucun citoyen ne puisse être détenu prison-- 46 799 (États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (Bailliage de Meaux.] nier ailleurs que dans les prisons légales, pour y subir son jugement par-devant son juge naturel, suivant les formes judiciaires. 8° Que toutes les commissions en matière criminelle seront irrévocablement prohibées. 9° Altendu que l’on chercherait vainement à assurer les bases du gouvernement, tant que les principes sur lesquels reposent les propriétés individuelles de toutes les classes de la société pourraient être ou éludés, ou attaqués, l’assemblée juge qu’il est nécessaire d’obtenir une loi qui, en prenant sous sa protection immédiate toutes les propriété du royaume, les défende efficacement des atteintes sans nombre qui leur ont été portées, tantôt par des évocations à des tribunaux illégaux et privilégiés, tantôt par des arrêts de surséance, qui privent un créancier légitime du remède que la loi lui offre pour recouvrer sa propriété injustement détenue par un débiteur favorisé; souvent, enfin, par des cassations multipliées qui, en éternisant les procès dans les familles, ou bien absorbent en frais de procédure la valeur des propriétés litigieuses, ou bien forcent le propriétaire faible et indéfendu à abandonner, sur les poursuites d’un adversaire puissant et en crédit, une propriété que ses facultés trop modiques ne lui permettent pas de défendre. Cet abus des cassations a même été porté à un tel point, que l’on a vu des procès renvoyés successivement à divers parlements du royaume, et les parties finir par en abandonner la poursuite, après avoir consumé toute leur fortune en procédures ruineuses et souvent vexatoires. Pour tarir sans retour la source de pareils abus, l’assemblée charge spécialement son député de faire statuer aux Etats généraux, que nul citoyen, de quelque classe que ce soit, ne pourra être inquiété dans sa propriété que conformément aux lois établies dans le royaume, ni être poursuivi ailleurs que devant le juge naturel de son territoire, de quelque nature que soit l’action intentée contre lui; que, sous aucun prétexte, le cours or-naire de la justice ne sera arrêté par les actes du pouvoir arbitraire; qu’en conséquence les évocations particulières et les arrêts de surséance seront expressément défendus, et les cassations restreintes dans les limites qui leur ont été fixées par les lois. Que les ministres seront responsables aux Etats généraux des infractions commises contre la constitution de l’Etat dans l’exercice de leurs fonctions. Et afin que l’affermissement de ces principes, qui constituent essentiellement les droits de la nation, ne puisse être éludé ni différé, l’assemblée charge spécialement son député de ne consentir à aucun secours pécuniaire, soit à titre d’emprunts, d’impôts ou autrement, avant que la loi qui les doit consacrer n’ait été solennellement proclamée. INSTRUCTIONS GÉNÉRALES RELATIVES AUX TROIS ORDRES. Art. 2. Pouvoirs relatifs à l’acquittement de la dette de P Etat. — Après que les droits de la nation auront été ainsi invariablement établis, et non autrement, le député sera tenu de concourir à l’examen de la dette du Roi; d’en approfondir la nature et l’origine ; de vérifier l’utilité ou la pro - fusion des dons et des pensions; et, seulement après cet examen, l’assemblée donne pouvoir à son député de s’engager avec les autres représentants de la nation au payement de la dette du Roi, qui sera convertie en dette nationale; de consentir au secours, soit à titre d’impôts, soit à titre d’emprunts, qui sera jugé nécessaire, tant pour en acquitter les intérêts, que pour former un fonds d’amortissement qui en assure l’extinction. Et afin que les secours qui seront accordés pour l’acquittement intégral de la dette ne puissent pas être détournés, le député de l’assemblée demandera qu’il soit arrêté que les ministres des finances justifient aux Etats généraux que les sommes accordées et perçues auront été employées conformément à leur destination, à moins que la nation ne se charge elle-même de l’extinction de la dette en la répartissant entre les différentes provinces. Donne mandat à son député de concourir à l’examen des dépenses annuelles et ordinaires de chaque département, y compris celles de la maison du Roi ; de les régler et fixer invariablement, après avoir opéré toutes les réductions dont elles seront susceptibles ; et d’après la connaissance des besoins annuels de l’Etat, rigoureusement démontrée, pourra le député user du pouvoir que Rassemblée lui donne de consentir à une somme annuelle d’imposition, proportionnée à l’étendue