[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 mai 1791. [ 441 mettez de soin à exiger qu’ils cautionnent ainsi désormais chacune de leurs opérations. Partout la signature du roi indignement surprise servait à couvrir tes actes les plus coupables, et ils se disaient les amis de cette autorité qu’ils ne cessaient de profaner et de rendre odieuse! Si cependant quelqu’un d’eux, aveuglé par l’imprévoyance et par l’ivresse, avait négligé de se com vrir du manteau de l’inviolabilité royale, et si l’examen des comptes laissait à découvert la main du malversateur, nul doute que la responsabilité ne fût bien acquise contre lui, et qu’il ne dût en subir toute la rigueur. Nos anciennes lois, toutes imparfaites qu’elles étaient, n’avaient pas laissé impunis le péculat et la concussion, et notre histoire fournit des exemples mémorables delà vengeance nationale contre les ministres prévaricateurs. Cette observation, qui ajoute un nouveau degré à l’importance de l’audition des comptes arriérés, nous impose plus étroitement encore l’obligation de ne pas nous en dessaisir. Cependant l’Assemblée nationale ne peut pas tout entière se livrera l’inspection et à l’exaenm delà comptabilité. Cet ouvrage doit, comme tous les autres, lui être préparé par un de ses comités. Celui qui sera chargé d’une opération si étendue, nous paraît devoir être nombreux, afin de pouvoir se diviser en sections différentes. Nous pensons que ce comité devrait être de 60 membres, pour former 10 sections de 6 membres chacune. L’Assemblée voudra bien ne pas perdre de vue, que le projet que nous lui présentons n’est pas celui du mode do comptabilité qui doit subsister pour l’avenir, et s’appliquer aux recettes et dépenses ordonnées et exécutées sous le nouveau régime; au lieu d’une complicaiion excessive, la comptabilité future ne doit offrir qu’une extrême simplicité. Toutes les recettes et les dépenses étant réunies à un même centre, il n’existera presque plus qu’un seul compte à recevoir, celui du Trésor public. Il sera divisé, sans doute, en plusieurs chapitres ; mais chacun de ces chapitres étant formé et présenté à la fois, ils se serviront mutuellement d'éclaircissement et de contrôle; le bureau de comptabilité centrale qui aura préparé le compte, par la réunion de ses bordereaux journaliers, fournira les renseignements les plus utiles sur les erreurs qu’on aurait pu tenter d’y introduire. Les états généraux des dépenses de chaque département, fixés par l’Assemblée nationale, les états de distribution concertés entre les ministres et le comité de trésorerie, et invariablement arrêtés par des décrets, seront, pour l’audition des comptes futurs, des points de départ toujours constants et toujours infaillibles. Nous sommes, pour la comptabilité des années précédentes, dans une position bien moins avantageuse; nous avons à lutter à la fois contre tous les obstacles ; ce n’est qu’à force de travail et de temps que nous pourrons les vaincre, et l’utilité publique sera la digue recompense des hommes laborieux qui se dévoueront à ce genre d’occupations que nos anciennes lois appelaient moult fastidieux. Ces vues ont présidé à la rédaction du décret que nous avons l’honneur de vous proposer. M. Briois-Beanmetz, rapporteur , présente ensuite un projet de décret divisé en plusieurs titres, ayant pour objet principal la formation d’un comité du Corps législatif, pour l’examen de la comptabilité arriérée, et même future, lequel comité renverra le jugement de toutes les contestions par-devant les tribunaux. M. Begnaud {de Saint-Jean-d’ Angêly) . Je demande que la question de l’arriéré de la comptabilité soit ajournée à la législature prochaine ; celle-ci ne tardera pas assez longtemps pour que la chose publique puisse en souffirir. M. Bouche. J’appuie la motion du préopinant. M. Legrand. Comment, Messieurs, l’Assemblée nationale actuelle peut-elle se dissimuler que les principes généraux de la comptabilité tiennent essentiellement à la Constitution de la France?... {Plusieurs voix : Il ne s’agit pas de cela.) Il est nécessaire d’avoir un mode quelconque de comptabilité. Je demande que le projet de décret soit simplement ajourné à 3 jours. M. Rewbell. Nous sommes revenus pour faire rendre gorge aux voleurs; il est bien étonnant qu’ils trouvent toujours ici des défenseurs. MM. Long(>ré et Duquesnoy appuient l’ajournement à jour fixe. M. de Sillery. Je crois, Messieurs, qu’il est extrêmement nécessaire d’établir une forme de comptabilité : cela fera rentrer une très grande somme d’argent dans le Trésor. Je vous