[Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 juin 1790.J 40? n’en existera dorénavant entre nos mœurs et nos lois. « Ah! qu’il nous soit permis de nous livrer un instant à la joie que produit en nous une aussi douce espérance et d’anticiper ainsi sur les biens qu’offre à nos regards cette perspective délicieuse. Oui, tous les vœux seront accomplis; vous avancerez avec un courage majestueux dans la grande carrière que vos génies vous ont ouverte. La plus grande partie de l’espace est déjà parcourue. Quels obstacles pourraient désormais être opposés à votre marche? Votre constance les a tous dissipés. Non, vous ne tromperez point l’attente des peuples amis de la liberté, qui depuis longtemps n’ont les yeux fixés que sur vous; ils sont impatients de pouvoir vous offrir la palme qui vous est due, un amour aussi grand que vos bienfaits et aussi durable que vos travaux. » De GÉRENDE, président. Raphel, Martinet, secrétaires. M. Bourdon, curé d’Evaux. Quand cette adresse aura été légitimée par le consentement du pape, nous pourrons nous occuper de sa demande. M. d’André. Les habitants sont maîtres de reconnaître pour souverain qui ils voudront. Je demande que leur adresse soit envoyée au roi comme celle d’Avignon. M. Goupil de Préfeln. Je demande le renvoi de l’adresse au comité de Constitution. M. Bouche. J’appuie le renvoi aux comités de Constitution et des domaines, et je demande que ces deux comités soient autorisés à s’informer du ministre des affaires étrangères s’il n’existe point un accord entre la cour de Rome et celle de France. M. Fréteau. J’appuie cette proposition d’autant lus volontiers que, lorsque je me suis retiré à aint-Cloud pour porter au roi î’ adresse d’Avignon, la première question que m’ont faite les ministres a été de s’informer s’il y avait quelque chose de relatif au comtat Venaissin. M. Dufraisse-Duchey. Il est important que MM. Bouche et Camus déposent les lettres qu’ils ont annoncé avoir reçues de ce pays, afin que l’Assemblée nationale et le roi examinent cette correspondance. (L’Assemblée décrète que l’adresse sera présentée au roi et remise aux comités des domaines et de Constitution, qui seront autorisés à prendre tous les éclaircissements qu’ils jugeront nécessaires.) M. le Président. L’Assemblée passe à son ordre du jour qui est la discussion du rapport du comité ecclésiastique sur le traitement du clergé actuel (1). M. l’abbé Fxpflly, rapporteur. Jevousdemande la permission, avant toute discussion, de résumer brièvement le rapport qui vous a été présenté par votre comité. Le travail que nous mettons aujourd’hui sous (1) Voyez le rapport de M. l’abbé Expilly, séance du 20 mai 1190 — Archives parlementaires, tome XV, page 597. vos yeux est le complément du décret que vous avez rendu sur les biens du clergé, et notamment de ceux que vous avait proposés votre comité des dîmes. Il est temps de faire cesser ce contraste scandaleux entre l’esprit d’une religion fondée sur l’humilité et le détachement des richesses, et l’opulence orgueilleuse dans laquelle vit une partie de ses ministres, à l’ombre du respect qu’inspire leur caractère ; abus révoltant dont les ennemis de l’Eglise n’ont su que trop profiter, et qui l’a plus affaiblie peut-être que les attaques d’hérésie. La religion et ses ministres gagneront beaucoup à ce changement que commandait l’intérêt de l’Etat. Nous ne devons pas nous arrêter à cette objection si souvent répétée. Les titulaires sont des usufruitiers, l’usufruit est une propriété; ils ne peuvent en être privés sans recevoir une indemnité complète comme tous les autres propriétaires. C’est une erreur de comparer à une propriété privée, à la propriété d’un citoyen qui ne la doit qu’à lui-même, l’attribution d’un usufruit faite au ministre du culte par la puissance chargée de fournir aux frais de ce culte. Le clergé n’a jamais été qu’usufruitier de ses biens ; vous l’avez décrété avec justice. Il tenait cet usufruit de la nation, à qui appartenait la disposition de ces biens. La nation peut donc les lui retirer, de même qu’on retire un salaire à celui qui cesse de le mériter. L’attribution d’un traitement excessif est un abus que des milliers de siècles ne sauraient légitimer. Appelés à réformer des abus, vous ne l’êtes pourtant pas à imposer à des ecclésiastiques un genre de vie qui leur serait insupportable; n’ôter qu’à ceux qui ont beaucoup trop, et donner aux ministres utiles, voilà la règle que votre comité s’est efforcé de suivre; ainsi ce n’est qu’à la répartition des biens de l’Eglise que vous allez procéder. Tous les bruits parvenus à votre comité nous annoncent que les plus fortes attaques auront pour objet le maximum des évêques. On vous proposera de rejeter cette fixation comme trop modique; on combattra pour eux avec chaleur, tandis qu’une foule d’ecclésiastiques, auxquels il ne nous a pas été permis d’accorder un traitement suffisant, ne trouveront pas de défenseurs. 