762 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [!•» mars 1790.] [Assemblée nationale. | et les négociants, réunis ici d’intérêts, vous représentent qu’il est impossible de faire cesser la traite des noirs. Ils disent que l’affranchissement est impossible: 1° Parce que, tant que les étrangers, ayant des colonies semblables aux nôtres, auront, pour leur culture, des esclaves dont la main-d’œuvre est, sans comparaison, à plus bas prix que celles des hommes libres, il nous sera impossible, après l’affranchissement de nos noirs, de cultiver en concurrence avec les colonies de l’étranger; 2° Parce que, dans cet état de concurrence insoutenable, la France aura fait un sacrifice sans utilité pour les noirs, si l’affranchissement n’a pas été en même temps ordonné dans toutes les colonies de l’étranger ; 3° Parce que, dans le cas même où cet affranchissement aurait été partout ordonné, la France aürait cependant à considérer que son sacrifice aura été au double et au triple de celui des autres nations, ayant des colonies semblables aux nôtres ; 4° Parce que de l’affranchissement ordonné résultera, dans nos îles, nécessité urgente de céder la place aux noirs, qui, désormais chargés de pourvoir par eux-mêmes à leurs besoins, en maladie, comme en santé, et à ceux de leurs enfants, ne tarderont pas, dans cet état de misère réellement augmentée par le triple don d’une liberté sans propriété, de joindre au sentiment de leur ruine celui de leurs forces dans des îles où le rapport des noirs aux blancs est comme de dix à un, d’où suivra bientôt la plus infaillible des conjurations: à moins que, mieux conseillés, les noirs ne se déterminent à passer dans les colonies espagnoles et dans l’Amérique indépendante où de vastes déserts leur offrent bon refuge, avec grand dommage cependant pour le royaume, qui verrait l’horreur de la solitude où naguère étaient des richesses immenses dont la perte fera en même temps disparaître de la France une multitude de sujets du roi, qui n’y existaient et n’y pouvaient exister que par nos colonies; 5° Parce que la France, en satisfaisant au vœü des amis des noirs, sera dans l’obligation d’ajouter à un sacrifice déjà immense, celui d’une somme effrayante, pour indemniser des colons dépouillés par le fait du gouvernement, à moins qu’on ne prétendît chez les amis des noirs, qu’ils doivent les protéger, jusqu’à consentir à la ruine des colons; et que la société, qui n’existe que pat1 la propriété et pour la propriété, aurait cependant le droit d’attaquer celle des colons, ce qu’ils ne soutiendront pas sans doute lorsque nous les aurons priés d’observer : 1° Que les colons n’ont jamais fait le commerce des noirs, et que l’esclavage établi dans nos îles est le propre fait du royaume; 2° Que la France a fait encore le monopole de cette marchandise, au grand préjudice des colons, auxquels les nègres de traite française ont été vendus dans tous les temps à prix à peu près double de elui auquel ils les auraient achetés à l’étranger, si la prohibition dans ces îles n’y avait pas toujours été maintenue, jusqu’à prononcer là peine des galères contre les colons, en faveur des marchands d’e-claves de la métropole; 3° Que c’cst encore le gouvernement français qui a joint à ce premier monopole celui de la subsistance des noirs, d’où s’en est suivi leur prodigieuse mortalité, au grand préjudice de la for-tüne des colons; 4° Que c’est encore le gouvernement qui a fait un troisième monopole dans les fruits provenant du travail des noirs; 5° Que les rigueurs du gouvernement contre les noirs et les colons ont été portées jusqu’à s’opposer à l’affranchissement partiel des esclaves, auxquels les colons n’ont jamais pu donner la liberté qu’en payant un prix, au moins égal à la valeur de l’esclave, considéré comme marchandises ; 6° Que c’est encore la métropole qui a reçu presque tout le produit du travail des noirs, par le résultat nécessaire de ses prohibitions ; que ces fruits du travail des noirs versés dans le royaume ne sont pas au-dessous des six milliards partagés entre les négociants français, depuis l’établissement de nos colonies, sans qu’on puisse montrer des fortunes faites par les colons, si ce n’est en très