PROVINCE DE TOURAINE. Nota. Il nous a été impossible de nous procurer le cahier de l’ordre du clergé de Touraine. Ce document ne se trouve ni aux Archives du département d’Indre-et-Loire, ni aux Archives de l’Empire. Dans ce dernier établissement il existe seulement un relevé des divers chapitres dont se composait le cahier. CAHIER De la noblesse des bailliages de Touraine (1). L’an 1789, le trentième jour de mars, en vertu des lettres de convocation', en date du 24 janvier 1789, qui ordonnent aux trois ordres des bailliages de Touraine de s’assembler pour élire leurs représentanLs aux Etats libres et généraux du royaume, et de leur donner tous les pouvoirs et instructions qui seraient jugés nécessaires pour la restauration de l’état des bailliages de Touraine ; l’ordre de la noblesse desdits bailliages donne, par ces présentes, à ses députés auxdits Etats, qui doivent se tenir à Versailles le 27 avril 1789, les pouvoirs et instructions qui suivent : L’ordre de la noblesse du bailliage de Tours, Considérant Que le monarque qui gouverne la France, guidé par la justice et la bienfaisance, vient de reconnaître, delà manière la plus solennelle, les droits imprescriptibles qui appartiennent autant à chaque individu qu’à la nation en général, a arrêté : 1° Que le premier acte qui doit émaner de sa libre et entière volonté, est d’offrir au Roi l’hommage de son respect, de son amour et sa reconnaissance. 2° .Que le devoir le plus sacré d’un citoyen étant de concourir au bien général avant de s’occuper de l’intérêt particulier, le premier chapitre de son cahier ne devait comprendre que les droits généraux de la nation; droits d’où dérivent nécessairement tous ceux qui appartiennent à chaque province, à chaque bailliage, à chaque communauté, à chaque individu. Considérant ensuite que la forme des délibérations et des séances sera la première question agitée à l’ouverture des Etats généraux, elle a pris l’arrêté suivant : La noblesse du bailliage de Tours, convaincue qu’une des lois constitutionnelles du royaume est-que la délibération par ordre soit la forme exclusivement admise dans les assemblées nationales, charge ses députés aux Etats généraux de demander que cette forme soit irrévocablement consacrée par la charte qui rétablira les Français dans tous leurs droits ; mais considérant en mê"me temps que, dans une circonstance où il s’agit de régénérer la nation, la forme de délibérer par tête offrira la masse la plus importante d’opinions, par la réunion de tous les délibérants, la noblesse consent que, pendant cette première tenue d’Etats généraux, la forme de délibérer par tête soit admise, pour statuer uniquement sur tous les articles qui ont rapport à la constitution , articles qui sont tous renfermés dans le premier chapitre du cahier qu’elle charge ses députés de présenter aux Etats généraux. (1) Nous publions ce cahier d’après un imprimé de la Bibliothèque du Sénat. Elle les charge pareillement dç demander que la pluralité dans les délibérations soit acquise a une voix déplus que la moitié des délibérants. Elle enjoint aussi très-expressément à ses députés de demander que, soit que l’on délibère en commun, soit que l’on délibère par ordre, le président de l’Assemblée générale, ou ceux des trois ordres en particulier, soient élus librement et à la pluralité des suffrages. CHAPITRE PREMIER. Droits qui appartiennent à la nation. Art. 1er, 1° La liberté individuelle sera garantie à tous les Français, de manière que nul ne puisse être arrêté et détenu en prison qu’en vertu des lois ; et dans le cas où les Etat généraux jugeraient nécessaire d’en faire une pour permettre l’emprisonnement provisoire, il sera ordonné que toute personne arrêtée sera remise, dans les deux fois vingt-quatre heures, entres les mains de ses juges naturels. 2° Les lettres de cachet seront abolies à jamais; toute personne, de quelque rang et condition qu’elle puisse être, et qui aurait signé, sollicité ou exécuté un ordre semblable, pourra être prise à partie par-devant les tribunaux, pour y être jugée et condamnée suivant la rigueur des lois. 3° Les députés aux Etats généraux seront déclarés inviolables, et dans aucun cas ne pourront être responsables de ce qu’ils auront dit ou fait pendant l’assemblée nationale, relativement à la discussion des affaires publiques. 4° La liberté de publier ses opinions faisant partie de la liberté individuelle, la liberté de la presse sera accordée indéfiniment, en exigeant que les auteurs ou imprimeurs mettent leur nom en tête de leurs ouvrages : les Etats généraux pourront modifier cette loi de la manière la plus convenable. 5° 11 sera fait une loi qui prononcera que désormais la honte et l’infamie des crimes et des punitions ne seront que personnelles. 