30,000 livres pour un célibataire, dont les fonctions sont incompatibles avec le luxe, nous ont cependant paru suffisantes pour un évêque. On vous parlera de leurs dettes, qui exigent nécessairement de l’indulgence, des dépenses auxquelles ils étaient nécessités. Les curés sont aussi obligés à des dépenses plus considérables que celles des évêques, en proportion de leurs revenus. Ils sont toujours à côté rlu pauvre et du malheureux; ils sont obligés de rendre mille soins qui ne peuvent atteindre le faste de l’épiscopat. Qu’on mette à part l’intérêt personnel, et je suis persuadé qu’il ne se trouvera pas d’homme impartial qui n’avoue que l’ordre de choses que nous proposons est beaucoup plus juste et plus capable de faire respecter les ministres de la religion. Le comité a fait imprimer ua rapport qui vous a été distribué, dans lequel il a développé toutes les bases de son plan. Il est inutile, je crois, de vous les rappeler ; je vais vous lire les articles du projet de décret. « Art. 1er. A compter du 1er janvier 1790, le traitement des archevêques et évêques en fonction est fixé ainsi qu’il suit, savoir : « Les archevêques et évêques, dont tous les revenus n’excèdent pas 15,000 livres, n’éprouveront aucune réduction. « Ceux dont les revenus excèdent celte somme auront 15,000 livres, plus la moitié de l’excédent, 408 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 juin 1790.] sans que le tout puisse aller au delà de 30,000 1. et par exception l’archevêque de Paris aura 75,000 livres. Lesdits archevêques et évêques continueront à jouir dans leurs villes épiscopales des bâtiments à leur usage et des jardins y attenant.» M. de Castellane. J’ai donné mon assentiment au décret qui déclare que les biens ecclésiastiques appartiennent à la nation. J’ai encore voté, comme la majorité de l’Assemblée nationale, pour que le maniement des fonds soit ôté aux titulaires, parce que je n’ai rien vu dans tout cela qui fût contraire à la justice ; mais j’ai toujours pensé que les titulaires avaient droit de conserver la portion de leurs revenus qui n’était pas évidemment destinée à un autre emploi. D’après cela, je n’ai pas cru que vous puissiez suivre les mêmes bases pour le clergé actuel que pour le clergé futur. Les titulaires ont des droits à la jouissance de leurs biens, mais ces droits leur imposent des obligations. Si la nation veut s’en charger, elle a le droit de prélever les sommes nécessaires pour les remplir. J’admettrai sans discussion les bases du comité, et je ne contesterai point ses calculs, mais je demanderai d’après quels principes il a cru devoir fixer le maximum? Je ne parlerai pas pour les évêques seulement, je parle pour tous les titulaires, pour tous ceux qui avaient des jouissances viagères. Si vous dites è un titulaire qui a 45,000 livres : la portion à déduire sur cette somme est de 15,000 livres, vous serez réduit à 30,000 livres, il n’y a pas d’injustice à cela. Mais comment dire à celui qui a 100,000 livres, qu’on lui en prend 70,000 livres, et comment accorder cette déduction disproportionnée avec les principes de justice ? S’il fallait ajouter des considérations, je dirais que les titulaires actuels ont des dettes auxquelles ils ont été nécessités. Les jeunes ecclésiastiques, par exemple, ont fait les dépenses de leurs bulles et ont été obligés à des sacrifices pour subvenir à la non-jouissance de la première année de leur nomination; et pour vous donner des exemples d’un autre genre, je vous dirai que M. l’archevêque de Paris a emprunté 60,000 livres l’année dernière pour le soulagement des pauvres. M. l’évêque d’Auch a emprunté une somme assez considérable pour le même objet. Je demande s’il a eu tort, si ceux qui lui ont prêté ont eu tort de le faire. Voudriez-vous que ceux qui ont éprouvé ces actes de charité éprouvassent une banqueroute? Mais on me dira qu’ils ont eu tort de prêter ; qu’ils savaient bien qu’on n’a plus de recours sur un ecclésiastique après sa mort. Eh bien! que répondriez-vous aux créanciers qui vous diraient : Nous avons voulu courir des dangers ; nous avons calculé les probabilités, mais nous savions que le traitement des ecclésiastiques leur était assuré pendant leur vie. Je cherche ce qu’on pourrait alléguer en faveur du maximum fixé par le comité. « Déjà les dépenses sont très considérables ; la nation ne peut en faire davantage. » Il faut être économe, mais la justice avant tout. Je demande donc que le minimum soit adopté, et que les titulaires actuels jouissent de la moitié de leurs revenus au-dessus de ce minimum. M. Roederer. Je vais d’abord vous présenter mon projet de décret qui tiendra lieu de préambule. « L’Assemblée nationale décrète que le tiers du revenu sera donné aux évêques qui ont plus de 15,000 livres, aux curés qui auront plus de 3,000 livres, lesquels conserveront leur traitement, sauf à prendre les quatre ou même les cinq sixièmes aux titulaires qui auraient plus de 50,000 écus de rente. ■» Je vais actuellement vous développer les motifs de ce décret. Faire une autre réduction que celle que je propose, ce serait ou rendre un jugement ou donner un effet rétroactif à la loi, et l’Assemblée n’a ni l’un ni l’autre de ces pouvoirs. En déduisant le tiers, j’ai parlé le langage d’une justice rigoureuse. Les lois sont des conventions que les contractants peuvent détruire, mais les actes de la vie privée, faits sur la foi des lois existantes, auxquelles ils sont conformes, sont sacrés. Sans cela la législature dirait : non seulement je ne veux pas que telle chose subsiste, mais je veux qu’elle n’ait pas existé. Il est évident qu’ainsi toutes les législatures seraient à la merci de la dernière. Les anciennes lois consacrent la validité des bénéfices et des revenus ecclésiastiques : c’est sur cette foi que nombre d’ecclésiastiques, par une fausse vocation, je le confesse, ont embrassé leur état, ont passé une partie de leur jeunesse à des études longues et pénibles, qui ne peuvent leur servir à remplir aucune fonction sociale. À tous ces motifs ne peut-on pas encore ajouter cette séparation éternelle de cette moitié de l’espèce humaine. .. .? (Plusieurs membres se mettent à rire.) Je sais quelles épigrammes depuis longtemps émoussées on peut aiguiser sur cette matière; mais à la tribune il faut parler le langage des législateurs. On ne peut donner un effet rétroactif à la loi; nulle puissance n’a pu, ou du moins n’a