SÉANCE DU 8 FRIMAIRE AN III (28 NOVEMBRE 1794) - N°s 18-19 283 18 Un autre pétitionnaire lui succède à la barre, et fait lecture d’une adresse des membres de la société populaire d’Evreux [Eure], qui se réjouissent de la chûte des triumvirs, de l’anéantissement de la terreur, de la clôture de la salle des Jacobins, d’où sont sortis, disent-ils, les généraux perfides, les Robespierre, les auteurs des noyades et les espions de Pitt et Cobourg. Us demandent l’envoi d’un représentant du peuple dans le département de l’Eure, pour y épurer les autorités constituées et y maintenir la paix intérieure. Mention honorable, insertion au bulletin, et renvoyé au comité de Sûreté générale (42). L’ORATEUR (43) : Représentants, le peuple le plus fier et le plus brave de la terre s’est indigné de sa dépendance ; il a brisé le sceptre antique de ses souverains. Les despotes de l’Europe divisés d’intérêt, mais réunis pour l’oppression, ont compris que la chute du trône ébranlait les fondements des leurs; ils ont craint l’effet de l’exemple; ils ont redouté la propagation des principes développés dans les droits de l’homme ; ils ont armé. Le Français libre a bientôt renversé leurs phalanges ; les corps de leurs esclaves couvrent les champs qui les ont nourris; les murs de leurs forteresses sont en poudre; le reste de leur bataillon fuit devant les soldats de la liberté ; et nos conquêtes ressemblent plus à une promenade militaire, qu’à la marche tardive d’une campagne. Que ne peuvent les Français animés de l’enthousiasme de la liberté ! Mandataires, nos succès seront constants; l’arbre de la liberté continuera d’élever sa cime et d’étendre ses rameaux, si la main des Français n’y porte la hache. Intrépides mandataires, sans votre dévouement héroïque, la liberté était perdue; votre autorité sainte et légitime échappait de vos mains ; nos généreux défenseurs n’ont rien fait pour nous et pour la liberté, si l’on compare leurs travaux aux vôtres. Vous avez abattu l’affreux triumvirat; vous venez d’en disperser les complices, et vous avez fermé l’antre de la discorde. Il était grand temps, législateurs, de porter ce coup décisif ; la société des Jacobins, qui fut le berceau de la Révolution, en serait devenue le tombeau : depuis longtemps le crime en avait chassé la vertu. Dans ses derniers moments, elle ne réunissait que des dupes et des scélérats. C’est de son sein qu’est sorti l’odieux système de la terreur, c’est dans son sein que Robespierre conçut ses projets liberticides, c’est sur les Jacobins qu’ils se reposait du soin de leur exécution, c’est de la société des Jacobins qu’ont été tirés ces barbares, qui, sous le nom de généraux, ont été dans les départements insurger immoler le citoyen paisible et (42) P.-V., L, 156. (43) Bull., 8 frim. Débats, n° 796, 968-970; J. Fr., n° 794; Gazette Fr., n° 1062. désarmé, massacré les vieillards, les femmes et les enfants ; ces monstres, auteurs des noyades et de crimes si énormes qu’ils en sont invraisemblables, étaient les héros des Jacobins ; c’est dans la carrière des Jacobins qu’étaient les espions de Pitt et de Cobourg; enfin, le géant ennemi de la liberté en fit sortir un essaim de bandits qui se répandit dans les départements, fut introduit dans les autorités constituées, quand, appesantie sur nous, la verge de fer du triumvirat étouffait jusqu’à nos soupirs. La société populaire d’Evreux a aussi ses Jacobins à combattre; peut-être même leurs principaux agents, qui ont abandonné les fonctions publiques qui leur sont confiées, sont-ils dans ce moment à Paris à renforcer le parti expirant, ou à nous calomnier auprès de vos comités ; mais vous saurez les démasquer, et nous ne craignions point leurs derniers et coupables efforts. Incorruptibles représentants, tous les coeurs des bons citoyens d’Évreux sont à vous; ils savent que vous voulez les conduire à la liberté et au bonheur ; ils défendront avec vous la République et l’égalité; ils vous offrent leur bras et leur sang. LE PRÉSIDENT (44) : Tandis que nos braves frères d’armes combattent les satellites des despotes sur le territoire même de la tyrannie, les bons citoyens sont en sentinelle dans toutes les parties de la République, pour surveiller les folles tentatives de ceux qui oseraient songer à nous remettre sous l’esclavage dont le génie de la liberté l’a heureusement délivrée dans les nuits des 9 thermidor et 21 brumaire. Que peuvent donc espérer les méchans qui ont la folie de croire que 25 millions d’hommes se laisseront gouverner par la terreur, par les échafauds ? Insensés, on vous l’a dit : “Que notre silence fasse, s’il est possible, oublier votre pénible existence ; vos crimes effraieront la postérité la plus reculée ! Croyons que si la génération présente n’était révoltée d’avoir vu tant de sang par vous répandu, la vôtre ne reculerait déjà plus”. Et vous, citoyens pétitionnaires, témoins de notre clémence et de notre courage, allez les raconter dans les contrées, et assurer les que les rênes du gouvernement ne sortiront plus des mains de la Convention nationale. Elle vous invite à assister à la séance. 19 Le rapporteur du comité des Secours publics obtient la parole; et sur ses rapports, les décrets suivants sont rendus. La Convention nationale, après avoir entendu son comité des Secours publics, sur la pétition du citoyen Jean-Baptiste François, créancier d’une rente viagère de 2 000 liv., de laquelle sont grevés les biens de Laborde, condamné, habitant de Paris, (44) Rép., 8 frim.