petit nombre, tandis que nos ports ont, par nos colonies, converti en palais ce qui n’était avant elles qu’un amas de chaumières. D’après cet exposé très simple d.e faits notoires, nous vous laissons à prononcer, Messieurs, quelle doit être la part des colons et celle de la métropole dans ce tort dénoncé par les Amis des noirs, et quelle devrait être la part des colons et celle de la métropole dans la dépense du redressement de ce tort, si on s’imposait l’effroyable charge de l’indemnité dont il s’agit. Les colons et les négociants réunis disent enfin qu’il y a nécessité indispensable de continuer la traite, si nous voulons avoir des colonies, puisqu’elles n’ont pas, à beaucoup près, la quantité de noirs nécessaires aux besoins de leur culture ; mais les colons en particulier ajoutent qu’elles ne se recruteront jamais par elles-mêmes, tant qu’elles seront tenues en état de gêne relativement aux subsistances. D’après ces observations et les nouvelles alarmantes qui sont arrivées récemment de nos colonies, j’ai l’honneur de vous proposer, Messieurs, de nommer tout de suite un comité qui, après avoir entendu contradictoirement les négociants et les colons, fera à l’Assemblée un rapport d’après lequel elle pourra prononcer définitivement sur l’importante question des lois prohibitives, et décider dans sa sagesse jusqu’à quel point il sera possible de les étendre ou de les mitiger pour la prospérité du commerce de la métropole et le bonheur des colons. Quant à la suppression de la traite et à l’affranchissement des noirs, comme il y va de la tranquillité des colonies et peut-être de leur sort, et qu’il s’agit de calmer promptement les craintes fondées de toutes les villes maritimes du royaume, dont la fortune est étroitement liée à celle des colons, jai l’ honneur de proposer à l’Assemblée de déclarer à l’instant même, par un décret, que son intention n’a jamais été de rien innover à l’égard des colonies, reconnaissant qu’il est impossible de les soumettre au moins, quant aux noirs, au régime de la France. Si l’Assemblée se refusait à rendre ce décret, je demande au moins qu’elle prononce sur cette affaire un ajournement indéfini. M. Goupilleau. Il y a une connexité évidente, entre la pétition des négociants de Bordeaux et l’affaire de Saint-Domingue dont vous avez ajourné la discussion. Je propose de joindre les deux affaires et de les traiter en même temps. M. Pellerlm Je demande que la discussion [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1er mars 1790.] continue et qu’il me soit permis de soumettre à l’Assemblée quelques réflexions sur la traite des noirs. ( Voy . ci-après, page 768, les réflexions de M. Pellerin, annexées à la séance de ce jour.) M. Tronchet. L’affaire des colonies et celle de la traite des noirs sont tellement liées ensemble, qu’il est impossible de discuter l’une sans parler de l’autre. J’appuie donc la proposition de M. Goupilleau, et je propose de reprendre immédiatement la discussion du projet de décret du comité féodal. Cette proposition est mise aux voix et adoptée. En conséquence, la suite de la discussion du décret proposé par le comité de féodalité est reprise. M. Merlin, rapporteur , donne lecture de l’article 5. « Art. 5. Dans les cas où les droits et charges réelles mentionnés dans les deux articles précédents se trouveront excéder le taux qui y est indiqué, ils y seront réduits, l’excédent ne devant être considéré que comme la conséquence ou le prix des servitudes personnelles, lesquelles n’étaient pas susceptibles d’indemnité. Seront entièrement supprimés les droits et charges qui ne sont représentatifs que des servitudes purement personnelles. » M. Thoret, député du Berry. Le premier devoir du législateur est d’être juste, le second d’être clair. Vous avez étendu la conséquence au delà du principe: la loi n’est dès lors ni juste, ni claire. Le mainmortable s’appuiera du principe, le seigneur invoquera la conséquence : de là des haines malheureuses, des procès interminables. — Cet opinant présente des observations sur les caractères qui distinguent la mainmorte réelle de la mainmorte personnelle, et la mainmorte mixte de toutes deux. Il propose l’article suivant : « La