SÉANCE DU 27 FRUCTIDOR AN II (13 SEPTEMBRE 1794) - N° 19 145 fécondité de la terre, qui sont les engrais; il n’est personne qui ne sache que pour élever de nombreux troupeaux, surtout de gros bétail, il faut des terrains assez vastes, et qui, propres au pâturage, seroient le plus souvent inutiles à la culture. 4°. Que vous forceriez tout le monde à labourer la terre pour vivre; et cependant nous devons convenir qu’il faut pour cet état y avoir été accoutumé dès l’enfance. Dans ce moment, la très grande partie des terres cultivées sont labourées à la charrue, et quatre bœufs font le travail de trente hommes. Divisez les propriétés par arpent, vous n’aurez plus le moyen d’élever des bœufs. Vous condamnerez donc ceux qui fécondent la terre avec la charrue à la cultiver avec leurs bras : et pourriez-vous croire avoir décrété le bonheur d’un nombre infini de familles que vous auriez condamnées à un travail auquel elles ne seroient point accoutumées ? Disons mieux, à périr de faim; car la famine et la disette absolue seroient le fruit de ce système désastreux. Citoyens. Voulez-vous que le peuple français soit heureux? Eh bien affermissez la République sur des bases inébranlables; abattez les factions qui s’entre-choquent sans cesse : maintenez la vertu et la justice à l’ordre du jour; détruisez les fripons, les ambitieux et les dominateurs; anéantissez tous les tyrans, de quelque masque qu’ils se couvrent, afin de le mettre à même de jouir de la constitution ré-pubhcaine que vous lui avez offerte et qu’il a acceptée. Vous voulez que les domaines nationaux soient vendus par petits lots; eh bien! la loi existe; maintenez-en l’exécution, et punissez sévèrement les corps administratifs né-gligens ou infidèles. Vous voulez diviser les propriétés et multiplier le plus possible le nombre des propriétaires; citoyens, ce n’est pas en ébranlant le corps politique jusques dans ses fondemens que vous parviendrez à ce but. Vous avez déjà fait des lois infiniment sages à cet égard; c’est en maintenant l’égalité des partages, en abolissant les substitutions, en appelant tous les enfans, qu’on nommoit ci-devant bâtards, aux successions de leurs pères et mères, que vous atteindrez cette heureuse division, assez grande pour ne pas alarmer les vrais amis de l’égalité. Il vous reste encore d’autres moyens que vous pourrez employer avec avantage : tel est le partage des biens communaux, qui sont un outrage à la constitution républicaine et contraires au progrès de l’agriculture; mais n’adoptez jamais, ne souffrez pas même qu’on vous propose des moyens qui tendent à saper le crédit pubbc, et qui vous reconduiraient évidemment au despotisme. On a comparé la manière dont s’aliènent les domaines nationaux, à l’étalage que fait un bijoutier pour tenter les gens riches. Cette idée peut paraître ingénieuse; mais les comparaisons ne gagnent pas les batailles, n’affermissent pas les républiques. Citoyens, nous tendons à un but fixe, et nous sommes sûrs de l’atteindre; ce but, c’est l’anéantissement des despotes, l’affermissement de la liberté; n’abandonnons pas ce terme heureux pour un fantôme mensonger. Nous aurons le temps d’être généreux, lorsque la République triomphante aura terrassé ses ennemis. Si nous n’étions actuellement économes de la fortune nationale, le peuple nous demanderoit peut-être un jour un compte d’autant plus rigoureux, que nous aurions compromis les seuls biens sans lesquels il ne peut exister de bonheur, la liberté, l’égalité et les autres droits que nous avons solennellement reconnus. Je termine ici les observations que j’avois à vous présenter sur le projet que vous a soumis notre collègue Fayau. J’en demande le renvoi aux mêmes comités que vous avez chargés de l’examiner. Ce discours est fréquemment interrompu par les plus vifs applaudissemens. [Un membre : Je demande l’impression de ce discours profondément pensé, et dont le style très clair met à la portée de tous les esprits les vérités qu’il exprime] (66). La Convention ordonne l’impression du discours et le renvoi aux comités chargés de l’examen de celui de Fayau (67). GASTON obtient la parole et dit : Vous ne pouvez vous dissimuler, citoyens collègues, que les observations qui viennent de vous être présentées entraîneraient les conséquences les plus désastreuses, si elles étoient accueillies; je ne prête à personne de mauvaises intentions, mais ceux qui veulent l’affermissement de la hberté, ne feroient certainement point une motion qui tend à faire rétrograder la révolution. {Bruit.) On vous a dit qu’il ne falloit point aliéner les domaines nationaux par petits lots {On n’a pas dit cela.)