6° Le Roi pourra commuer toutes les peines prononcées en une peine moins sévère, ou faire grâce à son gré, par lettres émanées de Sa Majesté, et dûment en forme, à l’exception des crimes de lèse-majesté, de péculat et de concussion ; mais, dans aucun cas, il ne pourra empêcher la prononciation des jugements. Art. 2. 1° Aucun subside, à l’avenir, ne sera mis ou prorogé sans le consentement des Etats généraux du royaume; et en conséquence, toutes les impositions mises ou prorogées par le gouvernement, sans cette condition, ou accordées hors des Etats généraux par une ou plusieurs villes, une ou plusieurs communautés, seront illégales, milles, et il sera défendu, sous peine de concussion, de les répartir, asseoir et lever, sauf les sommes qu’exigeront les besoins locaux et momentanés, sur lesquels les Etats généraux sont chargés de faire des règlements. 4,0 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Province de Touraine.] 2° Sous aucun prétexte quelconque, le gouvernement ne pourra créer ni billets, ni papiers circulants, sans le consentement national. 3° Les Etats généraux établiront dans tout le royaume des Etats particuliers, qui seront composés d’une manière aussi uniforme que les circonstances et les intérêts de chaque province pourront le permettre. 4° Tous les impôts actuellement existants seront déclarés illégaux dans leur extension ou origine, mais prorogés dans leur perception jusqu’à ce qu’il y ait été pourvu par l’assemblée des Etats généraux. 5° U sera statué que les répartition, assiette, perception et versement de subsides se feront par les Etals particuliers de chaque province, sous la responsabilité des Etats généraux. 6° Les dépenses de chaque département, y compris celles de la maison *du Roi, seront fixées suivant les circonstances, et les ministres, chacun dans leur département, seront comptables aux Etats généraux de leur gestion, et responsables de l'emploi des fonds qui leur auront été confiés. 7° Les Etats généraux se feront représenter l’état exact des tinances, du capital et des intérêts de la dette; ils en constateront le montant et la réalité, en se faisant fournir le titre qui appuie chaque partie de la dette; ils détermineront le déficit, en distinguant celui qui paraîtra être fixe de celui qui, par l’extinction graduelle des charges, ne serait que momentané ; ils examineront les intérêts assignés aux capitaux, jugeront s’ils ne sont pas à un trop haut denier, y feront, de concert avec les créanciers, les réductions dictées par l’équité, ou, en cas de refus, leur offriront le remboursement; et après cette vérification faite, ils consolideront et les capitaux et les intérêts de la dette. 8° L’état détaillé de la situation des finances, tant en recette qu’en dépense, sera imprimé tous les ans, et publié dans toutes les provinces du royaume. Art. 3. 1° Tout droit de propriété sera sacré et inviolable. 2° La confiscation des biens, en cas de délit et punition, ne pourra jamais être prononcée. 3° Tout citoyen qui aurait été ou qui sera revêtu d'un office civil, militaire ou ecclésiastique, n’a pu et ne pourra en être destitué et privé que par un jugement légal, qui sera prononcé par le tribunal auquel les Etats généraux, de concert avec le Roi, jugeront à propos de donner l’exécution de cette partie des lois. Art. 4. Le respect le plus absolu pour toutes lettres confiées à la poste sera ordonné. Art. 5- 1° Les Etats généraux prendront acte de la déclaration qu’a faite Sa Majesté du droit imprescriptible appartenant à la nation d’être gouvernée par ses délibérations durables, et non ar les conseils passagers des ministres ; et lesdits tais généraux déclareront qu’à l’avenir aucun acte public ne soit réputé loi, s’il n’est émané de la volonté des Etats généraux ou consenti par eux avant que d’être revêtu du sceau de l’autorité royale. 2° La noblesse de Touraine ayant pris en considération l’article du provisoire entre les différentes tenues des Etats généraux, a arrêté, après un mûr examen, de s’en rapporter à la sagesse de l’assemblée nationale , convaincue qu’elle trouvera les moyens de rédiger, sur cet objet, une loi qui, sans compromettre la dignité du monarque et de la monarchie, ne portera aucune atteinte à la liberté de la nation. Art. 6. Les Etats généraux se concerteront avec le Roi pour faire des règlements-sur te fait des monnaies, lesquels, une fois adoptés, ne pourront être changés que du consentement de la nation. Art. 7. 1° Les parlements et autres tribunaux souverains, tels qu’ils seront constitués par les Etats généraux, continueront à maintenir le bon ordre et l’exécution des lois faites ou consenties par la nation, sans qu’ils puissent, dans aucun cas, retrancher, ajouter, modifier ou interpréter, de manière qu’ils ne soient uniquement qu’ exécuteurs de la loi ; ils seront responsables à la nation assemblée de l’exercice de leurs fonctions. 