[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 juin 1790.] IQK PREMIER DÉCRET. « L’Assemblée nationale confirme la délibération du corps électoral de Maine-et-Loire, et décrète que la ville d’Angers demeurera définitivement le siège de son administration. » DEUXIÈME DÉCRET. « L’Assemblée nationale confirme la délibération du corps électoral du département de la Haute-Marne, et décrète que la ville de Chaumont demeurera définitivement le siège de son administration. » M. de Montagut-Barrau, député de Com-minges et Nébouzan, demande, par une lettre adressée à M. le Président, un congé pour cause de maladie attestée par deux certificats de médecins. Le congé est accordé. M. Thibault, curé de Souppes. Je demande que tous les députés absents soient privés de leurs appointements. M. Gérard, laboureur breton. Je suis de quatre-vingts lieues ; si je m’en vais, je demande de n’être pas payé et il doit en être de même pour tous les autres députés. Il est indigne de payer des hommes qui vont dans les provinces quand ils devraient être ici. M. de Boufflers. Je demande que les absents reçoivent leur traitement puisqu’ils ne sont partis que sur l’autorisation de l’Assemblée, sauf à statuer pour l'avenir. M. Bobespierre. Je demande l’ordre du jour sur la proposition. (Après deux épreuves, l’Assemblée décide qu’il y a lieu à délibérer.) M. de Murinais. Je demande le renvoi au comité chargé du règlement de police de l’Assemblée. M. Gérard, laboureur. Les provinces n’attendent pas que nous allions nous promener. On va se promener pour cabaler contre la Constitution; voyez si nous voulons les payer pour ce beau service. ( Applaudissements prolongés). M. Lavenne. J’insiste pour que la proposition qui vous est faite n’ait aucun effet rétroactif, si elle est adoptée. M. le Président met aux voix la question principale qui est décrétée en ces termes : « L’Assemblée nationale a décrété et décrète que tous ses membres qui, jusqu’à ce jour, se sont absentés, et qui, à l’avenir, feront des absences, sont et seront privés de leur indemnité, et cela, pendant tout le temps de leur absence. » M. le Président annonce qu’il vient de recevoir une lettre du corps représentatif du comté Venaissin , à laquelle est jointe une adresse pour l’Assemblée nationale. On demande la lecture des pièces (1). (1) Ces pièces n’ont pas été insérées au Moniteur; nous les reproduisons d’après le journal Le Point-du-Jour, tome II, page 169. Cette lecture a lieu. « Monsieur le Président, « L’Assemblée représentative du comté Venaissin a désiré de rendre ud hommage immédiat à l’Assemblée nationale de France; elle a voté en conséquence, dans une de ses séances, l’adresse que j’ai l’honneur de vous faire parvenir, et qu’elle vous prie de vouloir bieu lui présenter. « A l’instant même où elle s’occupait d’exprimer son respect et sa reconnaissance pour votre auguste Assemblée et qu’elle s’abandonnait à la joie de penser que son tribut serait favorablement accueilli, une douleur amère et venue tout à coup l’arracher à ces sentiments délicieux. La ville d’Avignon est livrée en ce moment à toutes les horreurs des divisions. Les nouvelles qui se succèdent sont toutes alarmantes et les dernières nous assurent que le peuple s’est malheureusement porté à des exécutions sanglantes. Cette ville n’est point représentée ici, puisqu’elle forme seule un état séparé du vôtre; mais elle vous est unie par tous les autres liens, et l’Assemblée va s’occuper des moyens d’interposer sa médiation, pour y rétablir le calme. « Je suis, Monsieur le Président, votre très humble, etc. « de GÉRende, président. » Plusieurs membres demandent l’ordre du jour, et que l’adresse ne soit pas lue. M. d’André. Vous avez ordonné la lecture; maintenant vous ne pouvez pas revenir, car cette pièce est un écrit de souverain à souverain. L’adresse est lue. Elle est ainsi conçue : A l'Assemblée nationale. « Messieurs, « C’est par l’organe de ses députés librement élus, et constitués depuis peu de jours en Assemblée représentative, que le comté Venaissin vient porter à l’auguste Assemblée nationale de France ce tribut unanime. « Nous remplissons, Messieurs, un des vœux les plus ardents de nos commettants, en nous empressant de vous féliciter du succès glorieux de vos travaux, et de vous exprimer d’une manière solennelle le respect profond et la vive reconnaissance d’un peuple que son heureuse position fait participer à la prospérité d’un empire que vous avez régénéré. Entourés de la France, liés aux Français par des rapports intimes et journaliers, parlant la même langue, ayant les mêmes mœurs, les mêmes opinions, ne faisant, pour ainsi