encore voulu les relever du vœu du célibat : vous ne pouvez pas détruire tous les avantages qu’ils ont trouvés en compensation. Ne devrait-on pas un dédommagement au jeune ecclésiastique qui ne fait qu’entrer dans les ordres, au vieillard pour qui toute réduction serait un coup mortel? Vous avez cru que la vieillesse était sacrée jusque dans ses habitudes et cette infirmité morale qui se joint à toutes les espèces de décrépitude. Le projet du comité est une injustice envers les créanciers des prélats, une injustice envers les prélats charitables et une cruauté pour les vieillards qui ne peuvent changer leurs habitudes. Je demande donc que ce projet soit rejeté. M. de Robespierre (1). Je répondrai en peu de mots aux motifs allégués par les préopinants, pour assurer aux évêques un traitement plus considérable que celui qui est proposé par le comité. Le résultat du projet du comité donne aux évêques à peu près 30,000 livres de revenus, et on trouvé ce traitement insuffisant. Voilà la question. On a commencé par prétendre que vous n’aviez point le droit de toucher à la jouissance des titulaires ecclésiastiques, que vos décrets ne pouvaient avoir, contre eux, un effet rétroactif. A-t-on donc oublié que les ecclésiastiques ne peuvent être considérés que comme des fonctionnaires publics, salariés par la nation ? que vous les avez toujours considérés comme tels, et qu’il est impossible de contester à la nation le droit de régler dans tous les temps, ces salaires? que vous n’avez vous-mêmes rien fait autre chose, jusqu’ici, qu’exercer ce droit, soit en supprimant une foule d’offices publics, soit en réduisant les salaires de ceux qui les remplissent? Gommentcette objection (1) Nous empruntons l’opinion de Robespierre au journal le Point-du-Jour (tome XIV, page 206).Cette version est plus complète que celle du Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 juin 1790.] 409 a-t-elle pu être présentée par les préopinants, tandis qu’eux-mêmes n’ont point osé vous proposer de conserver aux titulaires actuels toute l’immensité des richesses dont ils jouissent ; tandis qu’eux-mêmes ont consenti aux décrets qui ont dépossédé actuellement (es ecclésiastiques de tout bien foncier? N’est-il pas évident, en effet, que si leur principe était vrai, vous n’auriez pu rien changer absolument ni au mode, ni à la quotité de leur puissance ? On a invoqué, en faveur des évêques, la munificence, la générosité d'une grande nation. Quelle est donc la générosité qui convient à une nation grande ou petite et à ses représentants ? Elle doit embrasser, sans doute, l’universalité des citoyens ; elle doit avoir surtout pour objet la classe la plus nombreuse et la plus infortunée ; elle ne consiste pas à s’attendrir exclusivement sur le sort de quelques individus condamnés à recevoir un traitement de 30,000 livres de rentes: pour moi, je la réclame au nom de la justice et de la raison, pour la multitude innombrable de nos concitoyens dépouillés par tant d’abus ; pour les pères de famille qui ne peuvent nourrir les nombreux citoyens qu’ils ont donnésàla patrie; pour la foule des ecclésiastiques pauvres qui ont vieilli dans les travaux d’un ministère actif et n’en ont recueilli que les infirmités et la misère, dont les touchantes réclamations retentissent tous les jours à vos oreilles. Vous avez à choisir entre eux et les évêques. Soyez généreux comme des législateurs, comme les représentants du peuple et non comme des hommes froids et frivoles qui ne savent accorder leur intérêt qu’aux prétendues pertes de ceux qui mesurent leurs droits sur leurs anciennes usurpations, sur leurs besoins factices et dévorants et qui refusent leurcompas-sion aux véritables misères de l’humanité. On vous a parlé des dettes des ecclésiastiques comme du principal motif qui devait exciter la générosité qu’on vous recommande. Je pourrais répondre d’abord que les dettes contractées par des évêques ne peuvent rien changer aux principes qui dirigent, dans la main du législateur, la dispensation des biens nationaux. Ces principes sont le plus grand but de la nation et surtout l’intérêt de la portion de la société la plus maltraitée par les abus et par la monstrueuse disproportion des fortunes. Mais, pour réfuter cette objection plus en détail, j’ajoute que je ne puis consentir à supposer que la pluralité des évêques aient oublié la modestie et les vertus qui convenaient à leur caractère, au point de contracter des dettes énormes avec un revenu supérieur aux besoins les plus étendus. Si quelques-uns ont fourni une pareille preuve du danger des richesses, ce ne sera plus une raison à vos yeux de leur prodiguer les trésors de la nation et la subsistance des malheureux. J’ajoute encore que 30,000 livres et l’économie peuvent suffire aux payement des dettes. Je conclus pour le plan du comité ecclésiastique. M. de Boufilers. Je ne me dissimule point la défaveur qui attend un orateur qu’un intérêt personnel attache à la cause qu’il soutient, et que ce même intérêt décrédite auprès des hommes qu’il cherche à persuader; mais je n’écouterai pas une crainte qui paraîtrait confondre des législateurs avec des hommes ordinaires. Je ne cache point mon intérêt privé derrière un intérêt public ; mais un intérêt public se lie lui-même à mon intérêt privé ; mais un intérêt privé, s’il vous paraît légitime, doit prendre à vos yeux le caractère d’un intérêt public. Je suis un de ces titulaires ecclésiastiques dont vous avez déclaré le bien à la disposition de la nation. S’ils lui sont vraiment nécessaires, il ne me restera qu’un regret, celui d’en avoir joui trop longtemps. Permettez que je vous parle non en qualité de membre du clergé, mais