prie de me permettre de citer à ce propos un petit exemple : Feu M. le duc d’Orléans manquait toujours d’argent. A sa mort, on a voulu faire rendre compte à ses comptables; ils devaient 11 millions. Si, dans une petite administration, il s’est commis de semblables abus, je crois que dans une administration aus-i considérable que la France, en faisant rendre compte aux comptables, on doit trouver une somme énorme. M. Brio! s-Beau mot/., rapporteur. L’Assemblée qui a détruit le tribunal pour l’audition des comptes, doit le remplacer; d’ailleurs la constitution de la comptabilité est indispensable; la question est donc de la législature actuelle. Au surplus, je consens à l’ajournement à 3 jours. Un membre demande le renvoi de la question aux comités de Constitution et des finances, réunis. Un membre propose d’établir un bureau de comptabilité avec un chef responsable et un co~- mité pour surveiller toutes les opérations. M. de Batz. Messieurs, le comité de liquidation m’a chargé de présenter à l’Assemblée nationale un projet de décret relatif à cet objet-là. Si l’Assemblée veut m’entendre... {Oui! oui! lisez ! lisez !) Messieurs, la comptabilité n’est autre chose que la vérification définitive des comptes. Elle a pour objet d’assurer la fidèle exécution des lois de l’Etat sur la recette et sur l’emploi des deniers publics. Sous le régime du despotisme, la comptabilité n’est point établie pour les contribuables, elle se réduit ordinairement à une opération purement mécanique, à un apurement matériel de comptes 442 [Assemblée nationale»! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 mai 1791. entre le despote et ses agents, parce qu’il leur importe de pouvoir à leur gré fouler le peuple, dévorer sa fortune et de n’avoir aucun compte à lui rendre. Mais sous le régime de la liberté, la comptabilité n’étant établie que pour protéger la fortune de l’Etat, elle doit embrasser à la fois l’examen matériel des comptes, la surveillance des comptables, la défense de tous les intérêts pécuniaires de la nation et la conservation de toutes les responsabilités en matière de finances. Quoique cette vérité soit évidente, nous la démontrerons cependant, et il en résultera que, dans un gouvernement libre, une servitude positive peut et doit subsister, celle de tous les agents du fisc, ordonnateurs ou comptables. Dépositaires des sacrifices que la nation fait à sa liberté et en quelque sorte de sa liberté même, la leur doit rester engagée pour la sûreté de ce dépôt; et plus le gouvernement est libre, plus leurs chaînes doivent être difficiles à rompre. Combien, Messieurs, l’intérêt de la nation consacre, et vous recommande, dans cet instant, la sévérité de ces maximes I De longues erreurs ont fait des finances le nerf presque unique de l’administration : et en même temps que l’intérêt le plus vif doit nous attacher à l’emploi des deniers du peuple, à ces pénibles produits de ses travaux et de son industrie ; d’autre part, tout avertit l’Assemblée nationale que si la liberté a jeté les fondements de la Constitution, le bon ordre des finances peut seul la soutenir; qu’il est envers vous le témoignage de la pureté de vos intentions, le garant de votre ouvrage, et envers le peuple celui de son repos. Mais, comme cet ordre salutaire des finances ne peut exister que par une comptabilité scrupuleuse et fidèle, c’est sous ce grand aspect qu’elle s’offre à votre prudence et à vos délibérations. Sans doute elles sont grandes ces difficultés que présente l’organisation d’une comptabilité aussi immense que celle de tous les revenus et de toutes les dépenses de l’Etat, mais elles ne sont point de nature à arrêter longtemps votre zèle. Au premier aperçu elles semblent se compliquer à l’infini, mais pour ramener celte organisation à une extrême simplicité, il suffira de fixer nos idées sur ce qu’a été la comptabilité, sur ce qu’elle doit être, et sur les principes constitutionnels qui doivent s’y appliquer. Deux sortes de comptes se présentent à apurer : Les anciens , dont la vérification et le jugement appartiennent à des formes qui finiront avec eux ; Les nouveaux , qui doivent être vérifiés sous de nouvelles formes. La comptabilité ancienne est infiniment arriérée. 