dire, qu’un même peuple avec eux, il est nécessaire que nous soyons gouvernés par les mêmes lois. « Cette nécessité, qui existera toujours pour un peuple que sa position rend essentiellement dépendant d’un autre, a toujours été sentie par notre administration. Elle avait déjà réclamé des réformes, sollicitées par le besoin sans cesse renaissant de cette conformité, et dans des temps même où les souverains pontifes nous comblaient de bienfaits, nous avions mêlé des plaintes aux bénédictions que notre reconnaissance leur prodiguait. « Mais ces changements pouvaient-ils opérer notre bonheur, dans un temps où il n’existait encore aucune limite fixe entre les pouvoirs cons- 406 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES» [22 juin 1790.] titutifs de la monarchie française? où son code ne présentait qu’un assemblage confus de lois incohérentes ou barbares, et son régime qu’une masse informe d’abus et de préjugés? En adoptant les lois françaises, notre constitution n’eùt donc fait que changer de vices. « Il vous était réservé, Messieurs, d’instruire les nations et de propager une lumière qui, en dissipant les ténèbres dont elles étaient enveloppées depuis tant de siècles, réintégrât l’homme dans ses premiers droits. Il vous était réservé de renverser tous les vieux monuments de l’ignorance et de la corruption et d’élever sur les ruines un édifice sublime, appuyé sur les bases immuables delà raison et de la nature. Il appartenait, enfin, à un prince vertueux et éclairé, à Louis XVI, le roi et le père des Français, à celui que vous avez, à si juste titre, proclamé le restaurateur de la liberté, de sentir toute la gloire de commander à une nation libre, de concourir avec les représentants de son peuple à la destruction de toutes les causes des maux politiques, à l'établissement d’un nouvel ordre de choses, à la fondation d’un nouvel Empire. « Nous avons vu ce grand ouvrage s’avancer avec une majesté qui nous a frappés d'admiration. L’instinct généreux de la liberté s’est rallumé dans nos cœurs et nous avons tourné vers ce bien inestimable tous nos vœux, toutes nos espérances : jaloux de nous unir plus étroitement encore à une nation qui venait de rejeter loin d’elle le joug oppressif des abus et de rentrer dans toute la plénitude de ses droits. Ce désir brûlant a engendré en nous le noble courage de l’imiter et de devenir plus particulièrement ses frères, en nous appropriant ses nouvelles lois. « C’est d’après ces motifs que nous venons d’adopter la Constitution française et tous les décrets de l’Assemblée nationale de France, compatibles avec notre localité et avec le respect dû au souverain . « Oui, Messieurs, l’adoption des lois françaises, d’où va dépendre une partie de notre bonheur, ne saurait néanmoins porter la moindre atteinte au respect et à la fidélité inviolable que nous conserverons jusqu’au dernier soupir à notre bienfaisant monarque. Attachés à son gouvernement par des liens que nos cœurs rendront toujours indissolubles, rien ne saurait altérer nos sentiments pour sa personne sacrée : ils reposent sur des bases inébranlables, notre consentement libre, la modération et la générosité de nos princes, et l’amour qui est le juste prix d’un si grand bienfait. Rien ne saurait nous délier du serment que nous avons si souvent répété, de vouloir vivre et mourir sous son empire. Serment que nous venons de renouveler d’une manière encore plus authentique , puisqu’il est émané du vœu unanime de nos commettants, exprimé dans nos mandats ; serment, enfin, que nous venons de lui offrir, comme les prémices de nos travaux, comme l’élément nécessaire de notre bonheur. Qu’il soit connu de l’univers entier, ce serment auguste! Puisse-t-il dissiper à jamais les nuages que de perfides calomniateurs ont tâché de répandre sur cette fidélité pure, qui ne saurait être obscurcie, que les orages de ces derniers temps n’ont fait que raffermir de plus en plus et qui (s’il est permis de juger de nos descendants par nous-mêmes), ne finira qu’avec les empires . « Qu’il est consolant pour nous, qu’il est glorieux pour vous, Messieurs, de songer qu’en invoquant les principes éternels de la vérité et de la justice, nous ne répétons que vos propres principes, nous n’invoquons que vos propres décrets I Nous ne cherchons point à dissimuler et nous vous l’avouons avec cette loyauté franche que vous inspirez : il est vrai que les premiers bruits qui se sont répandus parmi nous des prétentions formées sur le comté Yenaissin, et mises sous vos yeux par des membres distingués de votre auguste Assemblée, ont pu effrayer un peuple naturellement idolâtre de ses princes, et jaloux