dans une qualité dont je suis bien plus digne, dans celle de citoyen. Sous ce point de vue seulement, je vous offre nos droits, nos offres et nos motifs. L’Assemblée jugera si ces droits sont réels, si ces offres sont raisonnables, si ces motifs sont plausibles ; et, quel que soit son décret, il sera ma dernière pensée. J’ose interroger ici tous les citoyens de toutes les cités : quelle est la raison de la possession ? C’est le droit. Quel est le signe du droit ? C’est le titre. Quel est le garant du titre ? C’est la loi. Je puis donc l’invoquer, cette loi, comme à tous, cette divinité conservatrice de toutes les propriétés. C’est elle qui veut qu’elles soient ce qu’elles sont ; c’est elle qui veille au repos du monde, et qui donne à chacun la sécurité, pour prix du respect qu’elle exige de tous; enfin, c’est elle qui vous a gardés chacun, et qui doit me garder comme mère, ou vous abandonner comme moi. L’intérêt de l’Etat, vous a-t-on dit souvent, est la suprême loi ; quel est le vrai sens de cette maxime? Elle signifie que toutes les fois qu’on peut hésiter, l’intérêt de l’Etat doit décider ; elle ordonne à tous les citoyens de mépriser leurs intérêts, mais non pas la justice. Les arguments, si victorieusement employés contre les réguliers, ne peuvent avoir le même succès contre les titulaires. Le clergé régulier, une fois dissous, vous montre des hommes sans titres et des biens sans possesseurs. Le clergé séculier, au contraire, dissous comme l’autre, réduit comme l’autre à ses éléments indivisibles, vous montre des biens possédés et des citoyens qui les possèdent. Mon projet n’est point de rejeter indistinctement tous les plans qui ont pu vous être soumis pour la réduction des traitements des titulaires, mais plutôt de choisir parmi ces plans, et d’en extraire un qui, sans être moins utile pour l’Etat, soit moins cruel pour les particuliers ; car j’aime à penser que ces deux conditions ne seront jamais incompatibles. J’adopterai donc, à certains égards et avec certaines modifications, le mode d’indemnité qui vous a été indiqué par votre comité ; mais l’Assemblée approuvera-t-elle ce terme fixe, ce maximum auquel une fois parvenu, on tranche toutes les difficultés en supprimant tous les calculs. Adoptera -t-elle cette manière capricieuse de trancher dans le vif, qui fait penser au lit sanglant sur lequel Procuste étendait et mutilait ses victimes ? Consentira-t-elle à un arrêt qui déclare que celui de nous qui était riche hier sera demain banqueroutier ? Enfin ne craindra-t-elle point que ce retour subit et forcé du clergé actuel à l’état de la primitive Eglise ne rappelle moins les vertus que cette primitive Eglise a montrées, que la persécution qu’elle a essuyée ? Ecoutez plutôt avec bienveillance d’autres conseils, plus d’accord avec vos principes de justice. Commencez par fixer sur tous les bénéfices considérables une somme déterminée et un principal honnête à l'entretien du bénéficier ; au delà de cette somme, établissez une surimposition, qui laisse au bénéficier le moyen de subvenir aux dépenses de l’exploitation, annoncez en même temps aux bénéficiers qui se retireront une indemnité à peu près égale au tiers du bénéfice réduit; laissez-nous une ombre de liberté que le despotisme lui-même hésiterait à refuser, l’option dans une alternative 410 [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 juin 1790.] nécessaire; alors nous n’aurons été traités ni en coupables, ni en esclaves, ni en ennemis, et nous ne serons point bannis sans pitié de cette portion de terre dont la nation nous avait garanti la ’ouissance jusqu’à la tin de nos jours. Pourquoi a nation ne nous prendrait-elle pas pour des fermiers, dont le bail se terminerait avec la vie ? Hélas! de tous les baux, un bail à vie est souvent le plus court !... Tout dépend du mouvement que vous imprimerez à la vaste machine ; écartez donc tous les obstacles, adoucissez tous les frottements ; faites plus encore, et changez les résistances mêmeen forces motrices. On ne manquera pas d’élever des difficultés au sujet de tantde remboursements à faire à la même époque. Mais rien ne vous empêche de les effectuer sur-le-champ en assignats, que vous multiplierez sans danger pour un si utile objet; par ce moyen vous laisserez à beaucoup d’hommes, justement alarmés pour leur honneur, la possibilité de remplir des engagements peut-être sacrés ; vous leur épargnerez des inquiétudes toujours renaissantes sur l’instabilité des choses humaines dont ils sont un si frappant exemple. Mais nos droits, fussent-ils, s’il est possible, plus éviden ts qu’ils ne le sont, nous rougirions encore d’avoir compté, d’avoir négocié, j’ai presque dit marchandé avec la patrie, pour des jouissances Êersonnelles, qui sans doute importent moins à eaucoup d’entre nous que la prospérité publique. Vous le savez, nos concitoyens, partageant notre sécurité, avaient mis aussi leur confiance dans ces titres incontestables sur lesquels nos droits sont fondés. Quand la nation voudrait nous blâmer de nos dettes, pourrait-elle en punir nos créanciers ? Je ne parle pas ici pour les créanciers du clergé, que vous avez placés sous la sauvegarde de la loyauté française; je parle pour nos créanciers particuliers, pour les miens, par exemple; ne leur suffirait-il pas d’évaluer les chances de la vie ? devaient-ils calculer les chances de la loi ? Pourquoi avez-vous des dettes? nous diront nos accusateurs. Vous exposerai-je des dépenses d’amélioration, de réparations, de reconstructions d’églises et de bâtiments ruraux? Non, je vous intéresserai davantage en tournant vos regards vers des fondations utiles, vers des maisons d’instruction