... Il y a un coup monté pour m’empècher de par 1er... (On demande que Gaston soit rappelé à l’ordre.) GASTON : J’en appelle au peuple français. {Bruits.) THURIOT demande la parole pour une motion d’ordre, et dit : Le président doit rappeler à l’ordre ceux qui violent les grands principes, et Gaston ne doit attribuer les murmures qui l’ont interrompu qu’à l’oubli total de ces principes. D’abord il n’est pas vrai qu’on ait dit qu’il ne falloit rien faire pour l’indigent, on a dit au contraire qu’il falloit tout faire pour lui; on a rappelé la loi qui ordonnoit aux administrations de vendre par petits lots toutes les propriétés qui en sont susceptibles. Pourquoi donc s’élever contre le membre qui a proclamé ces vérités utiles et des opinions aussi patriotiques ? pourquoi, puisqu’on s’est apperçu qu’une motion indiscrète avoit compromis le crédit public, insiste-t-on pour la soutenir? Sans doute il faut que Gaston conserve la parole, il a le droit d’émettre son opinion; mais (66) Débats, n° 723, 446. (67) Mentionné dans Débats, n° 723, 446. Reproduit dans Débats, n° 727, 517-524. Moniteur, XXI, 748-751. Bull., 28 fruct; M.U., XLIII, 446-448; Ann. Patr., n° 621 et n° 623 Rép., n° 268; J. Univ., n° 1754; Mess. Soir, n° 756; F. de la Républ., n° 434; Ann. R. F., n° 286; C. Eg., n° 756; J. Mont., n° 137; J. Fr., n° 719; J. Perlet, n° 721; J. Paris, n° 622; Gazette Fr., n° 988. 146 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE il faut qu’il soit rappelé à l’ordre toutes les fois qu’il s’égarera. GASTON : On a dit qu’on avoit affoibli l’hypothèque nationale. (Bruits) DESRUES : Je demande à faire une motion d’ordre. GASTON : C’est une tactique pour m’empêcher de parler... DESRUES : Je fis dernièrement une motion relative à la subdivision des propriétés. Vous en avez décrété le renvoi au comité des Domaines, je demande que le discours que vous venez d’entendre y soit également renvoyé, et que vous attendiez le rapport pour établir la discussion. On demande l’ordre du jour. GASTON : Je demande qu’au moins on fixe un délai pour ce rapport. BOURDON (de l’Oise) : L’ordre du jour et l’ajournement ne suffiroient pas : il faut sur le champ que la Convention rejette la motion indiscrète qui lui a été faite dans une des précédentes séances, sans doute dans des intentions pures. Je demande, moi, que la question préalable écarte cette motion qu’un de nos collègues vient de combattre d’une manière victorieuse. Citoyens, depuis qu’elle a été faite, les assignats perdent trente-trois pour cent. La Convention a toujours eu pour le peuple une affection paternelle; nous sommes peuple, et toujours nous travaillerons au bonheur du peuple. ( Vifs applaudissemens.) Mais ce décret qu’on vous a présenté comme populaire, ce décret qui appauvriroit tous les citoyens, en pa-roissant leur donner une propriété, ce décret qui accorderoit vingt ans pour le paiement des domaines, ce décret enfin, bien loin de rien faire pour le bonheur du peuple, le plongeroit dans la misère et l’indigence. Eh! comment rempliriez-vous, si vous adoptiez en décret, la promesse que vous avez faite au peuple de supprimer, dans des circonstances plus paisibles, les contributions mobilière et foncière. Sans doute il appartiendra à ceux qui ont fait la révolution du 31 mai, celle du 10 août, de mettre un jour une nouvelle couronne civique sur leurs têtes en décrétant cette suppression; mais comment atteindrez vous à ce but, si vous vous privez de toutes vos ressources? Est-ce en détériorant vos finances par de mauvaises opérations, que vous vous mettrez en mesure de combattre les tyrans, et de donner un jour à l’univers le spectacle d’un peuple délivré du fardeau des impôts? Si la monnoie révolutionnaire perd de son prix, la dette s’accroît; si la dette s’accroît, vous ne voyez plus le moment où vous pourrez réaliser vos projets pour le bonheur du peuple. Hâtons-nous donc de mettre la question préalable sur une