11 reste à reconnaître l’emploi de plus de 3 milliards; à apurer plus de 1,200 comptes généraux contenant plus de 14 millions de pièces : à cet immense arriéré est liée la poursuite de plus de 100 millions qui sont dus à la nation par d’anciens comptables. Tous les jours on découvre de nouvelles créances; dernièrement encore pour environ 10 millions, et sans doute un examen soigneux des anciens comptes en découvrira davantage ; ainsi la comptabilité ancienne résente nne masse énorme de comptes. à juger, e comptables à poursuivre, et de créances à faire rentrer dans le Tiésor public. Nous n’entreprendrons pas, Messieurs, de vous dévoiler ici les erreurs qui ont donné lieu à un désordre aussi préjudiciable à la fortune publique ; mais si vous admettez les principes auxquels ce rapport est uniquement consacré, ce sera en vous proposant ensuite un mode de comptabilité qui y sera analogue, que nous vous montrerons clairement, dans les vices de l’ancienne comptabilité, la source de ces maux, et dans la nouvelle formation des comptes publics, les moyens d’en prévenir le retour. Entre les anciens comptes arriérés et la nouvelle comptabilité commencée en 1790, il faudra sans doute tirer une ligne de démarcation très prononcée; mais cependant ne point perdre de vue que la transition réelle n’est pas un déchirement, et qu’une séparation de comptabilité mal préparée pourrait être fâcheuse, non point peut-être pour les financiers, mais très certainement pour les finances du royaume. Et déjà, Messieurs, cette importante comptabilité nouvelle se compose de l’immense liquidation qui se fait sous vos yeux. Vous étiez si persuadés que cette liquidation devait reposer sur des responsabilités, que vous avez très sagement substitué à vos comités une direction responsable; vos comités ne vous offraient aucune responsabilité, et le directeur général des liquidations vous est garant que tous les faits qu’il certifie sont exacts, que tous les titres qu’il admet sont légaux, que toutes les responsabilités des ordonnateurs, des administrateurs, des comptables et de tous autres, sont rassemblées sur chaque liquidation qu’il vous présente; il reste donc à juger ces responsabilité�, disposition qui ne doit pas ê're illusoire, et qui est dévolue à la nouvelle comptabilité; à une comptabilité qui conservera sans doute aux législatures une surveillance suprême sur l’emploi des deniers publics, mais qui facilitera leurs fonctions à cet égard par des vérifications préalables et de nature à éclairer leurs travaux et à les abréger. Voici d’autres objets non moins importants qui doivent être également un attribut essentiel de cette comptabilité. Des domain' s nationaux immenses sont vendus ou en vente. 11 s’agit de surveiller l’exécution de tous les contrats; de faire contraindre, s’il en est besoin, d’innombrables débiteurs de la nation. Il s’agit de tenir des yeux toujours ouverts et très attentifs sur l’immense rentrée, au sort fie laquelle sont attachés le crédit et l’extinction des assignats, et la libération du peuple français. 11 s’agit aussi de veiller à la conservation de toutes les propriétés et de tous les revenus de la nation. Il faut que cette surveillance, toujours existante, et toujours agissante, suive toutes les perceptions depuis leur source jusqu’à leur destination. Il faut qu’aucune somme, que'que forte ou faible qu’elle soit, ne puisse jamais être détournée des divers canaux que votre prudence aura tracés à la circulation des deniers publics, sans qu’un premier écart ne soit aussitôt aperçu. C’est dans une telle surveillance, c’est dans une telle aciivité que résidera la plus certaine des responsabilités, la précaution la plus utile, le meilleur de tous les expédients pour affermir et simplifier le jugement des comptes, pour donner enfin aux législatures la certitude que les résultats qu’elles rendront publics seront dégagés de toute obscurité, de toute incertitude, de toute fraude. Nous allons maintenant nous attacher à prouver que c’est là l’unique forme de comptabilité convenable à une nation qui sent le prix de [Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [25 mai 1791. | / l’ordre, et qui veut être éternellement libre; et qu’oo ne pourrait refuser à la comptabilité une activité de cette étendue, qu’en supposant ce qui est inimaginable, savoir, que l’Assemblée nationale voulût la renfermer dans ces bornes étroites et absurdes, dont le régime ministériel avait environné la chambre des comptes. Mais pour arriver à cette démonstration, il y a des principes à poser, de grandes questions à résoudre; et voici celles qui les renferment toutes. A qui les comptes publics doivent-ils être rendus? La comptabilité doit-elle ou ne doit-elle pas être dans le sein de l’Assemblée nationale? Première Question. A qui les comptes publics doivent-ils être rendus ? Quiconque paye a le droit de se faire rendre