gratuite, vers des hospices secourables , ouverts à la vieillesse, aux infirmités ou au repentir, vers des hôpitaux enrichis des dons et souvent d’emprunts inconsidérés peut-être; mais la charilé croit toujours placer à un plus haut intérêt qu’elle n’emprunte. Mais les dettes doivent-elles donc être saintes pour être sacrées? Nous n’en devons compte qu’à nos créanciers, et la nation leur doit compte de nos biens. On l’a dit dans cette tribune : l’honneur est plus cher au Français que la vie; et vous nous condamneriez à le perdre ! Essayera-t-on de nous consoler par l’infâme privilège de ne pas payer nos dettes. Je jure ici que nous n’en voulons point; notre dernier meuble, notre dernier écu est à nos créanciers... Il existe encore pour les hommes d’église d’autres créanciers véritablement privilégiés ; ce sont les pauvres. Gardons-nous de dessécher les anciens canaux, jusqu’à ce que les nouveaux aient été creusés, et que leur lit affermi ne laisse aucun doute sur leur utilité. Songez qu’on risque, en frappant sur un riche, de frapper sur un pauvre. Le luxe des prélats, contre lequel on a tant déclamé, n’est inutile qu’à ceux qui en jouissent ; il est nécessaire à ceux qui le servent. Si la vanité s’est cachée souvent sous des dehors vertueux, croyez que la vertu s’est quelquefois cachée sous ie dehors du faste. Pourquoi ne pas suivre un bon conseil, celui d’un sage dont la maxime était : Rien de trop. Pourquoi ne pas suivre un bon exemple, celui de la nature, qui change tout, qui perfectionne tout sans jamais rien détruire? Eh quoi! la patrie ne serait-elle pas satisfaite d’un sacrifice dont nulle histoire n’offre d’exemple ? Et repoussera-t-elle des citoyens qui offrent plus à leurs concitoyens que des vainqueurs n’oseraient exiger? Voici le projet de décret que j’ai l’honneur de vous proposer : Art. Ier. Il sera libre aux titulaires des biens ecclésiastiques de conserver ou de remettre les biens de leurs bénéfices, dans le cas et suivant les conditions qui sont énoncées dans la suite du présent décret. II. Un titulaire de plusieurs bénéfices ne pourra conserver que la gestion d’un seul bénéfice à son choix, sous la seule dénomination de fermier des biens nationaux, et pour les autres bénéfices il recevra l’indemnité qui sera fixée proportionnellement à leur valemr. III. Les biens conservés par les anciens titulaires seront chargés : 1° de toutes les impositions civiles ; 2e d’une imposition extraordinaire appelée cens national, et proportionnée à la valeur reconnue desdits biens, lorsqu’ils excéderont le revenu de 1,500 liv. Ceux de 1,500 liv. jusqu’à 3,000 liv. paieront un vingtième ; Ceux de 3,000 liv. jusqu’à 6,000 liv., deux vingtièmes; Ceux depuis 6,000 jusqu’à 12,000 liv., trois vingtièmes ; Ceux depuis 12,000 jusqu’à 24,000 liv., quatre vingtièmes ; Ceux depuis 24,000 jusqu’à 50,000 liv. cinq vingtièmes ; Ceux depuis 50,000 liv. indéfiniment, six vingtièmes. IV. Un titulaire qui abandonnera un bénéfice dont le produit net n’excédera pas 1,500 liv., toutes impositions civiles acquittées, recevra pour indemnité une rente viagère équivalente au produit dudit bénéfice. V. Les titulaires dont le revenu net excédera 1,500 liv. recevront : 1° 1,500 liv.; 2° la moitié du reste de leur revenu. VI. Les évêques actuellement en fonction payeront une redevance extraordinaire égale au cinquième du revenu de leur siège; et quant à leurs autres bénéfices, ils seront assimilés aux autres bénéficiers. VII. Les évêques supprimés recevront la moitié du revenu de leurs évêchés. VIII. Les évêques qui se retireront volontairement conserveront ie tiers du revenu actuel de leur évêché. IX. Les curés dont le revenu ne s’élèvera point à 1,200 liv., recevront annuellement le complément de cette somme. X. Les curés dont le revenu net excédera 1,500 liv. seront assujettis à la contribution extraordinaire, telle qu’elle est réglée pour les titulaires qui conserveront la gestion de leurs bénéfices. XI. Il sera compté à chaque titulaire indemnisé ie capital de la rente a laquelle il pourra prétendre, et ce capital sera délivré en assignats, sauf à en ordonner à cet effet une nouvelle fabrication. XII. La proportion de ce capital à la rente sera fixée d’après l’âge du titulaire indemnisé, dans (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 juin 1790.] 411 l’ordre ci-après. Il sera compté aux titulaires au-dessous de quarante-cinq ans la somme totale de douze payements réunis de leurs indemnités annuelles ; A ceux depuis quarante-cinq ans jusqu’à soixante, onze payements ; A ceux depuis soixante jusqu’à soixante-quinze, dix payements ; A ceux depuis soixante-quinze indéfiniment, neuf payements. XIII. Pour faciliter aux titulaires indemnisés l’emploi de leurs capitaux, il sera ouvert un emprunt public, où ils pourront placer lesdits capitaux entiers ou en partie en rente viagère sur la nation, au même taux qu’ils les auront reçus proportionnellement à leur âge. XIV. Il sera libre aussi aux mêmes titulaires de retirer sur-le-champ telle partie de leurs bénéfices qui leur conviendra, et dans ces traités ils obtiendront une remise d’un tiers sur le prix de l’estimation de la maison bénéficiale avec ses dépendances, et d’un vingtième sur le prix de la totalité du reste de l’acqtnçilion, à charge néanmoins de reverser le montant de cette remise dans les coffres publics, au bas où l’acquisition serait revendue dans l’espace de cinq ans. XV. Ces différentes dispositions auront leur effet à dater du 1er juillet 1790. M. Treilhard. Le comité a pris des mesures pour accorder un traitement honorable aux ministres nécessaires du culte. Après avoir calculé la masse des biens avec les