question indiscrète, qui a fait baisser la valeur du papier national. Tant que cette question restera en suspens, l’agioteur se réjouira; il augmentera les craintes pour s’enrichir du sang du peuple. Citoyens, celui-là est populaire qui veut détruire l’agiotage; celui-là est populaire qui ne veut pas qu’il soit porté atteinte au crédit national. Je crois aussi que notre collègue Fayau n’a eu que de bonnes intentions (bruit); mais les conséquences qui peuvent résulter de sa motion, veulent qu’elle soit écartée sans délai. LEVASSEUR (de la Sarthe) : Je demande à prouver que la motion de Gaston est toute en faveur des riches. CAMBON : J’appuie la question préalable demandée; il est certain, autant qu’on peut acquérir de certitude positive sur un objet de cette nature, que les propriétés nationales se montent à une valeur de 13 à 14 milliards; mais pour que la nation en retire une valeur réelle, il faut en favoriser la vente. Vous avez rendu d’excellentes lois sur ce sujet, sans doute; vous avez établi une grande surveillance; vous avez pris des mesures pour vous faire rendre des comptes sévères, et cette partie peut être regardée comme un des grands travaux que la révolution a nécessités. Mais si vous entravez la vente, vos domaines resteront sans valeur. Ceux qui crient sans cesse aux fripons, contre les acheteurs, font naître les abus qu’ils veulent détruire; car il en résulte que les hommes probes, mais timides, n’osent se présenter pour acquérir, et que des compagnies se forment qui agglomèrent tout, en profitant de l’absence d’enchérisseurs. Citoyens, votre papier-monnoie est hypothéqué sur 13 milliards de biens nationaux; mais la plus sûre garantie, c’est la législation, la sécurité dans les propriétés que vous maintiendrez; car il n’y a que cela qui puisse faire que vous réalisiez la valeur de vos domaines. ( Vifs applaudissemens). Que diriez-vous d’un homme qui viendroit vous proposer de demander la paix à l’Autriche et à Georges? cette proposition vous feroit horreur. Eh bien ! toutes les propositions qui tendent à altérer le crédit national, à diminuer la valeur des domaines nationaux, ressemblent à celle-là. Elles vous mettent à la merci de vos ennemis, en vous enlevant les moyens de les réduire, et de continuer honorablement la guerre. Je n’ai pas dû dissimuler ces vérités importantes; j’en vais ajouter d’autres, citoyens : et moi aussi, je verrois avec plaisir l’abolition des impôts; mais je dirai à mon collègue Bourdon, qu’il est imprudent, non seulement de le proposer; mais même d’en parler en ce moment. BOURDON (de l’Oise) : Je n’ai présenté cette suppression comme possible, que lorsque nous aurons conquis la paix. CAMBON : Je soutiens qu’il ne faut pas annoncer d’avance une suppression d’impôts, parce que, dès qu’elle est attendue, cela les rend plus onéreux à la pensée, et paralyse les rentrées. Qui sait qu’elle sera la durée de la guerre? Si nous en fixions le terme, nos ennemis réuniroient tous leurs efforts pour le dépasser. Il ne faut pas qu’ils aient la perspective d’un moment où les moyens de la République puissent être altérés. Prenez garde aussi de porter l’alarme dans l’esprit des créanciers de la nation, qui, tant qu’ils ne sont pas remboursés, ont besoin de voir un gage solide de leur paiement dans les contributions SÉANCE DU 27 FRUCTIDOR AN II (13 SEPTEMBRE 1794) - N° 20 147 que la nation reçoit. Paris n’a point de propriétaires : lorsque ses citoyens avoient amassé quelque fortune, ils la mettoient entre les mains du gouvernement. Eh bien ! leur annoncer la cessation des impôts, c’est les alarmer sur leur paiement. Je demande que l’Assemblée se prononce, qu’elle se prononce fortement (de toutes parts, oui, oui); qu’elle rejette par la question préalable toute motion tendante à entraver la vente et le produit des domaines nationaux; qu’elle ne prenne aucun engagement de supprimer les impôts; et que, dans les sacrifices qu’exige et que pourra exiger la situation de la République, il soit déclaré que les propriétés seront respectées, et que la nation veillera à ce qu’elles ne souffrent pas la moindre atteinte. La Convention décrète les propositions de Cambon, au milieu des plus vifs applaudisse-mens (68). A la suite de ce décret, plusieurs membres parlent sur les propositions