2° Les Etats généraux statueront que les évocations et commissions étant entièrement abusives, aucune cause ne sera désormais enlevée aux tribunaux établis ou avoués parla nation, sauf aux Etats généraux à pourvoir aux moyens de recours contre les arrêis, abus d’autorité, déni de justice ou autres, émanés des cours 3° Les magistrats ne pourront être troublés ni enlevés à leurs fonctions déjugés. Art. 8. Le militaire ne sera employé qu’à défendre la patrie contre les attaques des ennemis extérieurs, ou à servir le pouvoir exécutif dans tout ce qui sera prescrit par les lois faites ou consenties par la nation. Art. 9. 1° Les Etats généraux statueront sur leur périodicité, seul moyen propre à assurer l’exécution des délibérations nationales, et à affermir la constitution. Le Roi, comme chargé exclusivement du pouvoir exécutif, enverra les lettres de convocation, pour lesdits Etats être rassemblés aux époques fixées, époques qui, sous aucun prétexte, même celui de la guerre, ne pourront être différées ; et dans tous les cas, ou par une circonstance qu’on ne peut prévoir, la convocation n’avait pas lieu, dès ce moment les impôts cesseront dans tout le royaume. 2° La tenue d’Etats généraux "qui suivra cette première, ne pourra être reculée à un temps plus éloigné que deux ans, et les élections libres et volontaires seront renouvelées à chaque convocation. Art. 10. Les Etats généraux demanderont que les colonies soient admises à envoyer aux assemblées nationales un nombre de députés proportionné à leur étendue et population, et que leur forme d’administration soit déterminée d’une manière stable et relative au physique de leur climat, à leur éloignement de la métropole, et à la nature de leurs productions. Art. 11. 1° Pour que l’établissement de la constitution ne puisse être éludé ni différé, lesdits députés ne statueront sur aucuns secours pécuniaires, à titre d’emprunt , impôt ou autrement avant que les droits ci-dessus, droits qui appartiennent autant à chaque citoyen individuellement, qu’à la nation entière, aient été invariablement établis et consignés dans une charte qui sera jurée annuellement ; 1° par le Roi ; 2° par la nation, et ensuite publiée dans tout le royaume, et solennellement proclamée, de manière que chaque citoyen sache qu’il s’engage envers la nation, la nation envers le monarque, et le monarque envers la nation, comme envers chaque citoyen, de maintenir l’observation des lois et des règles qui seront établies pour le bien et par la volonté de tous. 2° Après cette proclamation, les députés useront du pouvoir que leur donne l’assemblée de consentir aux subsides qu’ils jugeront nécessaires, d’après la connaissance détaillée qu’ils prendront de l’état des finances, de la quotité du déficit, des (États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Province de Touraine.] 41 besoins de l’Etat, et de chaque département, rigoureusement démontrés, et après avoir opéré les réductions dont la dépense sera susceptible. 3° L’assemblée leur donne également pouvoir, et les charge spécialement de substituer aux impôts qui existent actuellement des subsides qui soient répartis avec égalité entre tous les citoyens de tous les ordres en proportion de leurs fortunes foncières, mobilières, productives et immobilières, sans distinction ni exemption, sauf les privilèges personnels aux deux premiers ordres, et notamment la milice et logement des gens de guerre ; comme aussi de proposer le� réductions que la justice prescrit sur tous les traitements, pensions, et autres parties prenantes au trésor public, lesquelles, après les diminutions jugées nécessaires, resteront néanmoins sujettes à l’impôt, dans la proportion qu’elles doivent supporter. 4° Ne pourront cependant lesdits subsides être accordés que jusqu’à la première assemblée des Etats généraux, les parlements, les autres cours, e� tous juges, demeurant chargés de poursuivre et punir, comme concussionnaire, quiconque aurait la témérité de répartir, asseoir ou lever aucuns subsides non accordés par les Etats généraux ou dont le terme par eux fixé serait expiré, sans néanmoins déroger au dispositif de l’article 2, § 1er. Telles sont les bases de la constitution, sur lesquelles il est enjoint expressément aux députés de la noblesse des bailliages de Touraine de faire statuer, dans l’assemblée des Etats généraux, préalablement à toute délibération relative aux finances. 1° Liberté individuelle. 2° Abolition des lettres de cachet. 3° Liberté de la presse. 4° Inviolabilité des députés aux Etats généraux. 5° Consentement libre à l’impôt. 6° Etats provinciaux. 7° Propriété inviolable. 8° Places et emplois inamovibles, si ce n’est par un jugement légal. 