22 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE [FRÉCINE : Le 9 au soir, voyant David dans la Convention, où étois-tu ce matin, lui dis-je ? — J’étois malade, j’ai pris médecine. — Vas donc boire la cigüe avec le tyran. A ces mots, il pleura comme un lâche. Cet homme a trop longtemps paralysé les arts. Il a fait arrêter plusieurs artistes et dit qu’il voudroit avoir les têtes de tous. C’est lui qui proposa de faire le portrait du tyran Capet; sans doute il réservoit ses pinceaux pour transmettre à la prospérité les traits du tyran Robespierre. Je demande contre lui le décret d’accusation (1)]. [BOURDON (de l’Oise) s’oppose à cette proposition; il n’est pas moins indigné que ses collègues de la conduite de David et de ses liaisons connues avec un monstre qui avoit projetté la ruine de son pays; mais il ne veut pas qu’on employé contre lui les armes dont la tyrannie s’étoit servie avec tant d’artifice pour anéantir la liberté jusque dans le sein de la Convention nationale; il demande que David soit entendu. ' Il dénonce Lavicomterie, membre du Comité de Sûreté générale, pour avoir également abandonné son poste dans cette nuit mémorable où la Convention a fait sa révolution, et conclut à ce qu’il soit remplacé dans le Comité de Sûreté générale (2)]. On reproche à Lavicomterie de ne pas s’être trouvé non plus à la Convention dans la mémorable journée du 9, et l’on demande son remplacement. BENTABOLE : Le décret qui permettait aux deux comités de faire arrêter les représentants du peuple sans rapport préalable a été surpris à la Convention par les hommes qui étaient habitués à tromper sa justice. Ce décret a failli perdre la République en étouffant la liberté des opinions; car, je vous le demande, quel député pouvait dire ce qu’il pensait ? quel député pouvait faire part des soupçons qu’il avait ? quel député pouvait combattre des mesures qui lui semblaient contraires à l’intérêt de la république, quand il était sûr d’être arrêté sur-le-champ sans pouvoir se faire entendre de la Convention ? Je demande le rapport de ce décret, et que la Convention ajoute à ce décret qu’aucun de ses membres ne pourra être arrêté sans avoir été préalablement entendu. LEGENDRE : Lorsqu’on a porté le décret dont on demande le rapport, on a violé les principes qui défendent d’arrêter les représentants du peuple sans qu’ils aient été entendus par la Convention nationale; on les violerait encore une seconde fois si l’on décrétait l’addition proposée par Bentabole. Je demande qu’on se borne purement et simplement au rapport du décret. La proposition de Legendre est adoptée au milieu des plus vifs applaudissements. MERLINO : Citoyens, d’après les principes, la première qualité d’un républicain est le (1) J. S. -Culottes, n° 533; J. Fr., n° 676; J. Sablier (du soir), n° 1 472. (2) J. Paris, n° 579; Débats, n° 680, 246; de nombreuses gazettes placent aussitôt après l’intervention d’A. Dumont ces premières accusations de Goupilleau, de Frécine et de Bourdon (de l’Oise). courage. Je ne suis pas dénonciateur par caractère; mais ma conscience me dit que, dans les circonstances présentes, je serais coupable si je vous taisais une lâcheté d’autant plus condamnable qu’elle vient d’un homme qui est chargé de fonctions importantes et délicates. Je vous dénonce Jagot, qui, dans toutes les circonstances périlleuses de la législature et de la Convention, a toujours eu le soin de se cacher; il a encore tenu la même conduite dans la nuit du 9 au 10 thermidor, quoiqu’il fût du comité de sûreté générale. Je dois encore ajouter d’autres faits. Dans ce moment, mon département gémit sous l’oppression la plus tyranique qu’y exercent des Hé-bertistes et des Robespierriens, puissamment soutenus par Jagot. Sur la demande de mes collègues et de moi, le comité de salut public a nommé le représentant du peuple Boisset, pour aller pacifier ce malheureux département; mais il sera prévenu par des intrigants que Jagot a fait partir ce matin, et qui vont y porter le flambeau de la discorde. Je demande que Jagot soit remplacé au comité de sûreté générale. (On applaudit). ICHON : Je demande que celui qui a dénoncé Jagot vous dise comment il a voté lorsqu’il fut