des besoins, dans la forme qui sera réglée par les Etats généraux, à la charge, néanmoins, que la durée de l’imposition consentie sera limitée à la première assemblée des Etats généraux, dans le cas où leur permanence ne serait pas établie ; que dans l’acte qui contiendra l’octroi fait par la nation, il y sera stipulé que les parlements, les autres cours et tous juges demeureront chargés de poursuivre et punir comme concussionnaire quiconque aurait la témérité de répartir ou lever d’autres subsides que ceux qui auront été consentis par les Etats généraux, ou dont le terme, par eux fixé, serait expiré, et que les ministres de chaque département seront responsables à la nation de l’emploi des fonds. Inamovibilité des charges de magistrature. Et attendu que l’inamovibilité des offices de magistrature est tellement liée à l’ordre public, qu’elle n’a été établie sur la demande de la nation que pour rendre l’administration de la justice indépendante de l’autorité arbitraire, et communiquer aux magistrats , dans l’exercice rigoureux de leurs fonctions, l’impartialité de la loi dont ils sont les organes, et que cependant le statut national qui les a déclarés inamovibles a souvent été éludé par des destitutions déguisées sous les noms de suppression et de rétablissement d’offices sur la tête des nouveaux officiers, par des changements versatiles dans le nombre des offices et dans la compétence des tribunaux ; il sera demandé qu’en consacrant de nouveau la loi de l’inamovibilité des offices, il ne puisse être fait aucun changement dans l’ordre des tribunaux sans le consentement de la nation, à laquelle ils seront responsables de leurs fonctions. _ Réforme dans l'administration de la justice. — Considérant, l’assemblée, que l’administration de la justice, qui devrait être tout à la fois gratuite et expéditive, est devenue cependant un fardeau accablant pour les peuples, tant par les procédures longues et dispendieuses qui se sont introduites, que parles droits attachés à une multitude d’offices inutiles que le fisc a fait établir à la suite des tribunaux, et par les vacations et les épices des juges, il sera demandé aux Etats généraux de supplier le Roi de réformer et d’abréger les procédures, d’en diminuer les frais, et, lorsque les circonstances le permettront, de supprimer tous les offices inutiles, ainsi que les droits [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Meaux.] 723 que le fisc s’est réservés sur les offices créés à la fin du règne de Louis XIV, et qui ont été supprimés par l’édit d’avril 1717; et enfin, de supprimer les épices des juges, en y substituant des traitements modérés, et proportionnés au rang des tribunaux et à la dignité des offices. instructions locales et particulières relatives AUX TROIS ORDRES. Art. 3. Etats provinciaux de la Brie. — L’ordre du clergé, unissant son vœu à celui des deux autres ordres réunis, charge son député de concourir avec ceux des deux autres ordres pour demander l’établissement d’Etats provinciaux particuliers à la Brie, dont le siège sera fixé dans la ville de Meaux. Capitainerie et droit de chasse. Il est une sorte d’impôt qui, sans en porterie nom, est cependant aussi onéreux au peuple d’une partie de ce bailliage que tous les autres impôts réunis : la capitainerie de Monceaux, établie dans son origine pour les plaisirs du Roi, assez cher à ses sujets pour les engager à faire à cet objet seul le sacrifice de leurs propres intérêts. Tant qu’elle a pu remplir leur vue, elle n’a occasionné que de faibles réclamations ; devenue depuis plus de cent soixante ans étrangère à cette destination, alors un cri général s’est fait entendre, et l’on a vu renouveler tous les ans les plaintes du cultivateur assez malheureux pour se voir frustré, par ce fléau destructeur, de plus de moitié du fruit de ses travaux. Exposé, dans le temps de la semence, à voir dévorer son grain à mesure qu’il le sème ; arrêté par mille entraves dans le temps de la récolte, il porte, pendant toute l’année, le poids d’un joug d’autant plus accablant qu’il n’a, pour s’en soulager, aucun motif de consolation, puisque l’impôt dont il se plaint, absolument inutile au Roi, est aussi à la charge de l’Etat qu’au particulier même. C’est par ces considérations que le clergé du feaillage ae Meaux, occupé bien plus encore de l’intérêt général que de son intérêt particulier, charge son député, en joignant son vœu à celui de la noblesse et du tiers-état, de supplier Sa Majesté de consentir à la suppression de cette capitainerie, et de rendre au malheureux cultivateur, dont elle détruit l’espérance, le courage