44 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 juillet 1791.) ces mêmes hommes armés pour les défendre de la violence et ne les livrer qu’à la loi. « A la nuit, les troubles se sont dissipés et une garde de 100 hommes a suffi à la garde des prisons. Mais ce matin, les attroupements ont recommencé. La garde nationale a plus d’une fois défendu, à ses risques et périls, l’entrée de la prison. « Enfin, le mal paraissant à son comble, j'ai fait prévenir la municipalité du désordre qui régnait à ce poste : elle est venue; et bien assurée qu’il ne restait plus d’autre ressource, et que la garde allait être forcée, elle a pris le parti de confier ces prisonniers aux soins et à la garde de l’artillerie des colonies. Cette troupe ayant promis dVn répondre jusqu’à ce que la loi eût prononcé, s’est formée en bataillon carré et, assistée de la garde de tout Lorient, elle a transféré les détenus, sous escorte, jusqu’au quartier de l’artillerie où ils ont de nouveau été constitués prisonniers avec une garde de 30 hommes. « La municipalité a sur-le-champ dépêché deux de ses membres vers les commissaires civils à Yannes, pour les requérir de se transporter sur-le-champ à Lorient et attribuer à un tribunal la connaissance de cette affaire. La municipalité avait déjà pris des renseignements sur les dispositions à recevoir en cas d’information. « De mon côté, désirant ne pas accumuler des scènes fâcheuses, des scènes aussi alarmantes dans une ville jusqu’alors si tranquille, j’avais envoyé deux chasse-marées à bord de V Espérance. L’un était destiné à porter à Nantes les sept autres officiers d’artillerie et quelques canonniers dont les jours eussent pu être compromis en débarquant ici ; l’autre, à apporter à Lorient les hommes qui pouvaient y être reçus, et je renvoyai la gabarre avec le reste de ses passagers à Brest où leur présence ne devait causer aucun trouble. Les vents de sud-ouest ont contrarié ce projet qui n’avait été formé que pour la sûreté des officiers détenus ; et on me demande en ce moment de mettre en arrestation les autres officiers d’artillerie qui sont à bord de YEspérance. Je ne sais encore ce que cela peut devenir. Il peut se passer bien des malheurs jusqu’à votre réponse; mais je vous prie d’envoyer vos ordres le plus promptement possible. Je mettrai tous mes soins à prévenir les maux dont nous sommes menacés. « Je suis, etc... « Signé : De Secque VILLE. » (L’Assemblée ordonne le renvoi de la lettre du ministre de la manne et de celle de M. de Sec-queville aux comités militaire et des colonies.) M. le Président prie les membres de l’Assemblée de se réunir dans leurs bureaux respectifs pour procéder à la nomination d’un président et de trois secrétaires. Ii annonce ensuite l’ordre du jour de la séance du soir et de celle de demain matin. (La séance est levée à trois heures.) PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU SAMEDI 30 JUILLET 1791, AU MATIN. Notes de M. Camus sur les ORDRES DE CHEVALERIE (1). (Imprimées par ordre de l'Assemblée nationale). Le principe seul est à l’ordre du jour. Peut-il ou ne peut-il pas être conservé des ordres en France ? Pour se décider, il faut considérer les bases de notre Constitution, et ce que c’est que les ordres dont nous parlons ici. Les bases de la Constitution sont égalité, unité. Egalité entre tous les citoyens. On peut être distingué aux yeux de ses concitoyens par ses talents et ses vertus. Cette distinction est permise, parce que chacun peut y aspirer et y parvenir; toute autre distinction, telle que celle de la naissance, est nulle; elle serait inconciliable avec l’égalité de la loi. Unité qui n’admet qu’une seule grande société, celle de tous les concitoyens. Cette unité rejette toute société particulière, toute corporation, qui, ayant des lois et des biens propres formerait un petit Etat dans le grand et unique Etat que la Constitution a formé, et qu’elle peut seul reconnaître. Examen de ce qui est compris dans l'idée des ordres dont nous parlons en ce moment. La mot d 'ordre, susceptible de beaucoup de nuances, indique, en général, une séparation d’un certain nombre de personnes d’avec d’autres personnes, une classe distincte d’autres classes. . Dans l’idée des ordres dont nous parlons, qui sont les ordres de chevalerie, sont compris 4 objets : 1° Des conditions requises pour être admis dans l’ordre : conditions qui portaient les unes sur la naissance, la patrie, la religion du sujet; son état de célibataire, de profès d’une religion, les autres qui portaient uniquement sur des actes que chacun était libre de faire. Exemples : Pour être membre de l’ordre de Malte, il faut être célibataire et faire des vœux de religion. La croix de Saint-Louis s’accorde à des services militaires que chacun peut rem-plir; 2° L’existence d’une corporation, d une union d’individus, liés par un serment commun, obligés à l’observation de statuts communs, possédant des biens communs; 3° Obligations résultant des statuts et des serments; 4° Récompense honorifique. De ces quatre objets une partie est inconciliable avec la Constitution actuelle, une autre partie peut être conciliable sous différentes conditions. Ce qui est inconciliable est: 1° la réserve (1) M. Camus ne donna pas son rapport à l’impression; pour déférer au vœu de l’Assemblée, il se borna à la distribution des notes ci-après, dans lesquelles la question est réduite à ses termes les plus simples. 