mainmorte sera censée purement personnelle, et les redevances qui la représentent seront abolies sans indemnité, dans les coutumes et seigneuries où elle s’établissait ci-devant par l’effet de l’habitation dans le territoire desdites coutumes et seigneuries, à moins qu’il n’apparaisse d’un titre qui prouve qu’elle a eu pour origine la concession d’un fonds. La servitude sera censée réelle ou mixte, et les redevances qui la représentent, seront remboursables dans les coutumes et seigneuries où les mainmqrtables possèdent des héritages qui ne sont pas soumis à la mainmorte; elle sera pareillement censée réelle ou mixte, là où les personnes libres possèdent des héritages mainmortables. » M. Merlin. Le comité se dispose à vous présenter, après que vous aurez décrété les divers articles, une instruction qui contiendra des définitions claires et précises. L’article proposé par M. Thoret est écarté par la question préalable. L’article 5 est ensuite décrété en ces termes : « Art. 5. Dans le cas où les droits et charges réelles mentionnés dans les deux articles précédents, se trouveraient excéder le taux qui y est indiqué, ils y seront réduits, l’excédent nedevant être considéré que comme la conséquence ou le prix de servitudes personnelles qui n’étaient pas susceptibles d’indemnité; et sont entièrement supprimés les droits et charges qüi ne sont représentatif* que de servitudes personnelles. » 763 M. Merlin donne lecture de l’article 6. M. Thoret propose d’ajouter ces mots : a à, l’exception des corps d’héritages cédés pour prix de l’affranchissement, et dont les seigneurs ne se seraient point encore mis en possession, et des sommes de deniers échus et non payés. » On demande la question préalable sur cet amendement. Elle est mise aux voix et adoptée. Les articles 6 et 7 sont ensuite mis aux voix et décrétés en ces termes : « Art. 6. Seront néanmoins les actes d’affranchissement faits avant l’époque fixée par l’article 22 ci-après, moyennant une somme de deniers ou pour l’abandon d’un corps d’héritage certain, soit par les communautés, soit par les particuliers, exécutés suivant leur forme et teneur. » « Art. 7. Toutes les dispositions ci-dessus concernant la mainmorte, auront également lieu dans le Bourbonnais et le Nivernais, pour les te-nures en bordelage ; et en Bretagne, pour les tenures en motte et en quevaise; et à l’égard des tenures en domaine congéable, il y sera statué ci -après. » L’article 8 est lu et soumis à la discussion. M. de Lachèze. L’article 8 prononce l’abolition de la taille à volonté, ce qui ne peut avoir lieu que dans le cas où il serait prouvé qu’elle n’est pas le prix d’une concession. M. Renaud ( d'Agen ) dit que la taille à volonté, ainsi que celle aux quatre cas estréellement personnelle puisqu’elle ne peut se percevoir que lorsque Tampbitéose reste dans la seigneurie. La taille aux quatre cas se perçoit par le seigneur : 1° pour le voyage de Saint-Jacques ; 2° pour la croisade ; 3° quand le seigneur est armé chevalier ; 4° quand il marie sa fille. M.de Rousmard de Chantereine demande la conservation du droit de bourgeoisie, comme ressemblant au droit de terrage et de Ghampart, en ce qu’il se paie par les usagers en raison et suivant la quotité de l’usage des biens communaux ; il propose de s’en rapporter, à cet égard, à ce qui paraîtra apparent ou probable. M. Voîdel remarque que le droit de bourgeoisie se paie, au moins dans plusieurs parties de la Lorraine, à raison du domicile et non à raison de l’usage attaché au domicile; il est donc évident que ce droit est personnel et compris dans la proscription de la servitude ët du droit personnel. L’Assemblée ferme la discussion. L’article est ensuite mis aux voix et adopté en ces termes : « Art. 8. Les droits de meilleur catel ou morte-main , de taille à volonté , de taille ou d’indire aux quatre cas , de cas impérieux et d’aide seigneurial, sont supprimés sans indemnité. » M. Merlin, rapporteur , donne lecture de l’article 9. M. Chabroud propose de donner aux détenteurs d’héritages assujettis véritablement à des droits quelconques , la liberté d’abandonner les fonds pour se dispenser d’en payer les charges. M. Merlin. Il est de droit général que tout