584 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (13 octobre 1790.] nouvelle crise avec redoublement s’en empare, il veut qu’on lui livre ces deux infortunés qu’une trop grande confiance avait précipités dans cet abîme. Les uns voulaient les pendre, les autres ne voulaient qu’arracher leurhabit uniforme pour le mettre en pièces. Les officiers demandent la mort plutôt que l’infamie; pendant qu’ils implorent ce bienfait qu'on leur refuse, les portes de la municipalité sont enfoncées, la multitude se précipite sur eux; et ce même habit qu’ils ont porté avec honneur dans les conquêtes de M. de Bouille et de M. d’Estaing, leur est ignominieusement arraché ; on les traîne dans les cachots où les nègres empoisonneurs sont ordinairement enfermés, et jusque dans ce lieu d’objection, la populace les accable de coups et d’injures. Ils y restent vingt-quatre heures, et ne revoient le jour que pour perdre de vue leur patrie. On les jette abord d’un navire qui faisait voile pour la France. Le régiment apprend l’injure faite à son uniforme et le traitement de ses officiers ; il présente unerequêteà M. deVioménil, pour faire poursuivre le vaisseau qui les emportait. Une frégate est dépêchée, elle l’atteint et ramène au Fort-Royal MM. Du Boulet et de Malherbe. Le nom de l’Assemblée nationale, à laquelle ou les envoyait, était trop imposant pour que le régiment etM. de Vioménil songeassent à les soustraire à son jugement; plus ils sont innocents, moins ils le craignent. Deux jours après; ils furent encore embarqués sur une frégate qui se rendait en France. Depuis six mois, ils y attendent, avec la confiance de l’innocence malheureuse, le décret de l’Assemblée nationale. Ils ont perdu tout ce qu’ils avaient ; ils ont été battus, ruinés, exilés, il ne leur reste que l'honneur que MM. Ruste et Gorioud voudraient leur ravir. QuelscœursontdonccesenvoyésdeSaint-Pierre? Que leur ont-ils fait pour être poursuivis avec l’acharnement de la haine ? Quand il serait vrai que M. Du Boulet eût refusé la cocarde, et que M. Malherbe, son camarade et son ami, eût pris son parti dans l’insulte faite à ce sujet, en est-ce assez pour vouloir les perdre, quand on a déjà épuisé sur eux toutes les vengeances humaines? M. de Vioménil, qui était alors général à la Martinique, est actuellement en France. M. De-laumoy, qui commandait en second, est à Paris ; les députés de cette île dans l’Assemblée nationale sont instruits de cette affaire par les colons; un député extraordinaire qu’elle a envoyé depuis en a été le témoin : l’Assemblée nationale peut les appeler ; s’ils déposent contre MM. Du Boulet et Malherbe que la rigueur de ses décrets tombe sur la tête de ces infortunés. Us demanderaient justice au nom de leur corps des mauvais traitement qu’ils ont éprouvés, s’il était possible de la réclamer contre le peuple. Ils savent que personne n’a tort quand tout le monde à tort. MM. Du Boulet et Malherbe, pleins de confiance dans la justice de leur cause, auraient continué de garderie silence et d’attendre patiemment le décret de l’Assemblée nationale à ce sujet ; mais tout entiers attachés à leur proie, MM. les députés de Saint-Pierre les forcent d’écrire et de faire observer à cet auguste tribunal que ceux qui se plaignent contre eux, sont ceux qui se plaignent de toute la colonie, sont ceux qui veulent justifier l’assassinat affreux des mulâtres, la violation du greffe, sont ceux qui ont élevé d’informidables débats, sont enfin les députés de cette municipalité qui a mis le trouble dans cette île, et qui, après avoir laissé traîner ignominieusement dans des cachots deux innocents, les poursuivent encore jusqu’à Paris pour les perdre. Quels hommes ! Signé : Dü Boulet et MALHERBE. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. MERLIN. Séance du mercredi 13 octobre 1790, au matin (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. le Président fait l’annonce d’un Plan d'imposition pour les habitants des campagnes et villes taillables; l’auteur, le sieur Charlemagne, en fait hommage à l’Assemblée. Ce plan est renvoyé au comité d’imposition. M. 