charges qui y sont attachées, on verra qu’il n’a pu faire plus. Trente-cinq mille curés, vingt mille vicaires, deux cent-huit maisons d’éducation, sept cent vingt-six abbés, quatre-vingt-trois évêques, les pensions des religieux et religieuses, etc., voilà ce qui absorbe tous les revenus. Ici vous demanderez pourquoi nous avons proposé des traitements aussi considérables avec des fonds qui l’étaient si peu? Le comité a fait plusieurs observations : 1° il y a une très grande quantité de biens-fonds qui n’entrent pas dans la masse productive des revenus ; 2° des bois très considérables. Ces deux objets sont assez forts pour fournir aux assignats et aux dettes du clergé ; 3° les dîmes ne sont remplacées que pour 5 millions, et elles coûtaient davantage au peuple ; 4° le clergé avait un casuel dont le peuple est soulagé -, 5° la nation fera de grands bénéfices sur les extinctions peu éloignées. 11 est possible que les revenus des biens ecclésiastiques ne soient pas suffisants. Les augmentations sur les portions congrues, les traitements des vicaires, les pensions des religieuses forment une somme de 30,400,000 liv. Voilà la raisou qui nous a obligés à diminuer de beaucoup les traitements des ecclésiastiques, de ceux surtout qui ont de gros revenus. La nation a promis le nécessaire à ceux qui travaillent ; nous nous proposons de donner du superflu à ceux qui ne font rien. (On demande que la discussion soit fermée.) M. Dupont (de Nemours). Le préopinant n’a opposé à des motifs de raison et de justice que des calculs. Le comité lui-même est convenu qu’iJ serait digne de vous d’être justes et généreux. On n’a regardé les ecclésiastiques que comme purement salariés; ils l’étaient en ce sens qu’ils remplissaient des fonctions publiques; c’étaient des propriétaires. Ceux qui n’avaient pas de fonctions étaient également propriétaires. Cette propriété est usufruitière; mais elle n’est pas moins sacrée que si elle était héréditaire. Vous devez prendre sur cet usufruit la masse des impositions, l’entretien des cultes, celui des pauvres, celui des édifices; vous n’avez pas le droit de prendre davantage. Rien ne vous appartient sur les bénéfices qui ne suffisent qu’à l’entretien des titulaires; vous ne devez donc pas diminuer le sort des curés. M. Treilhard a dit que le comité craignait de manquer de finances : quand cela serait, cela ne devrait pas vous arrêter; une augmentation de dépense annuelle, pendant quelques années seulement , qui vous donnerait un capital de 2 milliards, serait une très bonne opération. Vous n’êtes pas dans le danger par lequel on vient de chercher à émouvoir votre humanité, votre justice et votre bienfaisance. Le comité a dit qu’il n’avait pas de renseignements certains : en effet, son guide a été un livre intitulé : la France ecclésiastique , dont l’autorité, comme on l’a déjà dit dans cette tribune, peut équivaloir à celle de Y Almanach de Liège. Le comité n’a serré la mesure que dans la crainte d’un déficit ; mais il ne serait pas très considérable. L’échelle pourrait être mieux graduée et présenter la diminution du maximum à mesure qu’on s’élèverait à la somme des besoins du propriétaire. Les ecclésiastiques qui ont employé leur argent et celui de leur famille à payer des bulles, à former leurs établissements, sont dans un âge très avancé. Si on prend une moyenne proportionnelle de traitement qui soit de 6,000 livres, la somme totale sera de 2,600,000 livres ; si cette moyenne proportionnelle est de 10,000 livres, ce qu’on ne peut supposer, le total sera de 4,000,000. Je demande à votre dignité nationale si, quand vous rentrez dans 2 milliards de capitaux qui vont vous élever à une grande prospérité, 4 millions de livres de rentes viagères sur des têtes très âgées doivent arrêter les représentants d’une nation telle que la nôtre? Je finis en vous invitant à demander à M. Thouret les proportions qu’il a calculées. M. Brlois de Beanmetz. Je demande, avant de profiter de l’usage de la parole qui m’est accordée, à entendre le plan de M. Thouret. (M. Thouret ne se trouve pas dans l’Assemblée.) M. Brlois de Beaumetz. On a dit presque tout ce que je voulais dire. J’avais d’abord à remarquer que le rapport du comité manquait de calculs. M. Treilhard a présenté tous ceux qu’on pouvait désirer; mais je ne puis être arrêté par des calculs. Une nation ne doit consulter que la justice; et je tiens une nation comme détruite, quand elle a cessé d’être juste. Lorsqu’on vous a proposé de réduire les traitements du clergé futur, on a fait une proposition très sage et très raisonnable : Quand l’honneur d’être utile à la patrie sera apprécié, il faudra attacher un bien petit salaire au devoir et à l’honneur de la servir. 0e n’est pas sur cette base que nous pouvons travailler en ce moment. Je ne vous propose pas d’être généreux; il n’est pas permis à une nation qui a 5 milliards de dettes et qui supporte 500 millions d’impôts de se livrer aux mouvements de la générosité ; elle ne peut qu’être juste; mais vous seriez indignes de représenter le peuple français, si vous décrétiez une injustice en son nom. Le premier principe de justice est qu’une loi ne peut avoir un effet rétroactif : c’est à l’abri de la ioi que les titulaires ont traité avec l’Etat ; ils ont fait pour ainsi dire un contrat synallag- 412 [Assemblée nationale.) ARCHIVES matique. Je m’attends à tous les murmures, aux sarcasmes, aux risées par lesquels on a déjà ac* cueilli une considération importante; ils ont renoncé aux plus douces affections de la nature; ils ont renoncé à prononcer le nom d’époux et de père. . . {Il s’élève des murmures.) Si je suis interrompu quand je profère cette grande