[Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 janvier 17b0.] 2° Que le parlement de Bretagne a toujours reconnu et invoqué l’autorité des Etats généraux de la France; 3» Que cette cour a toujours méconnu et contesté le droit dés Etats généraux de Bretagne, par rapport à la législation, jusqu’au 8 janvier dernier, et qu’il a fallu qu’elle fût amenée â la barre de l’Assemblée nationale pour l’en faire convenir. M. le comte de Sérent. Messieurs, les magistrats de Bretagne, on vous l’a dit, étaient dans l’impuissance d’enregistrer, et le zèle avec lequel ils ont obéi au décret qui les mande â la barre est une preuve de leur respect pour l’Assemblée nationale. M. le comte Stanislas de Clermont-Tonnerre (I). Messieurs, les opinions que vous avez entendues me paraissent avoir jeté beaucoup de jour sur une affaire qni, par elle-même, semblait ne laisser aucun doute, ni sur la nature du délit, ni sur la nécessité de le réprimer. Je rougirais de chercher à rendre odieux des hommes qui ont vu leur conscience dans leurs préjugés, et qui, en méconnaissant vos décrets, ont certainement cru ne suivre que la loi impérieuse du devoir. Je ne demanderai cependant pas une place dans l’histoire, pour des magistrats courageux, il est vrai, mais qui sont égarés par une erreur que je crois funeste. Je me bornerai à examiner, en peu de mots, la nature des torts de la chambre des vacations, et les motifs dont elle s’est servie pour se justifier. Passant ensuite au parti qu’il convient de prendre, je rappellerai les décrets cités par quelques-uns des préopinants, je dirai ce qu’ils m’ont paru de défectueux, et je proposerai le projet auquel je me suis arrêté après de longues réflexions. Les torts de ces magistrats sont manifestes ; ils ne cherchent point à dissimuler. Leur délit est grave, il consiste dans une désobéissance formelle à la loi prononcée par vous et dont l’exécution a été ordonnée par le Roi. C’est donc à la plénitude du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif que s’est opposée la chambre des vacations. La loi lui ordonnait de continuer ou de reprendre ses fonctions; elle l’a refusé : le Roi lui ordonnait de transcrire la loi sur ses registres ; elle l’a refusé. Sans doute, il a fallu de puissants motifs pour porter à cet excès des magistrats respectables et vertueux, car, jé me plais à le répéter après un député de Bretagne, les mains de ces magistrats sont pures, leur réputation est intacte, et c’est une consolation pour moi, d’avoir à leur rendre justice au moment où ma qualité de représentant de la nation me force à condamner leur coupable résistance. On les a défendus de deux manières; par des moyens de formes, et par des motifs tirés de la position politique de la Bretagne. La plupart des préopinants me. paraissent avoir victorieusement rempli les moyens de forme : je me hâte de venir à des motifs plus sérieux. La province de Bretagne n’est devenue le patrimoine de nos rois que par une convention écrite ; dans cette convention, le souverain des Bretons, a stipulé pour eux certains droits, certaines prérogatives, certaines franchises, qui formaient ce (1) Le discours de M. le comte Stanislas de Clermont-Tonnerre n'a pas été inséré au Moniteur. 00 qu’on appelait leur constitution, c’est-à-dire, leur manière d’être. Le contrat est obligatoire dans les deux parties; son maintien est confié à deux corps, les Etats et le parlement. Le premier est détruit ou suspendu de fait; mais du moment où le second existe, il doit remplir ses devoirs ; et ses devoirs sont de réclamer le rétablissement de son coopérateur, et, dans tous les cas, de s’opposer de toute sa force aux atteintes que l’on voudrait porter à la constitution dont la défense lui est confiée. Tel est, Messieurs, le système de la chambre des vacations du parlement de Rennes; raisonnant dans ce système, elle a prouvé, ses défenseurs ont prouvé, et l’existence du contrat, et l’obligation qu’il lui impose. On a prouvé que cette doctrine était, il y a six mois, celle de la Bretagne, celle des avocats de Rennes, celle de trois membres de l’Assemblée dont on a rappelé les signatures. Je ne contesterai rien, je conviendrai de tous ces faits ; j’avouerai, si l’on veut, que le système est inattaquable daus ses détails, mais je soutiens, mais je soutiendrai toujours, qu’il repose sur une base fausse. Ce n’est pas dans le cercle étroit qu’a tracé la chambre des vacations qu’il faut se placer pour raisonner avec justesse sur les véritables droits de la