9° Respect pour les lettres confiées à la poste. 10° Concours de la nation pour la formation des lois. 11° Responsabilité des ministres. 12° Périodicité des Etats généraux. 13° Charte des droits jurée et proclamée dans tout le royaume. Et néanmoins les députés de la noblesse de Touraine ne se retireront point de l’assemblée, ni n’adhéreront à aucune scission ; mais, s’efforçant d’entretenir la paix, ils demanderont seulement acte de leurs protestations. Après avoir établi les droits de la nation, droits fondés sur la justice la plus rigoureuse, la noblesse de Touraine déclare qu’elle jure et promet solennellement l’attachement le plus inviolable à l’auguste maison de Bourbon, à la personne sacrée de Louis XVI, et à ses descendants ; qu’elle défendra jusqu’à la dernière goutte de son sang leurs droits héréditaires de mâle en mâle, à l’exclusion des filles, à la couronne de France, ainsi que la forme du gouvernement monarchique, la seule qui puisse convenir à un grand royaume. Elle déclare ici que par gouvernement monarchique, elle entend le gouvernement où un seul qu’on nomme roi ou monarque, est chargé avec la plus grande étendue de puissance de faire exécuter les lois faites par la nation et sanctionnées par lui, ou faites par lui, et consenties parla nation. Telle est son opinion qu’elle croit conforme au droit naturel, à la justice et à la raison si la constitution qu’elle enjoint à ses députés de demander, est généralement adoptée, la France reprendra dans le monde politique la place qu’elle doit y occuper, les citoyens seront heureux, et le monarque ayant toute l’entendue nécessaire de puissance pour faire le bien, et se . trouvant dans l’heureuse impossibilité de faire le * mal, deviendra le protecteur de tous ses sujets, l’objet de leur respect et de leur vénération, et le centre de réunion de toutes les parties de la mo-marchie. CHAPITRE II. Instruction et avis à donner aux députés de la noblesse des bailliages de Touraine aux Etats-généraux. JUSTICE. Art. 1er. 1° Les députés aux Etats généraux sont chargés de demander que le ressort trop étendu de certains parlements, et entre autres de celui de Paris, soit resserré dans de justes bornes, et que ceiui des bailliages et sénéchaussées soit arrondi d’une manière plus avantageuse aux justiciables. 2° Il serait à désirer qu’on put abolir la vénalité des charges anciennement inconnue en France, que tous les membres des cours souveraines et autres tribunaux fussent choisis au concours, et sanctionnés par le Roi. 3° Que les épices attribuées aux juges fussent considérablement diminuées, en attendant qu’on pùt leur donner des gages fixes, qui les mettent en état de soutenir dignement leur Etat. 4° Que les cours souveraines jugeassent en dernier ressort, fussent les~dépositaires des lois du royaume, mais ne pussent en aucun cas coopérer à leur confection, les seuls Etats généraux étant chargés de ce pouvoir, de concert avec le Roi. 5° Que toutes charges inutiles, et notamment celles du grand conseil, des maîtres des requêtes, des intendants, des baillis et sénéchaux d’épée, fussent supprimées, tous procès devant être jugés par les tribunaux ordinaires, sans aucunes exceptions motivées sur les privilèges et exemptions-qui demeureront éteints et supprimées. 6° Qu’on demandât la suppression des huissiers-priseurs, des maîtrises et justices des eaux et forêts, et autres tribunaux d’exceptions dont les causes seraient reportées aux tribunaux ordinaires. 7° Qu’on s’occupât des réformes et réductions à faire dans les chambres des comptes ou autres cours de justice. 8° Les code civil et criminel du royaume étant très-imparfaits, les Etats généraux regarderont comme un de leurs devoirs les plus importants de faire travailler à la réforme des lois civiles et criminelles, et d’examiner avec la plus grande attention la jurisprudence des substitutions. 9° Ils chercheront les moyens de rétablir l’ordre dans les justices seigneuriales, et devront ordonner que les greffes de ces justices, ainsi que ceux de tous les autres tribunaux, soient placés dans un lieu public , où les citoyens puissent aller compulser. 10° Il serait à désirer qu’on pût établir dans chaque paroisse un bureau de conciliation qui donnerait son avis sur tous les procès, avant qu’ils fussent portés en justice réglée. POLICE. Art. 2. 1° La police ordinaire, soit dans les villes, soit dans les campagnes, devrait être attri- 42 [Province de Touraine.] [États gén. 4789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. buée aux municipalités qui maintiendraient le bon ordre et la sûreté, sauf les délits exigeant punition corporelle ou emprisonnement, qui seraient renvoyés aux tribunaux ordinaires. 