compte. C’est la nation qui supporte les impôts, c’est la nation qui acquitte les dépenses de l’Etat, c’est donc à la nation que doit être rendu le compte de3 impôts qu’elle paye et de l’emploi qu’on en fait; mais la nation ne pouvant ni vérifier les faits, ni juger les titres, ni apurer les comptes, ces fonctions doivent être déléguées. Seconde Question. Mais ces fonctions importantes, l’Assemblée nationale doit-elle se les réserver , et après elle aux législatures à venir ? Celte seconde question n’est qu’en apparence difficile à résoudre. Lorsque l’on considère que le sort de l’Empire est étroitement lié au sort des finances; que la comptabilité en est le plus important résultat, il semble d’abord qu’un aussi haut intérêt ne saurait être confié qu’aux dépositaires de la première confiance de la nation, aux hommes honorés du droit de la représenter. Sans doute, ils n’y doivent pas être étrangers, mais pour démêler à cet égard leurs véritables fonctions, il faut examiner la comptabilité dans ses éléments. Déjà, Messieurs, vous savez que la comptabilité ancienne comprend plus de 14 millions de pièces à vérifier. Déjà vous savez qu’elle doit annuellement embrasser la vérification de tous les comptes en recettes et dépenses publiques, ainsi que la discussion de toutes les responsabilités en matière de finance, surtout celles de l’immense liquidation actuelle qui vient la surcharger à sa naissance. Vous savez également que toute interruption dans les travaux de ce genre est un mal irréparable; et qu’une application non interrompue peut seule donner des résultats solides. Mais cela même ne nous enseigne-t-il pas que la comptabilité ne pourrait être faite dans des Assemblées nationales qui ne doivent pas être continuellement en activité; dans des Assemblées qui, pendant leur activité, seront forcément distraites par d’autres fonctions non moins importantes; en un mot, dans ces législatures dont la tâche la plus essentielle sera de rester à jamais gardiennes des lois, et surveillantes universelles des principes constitutionnels, de tous les pouvoirs et de tous les intérêts politiques de la nation? Nous ajoutons, Messieurs, que, non seulement la comptabilité ne serait point bien faite dans les législatures, mais encore qu’elle ne pourrait véritablement y être faite d’aucune manière : assurément, Messieurs, nulles vérifications, nuis apurements de comptes ne peuvent être faits dans aucune Assemblée où l’on ne peut que délibérer et non point compter. Les législatures seraient donc obligées de s’en remettre à un comité particulier ; ce serait alors une véritable délégation isolée de toute responsabilité; ce serait même de toutes les délégations imaginables, la plus désavantageuse à la nation et la plus inconstitutionnelle. La plus désavantageuse à la nation ; car si l’apu-rement des comptes restait entre les mains de ses représentants, elle perdrait, sur les agents de la comptabilité et sur la comptabilité elle-même, ce que le droit de censure a de plus précieux à conserver et à réserver aux législatures. En effet, Messieurs, qui pourrait reprocher aux législatures les négligences d’où résulteraient des pertes? Qui même, dans des opérations nécessairement corn entrées, pourrait apercevoir des erreurs, des fautes, des délits? Nous disons délits , car lorsqu’on se place sous une loi quelconque, il faut bien prévoir et s’appliquer tous les cas que cette loi prévoit elle-même. Vous apercevez déjà, Messieurs, le premier vice d’une disposition qui conduit à faire de pareilles applications aux représentants de la nation. Lorsque l’Assemblée nationale actuelle autorise le payement de liquidations garanties par des responsabilités qu’il faudra juger, et dont ses comités surveillent la réunion sur chaque portion de créance liquidée, la liquidation générale ainsi faite, rassure l’Assemblée nationale sur la rapidité avec laquelle elle passe sous ses yeux, sans qu’elle ait, pour ainsi dire, l’instant d’y attacher ses regards; mais cette marche serait effrayante en comptabilité, et cependant il serait impossible d’en tenir une autre si elle restait attribuée aux législatures. Enfin la délégation de la compfabilité à un comité composé de membres d’une législature, n’étant qu’une véritable réserve de toutes les fonctions de la comptabilité aux législatures elles-mêmes, serait une réserve inconstitutionnelle. En effet, ne sera-ce pas les législatures qui détermineront à l’avenir les dépenses des divers départements de l’administration? Ne sera-ce pas les agents du pouvoir exécutif qui dirigeront