'Vieillard, député de Reims, demande et obtient un congé de huit jours. M. Gossin, rapporteur du comité de Constitution , propose trois décrets : le premier concernant la nomination des juges de paix en divers lieux-, le second, relatif à l'installation des juges du district de la campagne de Lyon; le troisième, statue sur la suppression de quelques municipalit és . Ces trois projets de décrets sont mis aux voix; l’Assemblée nationale les adopte, et ils sont prononcés en ces termes : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport du comité de Constitution, décrète qu’il sera nommé cinq juges de paix pour la ville et faubourgs de Caen, deux pour Falaise, deux pour Vire, deux pour Bayeux, deux pour la ville et faubourgs de Lisieux, et un pour les campagnes de Saint-Désir, Saint-Germain et Saint-Jacques dépendants desdits faubourgs ; un seul pour la ville de Honfleur, deux pour celle de Saumur, département de Maine-et-Loire. » « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rap port de son comité de Constitution ; « Décrète, sur la pétition des administrateurs du district de la campagne de Lyon, qu’ils installeront les juges de son tribunal, séant en cette ville. » « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport du comité de Constitution, décrète que les municipalités des paroisses de Notre-Dame, de Saint-Pierre, de Saint-Léonard, du Durial et de Gouis, district de Châteauneuf, département de Maine-et-Loire, ne formeront plus, à l’avenir, qu’une seule et même municipalité, et qu’à cet effet, il sera procédé incessamment à l’élection des membres qui doivent la composer, ’en conformité des décrets sur l’organisation des municipalités. » M. Thouret, rapporteur du comité de Constitution . Vous avez ordonné, dans votre séance d’hier au matin, que les décrets rendus sur quelques objets concernant l’organisation des tribunaux de justice, seraient remis aujourd’hui sous vos yeux. Je vais en donner lecture. (Voy. ces articles à la séance d’hier.) (L’Assemhlée approuve définitivement la rédac tion de ces articles.) M. Talon. J’ai appelé, à diverses reprises, l’at-(1) Cette séance est incomplète au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 octobre 1790.] 585 tention de votre comité et celle de l’Assemblée nationale elle-même sur la nécessité de simplifier les procédures et de réduire les frais de justice qui sont exorbitants ; je renouvelle ma motion à cet égard. ( Voy . le projet de M. Talon, annexé à la séance de ce iourt p. 592.) M. Thonret. Cette motion est juste. Le comité donne une première satisfaction à l’orateur en vous proposant pour demain l'organisation des justices de paix. (Cette proposition est adoptée.) M. le Président. Le comité des finances a la parole pour faire un rapport sur l’état et les besoins du Trésor public. M. I�ebrun, rapporteur. Vous avez décrété que l’ordonnateur du Trésor public mettrait sous vos yeux la recette et lesdépenses présumées des trois derniers mois de la présente année : il a exécuté vos ordres ; je viens aujourd’hui vous offrir ce tableau, et malheureusement, avec ce tableau, les besoins du Trésor public. Au mois de mars dernier, le premier ministre des finances évaluait à 294 millions le déficit de l’année entière, en supposant l’exactitude dans tous les payements, et la stabilité des revenus à la hauteur où ses aperçus les avaient fixés. II ne calculait alors qu’un déficit de 60 millions sur le produit de la ferme générale et des régies. 11 portait à 60 millions les dépenses extraordinaires. Il supposait les retards des premiers mois de l’année, dans la perception des impositions directes, compensés par une accélération marquée dans les derniers mois. Enfin, il n’avait fait entrer dans le compte de l’avenir, ni les mouvements intérieurs, ni les mouvements étrangers, ni les lenteurs nécessaires dans la composition d’un gouvernement, qu’il fallait reprendre dans ses fondements, ni tant d’operations nouvelles que le développement de vos principes a nécessitées, et qui toutes ont, ou altéré les revenus, ou augmenté les dépenses. Depuis, et à l’époque où l’on avait décrété une première émission d’assignats, il vous a présenté, dans un aperçu spéculatif, votre recette élevée à douze millions au-dessus du niveau de vos besoins, et le vaisseau de l’Etat s’avançant, à travers les orages de 1790, au port où il devait reposer en 1791. Ses espérances et ses calculs ont été trompés, et trompés au delà de tout ce que nous pouvions craindre. Cette erreur, je ne viens point la lui reprocher; s’il espéra mieux de la fortune, s’il craignit de nous alarmer par des pressentiments sinistres, nous devons justice à son zèle et quelque reconnaissance à ses ménagements. Ce n’est point de l’effroi que