ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 juillet 1789]. 195 [Assemblée nationale.] malheurs qui nous désolent, la disette de blé et la disette d’argent. Les productions de notre sol, un numéraire immense, produit de nos richesses, se sont répandus dans des contrées étrangères, et y répandent, à nos dépens, un superflu que la nature et nos travaux nous avaient prodigué. Cependant, sans nous livrer ici à des craintes incertaines, nous pouvons sans danger croire que le blé ne manque pas en France. Les provinces frontières n’en sont pas dépourvues ; mais c’est vraiment en se rapprochant du centre du royaume que le fléau de la disette s’appesantit davantage. A Orléans et dans les environs, les troubles et les émeutes réitérés semblent être les avant-coureurs d’une famine prochaine ; dans d’autres provinces on a donné la mort à des malheureuses victimes auxquelles on ne pouvait pas donner du pain. Plus on avance, plus les obstacles se multiplient, et chaque jour présente un accroissement douloureux de nouveaux malheurs. Il était temps, il y a un mois, de prévoir ces calamités : on pouvait ordonner la libre circulation des grains ; je l’ai mémo proposée dans la Chambre du clergé ; mais à peine ma proposition a-t-elle été faite, qu’un membre s’est élevé contre elle ; il m’a accusé de peu respecter nos lois et l’autorité des cours. Sans doute personne ne respecte plus que moi les lois et la majesté du trône ; mais la religion des princes est souvent séduite, et le premier devoir d'un bon citoyen est de faire briller devant eux le flambeau de la vérité. Je pense que nous devons encore songer au moyen que j’avais soumis au clergé. Le comité vous l’a présenté, et je le remets sous vos yeux. Mais ce secours ne serait pas suffisant. Le mal est immense : chacun doit chercher, autant qu’il est en lui, à le diminuer ; et c’est ce qui me porte à croire qu’une souscription volontaire en faveur des pauvres contribuera beaucoup à soulager leur misère. M. le Président annonce qu’il vient de recevoir une lettre des boulangers de Paris adressée au comité, sur laquelle il y a pressée. L’Assemblée en demande le renvoi au comité des subsistances, qui est invité à s’assembler sur-le-champ. M. le comte de Lally-Tollendal jl). Messieurs, voici une de ces circonstances où l’impatience est permise, et où l’on prétendrait presqu’à se faire pardonner des discours dont l’utilité serait incertaine. Il s’agit du peuple, de ses malheurs ; nous les sentons tous, nous voudrions tous les soulager. On n’a pas un sentiment qu’on ne veuille épancher, on n’a pas une idée qu’on ne croie en devoir le tribut. Sur tout autre objet, j’aurais écouté et me serais instruit. Dans la cause du peuple, je ne puis résister à dire ce que j’ai pensé, ce que j’ai cru et ce que j’ai senti. Apràs avoir mûrement examiné les six propositions par lesquelles a été terminé l’intéressant rapport que nous avons entendu samedi dernier, il m’a paru qu’elles pouvaient se partager également en deux classes. La première offrant trois moyens de secours effectifs pour l’instant. La seconde trois objets d’administration dont deux éloignés et un présent. Quant aux moyens de secours, le premier consiste à ouvrir une souscription. Il m’a paru difli-(1) Le discours de M. le comte de Lally-Tollendal est incomplet au Moniteur. cile de ne pas trouver ce moyen trop incertain, trop peu prompt, trop peu productif peut-être, vu l’énormité des besoins; oserai-je le dire? peut-être aussi trop peu proportionné à la majesté de cette Assemblée. Les deux autres, dont l’un autoriserait le gouvernement et les Assemblées provinciales à faire des avances sous la garantie delà nation, et dont l’autre autoriserait une contribution locale de dix ou vingt sous par tête, n’auraient pas les mêmes inconvénients. Mais un danger différent fait craindre également de les admettre. Sous un nom ou sous un autre, c’est toujours un octroi, un emprunt, un impôt. Nous ne pouvons pas encore en accorder. Jamais, sans doute, le gouvernement ne mérita plus de confiance, plus de faveur, que dans cet instant et sur cet objet; mais c’est pour cela même qu’il faut être plus en garde contre nous. Moins il y a de précautions à prendre contre les personnes, et plus il en faut prendre contre les places. Enfin ce serait un exemple ; il n’en faut point donner qui ne soit à l’appui d’un principe. Le principe est que nous ne pouvons encore voter aujourd’hui ni subsides, ni emprunt, et l’on peut même dire, qu’à cet égard, il existe un concert honorable entre le zèle que nous mettons à défendre cette vérité, et l’hommage que lui rend aujourd’hui le gouvernement. Il faut cependant secourir le peuple, ce peuple qui souffre, ce peuple que nous avons l’honneur de représenter, et l’obligation de défendre. J’ai cru, Messieurs, que l’on pouvait concilier la rigueur du principe avec le second moyen proposé par Messieurs du Comité, en le modifiant différemment. Vous jugerez si je me suis trompé. Je vais avoir i’honneur de vous lire le projet d’un arrêté ou plutôt d’un décret que je soumets à vos lumières. Vous y verrez que , quant aux trois projets d’administration contenus dans les trois dernières propositions du comité, je les ai adoptées,, que j’ai même hâté l’exécution du premier, du moins en partie, et que j’ai même désiré qu’il fut mis en vigueur ainsi que le dernier à partir de cet instant. PROJET DE DÉCRET. « L’Assemblée nationale, sur le compte qui lui a été rendu par le Comité des subsistances, de la souffrance du peuple, de la cherté des grains et de l’infatigable bienfaisance avec laquelle le Roi, depuis un an, n’a cessé et ne cesse encore de lutter contre cette calamité pour en préserver ses sujets. « Pénétrée de tous les sentiments qu’elle doit éprouver pour le peuple et pour le Roi ; « Saisie d’un attendrissement respectueux à la lecture du mémoire que sa Majesté a fait remettre au Comité, pour le satisfaire sur les renseignements qu’il avait demandés; « Occupée enfin comme elle le sera toujours de remplir et de concilier tous les devoirs, « A résolu et décrété : « 1° Que le Roi sera remercié de ses soins paternels au nom de la nation, et avec l’effusion de tous les sentiments qu’il a mérités d’elle en celte occasion. « 2° Que Sa Majesté qui, seule dans ce moment, peut embrasser d’un coup d’œil tous les besoins de son vaste empire, sera priée de faire savoir par le ministre qui a si dignement concouru à ses vues, si un secours extraordinaire est nécessaire dans la circonstance, et qu’elle en serait la mesure précise, et l’Assemblée promet solennelle-