surtout, en cela, de vous ressembler ; mais s’il a pu se livrer un instant à des soupçons injustes, ils ont été bientôt dissipés; s’il a pu concevoir des défiances injurieuses, il a été pleinement rassuré en lisant dans vos décrets sur la Corse le principe et l’appui de sa sûreté. « Quelle crainte pourrait désormais inspirer une nation puissante, à là vérité, mais qui vient de déclarer solennellement qu’elle renonce à toute espèce de conquête et qu’elle n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple ? Ah plutôt ! quelle confiance sans réserve et sans borne ne doit -elle pas attendre, nous ne dirons pas d’un peuple qu’elle protège et qu’elle vivifie dans son sein, mais de tous les habitants de l’univers, de tous les vrais amis du bonheur et de la liberté des hommes? « Il serait difficile, Messieurs, de vous exprimer l’enthousiasme et les transports de joie, d’admiration et de reconnaissance qu’a excités dans notre province la lecture de ce décret, capable d’éterniser seul vos travaux et fait pour mériter l’hommage de tous les peuples de la terre. Recevez-le, cet hommage, Messieurs : c’est la récompense seule digne de vous, digne de vos noms immortels; mais distinguez surtout, dans ce concert sublime de louanges et de bénédictions, la voix du peuple qui doit vous être plus particulièrement cher, puisqu’il a trouvé place au milieu de vous et que son sort doit toujours dépendre du vôtre; d’un peuple qui, quoique paisible et agricole, n’a pas laissé perdre l’heureuse semence de la liberté que votre exemple a jetée dans son cœur; d’un peuple qui n’a jamais oublié la noblesse de son origine et qui s’est montré l’ami de cette révolution mémorable qui va fixer à jamais les brillantes destinées de la France; d’un peuple enfin que votre nation généreuse et ses augustes monarques n’ont pas dédaigné de s’associer en quelque sorte, en lui accordant le titre de regnicole. Ce titre, Messieurs, fut de tous temps celui de sa gloire ; c’est presque le titre de Français et vous venez de le lui rendre encore plus cher en l’illustrant. « Plus forts de la justice des principes qui vous dirigent que de la légitimité de ses droits, qui reposent sur la foi des traités les plus solennels, il compte sur la conservation de ce titre précieux ; il compte aussi sur les suites de cette protection, dont il a reçu dans tous les temps les marques les plus signalées. « Vous pouvez, Messieurs, lui faire ressentir dès aujourd’hui les effets salutaires de cette protection, en détruisant les entraves qui gênent nos liaisons commerciales avec les Français et qui nous appauvrissent en énervant notre industrie. C’est un bienfait vraiment digne de votre nation et qui couronnera tous les autres : daignez, Messieurs, nous le confirmer par un traité qui nous en assure la garantie et qui conserve tous les droits respectifs. Nous venons de multiplier le rapport qui déjà nous unissaient à vous. Achevez, Messieurs, votre ouvrage ; qu’il n’existe pas plus de différence entre nos territoires qu’il [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 juin 1790.J 40? n’en existera dorénavant entre nos mœurs et nos lois. « Ah! qu’il nous soit permis de nous livrer un instant à la joie que produit en nous une aussi douce espérance et d’anticiper ainsi sur les biens qu’offre à nos regards cette perspective délicieuse. Oui, tous les vœux seront accomplis; vous avancerez avec un courage majestueux dans la grande carrière que vos génies vous ont ouverte. La plus grande partie de l’espace est déjà parcourue. Quels obstacles pourraient désormais être opposés à votre marche? Votre constance les a tous dissipés. Non, vous ne tromperez point l’attente des peuples amis de la liberté, qui depuis longtemps n’ont les yeux fixés que sur vous; ils sont impatients de pouvoir vous offrir la palme qui vous est due, un amour aussi grand que vos bienfaits et aussi durable que vos travaux. » De GÉRENDE, président. Raphel, Martinet, secrétaires. M. Bourdon, curé d’Evaux. Quand cette adresse aura été légitimée par le consentement du pape, nous pourrons nous occuper de sa demande. M. d’André. Les habitants sont maîtres de reconnaître pour souverain qui ils voudront. Je demande que leur adresse soit envoyée au roi comme celle d’Avignon. M. Goupil de Préfeln. Je demande le renvoi de l’adresse au comité de Constitution. M. Bouche. J’appuie le renvoi aux comités de Constitution et des domaines, et je demande que ces deux comités soient autorisés à s’informer du ministre des affaires étrangères s’il n’existe point un accord entre la cour de Rome et celle de France. M. Fréteau. J’appuie cette proposition d’autant lus