et la liberté, qui seuls peuvent assurer le succès de son travail. Le clergé croit même qu’il est du devoir de sa charité envers les malheureux de solliciter vivement auprès du Roi, dans l’assemblée des Etats généraux, la liberté de tous les particuliers condamnés et servant sur les galères du Roi, pour des délits relatifs au fait des capitaineries. Mais le Roi sera supplié de porter plus loin sa bonté pour un peuple dont il veut être le père. La capitainerie supprimée, il resterait encore le ravage occasionné par les bêtes fauves. Le clergé du bailliage de Meaux sait que le droit de les faire conserver est une des prérogatives royales, mais il connaît assez la bonté du Roi pour charger son député aux Etats généraux de remontrer les inconvénients de cette conservation, lorsqu’elle est confiée à un pouvoir particulier et arbitraire. La vexation des gardes qui y sont employés, le nombre des bêtes fauves, les amendes exorbitantes exigées avec rigueur, et même sans aucune formalité, pour la moindre contravention, fait bien souvent, de ce qui n’est destiné qu’aux plaisirs du souverain, la ruine et le malheur des sujets. Le député du clergé insistera également sur le renouvellement et l’observation des lois rendues sur le fait de la chasse, en représentant le tort considérable qui résulte de la trop grande multitude de gibier et les dommages qu’occasionne le peu d’attention qu’ont les propriétaires du droit de chasse, à n’user de ce droit que dans les temps prescrits par les lois, et avec les précautions qui ne puissent nuire à l’intérêt public ni aux propriétés des particuliers. INSTRUCTIONS GÉNÉRALES RELATIVES A L’ORDRE DU CLERGÉ. Art. 4. Consentement à la contribution commune. — L’assemblée, considérant que l’immunité du clergé, dont il n’a jamais fait usage que pour se préserver d’impôts qu’il n’aurait pas consentis, cesse d’être un privilège qui lui soit particulier dès l’instant que le Roi rétablit la nation entière dans le droit imprescriptible de voter librement les subsides ; que si, dans ces assemblées générales, le clergé de France s’est persévéremment attaché au maintien de ses formes, ce n’était pas qu’elles fussent une exemption utile à son ordre, et onéreuse au reste de la nation, mais plutôt parce qu’il les considérait comme un monument précieux des franchises nationales, dont il a voulu perpétuer le dépôt pour le remettre à la nation assemblée, et en partager la jouissance avec tous les ordres sans distinction et sans privilège ; que, jusque-là, le sacrifice qu’il en aurait fait aurait effacé la trace d’un droit précieux à la nation dont l’usage, dans les mains du clergé, rappelait perpétuellement l’image de la liberté primitive, et offrait sans cesse à tous les ordres un moyen plus facile d’en obtenir le rétablissement ; mais que, quand un prince, ami de son peuple, va régénérer l’Etat en lui rendant ses premiers droits, le clergé qui votera l’impôt avec les deux autres ordres dans l’assemblée de la nation, n'a plus de privilège ni d’exception à réclamer ; que dès lors les formes particulières devenant celles de tous les ordres, il ne voit plus dans les charges publiques qu’un fardeau général, qui doit peser également sur toutes les propriétés en proportion de leur valeur; qu’en conséquence, l’ordre du clergé consent que, pour ôter tout prétexte aux divisions qui ont agité les différents ordres , toutes les contributions précuniaires qui seront octroyées par les trois ordres aux Etats généraux, soient supportées également par les citoyens de tous les ordres, à proportion des leurs, sans distinctions ni sans privilèges. Consentement que son zèle patriotique lui inspire, quoique, dans l’origine, ses biens, qui sont le fruit de la piété de nos pères, fussent, par leur nature, séparés de tout usage profane, et uniquement destinés à l’entretien des temples, à la subsistance des ministres de la religion et au soulagement des pauvres, Demande au payement de la dette du clergé. — Et attendu que la masse des dettes du clergé ne s’est accrue qu’à cause des secours abondants et multipliés que les besoins de l’Etat l’ont obligé de fournir, ce qui a diminué d’autant les emprunts, auxquels le gouvernement aurait été forcé de recourir, l’ordre du clergé charge son député de demander qu’il soit pourvu, dans l’assemblée des Etats généraux, au moyen d’opérer l’extinction de sa dette. Etablissement des conciles provinciaux. — Considérant en outre, l’ordre du clergé dudit bailliage, que la tenue périodique des conciles provinciaux, qui a été si utile au bien des églises et de la religion, peut seule remédier efficacement