Bretagne. — Le contrat qui liait Anne de Bretagne et Louis XII, et ceux que l’on a cités dans le cours des opinions, sont, sans doute, des titres moins respectables que la déclaration des droits qui consacre cette éternelle vérité que tous les pouvoirs viennent du peuple, qu’il ne peut perdre ni aliéner cette plénitude de souveraineté dont il confie l’exercice en en séparant les fonctions. C’est une frêle palissade qui a dû nécessairement être abandonnée, lorsque s’esbélevé le rempart inexpugnable qui défend aujourd’hui les droits du peuple breton. La loi qui l’attachait à ses anciens ducs était elle-même subordonnée à ces principes, alors méconnus, mais éternels comme la vérité. Ce qu’Anne de Bretagne possédait de plus que les attributions légitimes de la monarchie, était une usurpation qu'elle n'a pu ni conserver ni céder par un contrat. Anne de Bretagne ne pouvait pas dire : Je vous confie le droit de substituer en Bretagne à la volonté générale la volonté de deux classes privilégiées de quarante-cinq citoyens sans mission, la volonté d’un tribunal qui ne peut ni ne doit être législateur. Voilà ce qu’Anne de Bretagne ne pouvait pas dire : voilà ce que Louis XII ne pouvait pas accepter, et les Bretons sont éternellement recevables à réclamer contre cette absurde transaction. Mais les Bretons l’ont défendue, ils en ont spécialement ordonné l’exécution : cela est vrai, et cela ne prouve rien. Je supplie qu’on me permette une comparaison: qu’un prisonnier ait obtenu ce qu’on appelait anciennement la liberté de la cour ; qu’une circonstance quelconque s’oppose à ce qu’il en jouisse ; il réclamera sans doute cette liberté qu’on lui avait accordée, il la réclamera avec force, avec persévérance, mais qu’une autre circonstance amène le terme de sa captivité, pourra-t-on argumenter contre lui de cette réclamation de situation? pourra-t-on lui dire avec justice: Vous êtes non recevable à demander votre liberté totale, parce que vous vous êtes borné à demander la liberté de la cou. ? Cette comparaison répondrait à tout ce que l’on aurait pu dire pour prouver que la Bretagne, qui préférait son régime à 166 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 janvier 1790.] une loi plus oppressive, ne peut ni ne doit préférer la liberté à ce régime. Mais, en convenant de mon principe, on pourra encore soutenir, et on a soutenu, que la chambre des vacations n’étant pas juge du mérite delà constitution qu’elle devait défendre, elle a dû attendre, pour l’abandonner, que la province pût lui faire connaître son voéu. Ou cet argument n’est pas de bonne foi, ou il sera facile d’y répondre. Si le parlement persiste à ne reconnaître pour organe de sa province que les anciens Etats de Bretagne, il fait une pétition de principes; il dit!: Je consens à abandonner la constitution qui a confié à un corps le droit illégitime de représenter sa province, quand sa province aura déclaré qu’elle le leur retire ; mais je veux qu’elle le déclare par l’organe même de ce corps intéressé à le conserver. Un tel vœu ne peut êtfe fait de bonne foi. Qui de nous ne sait que les abus les plus intolérables existeraient encore, si l’on n’eût attendu leur destruction que de ceux qui en profitaient ? Mais si, renonçant à ce système insoutenable, la chambre des vacations avait cherché à reconnaître à des signes certains la volonté de la majorité de sa province, il eût été facile de Jui en présenter d’irrécusables. 1° La noblesse dé Bretagne n’est pas représentée à l’Assemblée nationale ; la province n’a point réclamé : la France reconnaît donc que les nobles sont des individus qui se sont privés du droit de représentation, mais qui, par cette faute personnelle, n’ont point altéré la légalité de la représentation bretonne ; il n’y a point dé réponse à cet argument. 2° Les députés ont renoncé à l’antique constitution bretonne, et la province n’a fait aucun mouvement pour les rappeler, etce n’est qu’après quatre mois qu’on nous apporte enfin la protestation d’une province. Plus de douze cents paroisses de campagne et les quarante-deux villes des provinces ont, par des délibérations positives, demandé l’abolition des Etats actuels de la province, et l’établissement d’assemblées administratives semblables à celles que l’Assemblée nationale établissait pour le reste du royaume. Depuis le 4 août, plusieurs sénéchaussées, après s’êire assemblées de nouveau, ontdonnédes pouvoirs illimités à leurs députés. 