384 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE les tyrans lisent ce trait sublime, et qu’ils tremblent ! Que les républicains l’admirent et s’empressent de l’imiter (1). ( Applaudi ) . Le président, dans sa réponse, témoigne aux députés de Pau et du conseil-général de la commune de Paris la douce émotion que la Convention nationale éprouve en voyant tous les républicains se réunir, se rapprocher, ne former qu’une même famille, et mettre les privations au nombre de leurs plus douces jouissances. Le conseil général et les députés de Pau sont admis à la séance (2), [au milieu des plus vifs applaudissements ]. 34 Un membre, au nom du comité de législation, fait un rapport et présente un projet de décret sur un jugement rendu par le tribunal criminel de la Charente-Inférieure, portant condamnation à 12 années de fers contre le citoyen Brunau, officier municipal, et à 2 années de détention contre les citoyennes Massé. Le projet de décret tend à la cassation du jugement et au renvoi des accusés à la police correctionnelle (3) . Le rapporteur appelle l’attention de l’assemblée sur le fait suivant : Plusieurs effets appartenant à la ci-devant fabrique de l’église de la commune de l’Unité avoient été mis en vente au profit de la nation. 2 officiers municipaux, chargés de les mettre à l’enchère selon la loi qui ordonne qu’aucun bien national ne sera vendu sans cette formalité, crurent pouvoir la négliger et adjugèrent les effets sur la simple estimation à 3 citoyennes qui se présentèrent pour les acheter. Plusieurs citoyens présents à cette vente la dénoncèrent aux officiers de police comme contraire à la loi. L’affaire fut portée de là au tribunal criminel de la Charente-Inférieure. L’accusateur public dressa un acte d’accusation et la procédure étant instruite, l’officier municipal qui avoit présidé à la vente fut condamné aux fers, et les citoyennes qui avoient acheté furent condamnées à plusieurs années de détention. Les condamnés ont réclamé auprès de la Convention et le comité chargé d’examiner cette affaire n’a pas cru qu’elle fut du ressort du code criminel, mais qu’elle devoit être seulement soumise à la police correctionnelle. En conséquence, le rapporteur propose d’an-(1) C 305, pl. 1148, p. 34 et 35 (signé : Lescot-Fleuriot (maire) et Guyon. Mon., XX, 664 et quelques autres journaux mentionnent que cette seconde adresse a été lue par Payen, agent nat.; d’après le texte, il semble qu’il en ait bien été ainsi; Audit, nat., n° 622; J. S.-Culottes, n° 477. (2) P.V., XXXIX, 72. Bin, 19 prair.; J. Sablier, n° 1364; Mon., XX, 664; M.U., XL, 299; J. Lois, n° 617; J. Mont., n° 42; Rép., n° 169; Débats, n° 625, p. 295; J. Fr., n° 621; J. Perlet, n° 623; Mess, soir, n° 658; Ann. R. F., n° 190; C. Univ., 19 prair.; Audit, nat., n° 622; J. Univ., n° 1656; Ann. patr., n° DXXII. (3) P.V., XXXIX, 72. nuler le jugement du tribunal de la Charente-Inférieure et de traduire les prévenus au tribunal de police correctionnelle de leur domicile, pour y être jugés de nouveau (1). Charlier et Mallarmé demandent l’impression et l’ajournement de ce projet de décret; le dernier motive son opinion sur la nécessité de remédier à une infinité d’abus qui ont lieu dans divers communes, où des associations financières ont dilapidé les biens nationaux (2). La question préalable est invoquée et rejetée; l’ajournement [du projet défendu par Cambacérès et Merlin] (3) , est proposé et décrété, ainsi que l’impression du rapport et du projet de décret (4). 