question de l’appel au peuple. (Les marques les plus vives d’improbation s’élèvent dans toutes les parties de la salle). MERLIN (de Thionville) : Celui qui rappelle ici d’anciennes querelles, pour violer la liberté des opinions, n’est pas l’ami de la patrie. (Vifs applaudissements). Le président rappelle Ichon à l’ordre. MERLINO : Pour répondre à l’inculpation que vient de me faire Ichon, je lui dirai que j’ai voté la mort. Plusieurs voix : Qu’est-ce que cela fait ? D’autres : Robespierre aussi avait voté la mort (1). La Convention nationale décrète que Jagot, David et Lavicomterie, seront remplacés au comité de sûreté générale (2). 2 Un autre membre [BENTABOLE] ayant observé de nouveau que le décret qui autorise les comités de salut public et de sûreté générale à mettre en arrestation les membres de la Convention doit être rapporté, et cette motion ayant été vivement appuyée et mise aux voix, le décret suivant a été rendu : La Convention nationale, sur la proposition d’un membre, rapporte le décret par (1) Moniteur (réimpr.), XXI, 366; Débats, n° 680, 246-247; J. Mont n° 94, M.U., XLII, 237-238; Rép., n° 225; J. Jacquin. n° 733|blT (2) P.-V., XLII, 286. Minute de Goupilleau (de Fontenay) et Merlino. Décret n° 10 186. Voir, ci-dessous, séance du 14 thermidor, n° 8. 22 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE [FRÉCINE : Le 9 au soir, voyant David dans la Convention, où étois-tu ce matin, lui dis-je ? — J’étois malade, j’ai pris médecine. — Vas donc boire la cigüe avec le tyran. A ces mots, il pleura comme un lâche. Cet homme a trop longtemps paralysé les arts. Il a fait arrêter plusieurs artistes et dit qu’il voudroit avoir les têtes de tous. C’est lui qui proposa de faire le portrait du tyran Capet; sans doute il réservoit ses pinceaux pour transmettre à la prospérité les traits du tyran Robespierre. Je demande contre lui le décret d’accusation (1)]. [BOURDON (de l’Oise) s’oppose à cette proposition; il n’est pas moins indigné que ses collègues de la conduite de David et de ses liaisons connues avec un monstre qui avoit projetté la ruine de son pays; mais il ne veut pas qu’on employé contre lui les armes dont la tyrannie s’étoit servie avec tant d’artifice pour anéantir la liberté jusque dans le sein de la Convention nationale; il demande que David soit entendu. ' Il dénonce Lavicomterie, membre du Comité de Sûreté générale, pour avoir également abandonné son poste dans cette nuit mémorable où la Convention a fait sa révolution, et conclut à ce qu’il soit remplacé dans le Comité de Sûreté générale (2)]. On reproche à Lavicomterie de ne pas s’être trouvé non plus à la Convention dans la mémorable journée du 9, et l’on demande son remplacement. BENTABOLE : Le décret qui permettait aux deux comités de faire arrêter les représentants du peuple sans rapport préalable a été surpris à la Convention par les hommes qui étaient habitués à tromper sa justice. Ce décret a failli perdre la République en étouffant la liberté des opinions; car, je vous le demande, quel député pouvait dire ce qu’il pensait ? quel député pouvait faire part des soupçons qu’il avait ? quel député pouvait combattre des mesures qui lui semblaient contraires à l’intérêt de la république, quand il était sûr d’être arrêté sur-le-champ sans pouvoir se faire entendre de la Convention ? Je demande le rapport de ce décret, et que la Convention ajoute à ce décret qu’aucun de ses membres ne pourra être arrêté sans avoir été préalablement entendu. LEGENDRE : Lorsqu’on a porté le décret dont on demande le rapport, on a violé les principes qui défendent d’arrêter les représentants du peuple sans qu’ils aient été entendus par la Convention nationale; on les violerait encore une seconde fois si l’on décrétait l’addition proposée par Bentabole. Je demande qu’on se borne purement et simplement au rapport du décret. La proposition de Legendre est adoptée au milieu des plus vifs applaudissements. MERLINO : Citoyens, d’après les principes, la première qualité d’un républicain est le (1) J. S. -Culottes, n° 533; J. Fr., n° 676; J. Sablier (du soir), n° 1 472. (2) J. Paris, n° 579; Débats, n° 680, 246; de nombreuses gazettes placent aussitôt après