2° Les tribunaux devraient être chargés de veiller sur l’exactitude du service des maréchaussées qui marcheraient par les ordres des juges supérieurs et à la réquisition des juges inférieurs et municipalités chargées de la police. 3° Il serait à désirer qu’on supprimât la vénalité des places dans la maréchaussée, et qu’on s’occupât des réformes, changements, augmentations, etc., dont ce corps est susceptible, de manière à opérer la sûreté des citoyens, sans nuire à leur liberté. FINANCES. Art. 3. 1° Tous les objets relatifs à la répartition, assiette, perception et versement des impôts devront être exclusivement attribués aux Etats particuliers dans chaque province. 2° Les députés aux Etats généraux s’occuperont avec grand soin des moyens de détruire la gabelle, cet impôt que le monarque lui-même a nommé désastreux, et qui est d’autant plus onéreux pour la Touraine, que l’appât de la contrebande y est plus puissant qu’ailieurs, vu la proximité' des provinces franches ourédimées. 3° Ils s’occuperont aussi des changements à faire dans les impôts qui portent sur les consommations, de manière que les contribuables ne soient pas vexés par les commis chargés de la perception. 4° Les lois fiscales devront être si claires et si précises, que chaque citoyen puisse connaître le taux véritable de l’impôt, le cas de contravention, et les punitions y attachées. 5° Il serait à désirer que les Etats généraux s’occupassent de porter aux frontières du royaume les traites et péages dont le revenu appartient au fisc, ainsi que de supprimer ceux qui appartiennent aux particuliers, en réglant, de concert avec eux, l’indemnité qui leur sera accordée. 6° Qu’ils sollicitassent la confection d’une loi, qui simplifierait et fixerait la perception des droits de contrôle, et supprimerait tous les droits fiscaux sur les actes de justice. 7° Qu’ils fixassent aussi les droits des notaires, diminuassent le nombre de ces officiers publics, et ordonnassent que copie dûment en forme de la minute de tous les actes fût déposée dans un lieu public établi dans chaque arrondissement, et que les minutes fussent signées et cotées à toutes les pages, par les parties qui auraient signé l’acte. 8° Qu’ils examinassent, de concert avec le Roi, tout ce qui regarde les pensions, et avisassent aux moyens qu’elles ne fussent plus abusivement ou injustement accordées. 9° En attendant que la nouvelle forme de perception fût admise et établie, on devrait s’occuper de diminuer les inconvénients de la perception actuelle, afin que la classe des citoyens indigents profitât, le plus tôt possible, des avantages que procurent les assemblées nationales. 10° Les Etats généraux devront s’occuper, de concert avec le Roi, de la confection d’une loi qui ordonnerait : 1° la rentrée dans tous les domaines royaux, engagés ou non, légalement échangés, en remboursant le prix de tous les engagements et la valeur des échanges ; 2° l’aliénation et vente totale par les Etats provinciaux de tous ces mêmes domaines corporels, au plus haut et dernier enchérisseur, à la réserve de toutes les forêts royales, dont l’administration serait confiée aux Etats provinciaux, avec responsabilité aux Etats généraux, qui feraient les lois et règlements sur l’aménagement de ces forêts. En attendant la vente des domaines royaux, les Etats provinciaux seraient chargés de leur administration. Ne seraient compris dans l’article ci-dessus, l’aliénation et vente des titres des grandes terres royales, telles que principautés, duchés, marquisats, comtés, vicomtés et baronnies, le Roi devant demeurer irrévocablement seigneur suzerain des domaines aliénés, de manière qu’en vendant la propriété utile et foncière, même les titres de châtellenie, de haute, moyenne et basse justice, des seigneuries de paroisses, etc., qui par leur réunion conservent les grands titres, le Roi conserverait toutes les justices royales actuellement établies, les lods et ventes, et autres droits qui appartiennent aux seigneurs suzerains. 11° Les députés aux Etats généraux sont chargés de demander qu’à l’avenir les apanages des enfants de France et princes de la maison royale soient accordés et déterminés par le Roi, de concert avec la nation. Il serait à désirer que les Etats provinciaux fussent chargés de l’administration de tous les apanages. ARTS, MANUFACTURES ET COMMERCE. Art. 4. 1° Les députés aux Etats généraux s’occuperont des moyens d’encourager les arts et les manufactures. 2° Ils prendront en considération la grande question qui s’est élevée sur la légitimité des capitaux non aliénés, ainsi que celle des jurandes, maîtrises, corporations et privilèges exclusifs ; si on juge nécessaire de détruire les derniers, on examinera cependant, avant de prononcer définitivement, s’il ne serait pas utile d’accorder aux inventeurs de machines, et a ceux qui font des découvertes importantes, un privilège exclusii: de quelques années, pour mettre à même l’inventeur de retirer ses frais, et d’obtenir le bénéfice auquel son travail lui donne le droit de prétendre. 