88 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Il» août 1791.] déjà environ 800 livres. Si vous triplez cette imposition foncière, vous ajouterez encore 1600 livres; par conséquent un homme qui a prêté de bonne foi à un émigrant, un homme qui peut être un excellent patriote, un homme qui, dans le même moment, sera sur les frontières, cet homme-là, pour récompense de son patriotisme, perdra environ 1400 livres ; cela n’est pas proposable ; il faut donc prendre des mesures pour qu’on ne puisse pas faire à l’avenir de fausses créances. Ainsi les créances qui sont déjà établies par des hypothèques ou par des titres authentiques, celles-là doivent être payées et prélevées comme s’il n’y avait point d’émigration. Quant à celles pour l’avenir, ou à celles qui, pour le passé, ne seraient pas authentiques, il est juste que de pareils créanciers perdent, ou qu’ils attendent: Aussi j’appuie l’amendement de M. Tronchet. M. Tronchet. Dans la rédaction que j’ai proposée il y a : « Les créanciers légitimes ayant des titres authentiques antérieurs à la loi du 28 juin dernier. » M. Lanjuinais. Je m’oppose à l’amendement de M. Tronchet. Je vous observe que ceci est véritablement un impôt à une proportion plus forte ; c’est une indemnité pour frais de garde. Gela doit avoir la préférence sur les créances particulières. M. Fréteau-Saint-Just. On a dit que le privilège de l’impôt a toujours été reconnu avant tout, parce qudl est le gage de la propriété publique ; mais.lorsqu’antérieurement il y a un engagement pris avec le propriétaire de la terre vis-à-vis d’un créancier de bonne foi, qui a des titres authentiques, vous ne pouvez pas, sous le nom d’indemnité ou sous le nom d’amende, déranger la créance établie sur des actes. Plusieurs membres : Aux voix I aux voix ! (L’Assemblée, consultée, décrète qu’il y a lieu à délibérer sur la disposition additionnelle de M. Tronchet). En conséquence, cette disposition est mise aux voix dans les termes suivants: Art. 4 (nouveau). « La triple imposition ne pourra nuire aux créanciers légitimes ayant des titres authentiques antérieurs à la loi du 28 juin dernier, lesquels pourront exercer leurs droits, soit sur les fonds, soit sur leurs revenus, par préférence aux deux dernières portions de l’imposition, sans préjudice du droit de la nation, de se faire payer du surplus de ladite imposition, sur l’excédent des fonds ou des revenus du débiteur. » (Adopté.) M. Fermier, rapporteur , soumet ensuite à la délibération l’article suivant : Art. 5 (art. 4 du projet). « Les émigrés seront dispensés, aussitôt leur retour, du payement total de cette taxe, qu’ils ne seront tenus d’effectuer qu’au prorata du temps de leur absence, à partir du 1er juillet de la présente année; se réservant, au surplus, l’Assemblée nationale, de prononcer telle peine qu’il appartiendra contre les réfractaires, en cas d’invasion hostile sur les terres de France. (Adopté.) M. Vernier, rapporteur, soumet à la délibération l’article 6 (art. 5 du projet), qu est ainsi conçu : « Pour l’exécution des articles précédents, chaque municipalité sera tenue de fournir un état nominatif de tous les émigrés compris aux rôles tant de la contribution foncière que de la contribution mobilière ; et, à la suite des noms de chacun desdits émigrés, ils indiqueront le montant de la cote d’imposition pour laquelle ils auront été portés dans les rôles. Ils indiqueront aussi le montant de la retenue qu’ils sauront devoir leur être faite sur les rentes, prestations et redevances à eux appartenant. « Ges états seront adressés au directoire de district qui, à vue d’iceux, et d’après les détails qui seront à sa connaissance, fera former un rôle de la taxe ordonnée à l’égard desdits émigrés, avec distinction des principaux et sols pour livre. Ces rôles, ainsi formés et visés par les directoires de district, seront envoyés aux directoires de département pour être vérifiés et rendus exécutoires, et ceux-ci les remettront au ministre des contributions publiques qui ordonnera les ordres nécessaires pour en assurer l’exécution. » M. Martineau. Je propose, par amendement, que