je viens moi-même vous inspirer. Notre situation n’a d’effrayant que ce que notre imagination voudrait y mettre, et quelque différence que l’événement établisse entre les résultats de M. Necker et les nôtres, vous verrez que cette différence n’est pas aussi désespérante qu’elle semble l’être au premier aspect. Les 400 millions d’assignats sont épuisés, mais ils ne sont pas perdus; 170 millions sont consacrés à rembourser une somme égale de billets de la caisse d’escompte, qui ont circulé pour vous, et par conséquent à éteindre une partie de votre dette. D’autres ont payé les arrérages des rentes ; d’autres ont anéanti des anticipations, suppléé à des vides momentanés dans les impositions directes, vides qui seront remplis par la rentrée plus tardive de ces impositions. Le reste enfin a été absorbé, ou par des besoins imprévus, ou par des dépenses ordinaires. La recette présumée pendant le3 trois derniers mois ne s’élève qu’à 96,335,000 livres; la dépense présumée sera de 231,315,000 livres. Je vais vous présenter les éléments de l’une et de l’autre, avec les observations dont elles sont susceptibles. Je commence par la recette; elle se compose : 1° de 10,720,000 livres, qui existaient au premier octobre dans le Trésor public, mais qu’il faut diminuer d’environ 2 millions, pour des bons qui appartiennent au passé, et qui ne seront acquittés que dans les trois derniers mois; 2° d’effets qui écherront dans les trois derniers mois ; effets réunis par divers comptables, et qui s’élèvent à 3,585,000 livres; 3° les impositions directes calculées sur les soumissions des receveurs généraux donneront 36,170,000 livres. Je dois vous observer que les soumissions n’ont pas été fidèlement remplies jusqu’ici : 19 millions ont déjà manqué sur cette partie au Trésor public, et peut-êlre...., et certainement les derniers mois amèneront encore de pareils mécomptes. Les mécomptes ne sont pas des pertes; ils ne seront pas même la preuve des langueurs ou de la nullité des perceptions. Les perceptions sont en ce moment en activité; elles le sont du moins dans presque tous les départements. C’est à cette époque que le contribuable, quitte de sa récolte et bientôt de ses semences, commence à vendre sesdenréesetàpayer ses impositions. Les trois mois qui viennent de s’écouleront été et sont ordinairement des mois morts pour la recette. Mais un aulre inconvénient interceptera une partie de cette recette. Nous touchons au terme où le ministère des receveurs parliculiersva expirer. La recette courante ne remplira plus les vides de leurs caisses ; la confiance des prêteurs leur manquera, quelques-uns peut-être, ne se feront pas scrupule de retenir des fonds qu’ils croient leur appartenir, parce que l’Etat leur doit une finance. Voilà le secret du véritable déficit que vous éprouverez sur les impositions directes. Nous devons attendre du zèle des départements qu’ils en sauveront une partie. Mais enfin, quel qu’il soit, ce déficit, il vous ôtera un revenu, mais il vous éteindra une dette. Le produit de la ferme générale est compté pendant les trois derniers mois pour 8,600,000, livres. C’étaient autrefois 13, 14 millions par mois que la ferme générale versait dans le Trésor public. La suppression de la gabelle, la contrebande du tabac, la destruction qui menace cette branche féconde de nos revenus, la langueur du commerce étranger et des consommations intérieures, des vides peut-être dans les caisses secondaires, mais des vides remplis d'avance pardes cautionnements : voilà les causesqui ont tari celte source autrefois si abondante. Il est temps, il est bien temps que vous prononciez enfin sur le sort des perceptions de la ferme générale; ses frais sont immenses aujourd’hui, en comparaison de ses produits, et bientôt ses revenus suffiront à peine à stipendier ses agents. La régie générale donnera environ 4 millions. Au mois de février, quand la consistance de cette régie était encore entière, nous pouvions compter sur un revenu qui, quoique atténué par les circonstances générales, se serait élevé à plus de 42 millions. Malgré la suppression des droits sur les cuirs, de la marque des fers, du droit sur les huiles, la régie générale nous aurait donné 36 millions ; elle est réduite à 1 million par mois : et que gagne le peuple à cetie réduction ?Rien ; la fraude seule s’enrichit des pertes du Trésor public, et le caba-relier n’en vend pas moins au malheureux la li-