3° Le commerce en Touraine est à peu près dans le même état que les manufactures. Les députés s’en occuperont aux Etats généraux, qui, vraisemblablement, en renverront l’examen aux Etats particuliers de la province. 4° Les députés aux Etats généraux solliciteront une loi qui bannisse à jamais l’abus des banqueroutes frauduleuses. 5° Il serait à désirer que les franchises attachées à certains lieux privilégiés fussent entièrement abolies, ainsi que les lettres de surséance et les lettres d’Etat. Art. 5. L’agriculture, en Touraine, est presque nulle; plusieurs causes s’opposent aux améliorations : 1° la médiocrité des terres ; 2° défaut de population ; 3° impôts excessifs ; 4° défaut de communications ; on pourrait encore en assigner plusieurs autres; mais en dernière analyse, ou sera convaincu que la renaissance de l’agriculture tient à une bonne constitution. GRANDS CHEMINS. Art. 6. 1° La connaissance de tout ce qui regarde les grands chemins devra être exclusivement attribuée aux Etats provinciaux, eux seuls étant en état de bien apprécier Futilité de ceux qu’on proposera. 2° Les ingénieurs des ponts et chaussées devront être absolument aux ordres des Etats de chaque province ; leur institution, utile dans son principe, est dans l’application susceptible de grands abus, [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Province de Touraine.] 43 qui cesseront dès que les provinces intéressées auront sur eux une inspection et une autorité directes. 3° La corvée en nature sera entièrement et irrévocablement détruite; tous les chemins se feront dorénavant à prix d’argent, et la taxe sera supportée par tous les individus, sans distinction d’ordre, de privilège et d’exemptions ; toute personne fournissant caution suffisante sera admise à l’adjudication et construction d’ouvrages. RIVIÈRES ET CANAUX. Art. 7. 1° La confection des canaux devra être exclusivement attribuée aux Etats provinciaux, et dirigée par les mêmes ingénieurs des ponts et chaussées qui seront attachés aux provinces. 2° Tous les terrains, de quelque nature qu’ils soient, qu’on sera obligé de prendre aux propriétaires, pour la confection des grands chemins et canaux, seront payés aux prix courants du terrain de même valeur. ÉDUCATION PUBLIQUE. Art. 8. Dans le moment où la France va se régénérer, où sa constitution, jusqu’à présent flottante, va prendre une forme régulière et stable, l’éducation publique est un des objets importants dont puissent s’occuper les Etats généraux ; ils devront insister sur ce que le droit public fasse, après la religion, la base de toutes les études. HOPITAUX. Art. 9. 1° On pense que la meilleure forme à donner aux hôpitaux, serait de les multiplier en petits établissements, de manière que chacun d’eux ne s’étendît que dans un district d’environ sept à huit lieues de circonférence, et qu’on calculât par un lit par deux cents individus, qui formeraient la population du district; bien entendu que chaque malade serait seul dans un lit. On pourrait employer à la formation de ces établissements les bénéfices simples, et quelques abbayes et couvents que l’on a l’intention de détruire. 2° Quant aux pauvres valides, il serait à désirer que les paroisses et communautés fussent, ainsi qu’en Suisse, chargés de leur nourriture et entretien, en leur faisant faire un travail modéré, qui tournerait à l’avantage de la communauté. 3° Les députés aux Etats généraux s’occuperont des moyens de détruire la mendicité. BATARDS. Art. 10. Il serait à désirer que les Etats généraux s’occupassent, de concert avec le Roi, de la rédaction d’une loi qui assurerait à jamais l’état et la subsistance des bâtards ; la fameuse loi d’Henri II qui prononce la punition corporelle la plus sévère, dans le cas où périt sans déclaration préalable devant les juges le fruit des nœuds illégitimes, est digne des temps les plus barbares; elle établit la cruelle alternative de la punition ou du déshonneur, et force souvent les malheureuses victimes de la séduction ou des passions, à devenir criminelles dans la crainte d’être découvertes. Les Etats généraux devraient détruire irrévocablement cette loi, pour lui en substituer une autre, qui, d’accord avec le bon ordre, ne blessât plus l’humanité. NOBLESSE ET MILITAIRE. Art. il. 1° La noblesse des bailliages de Touraine, convaincue qu’il ne peut exister de monarchie sans noblesse, charge ses députés aux Etats généraux, et leur enjoint sur leur honneur de demander qu’il soit stipulé que l’ordre de la noblesse ne puisse cesser d’exister de la même manière qu’elle a toujours existé, avec la même représentation qu’il a toujours eue jusqu’à présent aux Etats