43 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [30 juillet 1791.] de l’admission dans un ordre, en faveur de certaines personnes qui auraient, à raison de leur naissance ou de leur état, des qualités que d’autres personnes n’auraient pas ; 2° Une corporation qui forme une société particulière dans la grande et unique société de l’Etat ; 3° L’obligation à des lois qui ne seraient pas seulement indifférentes à la Constitution, mais qui y seraient quelquefois contraires. Ce qui peut être conciliable, c’est la récompense honorifique personnelle due à quiconque fait des actions, ou rend à l’Etat des services que chaque citoyen peut faire et rendre l’un aussi bien que l’autre. C’est réellement à ce petit nombre d’idées fort simples, que se réduit toute la discussion de ce qui est aujourd’hui à l’ordre du jour. Il est inutile d’examiner, dans l’état et au moment actuel, ce qui peut concerner en particulier chacun des ordres qui existent dans le royaume. Il est indifférent que ce qui sera décrété porte sur un ordre appelé ordre de Malte, ordre de Saint-Lazare; sur un ordre affecté à des personnes dont la noblesse remontait à 100 ans, ou sur celui qui exigeait 200 ans de noblesse. 11 ne faut s’occuper que de ce qui est constitutionnel: et les articles constitutionnels ne sont pas déterminés par des faits particuliers: ce sont, au contraire, les conséquences de ces articles qui règlent et déterminent tous les faits particuliers. On s’occupera, dans un autre temps, des biens de ces ordres, des règlements qui seront à faire pour les récompenses honorifiques ; aujourd’hui il ne s’agit que de déduire les conséquences immédiates du résultat des bases de la Constitution française, comparée avec les idées comprises dans ce qu’on appelle ordres de chevalerie et de réduire ces conséquences en principes. DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU SAMEDI 30 JUILLET 1791, AU MATIN. Opinion de M. Malouet sur I’ordre de Malte dans la discussion des ordres de chevalerie. Nota. — Depuis le décret qui a été rendu sur les ordres de chevalerie, et qui change, à mon avis,' les relations de la France avec l’ordre de Malte, quelques personnes ont annoncé des vues ultérieures sur les propriétés de cet ordre. Il y a, en effet, lieu de craindre que les dispositions adoptées ne soient bientôt présentées comme principes de la destruction nécessaire des établissements de l’ordre en France. Cette considération m’engage à ajouter quelques observations à l’opi-pinion publique que je prononçai lors de la discussion, et à la publier. Messieurs, En ne considérant que sous des rapports politiques la question delà suppression des ordres de chevalerie, il serait facile de vous démontrer qu'on peut les défendre par d’autres motifs que ceux de la vanité qui s’attache à leur conservation ; il serait facile de vous démontrer qu’un autre sentiment de vauité peut, dans ce moment-ci, les poursuivre; mais j’abandonne dans cette discussion tout ce qui est étranger à l’ordre de Malte. Le second article du projet de décret en prépare l’anéantissement en France ; il semble que cet ordre, souverain dans son île, ne se trouve au milieu de nous que comme un de ces établissements fastueux qui perpétue, sans utilité réelle, les distinctions que vous avez abrogées. Or, ce serait trahir les intérêts de la nation, que de ne pas vous démontrer comment ils sont liés à ceux de l’ordre de Malte. J’y suis particulièrement obligé par les relations que j’ai eues avec le commerce du Levant et avec le résident de France à Malte. Je veux donc vous soumettre toutes les observations qui me font rejeter le projet de vos comités en ce qui est relatif à l’ordre de Malte, et qui doivent vous engager également à ne porter aucune atteinte à son existence et à ses propriétés. Sans doute, un ordre qui ne serait que religieux doit être soumis à toutes les conditions du régime ecclésiastique, séculier et régulier, adopté dans le royaume ; mais si cet ordre se trouve placé au milieu de nous, d’après des conventions semblables àcellesqui nous lient à plusieurs puissances étrangères si, indépendamment de ses rapports religieux, qui peuvent être plus ou moins altérés, et sur lesquels la législation sera plus ou moins indifférente, des rapports politiques et des considérations majeures unissent l’existence et les intérêts de l’ordre de Malte aux intérêts de la nation ; sans doute, ces considérations méritent votre attention. Si nous ne prenons point le même intérêt que nos ancêtres àla première destination de l’ordre de Saint-Jean, je doute que les faits d’armes des chevaliers de Rhodes vous aient jamais été aussi utiles que la tranquille possession de l’île de Malte pour leurs successeurs. Vous n’ignorez pas, Messieurs, que de toutes les puissances de l’Europe, la France est celle dont le commerce est le plus riche et le plus étendu dans le Levant ; mais ce qui pourrait peut-être échapper à l’attention de plusieurs de ces Messieurs, c'est que nous ne devons qu’aux croisières des Maltais contre les Barbares-ques et les Turcs, le commerce de cabotage que nous faisons dans les Echelles ; parce que tous les sujets du Grand-Seigneur et des régences barbaresques, chargent de préférence à leur propre pavillon, leurs marchandises sur les vaisseaux français. Les Turcs et les Levantins, et surtout les Grecs qui habitent les côtes, ont l’esprit et les moyens du commerce maritime. Un gouvernement oppresseur altère, circonscrit, mais ne peut étouffer cette activité mercantile; et si la navigation marchande des sujets de la Porte était protégée, ils seraient seuls en possession de tous l�s trans-orts d’île en île de l’Egypte à Constantinople et Smyrne. Faute de cette protection, ils redoutent sans cesse le pavillon Maltais, et chargent de préférence sur nos vaisseaux leurs propres marchandises. C’est ce commerce, appelé de caravane, qui est le plus utile à notre navigation, parce qu’il lui appartient tout entier, qu’il tient nos équipages dans une activité continuelle, et que ce louage habituel de nos hommes et de nos vaisseaux est un bénéfice certain ajouté à celui de nos marchandises. Ce ne sont pas, Messieurs, les seuls services indirects que l’ordre de Malte rend à la navigation française. Personne n’ignore que la médiation toute puissante de la France, intervient fréquemment entre la Porte et la religion, qui ne résiste jamais à la réquisition du ministre français, pour