aux maux 724 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Meaux.] sans nombre qui affligent l’Eglise gallicane ; que l’objet de ces saintes assemblées étant de maintenir la pureté de la foi, de soutenir la régularité des mœurs, et d’entretenir entre toutes les provinces ce concert et cette uniformité, qui font la force et la dignité de la discipline ecclesiastique, jamais circonstance ne fut aussi impérieuse pour en réclamer la convocation ; que la religion, qui a reçu autrefois un si grand éclat de la ferveur et de la piété de ses ministres, est aujourd’hui attaquée de toutes parts, et qu’une des causes de la propagation rapide de l’impiété, est principalement le relâchement de la discipline ecclésiastique; que, dans un moment où le monarque s’occupe efficacement de la régénération de l’Etat, l’Eglise gallicane doit aussi, à son exemple, travailler à régénérer dans toute sa pureté l’esprit ecclésiastique, et, par le même moyen, les mœurs qui en dépendent. C’est pourquoi l’assemblée charge spécialement son député de demander à l’ordre du clergé, aux Etats généraux, de renouveler auprès du Roi ses instances les plus vives, pour qu’il plaise à Sa Majesté statuer, par une loi irrévocable, que tous l�s archevêques et métropolitains convoqueront périodiquement, tous les cinq ans, les conciles provinciaux, comme Louis XIV l’avait ordonné par sa déclaration du 16 avril 1646; et qu’afin de former un lieu permanent et uniforme entre les décisions de ces conciles et la discipline des diocèses de chaque province, les procès-verbaux des visites que les évêques feront dans leurs diocèses, et les règlements arrêtés par eux dans leurs synodes, pendant l’intervalle de la tenue des conciles, seront portés à l’assemblée suivante, à l’effet d’y faire connaître l’état des diocèses, tant dans l’ordre de la foi que dans l’ordre de la discipline. Dîmes. — Parmi les propriétés qui forment le patrimoine des églises de France, la dîme est celle que le souverain et la nation leur ont le plus solennellement assurée. L’établissement de ce droit remonte jusqu’aux Capitulaires de nos rois, qui ont affecté à la dîme tous les fruits de la terre, et imposé aux cultivateurs l’obligation civile de la payer ; ces lois qui portent la double sanction du souverain et de la nation au milieu de laquelle elles ont été proclamées, auraient dû préserver de toute entreprise une propriété aussi ancienne et appuyée sur une possession aussi recommandable; cependant, par succession de temps, on a cru pouvoir dépouiller les églises d’une partie des droits attachés à la dîme, en élevant des discussions, soit sur la quotité, soit sur la forme de perception , ou bien sur les nouveaux fruits substitués à ceux qui étaient anciennement décima-bles : la diversité des jugements que les tribunaux ont rendus sur ces matières n’a fait que multiplier les procès, au lieu d’en tarir la source, et perpétuer entre les pasteurs et les habitants des paroisses des débats aussi nuisibles au bien de la religion qu’à l’efficacité des fonctions de ses ministres. D’après ces considérations , l’assemblée juge qu’il serait nécessaire d’obtenir une loi qui, en combinant, suivant les règles delà justice la plus exacte, le droit acquis au clergé, tant sur les fruits anciennement décimables, que la quotité déterminée par une possession avec l’indemnité légitimement due au décimateur, dans le cas d’une nouvelle culture, maintînt, d’un côté, le décimateur dans sa propriété, et de l’autre, n’imposât aucun obstacle à la liberté du cultivateur. Une pareille loi aurait tout à la fois l’avantage de conserver au clergé sa propriété, et de la débarrasser, par une uniformité de principes, de la gêne qu’a introduite, dans sa perception, la diversité de jurisprudence des tribunaux. Economats. — Considérant, l’assemblée, que les économats qui, dans le principe de leur établissement, étaient destinés à veiller, en qualité de séquestre, à la conservation des bénéfices, et à réparer, par des moyens faciles et peu dispendieux, la négligence des bénéficiers, ne présentent plus qu’une organisation vicieuse et onéreuse aux successions des bénéficiers, tout l’autorise à en demander l’abolition • mais ce qui doit principalement inquiéter le clergé, c’est que la caisse des économats est devenue, par une progression rapide et effrayante, un gouffre où vont s’engloutir les revenus des plus riches abbayes. Pour alimenter cette caisse, il faut que les titres des églises restent longtemps vacants; que l’acquit des charges, tant civiles qu’ecclésiastiques, soit alors abandonné à des créanciers avides, bien plus