généraux; qu’il conserve tous ses privilèges personnels et honorifiques, et notamment celui de son admission exclusive aux emplois militaires. Elle les charge pareillement de demander que désormais aucune charge vénale ne donne ni les privilèges de la noblesse, ni la noblesse héréditaire, et que cette distinction ne puisse être accordée que pour de longs et utiles services rendus à l’Etat, et constatés par le suffrage des provinces ou des assemblées nationales ; seraient exceptées de cette loi les places militaires, qui ont jusqu’à présent donné la noblesse transmissible. Les titulaires des charges et offices qui procurent la noblesse devront jouir de tous les privilèges qu’ils ont achetés de bonne foi, et les transmettre à leurs descendants. 2° Les Etats généraux prendront en considération s’il ne serait pas utile d’accorder une marque distinctive à toute la noblesse des deux sexes du royaume, comme un moyen de décence et d’économie. 3° Il serait à désirer que les Etats généraux prissent en considération, de concert avec le Roi, tout ce qui a rapport aux lois militaires, qui, dorénavant faites par le monarque, devront être consenties et sanctionnées par la nation. 4° Qu’ils examinassent quelle peut être l’utilité des troupes étrangères, s’il ne serait pas nécessaire d’en restreindre le nombre, vu la population du royaume, la dépense qu’elles occasionnent, et le peu d’intérêt qu’elles doivent prendre à la chose publique. 5° Les milices devant être considérées comme les troupes vraiment nationales, on devra s’occuper de leur donner une forme stable, qui remplisse le double objet de fournir à l’Etat ses meilleurs défenseurs, et de ne pas trop nuire aux campagnes, en leur enlevant des bras nécessaires. 6° Le soldat ne devra plus être asservi à une discipline avilissante, et contraire à l’esprit de la nation. 7° Il serait à désirer que les officiers montassent aux grades par l’ancienneté, sans cependant diminuer l’émulation, et que les lieutenants colonels parvinssent au grade d’officier général au même temps de service que les colonels. 8° Il serait à désirer que les gouvernements et commandements des provinces ne fussent confiés qu’à des nationaux, et que le nombre de ces grandes places fût diminué ; que les titulaires de celles qui seront conservées passassent un temps fixe dans les provinces, et que les grades militaires ne fussent plus accumulés sur la même tête. 9° Les droits accordés jusqu’ici aux commandants des provinces, par les grandes patentes, devront être restreints!de manière qu’ils ne puissent porter atteinte à la liberté et tranquillité des citoyens. L’ordre de la noblesse des bailliages de Touraine charge aussi ses députés aux Etats généraux de solliciter que la plus parfaite égalité soit établie entre tous les corps militaires de France. 10° Il est inutile de rappeler ici aux Etats généraux que le royaume de France étant une puissance militaire et commerçante, il est de la plus urgente nécessité d’entretenir une 44 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Province de Touraine.] marine nombreuse et florissante qui défende le commerce en temps de guerre, et le protège en temps de paix. Ils devront s’occuper en conséquence d’assigner au Roi des fonds qui lui permettent d’entretenir une marine respectable, pour assurer à nos flottes marchandes une navigation libre dans toutes les parties du monde. 11° Tous les règlements et ordonnances sur le fait de la marine devront être sanctionnés et consentis par la nation. CLERGÉ. Art. 12. 1» 11 serait à désirer que les Etats généraux s’occupassent des moyens d’établir dans le clergé les réformes propres à rappeler l’ordre et la régularité dans toutes les classes de la hiérarchie ecclésiastique, considérée seulement comme faisant partie du corps politique. 2° Qu’ils se concertassent avec le Roi pour la destruction du Concordat, desannates, des bulles, des dispenses, et de toutes les formalités qui font passer de l’argent de France à la cour de Rome. Cette demande a été formée plusieurs fois; même par le clergé ; on peut consulter les actes de ses assemblées. Qu’ils demandassent que le produit de toutes ces formalités fut versé dans la caisse des Etats provinciaux, dont serait tenu registre séparé, pour lesdits. fonds être employés à la reconstruction et réparation des presbytères, et le surplus à l’accroissement et entretien des hôpitaux. 3° Qu’ils se concertassent pareillement avec le Roi pour établir de nouvelles formes, relativement à la nomination des bénéfices. 4° Qu’ils s’occupassent avec grand soin d’améliorer le sort des curés ; il serait à désirer que les portions congrues, au lieu d’être payées en argent, le fussent en denrées, qui ne diminuent jamais de quantité, tandis que l’argent perd journellement de sa valeur. 