[Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1789. J 235 ASSEMBLÉE NATIONALE.. PRÉSIDENCE DE M. LE FRANC DE POMPIGNAN, ARCHEVÊQUE DE VIENNE. Séance du 15 juillet 1789. L’Assemblée nationale, trop profondément affectée et trop vivement inquiète sur les malheurs publics, pour arrêter ses pensées sur d’autres objets, n’a pas pu suivre le plan ordinaire de ses délibérations ; et au lieu de commencer, comme les autres jours, par la lecture des adresses des différentes villes et du procès-verbal, on a mis en délibération quel parti il y avait actuellement à prendre pour rétablir la tranquillité dans Paris. Plusieurs membres de l’Assemblée ont fait différentes propositions. Quelques-uns ont présenté des projets d’adresse au Roi. M. le marquis de Sillery, présente un projet d’adresse ainsi conçu : « Sire, l’Assemblée nationale, pénétrée de la douleur la plus profonde des malheurs de la capitale, a déjà eu l’honneur de supplier Votre Majesté de faire retirer les troupes qu'elle a rassemblées aux environs de Paris. « Il n’est plus temps, sire, de vous déguiser la vérité : un Roi tel que vous est digne de l’entendre, et l’Assemblée nationale va donner à Votre Majesté la preuve la plus signalée de son patriotisme, en lui parlant avec la franchise qui lui convient. « Votre Majesté est trompée. L’Assemblée nationale va lui retracer les perfides conseils que ses ministres ont osé lui donner. Ils ont dit à Votre Majesté que la nation rassemblée voulait attenter à son autorité ; qu’il existait un parti considérable qui voulait former une constitution qui avilirait la dignité royale ; et que le seul moyen d’éviter ce malheur, était de rassembler vos troupes, et de paraître avec l’appareil formidable de votre puissance. . « Ils vous ont fait entendre que Paris étaità l’instant de se soulever ; et ces indignes conseillers, prévoyant que l’arrivée des troupes serait le signal d’une insurrection générale, peut-être qu’au-jourd’hui ils ont encore osé vous dire que la Révolution qu’ils avaient prévue est arrivée ; et peut-être chercheront-ils à se faire un mérite auprès de vous de la prévoyance qu’ils ont eue de vous faire rassembler votre armée. Ahl Sire, voilà les perfides conseils dont l’Assemblée nationale vous demande justice en ce moment. Les cruels peuvent défigurer l’autorité paternelle que vous devez avoir sur vos peuples. Les Français, Sire, adorent leurs Rois, mais ils ne veulent jamais les redouter. « Hier, Sire, peut-être que, siVotre Majesté avait daigné écouter les prières de l’Assemblée nationale, l’éloignement des troupes aurait été suffisant pour remettre le calme et rétablir l’ordre dans la capitale; mais, Sire, les massacres qui ont eu lieu hier, la Bastille assiégée et prise, les exécutions sanguinaires qui en ont été les suites, ont porté le peuple à un excès de fureur qu'il est bien plus difficile d’arrêter. « Ce matin encore, un convoi de farine, qui se rendait à Paris, a été arrêté au pont de Sèvres : si cette nouvelle parvient à la capitale, elle va redoubler le trouble et la colère des citoyens. Ah ! Sire, rappelez-vous votre brave et vertueux aïeul, Henri IV de glorieuse mémoire : lorsqu’il fut forcé par les discordes civiles de mettre le siège devant la capitale, son humanité lui dictait de laisser passer les convois de vivres nécessaires à la nourriture de ses habitants. Non, Sire, nous ne croirons jamais que cet ordre cruel soit émané de vous. « Il est peut-être encore un moyen de calmer le peuple irrité. Votre Majesté connaît ceux qui lui ont donné ces perfides conseils. Eloignez de vous, Sire, ees pestes publiques; ils ont osé calomnier ce vertueux citoyen qui s’était dévoué à votre gloire et au bonheur de la nation. Votre Majesté saura apprécier combien un ministre intègre et économe devait déplaire aux vils courtisans, intéressés aux déprédations et aux désordres, et qu’une des principales causes du soulèvement du peuple est l’éloignement de ce ministre citoyen qui maintenait le crédit national, par la certitude où l’on était de son intégrité. «Si ces moyens, Sire, ne remettent paslecalme dans votre empire, venez au milieu de l’Assemblée nationale. Le moment le plus glorieux de votre vie, sera celui où Votre Majesté, entourée de sa fidèle nation, y recevra ces marques d’amour et de respect dont elle est pénétrée pour sa personne sacrée. Oh, Sire ! c’est au milieu de cette nation généreuse que Votre Majesté jugera de la perfidie des conseils que l’on n’a cessé de vous donner ; elle y verra la consternation de l’Assemblée nationale; mais elle sera peut-être étonnée de son calme et de sa tranquillité. Fidèle à la nation qu’elle représente, fidèle à ses principes, fidèle à l’amour constant qu’elle a pour Votre Majesté, rien ne peut altérer ni changer les décrets qu’elle doit prononcer. « La capitale, instruite de cette marque de confiance du plus aimé des Rois, se livrera avec transport à l’amour qu’elle vous a toujours manifesté, et rien ne peut plus rétablir la paix, que lorsque les peuples seront informés que l’accord règne entre le monarque et l’Assemblée nationale. « Daignez, Sire, écouter les vœux que nous formons. Par quelle fatalité Votre Majesté ne serait-elle inflexible qu’à la voix de la nation fidèle ? Les flots de sang qui ont coulé empoisonneront la vie du meilleur des Rois, et la nation, Sire, va prononcer l’anathème contre ceux qui vous ont donné ces conseils sanguinaires. » Cette adresse paraît faire la plus vive impression dans l’Assemblée ; cependant plusieurs membres la combattent comme trop faible ; d’autres la réfutent par un motif contraire. M. le comte de Mirabeau.’ Je propose d’ajouter à l’adresse la phrase suivante : « Sire, Henri IV, lorsqu’il assiégeait Paris, faisait passer secrètement des blés à la capitale ; et aujourd’hui, en temps de paix, on veut réduire cette même ville aux horreurs de la famine sous le nom de Louis XVI. » Enfin, au milieu de tant de propositions et après divers débats qu’elles font naître, tous les membres s’accordent sur la nécessité d’envoyer une députation au Roi pour lui faire la demande itérative du renvoi des troupes à leurs garnisons ; la demande d’une libre communication pour le transports des blés et des farines nécessaires à la subsistance de Paris, communication qui a été arrêtée par les troupes, suivant la dénonciation qui en a été faite par M. Lecointre, négociant à Versailles ; enfin, pour demander au Roi une réponse satisfaisante qui pût permettre à l’Assem-