faites dans les séances des 21 et 22 de ce mois, et qui avoient été renvoyées aux comités des Domaines, de Législation et de Salut public sur une nouvelle manière d’aliéner les domaines nationaux, et la Convention nationale prend le décret qui suit : La Convention nationale décrète qu’il n’y a pas lieu de délibérer sur la motion et sur les propositions relatives à la vente des domaines nationaux qu’elle a renvoyées les 21 et 22 fructidor aux comités des Domaines, de Législation et de Salut public. Elle charge le comité des Finances de lui faire un rapport sur les moyens à prendre pour arrêter ou prévenir les abus qui pourroient s’être introduits dans l’administration, location et vente des domaines nationaux. Elle déclare qu’elle veillera sans cesse au maintien de toutes les propriétés, à la conservation du gage affecté aux assignats et aux indemnités décrétées pour les défenseurs de la patrie, et qu’elle prendra toutes les mesures qui seront nécessaires afin que le paiement annuel de la dette publique n’éprouve jamais aucun retard (69). 20 Un membre [Panis] fait des observations sur la nécessité de renouveller les représentans qui sont encore à l’Ecole de (68) Débats, n° 723, 446-449. Moniteur, XXI, 751-752; Bull., 28 fruct.; M.U., XLIII, 446-448; Ann. Patr., n° 621 et n° 623; Rép., n° 268; J. Univ., n° 1754; Mess. Soir, n° 756; F. de la Républ., n° 434; Ann. R. F., n° 286; C. Eg., n° 756; J. Mont., n° 137; J. Fr., n° 719; J. Perlet, n° 721; J. Paris, n° 622; Gazette Fr., n° 988. (69) P.-V., XLV, 241-242. C 318, pl. 1286, p. 11. Voir ci-dessus décret n° 10 865. Rapporteur Cambon. Mars, après le délai fixé par les décrets pour leur renouvellement. La Convention nationale décrète ce renouvellement ainsi qu’il suit : La Convention nationale décrète que les représentans du peuple en mission à l’Ecole de Mars seront au nombre de deux, et qu’ils seront renouvellés par moitié tous les mois, sur la présentation du comité de Salut public, qui, dès demain, se conformera au présent décret (70). PANIS observe qu’il a été décrété que deux représentans du peuple seroient chargés de l’inspection du camp de Mars, mais que l’Assemblée n’a pas statué sur le mode de renouvellement; il pense qu’ils doivent l’être tous les mois. De cette manière, dit-il, un grand nombre de représentans se familiariseront avec cette inspection importante, et ce sera un motif d’encouragement pour les élèves. Un membre propose une rédaction par laquelle il est dit qu’il y aura deux représentans du peuple près l’école de Mars; qu’ils seront renouvelés par moitié tous les mois, et que demain le comité de Salut public présentera un membre pour remplacer l’un de ceux actuellement en exercice près du camp. Elle est adoptée. A ce sujet, un membre réclame l’exécution du décret relatif aux représentans du peuple envoyés en mission dans les départemens. Il observe qu’Ysabeau est depuis 15 mois à Bordeaux; il demande son rappel. Plusieurs faits particuliers sont cités. Il s’établit une discussion, plusieurs propositions sont faites : l’Assemblée renvoie le tout au comité de Salut public. TREILHARD, membre de ce comité annonce à l’Assemblée qu’il a été fait un relevé exact de tous les députés en mission depuis plus de trois mois, et que déjà le comité leur a fait parvenir une circulaire pour leur rappeler l’exécution de la loi. Il en est quelques uns à qui le comité a écrit jusqu’à deux fois. L’Assemblée passe à l’ordre du jour (71). Un membre demande que les représentans qui seront nouvellement nommés près l’Ecole de Mars, soient en même temps chargés de la surveillance de Meu-don. La Convention passe à l’ordre du jour (72). BENTABOLE propose par article additionnel d’ajouter à la surveillance des représentans près l’Ecole-de-Mars, la surveillance de 1’établissement de Meudon. Il observe que plusieurs fois déjà cet établissement a causé des inquiétudes aux citoyens. Il est temps de les faire cesser. (70) P.-V, XLV, 242. Décret (71) Débats, n° 723, 449-450. Moniteur, XXI, 752; M.U., XLIII, 448; Ann. Patr., n° 621; Rép., n° 268; J. Univ., n° 1754; F. de la Républ., n°434; Ann. R. F., n° 286; C. Eg., n° 756; J. Mont., n° 138; J. Fr., n° 719; J. Perlet, n° 721; J. Paris, n° 622. Gazette Fr., n° 988. (72) P.-V., XLV, 242. C 318, pl. 1286, p. 12.