364 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE fille née hors du mariage de Henri Charbonnel et de Benoite Coup. Henri Charbonnel est mort en 1792 (vieux style), sans enfans légitimes, après avoir disposé de ses biens en faveur de la femme Vente, sa soeur. Alexandrine appellée par la loi du 12 brumaire à recueillir tous les biens de la succession, dans le cas où elle parviendroit à établir sa descendance de Henri Charbonnel, s’est pourvue à cet effet, au mois de pluviôse dernier, devant le tribunal du deuxième arrondissement de Paris, en demandant la réformation de son acte de naissance, qui la suppose d’un père inconnu. Le tribunal a recueilli toutes les preuves de possession d’état produites par Alexandrine, et, par jugement du 22 ventôse, elle a été reconnue et déclarée fille de Henri Charbonnel. Nantie de ce jugement, et de son acte de naissance rectifiée, elle s’est présentée dans le département de la Haute-Saône, pour se saisir d’un domaine de la succession. La veuve Vente, en sa qualité de soeur, et légataire universelle de Henri Charbonnel son frère, avoit exercé ses prétentions sur ce domaine, qui s’est trouvé en séquestre, d’abord dans la supposition qu’il pouvoir appartenir à Vente, tombé sous le glaive de la loi ; et ensuite, parce que la veuve Vente ne rapportoit pas de certificats de résidence, conformément à la loi des émigrés. L’administration exerçoit ainsi éventuellement (elle y étoit fondée) les droits que pouvoit avoir la veuve Vente sur le domaine dont il s’agit : c’est à ce titre qu’elle a refusé à Alexandrine la levée du séquestre. Le refus de l’administration a été motivé sur ce que le jugement du 22 ventôse, qui déclare Alexandrine fille de Henri Charbonnel, a été rendu par des juges incompétens, et contre les dispositions de la loi du 12 brumaire, qui attribue la connoissance des questions d’état à des arbitres du choix des parties. Dans cet état des choses, Alexandrine, âgée seulement de cinq ans, réclame par l’organe de sa mère ; elle demande que la Convention nationale confirme le jugement du tribunal du deuxième arrondissement, comme conforme à la loi. Selon elle, le décret du 12 brumaire n’a pas enlevé aux tribunaux le droit de connoître des questions d’état, mais seulement celui de prononcer sur les questions d’intérêt préliminaire, qu’elle a attribuées à des arbitres... Le ministère public doit être entendu sur toutes les questions d’état ; ce qui ne peut se faire que devant les tribunaux... Enfin la loi du 12 brumaire, suivant Alexandrine, est étrangère aux questions d’état. Tel est, ajoute-t-on, l’usage, même depuis la loi du 12 brumaire; et si le jugement du 22 ventôse venoit à être cassé pour raison d’incompétence, non seulement Alexandrine seroit exposée à perdre son état, puisque deux des principaux témoins sont morts, mais encore il faudroit faire subir le même sort à un grand nombre de jugemens semblables : ce qui porterait le désespoir dans l’ame de beaucoup de malheureux enfans qui, sans famille et sans amis, ne peuvent invoquer, contre l’injustice du sort, que la nature et la loi. Toutes ces réflexions ont été pesées dans votre comité; mais il a pensé que, puisque le temps est venu de donner aux lois toute leur force, et d’en régulariser toute l’exécution, il ne devoit pas, sous aucun prétexte, vous proposer de sanctionner les écarts des autorités constituées. En vain on dira que la loi du 12 brumaire n’embrasse que le règlement des droits des enfans nés hors mariage, dans les biens de leur père; que la nécessité d’entendre le ministère public repousse toute idée de compétence des arbitres sur les questions d’état. Ces objections tombent d’elle-mêmes, pour peu qu’on s’attache à voir la loi dans son ensemble, au lieu d’en diviser les dispositions et l’esprit ; elle comprend tout, jusqu’à la nature des preuves de possession d’état nécessaires pour déterminer une décision favorable des arbitres; et quand, après avoir tout prévu, la loi dit que toutes les contestations, qui naitront d’elle, seront terminées par arbitres choisis par les partis, comment peut-on vouloir encore que les tribunaux aient droit d’en connoître? Comment veut-on qu’il soit nécessaire de faire participer le ministère public à ces contestations, puisque le législateur n’en a pas fait un devoir? Une seule considération, dans l’affaire particulière, a arrêté l’attention du comité : c’est que deux des principaux témoins entendus par le tribunal du deuxième arrondissement, sur les faits de possession d’état articulés par Alexandrine, sont morts. Vous ne voulez pas sans doute que les dépositions précieuses de ces deux témoins soient perdues pour elle; qu’une faute, dans laquelle on l’a entraînée, puisse compromettre son état, et la ravit à la famille