3° Par toute la Bretagne il existe des comités permanents; les citoyens se sont réunis en garde nationale : la province a donc adopté les nouveaux principes, ces principes qui ne sont nouveaux que parce que l’oppression était ancienne. Le parlement doit choisir; ou la Bretagne est dans un état absolu de rébellion, ou elle a ouvertement, complètement, adopté les principes de la révolution présente. Si ces faits sont établis, si ces arguments sont sans réplique, il est démontré que la chambre des vacations ne peut méconnaître le’ vœu de la province, et que la résistance dans laquelle elle persiste, est un tort inexcusable. Et comment n’existerait-il pas, ce consentement des Bretons? Quelle différence entre ce qu’ils obtiennent e t ce qu’ils avaient? Je ne vous en présenterai pas le rapprochement . Le défit n’est que trop constant: mais à quel parti faut-il s’arrêter ? On vous a présenté divers décrets. Je n’examinerai pas ceux qui ne renferment que des éloges ; l’avis que j’ai développé m’en dispense ; i‘e m’arrête à celui de M. le comte de Mirabeau. 1 contient deux clauses qüi m’ont paru contradictoires, il juge le délit, il prononce une peine ; cumulant ensuite la vengeance, et confondant selon moi tous les principes, il renvoie au Châtelet la cause déjà jugée par vous : si vous jugez, il faut que votre jugement soit définitif, si vous renvoyez au Châtelet, il faut que, seulement accusateurs, vous n’ayez pas frappé d’avance ceux que vous croyez devoir poursuivre. Sans doute vous devez examiner s’il y a lieu à inculpation, vous devez décider cette question quant à vous ; mais ce premier jugement ne doit avoir aucun effet public ; ce sont des accusés et non des condamnés que l’on peut traduire en justice. La raison répugne à cette inique cumulation de peines ; et de quelques couleurs qu’on vous ait peint les crimes de la chambre des vacations, ses torts n’excuseraient, sans doute, ni l’exagération, ni la colère. Ce sont, vous a-t-on dit, ies derniers ennemis de la révolution, c’est le dernier rempart des espérances criminelles et secrètes. Eh ! Messieurs, soyons calmes, soyons tranquilles sur le sort de cette révolution inattaquable ; elle ne peut plus avoir de véritables ennemis : c’est dans son sein que sont placés les écueils qui peuvent, non la renverser, mais rendre son choc terrible. L’Assemblée nationale est permanente, les droits du peuple sont reconnus et professés, la révolution est faite, il n’y a rien à craindre, rien à redouter, soyons calmes et modérés; et lorsque nous sommes forcés de sévir, que ce soit avec le regret, avec la lenteur qui caractérise des hommes généreux et honore les législateurs. Mais pouvons-nous juger? Nous ne pouvons pas, sans doute, prononcer un arrêt qui entraîne la confiscation d’une propriété; peine injuste, atroce, qui disparaîtra sans doute de votre nouvelle législation : nous ne pouvons pas même prononcer une peine légale. Nous devons déléguer le pouvoir judiciaire, que nous ne pouvons pas exercer. Je soutiens avec M. de Mirabeau, et contre M. Barnave, que les représentants du pouvoir constituant ne réunissent pas tous les pouvoirs, et ne peuvent pas les réunir. Mais, si nous ne pouvons pas infliger une peine, nous pouvons, sans doute, déclarer une vérité, et ne pas confier plus longtemps l’exécution de la loi à des hommes qui méconnaissent la loi; nous pouvons les regarder comme étrangers à la constitution à laquelle ils se refusent. Notre confiance en eux est décidément et nécessairement suspendue ; il faut qu’ils témoignent leur soumission à un ordre de choses que nous avons adopté, et nous avons sans doute le droit de l’exiger d’eux. Ce parti me paraît préférable à tous, les moyens de rigueur; il réprime plutôt qu’il ne punit; il ne revêt l’Assemblée nationale d’aucun des pouvoirs qu’elle doit déléguer ; il convient à sa dignité et à la modération qui doit caractériser ses arrêtés. Dans ces circonstances, je propose que les magistrats, qui composent la chambre des vacations du parlement de Rennes, soient appelés à la barre, et que M. le président leur dise ; L’Assemblée nationale improüve votre conduite et les motifs que vous avez allégués pour votre justification, votre résistance à la loi vous rend inhabiles à en être les organes, jusqu’à ce que vous ayez prêté le serment qui attache tous les Français à la constitution décrétée par FAs-semblée nationale, et acceptée par le Roi. L’Assemblée nationale pourvoira, dans sa sagesse, à faire rendre à la province de Bretagne la justice dont votre résistance l’a momentanément privée.