volontiers que, lorsque je me suis retiré à aint-Cloud pour porter au roi î’ adresse d’Avignon, la première question que m’ont faite les ministres a été de s’informer s’il y avait quelque chose de relatif au comtat Venaissin. M. Dufraisse-Duchey. Il est important que MM. Bouche et Camus déposent les lettres qu’ils ont annoncé avoir reçues de ce pays, afin que l’Assemblée nationale et le roi examinent cette correspondance. (L’Assemblée décrète que l’adresse sera présentée au roi et remise aux comités des domaines et de Constitution, qui seront autorisés à prendre tous les éclaircissements qu’ils jugeront nécessaires.) M. le Président. L’Assemblée passe à son ordre du jour qui est la discussion du rapport du comité ecclésiastique sur le traitement du clergé actuel (1). M. l’abbé Fxpflly, rapporteur. Jevousdemande la permission, avant toute discussion, de résumer brièvement le rapport qui vous a été présenté par votre comité. Le travail que nous mettons aujourd’hui sous (1) Voyez le rapport de M. l’abbé Expilly, séance du 20 mai 1190 — Archives parlementaires, tome XV, page 597. vos yeux est le complément du décret que vous avez rendu sur les biens du clergé, et notamment de ceux que vous avait proposés votre comité des dîmes. Il est temps de faire cesser ce contraste scandaleux entre l’esprit d’une religion fondée sur l’humilité et le détachement des richesses, et l’opulence orgueilleuse dans laquelle vit une partie de ses ministres, à l’ombre du respect qu’inspire leur caractère ; abus révoltant dont les ennemis de l’Eglise n’ont su que trop profiter, et qui l’a plus affaiblie peut-être que les attaques d’hérésie. La religion et ses ministres gagneront beaucoup à ce changement que commandait l’intérêt de l’Etat. Nous ne devons pas nous arrêter à cette objection si souvent répétée. Les titulaires sont des usufruitiers, l’usufruit est une propriété; ils ne peuvent en être privés sans recevoir une indemnité complète comme tous les autres propriétaires. C’est une erreur de comparer à une propriété privée, à la propriété d’un citoyen qui ne la doit qu’à lui-même, l’attribution d’un usufruit faite au ministre du culte par la puissance chargée de fournir aux frais de ce culte. Le clergé n’a jamais été qu’usufruitier de ses biens ; vous l’avez décrété avec justice. Il tenait cet usufruit de la nation, à qui appartenait la disposition de ces biens. La nation peut donc les lui retirer, de même qu’on retire un salaire à celui qui cesse de le mériter. L’attribution d’un traitement excessif est un abus que des milliers de siècles ne sauraient légitimer. Appelés à réformer des abus, vous ne l’êtes pourtant pas à imposer à des ecclésiastiques un genre de vie qui leur serait insupportable; n’ôter qu’à ceux qui ont beaucoup trop, et donner aux ministres utiles, voilà la règle que votre comité s’est efforcé de suivre; ainsi ce n’est qu’à la répartition des biens de l’Eglise que vous allez procéder. Tous les bruits parvenus à votre comité nous annoncent que les plus fortes attaques auront pour objet le maximum des évêques. On vous proposera de rejeter cette fixation comme trop modique; on combattra pour eux avec chaleur, tandis qu’une foule d’ecclésiastiques, auxquels il ne nous a pas été permis d’accorder un traitement suffisant, ne trouveront pas de défenseurs. 30,000 livres pour un célibataire, dont les fonctions sont incompatibles avec le luxe, nous ont cependant paru suffisantes pour un évêque. On vous parlera de leurs dettes, qui exigent nécessairement de l’indulgence, des dépenses auxquelles ils étaient nécessités. Les curés sont aussi obligés à des dépenses plus considérables que celles des évêques, en proportion de leurs revenus. Ils sont toujours à côté rlu pauvre et du malheureux; ils sont obligés de rendre mille soins qui ne peuvent atteindre le faste de l’épiscopat. Qu’on mette à part l’intérêt personnel, et je suis persuadé qu’il ne se trouvera pas d’homme impartial qui n’avoue que l’ordre de choses que nous proposons est beaucoup plus juste et plus capable de faire respecter les ministres de la religion. Le comité a fait imprimer ua rapport qui vous a été distribué, dans lequel il a développé toutes les bases de son plan. Il est inutile, je crois, de vous les rappeler ; je vais vous lire les articles du projet de décret. « Art. 1er. A compter du 1er janvier 1790, le traitement des archevêques et évêques en fonction est fixé ainsi qu’il suit, savoir : « Les archevêques et évêques, dont tous les revenus n’excèdent pas 15,000 livres, n’éprouveront aucune réduction. « Ceux dont les revenus excèdent celte somme auront 15,000 livres, plus la moitié de l’excédent,