occupés à faire profiter leurs traités qu’à remplir les obligations du bénéfice. Aussi, à la réserve des charges civilement affectées sur les biens, toutes celles qui, dans l’ordre de la religion et de l’humanité, intéressent la conscience des bénéficiers, et qui, sous ce rapport, doivent être très-étendues, tel que le soulagement des pauvres, l’acquit des fondations et autres, sont presque toujours négligées dans les bénéfices en économats. Mais si l’administration de ces biens est vicieuse, l’usage des fonds qui en proviennent n’est ni régulier ni canonique ; souvent on leur donne des applications qui n’ont aucun rapport au service de l’Eglise, ou bien on les emploie à des libéralités obscures, que l’on craindrait de publier. Un dépôt aussi extraordinaire des revenus de l’Eglise contrarie trop ouvertement les vrais principes, pour que le clergé entier n’en demande pas la suppression. II faut bien distinguer un établissement aussi vicieux et aussi récent du droit de garde des églises vacantes, qui appartient au Roi, au titre de sa couronne, sur lequel la piété de nos rois a affecté des secours en faveur des nouveaux convertis, et que Sa Majesté est suppliée de leur conserver ; mais en avouant au Roi le droit de garde, que le clergé de France s’empressera toujours de reconnaître, il doit en môme temps éclairer Sa Majesté sur le vice des économats ; c’est pourquoi l’assemblée charge spécialement son député de demander que les économats soient supprimés, et que le Roi soit supplié de pourvoir de titulaires les églises vacantes, au moins pendant les six premiers mois de la vacance. Attendu qu’en demandant la suppression des économats, le clergé, aux Etats généraux, s’occupera de prévenir le dépérissement des bénéfices, l’assemblée s’en rapporte à son député, avec les représentants du clergé des autres provinces, pour arrêter un projet de loi qui assure la réparation des bénéfices, et qui débarrasse en même temps les successions des bénéficiers des retards du payement que le régime actuel de l’économat oppose à l’héritier ou au nouveau titulaire. Peut-être sera-t-il plus simple de traiter les bénéfices consistoriaux, comme dans les provinces où les économats n’ont pas lieu, ou comme les bénéfices sur lesquels ils n’ont pas de droit à exercer. Mais si l’on s’en tient à n’admettre d’autre précaution que la vigilance habituelle des officiers de justice, il sera nécessaire que la loi simplifie et modère leurs vacations. Maîtrises des eaux et forêts. — L’assemblée charge 725 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Meaux.] son député de demander aux Etats généraux, de supplier le Roi de prendre en considération les entraves onéreuses que le régime actuel des eaux et forêts impose sur les propriétés des gens de mainmorte. Les formalités sans nombre, et souvent inutiles, auxquelles ceux-ci sont assujettis pour obtenir la délivrance de leurs bois, absorbent souvent la majeure partie de leur valeur. Il est nécessaire, sans doute, de prévenir, par des formes salutaires, les coupes anticipées qu’un usufruitier pourrait faire dans ses bois, en sacrifiant un avantage futur et certain au besoin du moment, et de conserver au public et à la marine une denrée dont la 'disette serait une vraie calamité; mais l’expérience ayant démontré que l’attribution, accordée aux maîtrises sur les bois des gens de mainmorte, leur est extrêmement onéreuse sans prévenir les abus, Sa Majesté sera suppliée d’y pourvoir ; et l’assemblée, étendant ses considérations sur les rapports qui intéressent l’ordre public, ne voit dans les maîtrises que des tribunaux d’exception, dont la compétence dans les matières contentieuses doit être remise aux bailliages, comme juges naturels dans l’étendue de leur district. Droits domaniaux. — Depuis que l’administration des domaines a été autorisée à porter au conseil toutes les questions relatives aux droits domaniaux, il s’est élevé de toutes les parties du royaume des plaintes contre cette administration. Les grandes chambres des parlements sont les cours souveraines des domaines du Roi. Pourquoi les contestations sur les droits domaniaux légitimement établis n’y seraient-elles pas également jugées en dernier ressort? L’assemblée demande que la connaissance leur en soit attribuée. L’administration, forcée de conformer sa régie à des principes fixes et certains, se renfermerait dans la perception des droits qui lui sont légitimement attribués, sans chercher à les étendre en inquiétant perpétuellement les citoyens. Une jurisprudence versatile dans ses décisions, est une atteinte à la propriété. Aussi le