[27 décembre 1790.] 675 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. « Si j’ai tardé à prononcer l’acceptation sur ce décret, c’est qu’il était dans mon cœur de désirer que les moyens de sévérité pussent être prévenus par ceux de la douceur; c’est qu’en donnant aux esprits le temps de se calmer, j’ai dû croire que l’exécution de ce décret s’effectuerait avec un accord qui ne serait pas moins agréable à l’Assemblée nationale qu a moi; j’espérais que ces motifs de prudence seraient généralement sentis ; mais, puisqu’il s’est élevé sur mes intentions des doutes que la droiture connue de mon caractère devait éloigner, ma confiance en l’Assemblée nationale m’engage à accepter. « Je le répète encore; il n’est pas de moyens plus sûrs, plus propres à calmer les agitations, à vaincre toutes les résistances, que la réciprocité de ce sentiment entre l’Assemblée nationale et moi; elle est nécessaire; je la mérite, j’y compte. » Signé : Louis. Et plus bas : M.-L-F. Duport. (La lecture de la lettre du roi est suivie d’applaudissements réitérés et des témoignages les plus vifs de satisfaction, de reconnaissance et de respect.) M. le Président annonce l’ordre du jour pour demain, et lève la séance à trois heures. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. D’ANDRÉ. Séance du lundi 27 décembre 1790 (1). La séance est ouverte à neuf heures et demie du matin. M. Martineau, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier. M. Bouche, député d'Aix, annonce qu’il dépose sur le bureau plusieurs pièces au nombre de onze, servant de suite aux procès-verbaux concernant les troubles qui ont eu lieu les 13 et 14 du courant dans cette ville; il en demande le renvoi aux comités des rapports et des recherches réunis, déjà chargés de l’examen de cette affaire. Ce renvoi est ordonné. M. de Vieilles, au nom du comité des domaines, propose deux projets de décret : le premier, interprétatif de celui du 19 de ce mois, concernant la législation des maîtrises des eaux et forêts; le second, relatif à la ville d’Auxonne. Ces deux décrets sont adoptés daDS la forme suivante : Premier décret. « L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des domaines, déclaré que, par son décret du 19 de ce mois, elle n’a entendu déroger, quant à présent, à l’usage observé dans quelques départements, de faire rédiger au greffe les rapports des gardes concernant les délits commis dans les bois; elle décrète, en conséquence, que, jusqu’à ce qu’il y ait été autrement pourvu, les rapports des gardes pourront, dans iesdits départements, être reçus, rédigés et écrits par le greffier du juge de paix du canton où le délit aura été commis, dans la forme ci-devant usitée; qu’au surplus, les formalités prescrites pour l’affirmation et le dépôt seront observées, à l’égard desdits rapports, comme pour les procès-verbaux rédigés par les gardes. » Second décret. « L’Assemblée nationale, sur le compte qui lui a été rendu par son comité des domaines, autorise la ville d’Auxonne à faire construire des moulins dans la partie des fortifications de cette ville appelée le bastion de Béchaux, à la charge que la reconnaissance du terrain sur lequel la construction aura lieu, sera préalablement faite en présence de deux commissaires nommés, l’un par le roi, l’autre par le directoire du département, et que procès-verbal sera dressé de ladite reconnaissance; que les travaux et construction seront concertés avec le commissaire du roi, et inspectés par lui, ou par les officiers qui seront sous ses ordres; qu’enfin la ville d’Auxonne sera tenue de détruire les mouiins établis dans le bastion, dans le cas où, par la suite, leur construction deviendrait préjudiciable au service militaire de la place. » L’ordre du jour est le rapport du comité militaire sur le replacement des officiers, sous-officiers et soldats des régiments de Mes tre-de' camp cavalerie, et du Roi infanterie. M. Alexandre de Beauharnais, rapporteur du comité militaire. Messieurs, vous avez ordonné à votre comité de vous rendre compte, daus le plus court délai, des moyens de replacer les officiers, sous-olüciers, soldats, cavaliers et vétérans des