l’intervention d’A. Dumont ces premières accusations de Goupilleau, de Frécine et de Bourdon (de l’Oise). courage. Je ne suis pas dénonciateur par caractère; mais ma conscience me dit que, dans les circonstances présentes, je serais coupable si je vous taisais une lâcheté d’autant plus condamnable qu’elle vient d’un homme qui est chargé de fonctions importantes et délicates. Je vous dénonce Jagot, qui, dans toutes les circonstances périlleuses de la législature et de la Convention, a toujours eu le soin de se cacher; il a encore tenu la même conduite dans la nuit du 9 au 10 thermidor, quoiqu’il fût du comité de sûreté générale. Je dois encore ajouter d’autres faits. Dans ce moment, mon département gémit sous l’oppression la plus tyranique qu’y exercent des Hé-bertistes et des Robespierriens, puissamment soutenus par Jagot. Sur la demande de mes collègues et de moi, le comité de salut public a nommé le représentant du peuple Boisset, pour aller pacifier ce malheureux département; mais il sera prévenu par des intrigants que Jagot a fait partir ce matin, et qui vont y porter le flambeau de la discorde. Je demande que Jagot soit remplacé au comité de sûreté générale. (On applaudit). ICHON : Je demande que celui qui a dénoncé Jagot vous dise comment il a voté lorsqu’il fut question de l’appel au peuple. (Les marques les plus vives d’improbation s’élèvent dans toutes les parties de la salle). MERLIN (de Thionville) : Celui qui rappelle ici d’anciennes querelles, pour violer la liberté des opinions, n’est pas l’ami de la patrie. (Vifs applaudissements). Le président rappelle Ichon à l’ordre. MERLINO : Pour répondre à l’inculpation que vient de me faire Ichon, je lui dirai que j’ai voté la mort. Plusieurs voix : Qu’est-ce que cela fait ? D’autres : Robespierre aussi avait voté la mort (1). La Convention nationale décrète que Jagot, David et Lavicomterie, seront remplacés au comité de sûreté générale (2). 2 Un autre membre [BENTABOLE] ayant observé de nouveau que le décret qui autorise les comités de salut public et de sûreté générale à mettre en arrestation les membres de la Convention doit être rapporté, et cette motion ayant été vivement appuyée et mise aux voix, le décret suivant a été rendu : La Convention nationale, sur la proposition d’un membre, rapporte le décret par (1) Moniteur (réimpr.), XXI, 366; Débats, n° 680, 246-247; J. Mont n° 94, M.U., XLII, 237-238; Rép., n° 225; J. Jacquin. n° 733|blT (2) P.-V., XLII, 286. Minute de Goupilleau (de Fontenay) et Merlino. Décret n° 10 186. Voir, ci-dessous, séance du 14 thermidor, n° 8. SÉANCE DU 13 THERMIDOR AN 11 (SOIR) (31 JUILLET 1794) - N" 3 23 lequel les comités de salut public et de sûreté générale étoient investis du pouvoir de mettre en état d’arrestation les membres de la Convention nationale. (1). [ Applaudissements ]. 3 Un membre demande que David étant présent soit tenu de s’expliquer sur les griefs qui lui sont imputés, et notament sur ce qu’il a dit qu’il boiroit la ciguë avec Robespierre. On lui reproche également d’avoir tracé le plan de la fête pour qu’elle se passât dans la nuit. La Convention nationale décrète que David sera entendu. DAVID étant monté à la tribune, convient d’avoir été trompé par le scélérat Robespierre; il convient également d’avoir tenu le propos relatif à la ciguë, parce qu’il croyoit voir dans Robespierre les bons principes; et quant au plan de la fête, il répond que s’étant aperçu de son erreur par les observations qui lui avoient été faites par le comité de salut public, il avoit rectifié son plan. Un autre membre demande qu’il soit mis en arrestation. Sur cette question il s’élève beaucoup de contestations; les uns parlent pour l’arrestation, les autres contre. Un autre membre [LEGENDRE] déclare qu’il a des faits importans à déclarer au comité de salut public, et demande le renvoi de toutes les dénonciations et propositions aux comités de salut public et de sûreté générale, où le citoyen David sera entendu (2). DAVID : Je ne connais pas les dénonciations qui ont été faites contre moi; mais personne ne peut m’inculper plus que moi-même. On ne peut concevoir jusqu’à quel point ce malheureux m’a trompé; c’est par ses sentiments