clergé, inquiété dans ses propriétés par le régisseur des droits domaniaux, ne peut s’empêcher de s’élever contre les arrêts du conseil qui ont autorisé ses prétentions. Tel est celui du 5 septembre 1785, qui oblige les ecclésiastiques à passer à l’enchère et en présence du subdélégué de l’intendant, les premiers baux des nouvelles constructions et reconstructions. C’est une entrave de plus mise à la propriété. Tels sont les arrêts qui assujettissent à un nouveau droit d’amortissement les échanges, entre les ecclésiastiques, des biens déjà amortis. Tels sont enfin les arrêts qui ont autorisé la perception des droits de franc-fief et autres droits domaniaux accessoires, sur les baux emphytéotiques de quelques portions d’héritage situées dans l’étendue des seigneuries des gens de mainmorte. L’établissement de droits aussi injustes qu’onéreux au clergé n’est fondé sur aucune loi ; ils ne doivent leur existence qu’aux prétentions fiscales du régisseur et à la facilité qu’il a de les faire accueillir au conseil par des arrêts sur requête : l’assemblée charge son député d’en demander la suppression. MM. l’abbé de Ruallem , l’abbé d’Albignac , l’abbé de Saluces, l’abbé Boulay, le prieur de Saint-Faron, le prieur-curé de Lysy, le curé de Reuil, 1e. curé d’Isle, le curé d’Ëtavigny, le curé de Saisonnières, le curé de Chambry, commissaire; le curé d’Etrepilly, commissaire ; l’abbé de Saint-Hilaire, président ; le curé de Saint-Nicolas, secrétaire. CAHIER Des pouvoirs et instructions du député de l'ordre de la noblesse du bailliage de Meaux , remis à M. d'Aguesseau de Fresnes , conseiller d'Etat , élu député aux prochains Etats généraux par l’ordre de la noblesse du bailliage de Meaux. le 21 mars 1789 (l). CONSTITUTION. Art. 1er. Le député de la noblesse du bailliage de Meaux déclarera que la volonté du bailliage est cru’il ne soit passé à l’examen de la dette et à 1 octroi d’aucun emprunt ou impôt, que les bases de la constitution n’aient été posées dans les Etats, qu’il n’y ait été statué par eux et par le Roi, et que les lois à faire sur cet objet n’aient été rédigées, consenties et promulguées. Art. 2. Le député demandera que les Etats généraux soientrendus permanents, mais de manière à ce que le renouvellement de leurs membres soit successivement opéré, ou périodiques à terme rapproché, et sans besoin alors d’aucune convocation ; que l’on détermine pour l’avenir le lieu, l’époque de convocation, la forme des élections, le nombre et l’espèce des députés, la forme et le régime des délibérations, sans avoir égard à ce qui s’est pratiqué jusqu’à présent, mais seulement au plus grand avantage de l’Etat. Art. 3. Que les Etats généraux déclarent qu’ils ne se départiront jamais du droit constitutionnel d’après lequel aucune imposition, emprunt ou subside quelconque, ne peuvent être établis qu’avec leur consentement, formellement et clairement exprimé. Art. 4. Qu’il soit décidé de prononcer expressément, qu’il sera établi, dans toutes les provinces du royaume, des Etats provinciaux chargés de veiller à chaque partie de l’administration, et à la juste répartition des subsides. Art. 5. Qu’il soit décidé que tous impôts (autres que celui ou ceux qui doivent servir à l’extinction de la dette nationale) ne seront jamais accordés que pour un temps limité, au delà duquel ils cesseront d’être perçus. Art. 6. Que les droits du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif soient exactement déterminés et séparés l’un de l’autre. Art. 7. Le député demandera une loi par laquelle il sera statué que la liberté individuelle de tous les citoyens étant sacrée, elle ne pourra être attaquée que par les formes de la loi ; qu’aucun citoyen ne pourra être emprisonné en vertu d’aucun ordre du pouvoir exécutif, que pour être remis entre les mains de ses juges naturels, dans le délai qui sera fixé par la loi ; et en conséquence, qu’il n’existera aucun lieu de détention , autre que ceux qui sont soumis à l’inspection et à la juridiction de la justice ordinaire ; que toute violation de ce premier article du contrat social sera regardée par la nation comme un délit envers elle. Art. 8. Que toute contravention aux lois constitutives sera un délit, et qu’en conséquence, tous contrevenants à ces lois, ordonnateurs ou ministres, seront responsables de leur contravention envers la nation, et comme tels, poursuivis devant les tribunaux ordinaires, et qu’aucun ordre privé ne pourra les garantir de cette responsabilité. Art. 9. Que la liberté de la presse sera établie (1) Nous publions ce cahier d’après un imprimé de la Bibliothèque du Corps législatif.