35 Un membre [PEYSSARD], au nom des comités des secours publics et de marine, fait un rapport et présente un projet de décret sur la pétition de plusieurs citoyens prisonniers à Tabago (5). PEYSSARD : Citoyens, une poignée d’hommes libres, assaillis par une horde d’esclaves, sans espoir d’être secourus, à 2000 lieues de leurs frères, ont déployé le plus grand courage : ils étaient Français. Après une résistance opiniâtre, succombant sous le nombre, ils repoussent toute capitulation : vivre libres ou mourir est leur cri. Mais la mort eût été trop douce et trop glorieuse : on les laisse vivre pour les tourmenter; on les enchaîne, on les mutile, on dévaste leurs propriétés sous leurs yeux, on les arrache à leurs familles désolées; ils sont déportés, et 11 mois de la plus dure captivité deviennent le prix de leur énergie, de leur vertu. Citoyens, n’en soyez pas surpris, leurs adversaires étaient Anglais. Faits prisonniers à Tabago, traduits ensuite à la Barbade, c’est dans cette île qu’ils ont épuisé le répertoire des cruautés inventées par Pitt contre tout ce qui n’est pas esclave. C’est là que les satellites de Georges punissaient comme des blasphèmes, à coups de baïonnette, l’hymne des Marseillais et la Carmagnole. Le fer des despotes peut bien meurtrir les corps; mais il grandit l’âme libre, au lieu de la fléchir. Les citoyens de Tabago ont été abreuvés d’outrages, mais ils n’ont pas été avilis; le génie de la liberté, qu’ils n’ont cessé d’invoquer, les rend à la France, et dans quel moment ? lorsque vous venez de décréter qu’il ne serait plus fait de prisonniers cinglais. Qui plus qu’eux a dû applaudir à une telle mesure ? qui plus qu’eux doit être altéré de vengeance contre cette nation opprobée ? Assignez-leur un poste, ils brûlent de verser le sang anglais; mais jusque-là secourez-les; tout leur manque, hors l’amour de la patrie et la haine des tyrans. Votre comité des secours publics s’est concerté avec celui des colonies; tous les renseigne - (1) J. Sablier, n° 1365. (2) J. Fr., n° 621. (3) J. Sablier, n° 1365. (4) P.V., XXXIX, 72; Mess, soir, n° 658. (5) P.V., XXXIX, 72; Audit, nat., n° 622. 384 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE les tyrans lisent ce trait sublime, et qu’ils tremblent ! Que les républicains l’admirent et s’empressent de l’imiter (1). ( Applaudi ) . Le président, dans sa réponse, témoigne aux députés de Pau et du conseil-général de la commune de Paris la douce émotion que la Convention nationale éprouve en voyant tous les républicains se réunir, se rapprocher, ne former qu’une même famille, et mettre les privations au nombre de leurs plus douces jouissances. Le conseil général et les députés de Pau sont admis à la séance (2), [au milieu des plus vifs applaudissements ]. 34 Un membre, au nom du comité de législation, fait un rapport et présente un projet de décret sur un jugement rendu par le tribunal criminel de la Charente-Inférieure, portant condamnation à 12 années de fers contre le citoyen Brunau, officier municipal, et à 2 années de détention contre les citoyennes Massé. Le projet de décret tend à la cassation du jugement et au renvoi des accusés à la police correctionnelle (3) . Le rapporteur appelle l’attention de l’assemblée sur le fait suivant : Plusieurs effets appartenant à la ci-devant fabrique de l’église de la commune de l’Unité avoient été mis en vente au profit de la nation. 2 officiers municipaux, chargés de les mettre à l’enchère selon la loi qui ordonne qu’aucun bien national ne sera vendu sans cette formalité, crurent pouvoir la négliger et adjugèrent les effets sur la simple estimation à 3 citoyennes qui se présentèrent pour les acheter. Plusieurs citoyens présents à cette vente la dénoncèrent aux officiers de police comme contraire à la loi. L’affaire fut portée de là au tribunal criminel de la Charente-Inférieure. L’accusateur public dressa un acte d’accusation et la procédure étant instruite, l’officier municipal qui avoit présidé à la vente fut condamné aux fers, et les