et ordonneront ces dépenses, et de3 comptables qui les acquitteront? La loi ne doit-elle pas intervenir ensuite pour juger ces divers agents, tous responsables? Or, Messieurs, concentrer ces fondions dans les législatures, ne serait-ce pas reproduire une monstruosité politique si justement reprochée au régime ancien? Soit ignorance des principes, soit usurpation volontaire sur la raison et sur la loi, les ministres éîaient parvenus, en enchaînant à leur gré l’activité des Chambres des comptes, à anéantir la véritable comptabilité; de manière qu’après avoir déterminé les dépenses, ils les ordonnaient, et restaient ainsi législateurs, ordonnateurs et juges de leurs propres faits. Montesquieu a relevé ce dérèglement du régime que vous avez proscrit; et sous quelque modification, sous quelque forme spécieuse qu’il se reproduise, il ne doit point trouver de refuge 444 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 mai 1791 ] dans le nouveau code de finances que vous préparez aux Français. En un mot, après avoir réglé l’impôt et fixé les dépenses publiques, vous ne réserverez pas à vous seuls et à vos successeurs le droit de juger les agents responsables qui auront exécuté vos lois à cet égard. Vous voudrez qu’il existe entre vous et eux des intermédiaires indépendants des deux pouvoirs, et offrant par cela même à la nation une garantie contre toute collusion, contre toute clandestinité; en un mot contre toute mesure que l’autorité des deux pouvoirs pourrait soustraire à la censure publique : des intermédiaires enfin, dont l’unique attribution soit de scruter avec soin, et d’après une étude appropriée à la nature de leurs Jonctions, la conduite des exécuteurs de vos décrets en finance, et d’offrir ensuite aux représentants de la nation un travail et des méditations que ceux-ci ne pourraient faire qu’imparfaitement. En vous réservant enfin le droit de censure sur les travaux de ces intermédiaires, vous doublerez ainsi les sûretés de la nation contre les agents du fisc et contre toutes entreprises sur la fortune publique. Plus vous méditerez la comptabilité. Messieurs, et plus vous vous défierez des inspirations de votre propre zèle, si elles tendaient à vous charger d’autres soins. Plus vous méditerez la sainteté du devoir que vous avez à remplir, plus vous consulterez votre propre délicatesse et l’honneur des Assemblées nationales qui doit être celui de la nation, et plus aussi vous sentirez la nécessité d’établir des formes qui soient en quelque sorte vos garants et vos juges. En un mot, plus vous méditerez la comptabilité, sa nature, son importance et les intérêts des contribuables, et plus vous resterez convaincus que vous ne pouvez la placer au sein de l’Assemblée nationale actuelle, ou dans le sein des législatures à venir, sans la placer véritablement hors de la Constitution et des principes qu’elle consacre; principes auxquels vous voudrez rendre sans doute le plus parfait hommage en étendant leur sévérité sur l’objet le plus important pour Je peuple, sur la matière des finances qui réclame hautement toute la rigueur de ces mêmes principes. Mais, en érigeant la comptabilité en service public, surveillé par les Assemblées nationales, vous établirez en même temps les représentants de la nation non seulement surveillants; mais encore parties dans cette grande cause générale, et contradicteurs constitutionnels. Ils pourront, ils devront donc scruter les apurements des comptes et leurs résultats; ils pourront accuser, dénoncer, sans que jamais, par la nature de leurs fonctions, ils puissent l’être eux-mêmes. Car telle doit être la sagesse de vos dispositions relativement aux finances, que les membres de la législature ne puissent jamais être atteints du moindre soupçon d’intérêt, autre que l’intérêt public. Qui dira que l’honneur national reposé sur leurs têtes ne le prescrive pas ainsi? Qui ne voit, au cou traire, que cet honneur ne pourra jamais être compromis, si vous-mêmes vous constituez, entre les représentants de la nation et les agents du fisc et de l’administration des finances, un intermédiaire indépendant des uns et des autres par sa formation et par la nature de ses functions. Mais oublions un instant une démonstration qui nous paraît sans réplique, et demandons à ceux qui pensent que la comptabilité doit être concentrée dans les Assemblées nationales, comment ils entendent que les législatures, qui, suivant eux, chargeraient un comité de préparer leurs délibérations par l’examen des comptes, pourraient procéder à la nominatiou de ce comité? Pour