hypocrites qu’il m’a abusé; et, citoyens, il n’aurait pas pu y parvenir autrement. J’ai quelquefois mérité votre estime par ma franchise; eh bien, citoyens, je vous supplie de croire que la mort est préférable à ce que j’éprouve dans ce moment-ci. Dorénavant, j’en fais le serment, et j’ai cru le remplir encore dans cette malheureuse circonstance, je ne m’attacherai plus aux hommes, mais seulement aux principes. *** : David a embrassé Robespierre aux Jacobins, et il y est allé prêcher l’insurrection. GOUPILLEAU (de Fontenay) : J’interpelle David de déclarer si, au moment où Robespierre descendit de la tribune, après avoir prononcé son discours, ou plutôt son acte d’accusation, (1) P.V., XLII, 286. Minute de la main de Bentabole. Décret n° 10 184. Débais , n° 680, 246; J. Sablier (du Soir), n° 1 472; J. Mont., n° 94; F.S.P., n° 393; Ann. Patr., n° DLXXVIII; J. Paris, n° 579; J. Jacquin, n° 733�; Mess. Soir, n° 712; Rép., n° 225; J. Fr., n° 676; C. univ., n° 944; J. univ., n° 1 712; J. S. -Culottes, n° 533; Ann. R. F., n° 243; C. Eg„ n° 713; M.U., XLII, 237; J. Perlet , n° 678; J. Lois, n° 675. (2) P. V., XLII, 287. lui, David, n’alla pas l’embrasser, en lui disant : « Si tu bois la ciguë, je la boirai avec toi ! ». DAVID : Ce n’était pas pour venir faire accueil à Robespierre que je descendis de son côté, c’était pour monter à la tribune et demander que l’heure de la fête du 10 fût avancée. Je n’ai pas embrassé Robespierre, je ne l’ai même pas touché, car il repoussait tout le monde. Il est vrai que, lorsque Couthon lui parla de l’envoi de son discours aux Communes, je dis qu’il pourrait semer le trouble dans toute la république. Robespierre s’écria alors qu’il ne lui restait plus qu’à boire la ciguë, je lui dis : « Je la boirai avec toi ». Je ne suis pas le seul qui ait été trompé sur son compte; beaucoup de citoyens l’ont cru vertueux, ainsi que moi. THIBAUDEAU : Je demande le renvoi aux deux comités. TALLIEN : Si un membre de la Convention n’avait pas été inculpé ici d’une manière directe, s’il ne s’était pas présenté à la tribune pour repousser l’inculpation, je demanderais aussi le renvoi aux comités; mais autant nous devons être soigneux de ne pas attaquer légèrement la représentation nationale dans aucun de nous, autant, lorsqu’elle est attaquée, nous devons exiger une réparation authentique. Il ne doit siéger dans cette enceinte que des hommes purs; aucune réputation ne doit plus nous aveugler. Nous sommes au moment où les hommes, quelque talent qu’ils aient, ne sont plus rien; la vertu et la liberté sont tout. \Ap-plaudissements ]. On a reproché à David de ne s’être pas présenté ici dans le moment de crise; moi, je dirai plus : dans la nuit du 9 au 10, Coffinhal, ce traître que le glaive de la loi atteindra bientôt, s’il ne l’a pas encore frappé; Coffinhal dit qu’il était bien sûr que la signature de David apposée au bas d’une proclamation n’était pas la sienne, parce qu’il était l’ami de Robespierre. Ce ne serait sans doute pas là le sujet d’une accusation, s’il n’y avait pas d’autres inculpations à faire à David; mais aux oscillations de sa conduite au comité de sûreté générale on peut joindre d’autres reproches. Je déclare qu’aucun représentant ne peut siéger à côté de David jusqu’à ce qu’il se soit disculpé. DAVID : J’étais malade depuis 8 jours, et le 9 je pris de l’émétique qui me fit beaucoup souffrir, et me força de rester chez moi toute la journée et toute la nuit; je ne vins à l’assemblée que le lendemain matin. FRECINE : David était ici le 9 au matin. *** : Je demande à David pourquoi dans le projet de fête qu’il nous a présenté, il proposait de partir à 3 heures. J’ai observé que cette proposition tenait beaucoup au plan de Robespierre, et pouvait avoir les plus grands dangers. DAVID : Dans toutes les fêtes dont j’ai donné le programme, on m’a reproché de les faire durer trop longtemps. C’est pour cela que j’ai proposé de faire commencer celle du 10 thermidor à 3 heures. Le comité de salut public me fit remarquer ensuite que cela pouvait être dangereux, et je vins demander qu’elle commençât à 9 heures. LECOINTRE : Je demande qu’il soit décrété que David ne pourra être d’aucun comité.