le rôle de la taxe ordonnée à l’égard des émigrés soit rendue exécutoire par les directoires de district ; mais que cependant ces directoires soient tenus d’adresser un extrait de ce rôle particulier aux directoires de département qui les feront passer au ministre des contributions. publiques. (L’amendement de M. Martineau est mis aux voix et adopté.) M. Vernier, rapporteur. Dans l’article 3 que l’Assemblée à voté tout à l’heure, il est dit que le principal de la contribution tournera au profit du Trésor public; or, l’article actuellement en discussion porte que le rôle de la taxe ordonnée à l’égard des émigrés sera établi en faisant distinction des principaux et des sols pour livre. En ce qui concerne les sols pour livre, je crois qu’il vaudrait mieux les retrancher de l’article pour ne laisser aucun motif de suspicion.il serait en effet dangereux de ne point les donner à des communautés et, si on les leur accordait, ce serait donner lieu à une infinité de suspicions. (Marques d'assentiment.) Voici, avec l’amendement de M. Martineau et en tenant compte de l’observation que je viens de vous soumettre, quelle serait la rédaction de l’article : Art. 6 (art. 5 du projet). « Pour l’exécution des articles précédents, chaque municipalité sera tenue de fournir un état nominatif de tous les émigrés compris aux rôles tant de la contribution foncière que de la contribution mobilière; et à la suite des noms de chacun desdits émigrés, ils indiqueront le montant de la cote d’imposition pour laquelle ils auront été portés dans les rôles; ils indiqueront aussi le montant de la retenue qu’ils sauront devoir leur être faite sur les rentes, prestations et redevances à eux appartenant. « Ges états seront adressés au directoire de district, qui, à vue d’iceux, et, d’après les détails ui seront à sa connaissance, fera former un rôle e la taxe ordonnée à l’égard desdits émigrés ; ces rôles, ainsi formés et visés par les directoires de district, seront envoyés au département, qui les adressera au ministre des impositions, qui donnera les ordres nécessaires pour en assurer l’exécution. » (Adopté.) 89 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 11er août 1791.] M. Vernier, rapporteur, soumet à la délibération l’article suivant: Art. 7 (art. 6 du projet). « Les fermiers, locataires ou autres redevables desdits absents ne pourront acquitter le prix de leurs baux à ferme, à loyer, les rentes et redevances par eux dues, sans qu’il leur ait été justifié du payement des rôles d’impositions et taxations desdits absents. » (Adopté.) M. Vernier, rapporteur . L’article suivant (art. 7 du projet) est ainsi conçu : « Sont exceptés des dispositions ci-dessus les Français établis en pays étrangers avant le 1er juillet 1789, ceux dont l’absence est antérieure à ladite époque ; ceux qui ont une mission du gouvernement; leurs épouses, pères et mères domiciliés avec eux ; les gens de mer, les négociants ou leurs facteurs, notoirement connus pour être dans l’usage de faire, à raison de leur commerce, des voyages chez l’étranger. » Il faudrait encore ajouter à cet article ceux qui ont obtenu des passeports pour cause de maladie. (Oui! oui!) M. de Croix. Gela ne suffit pas ; il faut mettre aussi pour affaires intéressantes. (Non! non!) M. Vernier, rapporteur. Voici la rédaction définitive que je propose : Art. 8 (art. 7 du projet). « Sont exceptés des dispositions ci-dessus, les Français établis en pays étrangers avant le 1er juillet 1789; ceux dont l’absence est antérieure à ladite époque; ceux qui ne se sont absentés qu’en vertu de passeports en due forme, pour cause de maladie ; ceux qui ont une mission du gouvernement, leurs épouses, pères et mères domiciliés avec eux; les gens de mer, les négociants ou leurs facteurs notoirement connus pour être dans l’usage de faire, à raison de leur commerce, des voyages chez l’étranger. » (Adopté.) Art. 9 (art. 8 du projet). « Les congés ou permissions de s’absenter hors du royaume ne seront accordés, à aucun citoyen, que par le directoire du district dans le ressort duquel il sera domicilié, et d’après l’avis de sa municipalité, pour