faire un choix éclairé, il faudrait que les membres déjà élus par une législature qui aurait reconnu leurs talents, survécussent à cette législature; or, Messieurs, une semblable exception violerait les principes : que si les législatures faisaient cette nomination au moment où elles se rassembleraient, alors le choix serait aveugle ; il serait fait par des hommes arrivant des diverses parties de l’Empire, et presque tous inconnus les uns aux autres : l’intrigue ou le hasard présideraient uniquement aux nominations, et dans l’un ou l’autre cas, à quel danger ne resterait pas exposé l’intérêt le plus capital de la nation? Si, au contraire, Messieurs, une aussi importante élection était faite dans les départements, le peuple choisirait ceux que l’espèce de leur probité lui indiqueraient comme les plus capables de remplir de telles fonctions, fonctions dont il faut observer que l’esprit n’est pas donné à tous les hommes de mérite. Voilà une élection, voilà un plan qui nous paraissent réunir à la fois l’aveu de la raison et celui des principes constitutionnels. 11 nous reste à démontrer que c’est le seul qui soit convenable aux intérêts de la nation, le seul conforme à l’esprit qui dirige l’Assemblée nationale : mais auparavant nous allons replacer sous vos regards, les résultats des considérations que nous vous avons déjà présentées. Nous avons observé, Messieurs : 1° Que la comptabilité à organiser se divise en comptabilité ancienne et en comptabilité nouvelle ; 2° Que l’ancienne doit, pour son achèvement,, rester soumise à des formes qui lui sont particulières, mais qu’il faut néanmoins combiner avec le droit national d’en vérifier les résultats par les législatures; 3° Que la nouvelle doit s’étendre, non seulement à la vérification des titres et des comptes, mais que, loin de la restreindre à cette opération purement mécanique, il était indispensable d’y joindre une inspection sur les comptables, une surveillance de tous les momenis, sur tous les intérêts pécuniaires de la nation. Nous avons dit : la nation a des propriétés, il faut donc en surveiller l’administration et la conservation. La nation a des débiteurs et des comptables à poursuivre ; ces poursuites doivent donc être dirigées et surveillées. La nation a des titres de créances et de propriétés; la conservation et l’exécution de ces titres doit donc être maintenue. Nous avons dit ensuite : les agents de cette surveii'ance doivent, par la nature de leurs fondions, être surveillés eux-mêmes, un grand intérêt public l’exige; cette surveillance suprême doit donc être l’attribut essentiel et nécessaire des législatures. Mais, avons-nous dit aussi, comme il répugne aux principes que les surveillés soient également les surveillants, la comptabilité ne peut donc être exclusivement réservée aux législatures, ou déléguée à une section formée dans leur sein et par leur choix. Nous avons dit enfin, que ce choix ne peut [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 mai 1791.] 445 être fait que par le peuple; que, fait dans le sein des législatures, il renfermerait ou la violation des principes, ou la violation de l’intérêt de l’Etat, et une sorte d’atteinte à la délicatesse et à l’honneur national ; qu’il était donc impossible à tous égards d’embrasser cette proposition. Nous ajoutons maintenant que la nation y perdrait même des respousabilités réelles ; car il est facile d’en attachera la nouvelle comptabilité; nous en présenterons des moyens qui s’offrent d’eux-mêmes à la juste sollicitude delà nation et de ses représentants. Après avoir ainsi prouvé, Messieurs, que la nouvelle comptabilité ne peut exister dans les législatures, il nous reste à assigner sa véritable place. Youdrait-on dire que la comptabilité ne pouvant qu’être surveillée dans les législatures, elle sera suffisamment faite dans chaque département, et sous la surveillance du Corps législatif? Cette conséquence, Messieurs, ne serait pas même spécieuse. Ce n’est point aux départements à se juger eux-mêmes quand il s’agit de leurs obligations envers la nation tout entière; d’où il résulte une nouvelle démonstration de l’indispensable nécessité d’un intermédiaire entre les représentants de la nation et les agents de l’administration des finances dans tous les départements; démonstration qui nous ramène plus impérieusement encore à la conviction que la comptabilité étant d’un intérêt général, national et souverainement important, elle ne peut être confiée qu’à des hommes élus par la nation entière et uniquement destinés à cet objet. En vain se