[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 mai 1790.] 743 nation qui donne, et le malheureux qu’elle secoure. Mais les circonstances impérieuses tous prescrivent de rendre un décret provisoire. Nous avons la confiance de penser que si celui que nous vous proposons n’est pas complet dans toutes les vues que l'ensemble du travail doit embrasser, il ne contrarie au moins aucune de celles auxquelles il est de votre justice de vous conformer. En vous proposant de donner à chaque département une somme égale pour être employée en travaux utiles, nous savons bien que nous ne suivons peut-être pas exactement la proposition des besoins de chacun d’eux, mais nous n’avions encore aucune base certaine pour rendre cette proposition équitable ; il n’est ici question que de secours accordés pour le moment, et sans que les sommes actuelles puissent influer sur les secours à prétendre pour l’avenir. Une égalité exacte dans tous les départements provoquera moins de réclamations que ne l’eût fait une mauvaise distribution proportionnelle ; enfin il n’est pas de département où les sommes que nous vous proposons d’accorder ne soient utilement employées aux travaux de chemins, de défrichements, de déssèche-ments. Sans doute, l’ouverture de ces nouveaux ateliers ; l’augmentation de secours dans les hôpitaux ; les sommes que nous vous proposons d’accorder aux départements, à mesure qu’ils seront formés, produiront un accroissement de dépense. Mais, Messieurs, vous vous êtes chargés de l’assistance des pauvres, et vous en avez fait votre devoir le plus sacré : aucun secours ne peut présenter plus d’avantage que celui de travaux à offrir, utiles aux départements ; le bien qu’en recevront la capitale et le royaume entier surpassera de beaucoup l’inconvénient de cette augmentation de dépense. Qu'il nous soit permis encore, Messieurs, de vous faire observer, que si la justice et le bien de la société nous ont fait comprendre, dans la proposition de notre décret, l’ordre d’arrêter, dans Ja capitale et dans les départements voisins, tout mendiant valide qui se refuserait au travail, nous faisons précéder cet ordre de sûreté publique, de l’offre du travail ; nous n’y comprenons, ni les malades, ni les infirmes auxquels nous assignons des soins et des asiles particuliers, et nous ne proposons d’y détenir ces mendiants valides que S’à ce que, réclamés par leurs parents ou municipalités, districts, départements, leur subsistance ultérieure puisse être assurée. Nous avons cru devoir faire précéder par ces réfexions le décret que les trois comité sont l’honneur de vous proposer unanimement : L'Assemblée nationale, informée qu’un grand nombre de mendiants étrangers au royaume, abondants de toutes parts dans Paris, y enlèvent journellement les secours destinés aux pauvres de la capitale et du royaume, et y propagent avec danger l’exemple de la mendicité qu’elle se propose d’éteindre entièrement, a décrété et décrète ce qui suit : 1° Indépendamment des ateliers déjà ouverts dans Paris, il en sera ouvert encore dans la ville et dans les environs, soit en travaux de terre pour les hommes, soit en filature pour les femmes et enfants, où seront reçus tous les pauvres domiciliés dans Paris, ou étrangers à la ville de Paris, mais Français ; 2° Tous les mendiants et gens sans aveu, étrangers au royaume, non domiciliés à Paris depuis un an, seront tenus de demander des passeports où sera indiqué la route qu’ils devront suivre pour sortir du royaume; 3° Tout mendiant né dans le royaume, mais non domicilié à Paris, depuis six mois, et qui ne voudra pas prendre d’ouvrage, sera tenu de demander un passeport où sera indiqué la route qu’il devra suivre pour se rendre à sa municipalité ; 4* Huit jours après la proclamation du présent décret, tous les pauvres valides, trouvés mendiants dans Paris, seront conduits dans les maisons destinées à les recevoir à différentes distances de la capitale, pour, de là, sur les renseignements que donneront leurs différentes déclarations, êtreren-voyés hors du royaume, s’ils sont étrangers ; ou, s’ils sont du royaume, dans leurs départements respectifs aprèsleur formation, le tout sur des pa s-seporls qui leur sont donnés. Il sera incessamment présenté à l’Assemblée un règlement provisoire pour le meilleur régime et la meilleure police de ces maisons , où le