citoyennes qui avoient acheté furent condamnées à plusieurs années de détention. Les condamnés ont réclamé auprès de la Convention et le comité chargé d’examiner cette affaire n’a pas cru qu’elle fut du ressort du code criminel, mais qu’elle devoit être seulement soumise à la police correctionnelle. En conséquence, le rapporteur propose d’an-(1) C 305, pl. 1148, p. 34 et 35 (signé : Lescot-Fleuriot (maire) et Guyon. Mon., XX, 664 et quelques autres journaux mentionnent que cette seconde adresse a été lue par Payen, agent nat.; d’après le texte, il semble qu’il en ait bien été ainsi; Audit, nat., n° 622; J. S.-Culottes, n° 477. (2) P.V., XXXIX, 72. Bin, 19 prair.; J. Sablier, n° 1364; Mon., XX, 664; M.U., XL, 299; J. Lois, n° 617; J. Mont., n° 42; Rép., n° 169; Débats, n° 625, p. 295; J. Fr., n° 621; J. Perlet, n° 623; Mess, soir, n° 658; Ann. R. F., n° 190; C. Univ., 19 prair.; Audit, nat., n° 622; J. Univ., n° 1656; Ann. patr., n° DXXII. (3) P.V., XXXIX, 72. nuler le jugement du tribunal de la Charente-Inférieure et de traduire les prévenus au tribunal de police correctionnelle de leur domicile, pour y être jugés de nouveau (1). Charlier et Mallarmé demandent l’impression et l’ajournement de ce projet de décret; le dernier motive son opinion sur la nécessité de remédier à une infinité d’abus qui ont lieu dans divers communes, où des associations financières ont dilapidé les biens nationaux (2). La question préalable est invoquée et rejetée; l’ajournement [du projet défendu par Cambacérès et Merlin] (3) , est proposé et décrété, ainsi que l’impression du rapport et du projet de décret (4). 35 Un membre [PEYSSARD], au nom des comités des secours publics et de marine, fait un rapport et présente un projet de décret sur la pétition de plusieurs citoyens prisonniers à Tabago (5). PEYSSARD : Citoyens, une poignée d’hommes libres, assaillis par une horde d’esclaves, sans espoir d’être secourus, à 2000 lieues de leurs frères, ont déployé le plus grand courage : ils étaient Français. Après une résistance opiniâtre, succombant sous le nombre, ils repoussent toute capitulation : vivre libres ou mourir est leur cri. Mais la mort eût été trop douce et trop glorieuse : on les laisse vivre pour les tourmenter; on les enchaîne, on les mutile, on dévaste leurs propriétés sous leurs yeux, on les arrache à leurs familles désolées; ils sont déportés, et 11 mois de la plus dure captivité deviennent le prix de leur énergie, de leur vertu. Citoyens, n’en soyez pas surpris, leurs adversaires étaient Anglais. Faits prisonniers à Tabago, traduits ensuite à la Barbade, c’est dans cette île qu’ils ont épuisé le répertoire des cruautés inventées par Pitt contre tout ce qui n’est pas esclave. C’est là que les satellites de Georges punissaient comme des blasphèmes, à coups de baïonnette, l’hymne des Marseillais et la Carmagnole. Le fer des despotes peut bien meurtrir les corps; mais il grandit l’âme libre, au lieu de la fléchir. Les citoyens de Tabago ont été abreuvés d’outrages, mais ils n’ont pas été avilis; le génie de la liberté, qu’ils n’ont cessé d’invoquer, les rend à la France, et dans quel moment ? lorsque vous venez de décréter qu’il ne serait plus fait de prisonniers cinglais. Qui plus qu’eux a dû applaudir à une telle mesure ? qui plus qu’eux doit être altéré de vengeance contre cette nation opprobée ? Assignez-leur un poste, ils brûlent de verser le sang anglais; mais jusque-là secourez-les; tout leur manque, hors l’amour de la patrie et la haine des tyrans. Votre comité des secours publics s’est concerté avec celui des colonies; tous les renseigne - (1) J. Sablier, n° 1365. (2) J. Fr., n° 621. (3) J. Sablier, n° 1365. (4) P.V., XXXIX, 72; Mess, soir, n° 658. (5) P.V., XXXIX, 72; Audit, nat., n° 622.