récrierait-on contre la fatigue des élections ; en vain alléguerait-on l’objection de quelque surcroît de dépenses; pourrait-on écouter ou même apercevoir d’aussi minces considérations, lorsqu’il s’agit de donner des défenseurs constitutionnels à la fortune publique, à tous les garants que cherche à se donner la liberté elle-même ? Loin d’être pénibles, les soins d’une telle élection seront remplis avec autant d’empressement, qu’il existe de patriotisme parmi les français; et, loin d’y trouver une dépense onéreuse au peuple, ils y envisageront au contraire une grande économie publique; car ce qui coûte à une nation, c’est le relâchement, la prodigalité, la corruption dans l’administration de ses finances, et tout ce qui combat ces vices funestes est une source de prospérités. Observez d’ailleurs, Messieurs, combien cette élection serait peu embarrassante : quarante personnes peuvent suffire à la comptabilité ; il suffirait donc d'y faire concourir ceux des départements qmi n’ont point concouru à l’élection du tribunal de cassation, et ce serait à l’avenir des élections alternatives entre tous les départements du royaume. C’est entre cette cour de comptabilité, les départements et tous les agents de l’administration des finances, qu’est la véritable place des représentants de la nation. C’est de là, qu’au nom de lanationet à une égale distance de l'administration et dû maniement des deniers publics, ils devront surveiller, faire juger et recevoir tous les comptes des revenus et des dépenses de l’Etat. C’est là qu’isolés et impassibles comme les lois elles-mêmes, ils en doivent apprécier les diverses applications, reconnaître les erreurs ou les malversations, pour les faire réformer, et publier chaque année la situation des comptes publics et le compte particulier de leur propre surveillance. Voilà, Messieurs, les principes et les considérations d’après lesquels nous vous proposons de fonder un établissement que les plus pressants besoins de l’ordre sollicitent de votre sagesse. Quant à ces premières vues que nous vous soumettons, elles nous paraissent puisées dans la Constitution elle-même, et le projet de décret que nous allons vous présenter en est, du moins à nos yeux, la plus juste conséquence. Il ne consacre que les principes de la comptabilité, parce qu’il serait inutile d’élever des travaux sur des bases non encore avouées; mais si votre sagesse croit devoir adopter celles que nous lui présentons, les détails d’exécution seront prompts et faciles. PROJET DE DÉCRET. « Art. 1er. Tous les comptes des revenus publics et de leur emploi doivent être rendus à la nation. « Art. 2. Il y aura une cour de comptabilité pour la vérification et l’apurement des comptes publics. « Art. 3. La cour de comptabilité présentera chaque année, aux représentants de la nation, l’état de tous les comptes publics, pour par eux être définitivement examinés et les résultats publiés. « Art. 4. Les membres de la cour de comptabilité seront élus dans les départements qui n’ont pas concouru à la nomination du tribunal de cassation, et à l’avenir ces deux élections seront alternatives entre les mêmes départements. « Art. 5. Il sera incessamment présenté à l’Assemblée nationale un plan général pour l’organisation de la cour de comptabilité et pour la formation de tous les comptes publics. » M. d’André. Je demande l’impression du rapport de M. Briois-Beaumetz, ainsi que de celui de M. de Batz, et l’ajournement de la discussion à deux jours après la discussion du plan proposé. (La motion de M. d’André est décrétée.) M. le Président fait donner lecture à l’Assemblée d’une lettre du ministre de l'intérieur , ainsi conçue : «Paris, le 24 mai 1791. « Monsieur le Président, « Je crois devoir informer l’Assemblée nationale qu’en exécution de ses décrets sanctionnés par le roi, concernant la fabrication de la monnaie de cuivre , il a été donné des ordres dans toutes les monnaies pour convertir sur-le-champ, en espèces, tout le cuivre qui s’y trouve rassemblé et qu’au moyen desmaiières qui existent actuellement aux mines deSaimbel.et de Romilly, cette fabrication se continuera avec abondance et célérité. 7 « Je crois devoir encore informer l’Assemblée que la commission des monnaies s’occupe sans relâche des moyens de tirer un parti avantageux du métal des cloch< s. Elle a déjà communiqué sur cet objet des idées importantes au comité des monnaies et il y a lieu d’espérer qu’il sera possible d’employer ce métal d’une manière très prompte et très utile. « Je suis, avec respect, etc, « Signé: ÜELESSART. »