que la nature et les lois lui ont assignée. Nous vous proposons donc de lui conserver comme authentique, les preuves qu’elle a recueillies, par l’impossibilité où elle se trouve de les recueillir de nouveau. Cette détermination nous a paru un acte de justice, commandé par les circonstances particulières, sans blesser l’exécution de la loi. On lit le projet de décret : La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de Législation sur la pétition d’Alexandrine-Henriette-Martine, tendante au maintien du jugement du tribunal du deuxième arrondissement de Paris, du 11 ventôse dernier, qui l’a déclarée fille de Henri Charbonnel et de Marie Benoite Coup. Considérant que la loi du 12 brumaire ne laisse aucun doute sur la question de compétence en matière de possession d’état, puisqu’elle décide que toutes les contestations qui pourront avoir lieu sur son exécution, seront terminées par arbitres; Considérant que le jugement du tribunal du deuxième arrondissement, sur la demande d’Alexandrine-Henriette-Martine, est contraire aux dispositions de la loi du 12 brumaire et notamment aux articles VIII et XVIII. Considérant néanmoins qu’Alexandrine- SÉANCE DU 13 BRUMAIRE AN III (3 NOVEMBRE 1794) - N° 27 365 Henriette-Martine pourroit être exposée à perdre son état, par la mort arrivée depuis peu, de ses deux principaux témoins, si les preuves recueillies par le tribunal du deuxième arrondissement, étoient rejetées pour raison d’incompétence : Casse et annulle le jugement dont il s’agit, renvoie les parties et les preuves déjà faites, pardevant arbitres, conformément à l’article XVIII de la loi du 12 brumaire. Ce décret est adopté. Après ce rapport particulier, Pons (de Verdun) fait rendre le décret général suivant (105). [Ce projet donne lieu à Pons (de Verdun) de développer plusieurs observations sur la loi du 12 brumaire qu’il trouve obscure et insuffisante. Il n’est aucune disposition de cette loi qui regarde la question d’état des enfans nés hors du mariage et il n’y est parlé que de la question de succebilité. L’opinant pense que la Convention devroit s’occuper de savoir si la question d’état doit être jugée par les tribunaux ou par les arbitres. Différens motifs le portent à demander que les tribunaux seuls soient compétens; les principaux, sont l’ignorance dans laquelle les arbitres peuvent être enveloppés, et l’influence que la famille intéressée peut exercer sur leur décision. Il termine en demandant la confirmation de tous les jugemens rendus par les tribunaux sur la question d’état et le renvoi au comité de Législation pour déterminer si cette question sera désormais de la compétence des tribunaux ou de celle des arbitres. Après une légère discussion, le projet est rejetté et les propositions de Pons sont adoptées.] (106) La Convention nationale, considérant que, quoiqu’on puisse induire des articles VIII et XVIII de la loi du 12 brumaire, que (105) Débats, n° 771, 623-626. Moniteur, XXII, 413-414; Ann. Patr., n° 673; Ann. R. F., n° 43; J. Fr., n° 769; Rép., n° 44; J. Paris, n° 44; Mess. Soir, n° 808; M. U., XLV, 219- 220 ; Gazette Fr., n° 1036 ; F. de la Républ., n° 44. (106) F. de la Républ., n° 44. les questions d’état doivent se porter devant des arbitres, néanmoins cette loi a été différemment interprétée, et un grand nombre de ces questions ont été portées devant des tribunaux qui se sont crus compétens pour les juger ; Que ce seroit occasionner des frais en pure perte et anéantir des preuves qu’il seroit souvent impossible de recouvrer, que d’annuller ces jugemens, et de renvoyer les parties à se pourvoir de nouveau devant des arbitres; Que d’ailleurs la question de savoir si à l’avenir les questions d’état seront portées devant les tribunaux ou devant des arbitres, mérite en faveur des enfans un examen nouveau; Décrète la validité des jugemens rendus sur les questions d’état par les tribunaux, qu’elle autorise aussi à juger celles portées devant eux depuis la loi du 12 brumaire jusqu’à ce jour. Renvoi à son comité de Législation l’examen de la question de savoir si, à l’avenir les questions d’état seront jugées par les tribunaux ou par des arbitres. Le présent décret sera inséré au bulletin des lois (107). La séance est levée à quatre heures (108). Signé, PRIEUR (de la Marne), président, Pierre GUYOMAR, ESCHASSERIAUX jeune, ROISSY [d’ANGLAS], GOUJON, GUIMBERTEAU, secrétaires. En vertu de la loi du 7 floréal, l’an troisième de la République française une et indivisible. Signé, GUILLEMARDET, J.-J. SERRES, BALMAIN, CAA. BLAD, secrétaires (109). (107) P.-V., XL VIII, 181-182. (108) P.-V., XLVIII, 182. M. U., XLV, 221, indique 3 heures, J. Fr., n° 769, donne trois heures et demie, J. Perlet n° 771 et Moniteur, XXII, 423, précisent 4 heures. (109) P.-V., XLVIII, 182.