vérité, je suis certain qu’au milieu d’une Assemblée législative ce n’est pas l’immoralité qui m’interrompt. Ils avaient aussi renoncé, je le sais, à posséder des richesses. La loi qui leur a permis d’en posséder était vicieuse; mais elle existait. Le vice de la loi ne peut être reproché à l’homme; l’homme ne peut être victime de la loi. Le titulaire à qui la loi avait permis de posséder plusieurs bénéfices considérables avait deux copropriétaires : le pauvre, celui dont la propriété a toujours été la plus sacrée pour vous, et le service des fabriques, ainsi que les autres dépenses du culte. Il est juste de séparer les propriétés indivises et de faire Ja part de chacun . C’est en suivant ce principe d’équité que je crois permis de diviser les propriétés des titulaires en trois parts. La troisième est absolument à eux. Il attaque ensuite deux objections. On a dit que, s’il était permis d’envahir la moitié d’une propriété, il était permis également de s’emparer de la totalité. Il y a une très grande différence entre dépouiller un propriétaire ou faire le partage entre lui et ses copropriétaires. Une autre objection plus forte a occupé les amis du bien : ils sont révoltés d’avoir vu des hommes accumuler des richesses et en faire souvent un emploi peu estimable; ils croient remplir un devoir étroit en détruisant ce scandale. Ce scandale subsistera encore, lorsque vous aurez diminué des deux tiers le revenu des titulaires. Il est énorme cet inconvénient, je l’avoue, et je n’y connais pas de remède ; la loi a un bandeau, pour exprimer qu’elle ne voit qu’en masse le bien qu’elle fait; elle ne s’occupe que de l’intérêt général; elle ne considère pas les maux particuliers et les inconvénients qui tiennent à la nature des choses humaines. De même, quand vous avez eu à réformer d’énormes abus, à réintégrer l’homme dans ses droits véritables, vous avez oublié les infortunes et les disgrâces particulières; vous avez frappé sur les individus, vous avez réduit des familles à la plus affreuse misère, vous l’avez fait avec justice ....... Et vous craindriez de laisser quelques richesses sur la tête d’un petit nombre de vieillards? Non, vous ne croirez pas cesser d’être justes en fermant les yeux sur quelques faveurs exagérées. Je me réfère à l’opinion de M. Rœderer, en me réservant de revenir à celle de M. Thouret, si elle est plus conforme à mes principes. M. Thouret paraît à la tribune. M. Oarnave. Il est d’usage d’entendre un orateur pour et un orateur contre le plan du comité ; je demande si M. Thouret parle pour. M. Thouret. Je vais faire une proposition qui n’a pas encore été faite. (L’Assemblée est consultée et décide que M.Thou-ret sera entendu.) M. Thouret. Je vais exposer sommairement pourquoi je n’adopte pas les deux opinions qui ont été présentées. Il était juste de développer avec énergie les principes, lorsqu’il s’agissait de la corporation qu’ou appelait clergé, et de ses PARLEMENTAIRES. [22 juin 1790.1 droits politiques et civils; alors, et quand il a fallu appliquer ces principes, j’ai joint tous mes efforts aux vôtres. Maintenant que ces intérêts sont à l’abri et que cette importante partie est assurée, nous n’avons plus à frapper sur des êtres abstraits et insensibles, tels que des corps moraux, mais il s’agit d’individus. Hommes que nous sommes tous, l’humanité réclame non seulement un droit étroit à raison du nécessaire, mais des condescendances à raison des faiblesses communes , des habitudes , des jouissances. C’est ici que chacun de nous doit se dire : « Homo sum, et nihil humanum a me alie-num puto. » Il se présente d’autres considérations : Les hommes sur lesquels vous avez à prononcer sont des titulaires, et ce titre rappelle qu’ils ont du compter sur l’existence de leurs bénéfices et sur la jouissance de leurs revenus. Quand la nation, rentrant dans ses droits, a détruit les bénéfices , si nous frappions sans réserve, nous porterions trop loin la rigueur. Je citerai un adage très philosophique : « Summum jus, summa injuria. » C'est ici que l’équité doit prévaloir sur la justice. Le comité propose une réduction telle, qu’aucun titulaire n’aurait pas plus de 30,000 livres. Cette réduction n’est ni raisonnable , ni conforme aux principes mêmes du comité. Dans ces principes, il faudrait que le décroissement du revenu fût dans une progression relative aux jouissances. Je propose, dans cette vue, un tableau progressif suivant : POUR LES ÉVÊQUES. Chaque évêque aura 15,000 livres pour taux commun. La moitié de ce qu’il a au-dessus de 15,000 livres, jusqu’à ce qu’il ait atteint un traitement de 30,000 livres, ce qui suppose 45,000 livres de revenu actuel. Le tiers de ce qu’il a au-dessus de 45,000 livres, jusqu’à ce qu’il ait 45,000 livres de traitement, ce qui suppose un revenu de 90,000 livres. Le quart de ce qu’il a au-dessus de 90,000 livres, jusqu’à ce qu’il ait un traitement de 60,000 livres, ce qui suppose 150,000 livres de revenu. Le cinquième de ce qu’il possède au-dessus de 150,000 livres, jusqu’à ce qu’il ait atteint un traitement de 75,000 livres, ce qui suppose un revenu de 225,000 livres. Le sixième de ce qu’il possède au-dessus de 225,000 livres, jusqu’à ce qu’il ait atteint un traitement de 90,000 livres, ce qui suppose un revenu de 315,000 livres. Le septième de ce qu’il possède au-dessus de 315,000 livres, jusqu’à ce qu’il ait atteint un trai-ment de 105,000 livres, ce qui suppose un revenu actuel de 420,000 livres. Le huitième de ce qu’il possède au-dessus de 420,000 livres, jusqu’à ce qu’il ait atteint un traitement de 120,000 livres, ce qui suppose un revenu actuel de 540,000 livres. Le neuvième de ce qu’il possède au-dessus de 