régiments du Roi et de Mestre-de-camp qui vont se trouver sans emploi par le licenciement que vous avez décrété. Je viens en son nom vous faire part de son travail, et vous soumettre le projet de décret qui en a été le résultat. La première chose qui a fixé l’attention de votre comité, c’est le decret que vous avez rendu le 18 août, qui détermine la force de l’armée, et qui, par la fixation du nombre d’officiers de chaque grade, se trouve aussi déterminer le nombre des régiments de l’armée. Votre comité a vu que le décret que vous avez rendu le 7 décembre, en licenciant deux corps, changerait fe travail fait sur i’armée, le changerait sous le rapport du nombre des troupes et sous celui du nombre des� cadres destinés à les recevoir. Quand même donc il aurait ôté possible d'oublier la situation des soldats licenciés, la nécessité de se conformer aux décrets sur l’organisation aurait fait à votre comité un devoir de vous proposer une mesure de replacement. 11 y avait deux moyens de se conformer à vos ordres, deux moyens de pourvoir au replacement des ofliciers, sous-officiers et soldats licenciés par votre decret du 7 décembre ; l’un était de répartir sur toute l’armée les officiers, chacun suivant leur grade, en les mettant dans la colonne des officiers lior.-> de la ligne susceptibles de replacement ; de répartir les soldats dans tous les (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. 676 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |27 décembre 1790.] régiments, eu en donnant à peu près un à chaque compagnie. L’auire moyen était de créer deux nouveaux cotps dans lesquels chaque officier, sous-officier et soldat, sans retarder l’avancement de ceux avec lesquels il servirait, pourrait trouver un emploi de même nature que celui qu’il aurait perdu. Le premier de ces moyens dont était inséparable l’inconvénient attaché à toute incorporation, c’est-à-dire celui du mécontentement, avait en outre le défaut de s’écarter des dispositions de vos décrets du 18 août, qui fixent le nombre de cadres destinés à recevoir le nombre convenu de troupes de ligne; il présentait enlin une difficulté insurmontable, celle du replacement des sous-officiers, qui, soit qu’ils dussent être répartis dans les différents corps de l’armée et reçus comme derniers sous-officiers, ou soit qu’ils dussent être incorporés suivant la date de leur rang de sous-ol liciers, se trouvaient dans la malheureuse alternative d’éprouver ou de faire une injustice. Le second moyen a donc paru préférable à voire comité, qui a pensé qu’il valait mieux ne pas déroger aux décrets du 18 août, ne pas exposer les autres régiments de l’armée à un retard dans l’avancement qui pourraii faire naître quelques mécontentements; enlin, qu'il valait mieux offrir à ceux qui manifesteraient un désir bien réel de s< rvir, et qui en seraient jugés dignes, un moyen d’être promptement nus en activité dans leur grade. Votre comité, en s’arrêtant à ce dernier moyen, a ci u cependant qu’il ne fallait négliger aucune de ces mesures qui pourront empêcher ceux qui seront employés de se croire encore dans les régiments licenciés. Parmi ces me.- u res deux seulement ont paru à votre comité devoir être décrétées par vous; car, puisque vous avez dit qu’on ne jugerait ni les ol liciers ni les soldats votre cornue ne saurait vous proposer une exclusion légale; c’est dans le choix qui sera fait d’un inspecteur général patriote et éclairé que vous devez fonder vos espérances sur la bonne composition des deux nouveaux régiments. Les deux mesures que voire comiié se borne à vous offrir à l’appui du décret de création sont : Tune, que ces corps prendront rang, chacun dans leur arme, du jour de la date de leur création ; Pâture, c’est que les officiers, les sous-ofticiers et les soldats qui auront été réformés par la nouvelle organisation, seront susceptibles d’être admis dans ces nouveaux corps, ainsi que ceux que votre decret du 7 décembre a licenciés. Par le moyen auquel vous êtes invités à donner la piéférence, et avec les mesures qui le modifient, t’armée aura deux corps neufs dont les éléments ne seront point les mêmes que