113 novembre 1790.] 4Ô4 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. par le directoire du district de Saint-Quentin au conseil d’administration, le conseil d’administration du département de l’Aisne a pris l’arrêté suivant : « L’administration du département de l’Aisne, considérant que l’arrêt du 14 septembre dernier a pour objet d’éluder le décret de l’Assemblée et d’envahir une partie des sommes provenant de quatre prébendes vacantes du chapitre de Saint-Quentin, mises en séquestre, arrête : 1° qu'elle approuve et confirme les délibérations du directoire de Saint-Quentin ; 2° que les faits mentionnés au rapport seront par elle dénoncés à l’Assemblée nationale ; 3° que les rapports et les ' pièces seront envoyés à M.Camus.dont ledéparte-ment connaît le zèle et le patriotisme; que ce • député sera prié de mettre sous les yeux de l’Assemblée nationale les faits ci-dessus, et de lui proposer de décréter que la somme de 23,000 livres, formant le tiers de la soumission de la contribution patriotique du chapitre de Saiat-Quentin, sera payée par le séquestre aux collecteurs du district de Saint-Quentin. » M. Guignard, qui a signé l’arrêt du conseil, a écrit au président de l’Assemblée nationale pour en justifier les dispositions. Il prétend que l’arrêt n’a pas été rendu de propre mouvement, mais sur l’opposition d’un créancier du chapitre de Saint-Quentin, dont le’conseil autorisait les poursuites contre le séquestre. D’après cet exposé, le comité vous propose le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale décrète : « 1° Que l’arrêt du conseil du 14 septembre dernier sera regardé comme non avenu; « 2° Qu’elle approuve la conduite du département de l’Aisne et du directoire du district de Saint-Quentin ; « 3° Qu’elle l’autorise à faire exécuter la disposition de son arrêté concernant la contribution patriotique du chapitre de Saint-Quentin sur le séquestre des prébendes vacantes. -> M. Martineau. L’usage que le comité veut faire des sommes séquestrées provenant de la vacance des prébendes du chapitre de Saint-Quentin n’est pas plus légitime que celui que l’arrêt du conseil avait autorisé. Les sommes séquestrées sont la propriété de la nation; elles ne doivent donc servir ni au payement des créanciers des chanoines, comme le porte l’arrêt, ni à celui de leur contribution patriotique, comme vous le propose votre comité. Je conclus à ce que les sommes séquestrées soient remises dans la caisse de l’extraordinaire. M. Goupil. Je demande que M. Guignard soit mandé à la barre pour rendre compte des motifs qui ont dicté l’arrêt du conseil du 14 septembre dernier. M. Muguet. Je ne pense pas qu’il faille mander à la barre des gens flétris par l’opinion publique. M. de Clermont-Tonnerre. Je demande que M. Muguet soit rappelé à l’ordre. M. Muguet. Les plus zélés défenseurs des ministres ont dit, dans cette Assemblée, qu’ils les mésestimaient. M. de Clermont-Tonnerre. Que l’on veuille se rappeler que nous ne sommes pas solidaires les uns pour les autres ; c’est dans une faction où tous sont du même avis. Ce qu’a dit M. de Caza-lès, lorsqu’il a été question de déclarer au roi que les ministres avaient perdu la confiance publique, n’était pas mon avis ; je suis ici, là, partout où je crois la raison. M. Muguet. Les ministres ont méconnu vos décrets; si vous ne les forcez pas à les respecter, il est inutile de les rendre. Je demande que cette nouvelle infraction soit dénoncée au roi. M. Goupil. Le sieur Guignard, secrétaire d’Etat, a contrevenu à la loi. Quoique le décret n’ait reçu la sanction que dix mois après que vous l’avez porté, par la faute du sieur Champion, garde des sceaux, il a néanmoins été sanctionné avant l’arrêt du conseil. Les ministres répondent de l’inexécution des lois. En conséquence, je demande de nouveau que le sieur Guignard soit mandé à la barre pour y rendre compte de sa conduite. M. de Clermont-Tonnerre. J’appuie la motion qui vous est faite, parce que l’accusation appelle l’accusation ; mais je m’élève énergiquement contre ceux qui se croient le droit, selon leurs caprices, de dicter des arrêts et d’être les organes de l’opinion publique. (La motion de M. Goupil est repoussée par la question préalable.) La motion de M. Martineau est décrétée en ces termes : « L’Assemblée nationale, après avoir ouï le rapport de son comité ecclésiastique sur un arrêt du conseil, dit du propre mouvement , rendu en faveur du sieur Vulpian, le 14 septembre dernier, décrète que ledit arrêt, comme contraire aux décrets de l’Assemblée nationale, sera et demeurera comme non avenu. L’Assemblée nationale approuve la conduite du directoire du district de Saint-Quentin et celle du directoire du département de l’Aisne, dont l’arrêté est conforme aux principes consacrés par les décrets de l’Assemblée nationale, sanctionnés par le roi : approuve aussi la conduite des