des causes nécessaires, indispensables, connues ou constatées. « Celui qui sollicitera ladite permission, prêtera individuellement le serment civique, ou justifiera qu’il a déjà prêté ce serment individuel, et joindra à sa demande une déclaration, par écrit, qu’il entend y rester fidèle. < (Adopté.) Art. 10 (art. 9 du projet). « Conformément à l’article 7 du décret du 28 juin dernier, les congés ou permissions -de s’absenter du royaume contiendront le nombre des personnes à qui ils seront donnés, leur-* noms, leur âge, leur signalement, la paroisse habitée par ceux qui les auront obtenus, lesquels seront obligés de signer sur les registres des passeports, et sur les passeports eux-mêmes. » (Adopté.) M. de Biron, au nom des commissaires envoyés par l'Assemblée dans les départements du Nord , du Pas-de-Calais et de l'Aisne (1), rend compte de la mission de ces commissaires; il s’exprime ainsi : Messieurs, le rapport que j’ai l’honneur de vous présenter est celui de vos commissaires dans les départements du Nord, du Pas-de-Calais et de l’Aisne. Nous avons fait avec M. de Rochambeau la visite des frontières qui nous a été prescrite par l’Assemblée nationale, et nous avons vu les places fortes des 3 départements dans lesquels il commande. Toutes celles de première ligne sont dans le meilleur état de défense, et complètement munies de l’artillerie et de toutes les munitions de guerre nécessaires ; nous pensons même que l'excellent esprit et le zèle des gardes nationales pourront suppléer à la faiblesse des garnisons véritablement moindres qu’elles n’étaient dans les temps où l’on pouvait se livrera la plus profonde sécurité. Les places de seconde ligne sont aux deux tiers et même aux trois quarts approvisionnées. M. de Rochambeau, dont l’activité est aussi étonnante qu’utile, a déterminé tout ce qui devait être mis immédiatement en état de défense, dans l’inspection exacte qu’il a faite de son commandement à Noël dernier ; et M. Dorbec, maréchal des camps, inspecteur de l’artillerie, a exécuté ses ordres avec un zèle infatigable. Ce que cet officier général a fait depuis cette époque est prodigieux, digne de l’admiration de tout militaire, et de la reconnaissance publique. Nous avons trouvé dans les troupes les sentiments les plus patriotiques, le plus grand dévouement au maintien et à la défense de la Constitution ; mais nous avons vu presque partout une grande méfiance des soldats envers leurs officiers. Les exemples malheureusement trop nombreux et trop fréquents d’officiers désertant leurs drapeaux, pour se retirer sur terre étrangère, ont alimenté cette défiance au point que le serment décrété le 22 juin, et prêté par la très grande majorité des officiers, ne leur a pas rendu généralement la confiance de leurs troupes. Il en résulte une grande altération dans la discipline, dans l’instruction, dans la tenue. Nous n’avons pas besoin de vous observer, Messieurs, combien un tel dérangement, toujours dangereux, est plus alarmant dans les circonstances présentes ; nous l’attribuons en partie à l’espèce de séparation qui existe déjà depuis longtemps, entre les officiers et les soldats. Les premiers, rebutés de voir leur autorité méconnue, ont négligé l’exercice de leurs devoirs journaliers, et la surveillance continuelle, si nécessaire au bon ordre ; l’autorité supérieure paralysée par l’absence ou l’insouciance, ou les diverses intentions des chefs, n’a pu ni prévenir ni arrêter ces désordres. Nous sommes d’autant plus fondés à le penser, que le petit nombre d’officiers dont les circonstances n’ont point affaibli le zèle, et qui ne se sont éloignés de leurs soldats, en ont conservé l’amour, l’estime et la confiance. Les drapeaux d’un régiment ont été lâchement enlevés par des officiers. Tous les régiments ont cru que leurs drapeaux ne pouvaient être trop gardés; beaucoup ont tumultueusement demandé qu’ils fussent déposés daûs les quartiers ; l’honneur indigné écoute difficilement les formes modérées de la règle. Trop de chefs ont voulu discuter et défendre le droit, le pri-(1) Ces commissaires sont MM. Alquier, Boullé et de Biron.