ceux des corps licencies, et dunt l’esprit, puisé dans celui du militaire français, donnera sans doute à la nation et au roi la 'satisfaction de voir deux corps nouveaux offrir l’estimable union du patriotisme et de la discipline militaire, et égaler tous les anciens régiments par leurs vertus civiques et par leurs qualités militaires. Voici, Messieurs, le projet de décret qui résulte de ces dispositions : « L’ Assemblée nationale, en conformité du décret du 8 août, qui détermine iu force de l’armée, et de celui du 7 décembre, qui charge sou comité militaire de lui présenter ses vues sur le remplacement des officiers, sous-officiers et soldats du régiment de Mestre-de-camp cavalerie, et du Roi-infanterie, et après avoir ouï son comité, « Art. 1er. Il sera créé un régiment d’infanterie de deux bataillons, et un régiment de cavalerie de trois escadrons, qui prendront rang dans leur arme du jour de leur création. « 2. Les places d’officier et sous-officier dans les deux régiments seront données aux officiers et sous-officiers des régiments d’infanterie et de cavalerie qui auront subi la réforme en conséquence de la nouvelle formation. « 3. Pourront aussi obtenir leur replacement ceux des officiers, sous -officiers et soldats des régiments dernièrement licenciés que leur service et leur conduite en feront juger dignes. » (L’article 1er du projet de décret est mis aux voix et adopté.) Une discussion s’engage sur les articles 2 et 3. M. du Châtelet. Vous venez de décréter la création d’un nouveau régiment d’infanterie de deux bataillons, et d’un nouveau régiment de cavalerie de trois escadrons. Votre comité vous a fait une proposition dont je n’attaque pas le fond, qui me paraît également juste, également sage, également conforme aux circonstances ; je n’ai d’observations à faire que sur la manière dont les deux derniers articles ont été rédigés, et ce sera l’objet de mon premier amendement. Quant au second, qui ne tombe que sur une omission, je le motiverai sur les termes de l’article 3 du décret concernant le licenciement des deux régiments. Par cet article vous aviez chargé votie comité militaire de vous proposer ses vues pour le replacement des officiers, sous-olliciers, cavaliers, soldats et vétérans qui en seraient jugés susceptibles; or, il est constant que, par le moyen qu’on vous propose, il n’y aura qu’un petit nombre d’officiers et de sous-officiers des deux régiments licenciés qui pourront obtenir la faculté de continuer leur service. C'était néanmoins l’objet dont vous aviez spécialement chargé votie comiié militaire ; il ne vous a rien indiqué à cet égard, et cependant votre intention, manifestée par l’article 3 de votie décret, n’a jamais pu être et n’a jamais été de priver plusieurs anciens officiers et sous-ofliciers du fruit de vingt, de trente et quarante années de bons service, et ne la perspective honorable de pouvoir encore consacier le reste de leur existence à la défense de la patrie. Vous ne pourriez vous dispenser de prononcer sur leur surf, surluut eu burnunt, comme vous l’avez fait, le droit ou la faculté d’être replacés à ceux qui, pur leur conduite et leurs services, eu seraient jugés susceptibles, sans commettre une injustice qui, certes, est aussi éloignée de vos sentiments que de vos principes; car je n’ai que faire de vous rappeler ceux que vous avez manifestés par cette loi sacrée qui assure à jamais l’honneur, la liberté et Ja propriété de tous les citoyens français; celle par laquelle vous avez déclaré solennellement que nul individu, nul citoyen ne pourrait être compromis dans son honneur, dépouillé de sa propriété, destitué de son emploi, sans un jugement préalable, suivant les formes légales. Celte loi était déposée de toute éternité dans les archives de la justice, et vous venez de la renouveler d’uue manière éclatante, sur la simple réclamation u’uu militaire destitué, il y a quelques armées, de son emploi sans jugement préalable, en demandant au roi qu’il lut renvoyé devant un tribunal établi d’après les formes constitutionnelles, et ce tribunal est maintenant saisi de cette affaire. J’avais sollicité la même faveur, ou, pour