5° Qu’en fixant le sort des curés ils détruisissent à jamais toute espèce de rétribution, connue sous le nom de casuel, comme indigne de la majesté de la religion et du sacerdoce; en fixant ainsi le sort des vicaires, on leur défendrait la quête, sous quelque prétexte que ce soit. 6° 11 serait à désirer qu’on s’occupât de la réforme de l’ordre monastique ; qu’on diminuât le nombre des couvents, et qu’ils fussent tous soumis à l’évêque diocésain. 7° Que les ordonnances du royaume, concernant l’entretien et réparation des bénéfices, devront être exécutées ; mais la surveillance pourrait eu être confiée au clergé de chaque diocèse intéressé à la conservation de la propriété ; en conséquence, le syndic du clergé de chaque diocèse, promoteur, ou autre ecclésiastique nommé à cet effet, serait chargé de veiller au maintien des ordonnances, et à Ja réparation et entretien de chaque bénéfice ; il dénoncerait au ministère public ceux des bénéficiers qui négligeraient les réparations, et les procureurs du Roi les poursuivraient par les voies de droit ; le clergé de chaque diocèse serait chargé de celles qui seraient à faire au décès des titulaires, sans autre recours que sur le mobilier du bénéficier décédé ; et, par suite de cette loi, l’administration générale des économats serait entièrement supprimée. 8° Les baux des biens ecclésiastiques devront être faits par adjudication devant les juges des lieux, et, à ce moyen, la durée des baux ne serait plus dépendante de la vie d’un titulaire; ce qui nuit au progrès de l’agriculture, ruine les fermiers par les pots-de-vin qu’ils donnent, et, par l’abus des contre-lettres , privent les campagnes du montant des impositions, qui doivent être proportionnées au prix des baux. La portion de la dette du clergé qui a été contractée pour le soulagement de l’Etat, auquel il a prêté son crédit, devra être calculée sur représentation de titres, et jointe, en capitaux et intérêts, à celle de l’Etat. La portion au contraire de la même dette, contractée successivement par le clergé pour acquitter par voie d’emprunt . les dons gratuits, ou impôts qui auraient du être acquittés par les titulaires lors existants, devra être distraite de la première masse ci-dessus, et répartie par le clergé sur tous ses membres, tant en capitaux qu’in-térêts, sans aucunes diminuitons des charges de l’Etat, qu’ils supporteront dans une portion égale à celle des autres citoyens. La noblesse du bailliage de Châtillon, régie par la coutume de Touraine, faisant partie du bailliage et gouvernement de cette province, demande à être tirée de la province du Berri, pour être annexée et réunie à celle de Touraine. Après avoir prescrit à ses députés toutes les bases de la constitution, après leur avoir donné des institutions sur les objets qui intéressent la totalité de la province, la noblesse des bailliages de Touraine, persuadée que tous les individus qui la composent, animés par l’esprit public, n’envisagent que le bien général, aime à croire que ceux d’entre elles qui seront nommés pour être ses représentants aux Etats généraux, s’y conduiront avec la loyauté, la franchise et les sentiments d’honneur qui ont toujours caractérisé la noblesse française ; ce sera par la patience et la fermeté que les députés emploiront pour faire accepter les demandes insérées dans le cahier, qu’ils répondront à la confiance de leurs commettants, et qu’ils mériteront la connaissance et l’estime de leurs compatriotes, et de toute la province de Touraine. PROCÈS-VERBAL. Des séances de la noblesse du bailliage de Touraine, assemblée à Tours le 16 mars 1789, en exécution des ordres du Roi , pour la convocation des Etats généraux du royaume. Aujourd'hui 17 mars 1789, en conséquence des ordres du Roi, portés par la lettre de Sa Majesté, donnée à Versailles le 24 janvier dernier, pour la convocation des Etats généraux du royaume en cette même ville de Versailles, le 27' avril prochain, de laquelle lettre, ainsi que du règlement y annexé, et arrêté par Sa Majesté en son conseil le même jour, lecture a été donnée à l’assemblée générale des trois ordres, dont l’ouverture a été faite hier 16 de ce mois, par M. le lieutenant général du bailliage de Touraine, les membres de la noblesse de ce bailliage se sont réunis dans la salle de l’hôtel commun de la ville de Tours, indiquée pour le lieu de leurs séances, dans les personnes de messire François-Michel-Àntoine de Rancher, marquis de la Ferrière, chevalier-commandeur de l’ordre de Saint-Lazare, président par ancienneté, et de Messieurs ci-après nommés. M. le président, après avoir témoigné à Rassemblée la satisfaction de se trouver au milieu d’elle, a proposé, attendu l’absence de M. le grand bailli de Touraine, de procéder, conformément à l’article 41’ du susdit règlement, à