bien-être des détenus dépendra particulièrement de leur travail ; 5° Il sera, en conséquence, accordé à chaque département, quand il sera formé, une somme de 30,000 livres pour être employée en travaux utiles ; 6° La déclaration à laquelle seront soumis les mendiants conduits dans ces maisons, sera faite au maire ou autre officier municipal, en présence de deux notables; 7° Il sera accordé trois sols par lieue à tout individu porteur d’un passeport. Ce secours sera donné par les municipalités successivement de dix lieues en dix lieues. Le passeport sera visé par l’officier municipal auquel il sera présenté, et la somme qui aura été délivrée y sera relatée; 8° Tout homme qui, muni de passeport, s’écartera de la route qu’il doit tenir, ou séjournera sans ouvrage dans les lieux de son passage, sera arrêté par la garde nationale des municipalités, ou par les cavaliers de la maréchaussée des départements, et conduit au lieu de dépôt le plus prochain. Ceux-ci en rendront compte sur-le-champ aux officiers municipaux des lieux où ces hommes seront arrêtés et conduits; 9* Les municipalités des départements voisins des frontières seront tenues de prendre les mesures et les moyens ci-dessus énoncés pour envoyer hors du royaume les mendiants étrangers sans aveu qui s’y seraient introduits, ou seraient tentés de s’yintroduire ; 10° Les mendiants invalides, hors d’état de travailler, seront conduits dans les hôpitaux les plus prochains, pour y être traités, et ensuite envoyés, après leur guérison, dans leurs municipalités, munis de passeports convenables; 11° Les mendiants infirmes, les femmes et enfants hors d’état de travailler, conduits dans ces hôpitaux et ces maisons de secours, seront traités pendant leur séjour avec tous les soins dus à l’humanité souffrante ; 12° A la tête des passeports délivrés, soit pour l’intérieur du royaume, soit pour les pays étrangers, seront imprimés les articles du présent décret ; et le signalement des mendiants y sera pareillement inséré ; 13° Il sera fourni parle Trésor public les sommes nécessaires pour rembourser cette dépense extraordinaire, tant aux municipalités qu’aux hôpitaux; 14° Le roi sera supplié de donner des ordres nécessaires pour l’exécution de ce décret. Parmi les moyens de fournir du travail il en est un qui réunit tous les avantages désirables; 744 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 mai 1790.J un canal qui, joignant la Marne depuis Meaux à la Seine et à Paris, et la Seine à l’Oise, et se prolongeant de là jusqu’à Dieppe, ouvre la navigation la plus prompte, la plus facile, la plus utile à la capitale et aux provinces qu’il traverse. Ce canal pour lequel il n’y a aucun fonds à faire, puisque l’auteur du projet se propose de les fournir et de ne commencer que quand le tiers de ses fonds sera évidemmentassuré,emploieradanssaprolongation plusieurs milliers d’ouvriers. Ce canal, pour être ouvert, devra être décrété par l’Assemblée. Nous en avons pris connaissance, comme d’un moyen prompt de fournir du travail. Nous croyons pouvoir vous assurer de son importance, mais nous n’avons pas cru devoir vous en soumettre le projet avant d’avoir consulté, sur la facilité de son exécution et sur ses avantages, l’Académie des sciences. Il sera incessamment revêtu de toutes les approbations qui ne vous laisseront aucun doute sur son utilité, et si vous nous y autorisez, nous vous le présenterons de concertavec le comité de commerce et d’agriculture. Un grand nombre de membres réclame une seconde lecture de ce projet de décret. La lecture a lieu. Le décret est ensuite adopté sans réclamation. M. le Président cède le fauteuil à M. le baron de Menou, ex-président, et se rend chez le roi avec la députation de l’Assemblée. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion sur le plan de l' organisation du clergé. M. Treilhard a la parole. M. Treilhard (1). Messieurs, les vices du gouvernement français avaient corrompu toutes les classes de citoyens ; et le clergé, malgré les vertus de plusieurs de ses membres, n’avait pu résister à la fatale influence d’une mauvaise constitution. Des établissements sans objet et sans utilité, des évêchés et des cures d’une étendue démesurée, ou d’une petitesse extrême, des grâces versées sans discernement et sans choix, des hommes oisifs largement salariés, des hommes utiles négligés et dans l’indigence : tel est le tableau que vous offrait l’organisation du clergé ; tels sont les maux dont la nation a déjà reçu ou attend de vous le remède, Le pian qu’a présenté le comité, embrasse trois objets : la réduction des titres de bénéfices à ceux qui peuvent être nécessaires ou utiles, la manière de pourvoir à ces titres, et la fixation des traitements qui y seront attachés. Les changements qu’on vous propose sont-ils utiles? Avez-vous le droit de les ordonner ? C’est dans ces deux questions que je renferme toute la discussion. Je commence par examiner si ces changements présentent un grand avantage ; car s’ils n’en offraient pas, il serait superflu de décider que vous pouvez les faire. Première question. Lorsque vous fixez vos regards sur deux cures, dont l’une a dix lieues de circonférence, et dont l’autre ne renferme pas dix feux ; lorsque vous (1) Le discours de M. Treilhard est incomplet au Moniteur. sortez d’un évêché qui embrasse près de quinze cents cures, pour entrer dans un autre qui n’en a pas vingt; lorsque vous voyez le pasteur d’un territoire immense, réduit à une portion congrue de 700 livres, forcé, par conséquent, de laisser sans secours un père de famille affaibli par les ans, le besoin et la maladie, ou de rte l’assister qu’en se privant lui-même du plus absolu nécessaire ; lorsque, dans cette même cure, s’élève un bâtiment somptueux, chef-lieu d’un bénéfice inutile, dont le titulaire réunit sur sa tête la fortune de cent ecclésiastiques utiles, etn’est connu sur les lieux que par les fermiers qui le payent; ne serait-on pas tenté de croire qu’un hasard aveugle a présidé à une pareille organisation, et qu’il a dû suffire d’entrevoir ce désordre pour le réprimer ? Cependant, Messieurs, il existe, ce désordre; il existe depuis plusieurs siècles, et il a trouvé jusqu’à ce jour des appuis et des défenseurs ; car il est des personnes auprès de qui le temps a le pouvoir de tout légitimer, et l’esclavage lui-même n’a pas manqué d’apologistes. Mais le moment est venu, où tout ce qui est abusif doit être réformé : je ne demanderai donc pas s’il faut changer l’ancien état ; j’examinerai seulement si les bases des changements proposés sont convenables ; nous discuterons ensuite vos pouvoirs et vos droits. Dans le premier titre du plan du comité , on propose la réduction du nombre des évêchés et des cures, et la suppression de tous les bénéfices inutiles. Personne assurément ne disconviendra qu’un bénéfice quelconque, évêché ou cure, doit être assez étendu pour occuper un titulaire, et qu’il ne doit pas l’être assez pour l’accabler : si le bénéfice est trop grand, il est mal desservi ; s’il est trop considérable, le titulaire, en proie à l’oisiveté et à toutes ses suites, est presque toujours à charge à lui-mème et aux autres ; heureux encore s’il n’est pas un objet de scandale ! Une nouvelle circonscription sera donc évidemment utile : elle doit l’être pour le pasteur à qui on n’imposera qu’un fardeau proportionné à ses forces ; pour les fidèles, auxquels on assurera une distribution plus égale et plus facile des secours spirituels ; pour l’Etat, qu’il ne faut pas surcharger par une multiplication excessive de titres; pour la religion enfin, à laquelle des esprits légers et frivoles n’imputent que trop souvent l’irréguralité et les abus des établissements ecclésiastiques. Je n’examine point ici si vous devez adopter, pour ces réductions, toutes les bases de votre comité: si, par exemple, vous aurez quatre-vingt-trois évêchés, plus ou moins ; si vous donnerez aux curés de campagne une demi-lieue de rayon ou plus; tous ces détails seront discutés en particulier. Il me suffit, quant à présent, d’avoir établi l’utilité des réductions dans le nombre des évêchés et des cures : il existe trop d’évêchés et trop de cures; il existe des évêchés et des cures trop étendus; il en existe encore plus qui ne le sont pas assez : la nécessité d’une organisation nouvelle dans ce moment de régénération, ne peut donc pas être équivoque. Il n’est pas moins nécessaire de supprimer les titres sans fonctions. Pourquoi? ..... ils sont inutiles. Les bénéfices simples et non sujets à résidence sont si abusifs, et si contraires à l’esprit de l’Eglise, qu’il ne se présentera sans doute personne pour les défendre. On sait aussi que, dans le prin-