685 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 février 1790.] ment admises parce qu’elles sont inévitables, si la puissance majeure qui les surmonte toutes n’a pas une très grande force pour les contenir, les premières secousses suffiront pour l’abattre ; à plus forte raison s’il n’en existe pas du tout. G’est bien alors que le premier audacieux, qui voudra escalader les hauteurs du trône, s’y placera avec impudence, et commandera de là le respect et la servitude. Français! envisagez la suite nombreuse de ces tyrans de Rome, esclaves devenus assassins de leurs maîtres, et assassinés a leur tour par d’autres esclaves; envisagez le sort du peu pie romain lorsque des chefs sans force et des lois sans vigueur le livrèrent à la discrétion d’une soldatesque effrénée : envisagez cette soldatesque elle-même lorsqu’elle commença à porter ses regards sur les trésors et les dignités de l’empire, et lorsque son glaive dirigé contre les barbares osa se tourner contre les citoyens. Français, voyez le peuple romain; mais que dis-je? voyez -vous vous-mêmes! Je veux encore vous offrir une réflexion, et ce sera la dernière: c’est qu’appelés comme nous le sommes, à établir la constitution de cet empire, il est de toute importance pour la liberté que ce soit nous qui fassions l’autorité royale et non pas que l’autorité royale se fasse (1). Ï1 est de toute importance que nous la fassions vaste et étendue, ainsi que le comporte un grand royaume, car si nous rapprochons trop ses limites, la nécessité, ia force des choses et le cours des événements l’obligeront un jour de s’étendre malgré nous et malgré tout, et dès lors tout est perdu. U est de toute importance que nous la fassions au plus tôt; car, flétrie et avilie comme elle l’est, il lui faudra plus d’un jour pour se relever et remonter au degré de splendeur qui lui est nécessaire; il est de toute importance que nous la fassions au plus tôt, car toutes ces nouvelles corporations, plantées sur un terrain neuf et composé de détriments anciens, cherchent déjà ou chercheront bientôt à étendre le plus qu’elles le pourront leur existence vivace: encore quelques jours et tout le terrain sera occupé. On cherchera de toutes parts l’ancien emplacement de la monarchie et le monarque ne sera plus et la monarchie sera détruite. Il nous faut donc la liberté, une constitution et un roi. Je l’ai dit, sans constitution nous ne pouvons avoir de liberté; mais sans roi nous n’aurons ni constitution, ni liberté : sans roi nous n’aurons ni crédit, ni considération publique: sans roi, le désordre de nos finances se perpétuera et se propagera sans cesse ; sans roi les ateliers seront déserts, les manufactures et le commerce languiront de toutes parts; sans roi, ia libre circulation des grains ne pourra être protégée ; les intérêts particuliers lutteront sans cesse entre eux; aucune force ne pourra les rallier; en un mot, sans roi, la plus cruelle indigence, l’anarchie, la banqueroute, la famine, la guerre civile, tous les maux, tous les fléaux sont sur nos têtes. 0! Français de tous les pays, hommes des plaines et des collines, des collines et des vallées, vous qui habitez au bord des eaux, vous qui demeurez dans les déserts ou sur la cime des montagnes, hommes de toutes les professions, de tous les lieux, de toutes les classes, réunissez-vous tous à moi et demandons à grands cris un roi, un roi... Et toi, souverain arbitre des destinées, (1) Or; elle se fera nécessairement par elle-même sj nous ne la faisons pas. (Note de M. de Montlosier.) ciel, daigne abaisser sur nous tes regards, délivre-nous surtout de tous ces prophètes que lu semblés nous avoir envoyés dans ta colère: les furieux... Et que font à nos malheurs les lambeaux de tant d’infortunés qu’ils ont mis en pièces ? nous demandions du pain, et ils nous ont apportés des cadavres... Ciel! donne-nous un roi, un roi qui aille et qui marche devant nous, ou plutôt rends-nous ce roi bon et humain, qui, le premier de tous les rois de la terre est descendu sur la terre pour s’identifier avec un peuple; ren ds-nous le fils de Henri ! Plus malheureux et plus grand peut-être que son aïeul, il n’a pas renoncé comme lui au culte de ses pères pour conserver sa couronne: il a fait à ses sujets le sacrifice de sa couronne même : il n’a pas seulement donné du pain à des rebelles, il en a distribué à ses propres assassins; rassasié d’opprobres, et toujours plus grand, les outrages, il les a combattus par des bienfaits ; tous les attentats, il lésa repoussés par sa bonté. Un mot pouvait rallier auprès de lui des légions de serviteurs fidèles, il a préféré d’être seul avec sa vertu; et tandis que tout respirait la vengeance et le carnage, lui seul a été calme, lui seul a été bon et sa bonté a déconcerté tous les crimes. Ciel! voilà le roi qu’ils nous ont ôté, voilà le roi que tu dois nous rendre. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DE TALLEYRAND, ÉVÊQUE D'AUTUN. Séance du mercredi 24 février 1790 (1). M. Gaultier de Biauzat, l'un de MM. les secrétaires. donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier. Le procès-verbal est adopté sans réclamation. M. le Président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de décret présenté par le comité des droits féodaux, dans la séance du 8 de ce mois. M. Merlin, rapporteur , rappelle à l’Assemblée que le rapport est divisé en trois parties et qu’au-jourd’hui la discussion porte uniquement sur les droits féodaux abolis sans indemnité. La discussion de ce projet est ouverte successivement sur chaque article. L’article premier est décrété sans aucune contestation; il est ainsi conçu: Art. 1er. « Toutes distinctions honorifiques, supériorité et puissance résultantes du régime féodal, sont abolies. Quant à ceux des droits utiles qui subsisteront jusqu’au rachat, ils sont entièrement assimilés aux simples rentes et charges foncières. » Un membre observe sur l’art. 2 que cette clause , tout autre service purement personnel, semble entraîner l’abolition de toute corvée, sans indemnité, ce qui n’est point dans l’intention de l’Assemblée, parce qu’il y a telle corvée qui est représentative des droits dûs pour cession de terrain. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.