540,000 livres, jusqu’à ce qu’il ait atteint un traitement de 135,000 livres, ce qui suppose un revenu actuel de 675,000 livres. Le dixième de ce qu’il possède au delà de 675,000 livres, jusqu’à ce qu’il ait atteint un traitement de 150,000 livres, ce qui suppose un revenu de 825,000 livres (1). (1) A commencer du cinquième article, ce qu’on ac- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 juin 1790.] m POUR LES ABBÉS ET AUTRES BÉNÉFICIÊRS. Chaque titulaire de bénéfice simple aura 1,0001. pour taux commun. La moitié de ce qu’ils ont de plus, jusqu’à ce que le traitement soit de 6,000 livres, ce qui suppose 11,000 livres de revenu. Le tiers de ce qu’ils possèdent au-dessus, jusqu’à ce qu’ils aient atteint 12,000 livres de traitement, ce qui suppose 29,000 livres de revenu. Le quart de ce qu’ils possèdent au-dessus de 29,000 livres, jusqu’à ce qu’ils aient atteint 18,000 livres de traitement, ce qui suppose 23,000 livres de revenu. Le cinquième de ce qu’ils possèdent au-dessus de 53,000 livres, jusqu’à ce qu’ils aient atteint 24,000 livres de traitement, ce qui suppose 83,000 livres de revenu. Le sixième de ce qu’ils possèdent au-dessus de 83,000 livres, jusqu’à ce qu’ils aient atteint un traitement de 30,000 livres, ce qui suppose un revenu de 119,000 livres. Le septième de ce qu’ils possèdent au-dessus de 119,000 livres, jusqu’à ce qu’ils aient atteint un traitement de 47,000 livres, ce qui suppose un revenu de 161,000 livres. Le huitième de ce qu’ils possèdent au-dessus de 161,000 livres, jusqu’à ce que le traitement soit de 42,000 livres, ce qui suppose un revenu de 209,000 livres. Le neuvième de ce qu’ils possèdent au-dessus de 209,000 livres, jusqu’à ce que le traitement soit de 48,000 livres, ce qui suppose un revenu de 263,000 livres. Le dixième de ce qu’ils possèdent au-dessus de 263,000 livres, jusqu’à ce que le traitement soit de 54,000 livres, ce qui suppose un revenu de 323,000 livres. Le onzième de ce qu’ils possèdent au-dessus de 223,000 livres, jusqu’à ce que le traitement soit de 60,000 livres, ce qui suppose 389,000 livres de revenu (1). J’ajoute une condition qui fait essentiellement partie de ma proposition ; elle a pour objet d’écarter l’erreur dans l’évaluation de revenus. Cette évaluation serait fixée sur les déclarations données par les bénéficiers, de manière que personne ne pourrait se plaindre ; chacun deviendrait sou ropre juge, et serait traité selon ses œuvres. uant à ceux qui n’auraient point fait de déclaration, quoiqu’on pût ne leur rien accorder, ils seraient traités selon le taux des moindres bénéfices. M. le Président renvoie à demain la suite de la discussion. La séance est levée à trois heures. corde ne monte pas dans la totalité à 400,000 livres de rentes viagères, sur des têtes la plupart très âgées. (1) A commencer du sixième article, ce qu’on accorde ne va pas à 150,000 livres de rentes viagères, sur des têtes très âgées. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE PELLETIER. Séance du mardi 22 juin 1790, au soir (1). La séance est ouverte à six heures du soir. M. Gonrdan, secrétaire , lit les extraits des adresses suivantes : Adresse du tiers état du pays de Liège, dans laquelle on lit : « La nation qui a donné à l’Europe entière un si grand exemple de courage, de justice et de patriotisme ; qui a révélé aux peuples le secret de leur puissance et la science de leurs droits imprescriptibles, verra sans doute avec intérêt la situation où nous nous trouvons. Les Liégeois réclamaient depuis huit mois contre la puissance la plus injuste ; ils viennent de briser leurs chaînes, et sans doute ce spectacle est digne des Français. Nous ne craignons pas de vous distraire dé vos grands travaux en vous suppliant d’arrêter un moment vos regards sur l’histoire de notre révolution. L’exposé dont nous avons l’honneur de vous adresser l’hommage montrera la légitimité de notre cause; il montrera toute l’injustice de l’évêque, que ni l’exemple de Louis XVI, ni la connaissance des lois sages que vous venez de rendre, n’ont pu retenir dans les bornes d’un pouvoir équitable... Un de vos derniers décrets a excité toute notre admiration. Les Français vont jouir d’une liberté soumise aux lois qu’ils ont créées, et désormais ils ne feront plus de conquêtes que par leurs lumières et par leur exemple. » Adresse de renouvellement d’adhésion et dévouement de la garde nationale de la ville de Montauban : elle rend compte de sa conduite depuis le 10 mai dernier. Adresse des receveurs des décimes de la province de Languedoc, qui adhèrent avec respect aux décrets qui opèrent leur suppression. Us supplient l’Assemblée de prendre leur sort en considération. Adresse de félicitation, remerciement et adhésion des citoyens de Gernay-lès-Reims. Adresse de la municipalité de Saint-Quentin : elle annonce que sa contribution patriotique s’élève à la somme de 265,340 livres. Adresses des citoyens actifs du lieu de Gemenos, département des Bouches-du-Rhône; de Ghap-de-Beaufort, département du Puy-de-Dôme, et des manufacturiers de la ville de Reims. Adresse de la garde nationale de la ville de Bergues, qui a fait bénir ses drapeaux et prêté le serment civique. Adresse de la communauté de Le Canet, près Le Luc en Provence, qui exprime son indignation contre la délibération des citoyens catholiques de Nîmes, et la déclaration d’une partie de l’Assemblée. Adresse de la communauté de Portets, près Bordeaux, et de celle de Saint-Forjeux, département de Rhône-et-Loire. Cette dernière dénonce comme dangereuse la protestation de M. Ber-gasse contre les assignats. Adresse des curés et vicaires du canton et de (1) Cette séance est incomplète au Moniteur,