dépositaires séquestres des revenus des prébendes vacantes dudit chapitre, pour la résistance qu’ils ont opposée aux significations et sommations à eux faites en vertu de l’arrêt du conseil 14 septembre dernier. Et à l’égard de toutes les sommes qui sont déposées entre les mains desdits séquestres, et qui procèdent desdites prébendes vacantes dans le chapitre de Saint-Quentin, elles seront versées par eux directement dans la caisse de l’extraordinaire. » M. le Président. L’ordre du jour appelle l’ouverture de la discussion sur l'impôt du tabac (1). M. l’abbé Charrier. Vous avez supprimé la gabelle; il a fallu la conviction des maux qu’elle a produits pour vous déterminer, malgré nos besoins extrêmes, à renoncer au bénéfice annuel d’une somme de 30 millions. Mais vous résoudrez-vous à renoncer d’un trait de plume à la recette de plus de 30 millions que donne à l’Etat l’impôt sur le tabac, susceptible même d’augmentation? La vente exclusive du tabac est un impôt indirect; il vous en faut de cette nature ; vous n’a-(1) Voy . le rapport de M. Rœderer, séance du 13 septembre 1790, Archives parlementaires, tome XVIII, page 729. [13 novembre 1790.J [Assemblée nationale.] vez pas encore ttxé les rapports qu’ils doivent avoir avec la quotité de l’impôt direct. Je ne crains pas d’avancer , quelque hérésie que je puisse professer sur cette matière en offensant des oreilles économiques, que ces impôts sont en général préférables, pareequ’ilsoffrentmoinsd’inconvénients que les autres. Les impôts qui se perçoivent indirectement sur les consommations doivent être pour la moitié et même pour les trois cinquièmes des contributions que le citoyen doit à la patrie. Cette vérité devient sensible lorsque l'impôt indi-rect porte sur des objets de luxe et point sur ceux de nécessité. Les revenus publics dans un grand Empire, ne peuvent pas être tous assis sur des impôts directs, sans écraser les propriétaires de fonds, tandis que les plus riches capitalistes seraient à l’abri des contributions publiques. Les charges immenses qui pèsent actuellement sur le peuple ne peuvent plus être augmentées sans décourager le commerce, sans ruiner l’agriculture. D’après des calculs certains, le produit du territoire de toute la France, combiné avec la population, ne peut suffire à la subsistance de ses habitants; il faut donc que le travail et l’industrie y suppléent. On se plaint depuis longtemps que le commerce et ses profits, les spéculations du capitaliste, ne peuvent être frappés de l’impôt direct; il faut donc quedes impôts desupplément qui se perçoivent sur les consommations et sur les objetsde moindre nécessité... Les impositions indirectes sont, dans la réalité, plus douces par leur nature et moins incertaines dans leur régime, et d'une perception plus facile, au lieu que l'impôt direct, ou personnel ou territorial, est presque toujours assez arbitrairement et rigoureusement exigé, tandis que l’indirect est approprié à la fortune des contribuables, qui ne consomment que d’après leurs moyens. Un exemple éclaircira cette théorie. Prenons un ouvrier de Paris qui gagne 40 à 50 sous par jour; il payera sans s’en apercevoir et sans murmurer, sur sa consommation, plus de 60 livres, tandis qu’une simple capitation de 24 livres le révoltera; il est même probable qu’il sera hors d’état de l’acquitter. — Appliquons ces principes à l’impôt du tabac. Cette denrée n’est point nécessaire aux besoins delà vie... C’est donc un impôt volontaire. S’il n’était pas établi, il faudrait le créer, et dans nos besoins actuels cette création serait un véritable bienfait. Une compagnie intelligente et fidèle se livre avec succès à tous les détails d’une administration parfaitement montée pour le faire valoir; pourquoi nous priverions-nous de cet avantage? L’intérêt même du consommateur sollicite la vente exclusive du tabac. Si elle devient libre, il sera corrompu, mal fabriqué et nuisible à la santé, comme nous l’avons déjà éprouvé par le débit des sels les plus pernicieux depuis la suppression de la gabelle, et dont le pauvre peuple, sous l’appât du bon marché, sera la première et la perpétuelle victime. — Un des avantages du tabac soumis à une vente exclusive, c’est la facilité d’en diminuer le prix et d’en augmenter le produit. — Je sais que l’Alsace et les provinces belges sont attachées à cette culture, et que, pour ne pas indisposer les provinces frontières contre la Révolution, on doit craindre de les assujettir à un impôt qu’elles ne connaissent pas, sur une denrée affranchie chez elles de tous droits; mais si le sol entier de la France est couvert de tabac, quel usage feront-elles du leur? Elles ne peuvent pas réclamer un privilège quand vous les avez tous proscrits. Perdront-elles quelque chose à ce sacrifice ? Les meilleures terres y sont employées à la cul-405 ture du tabac; elle porteront du blé: l’échange estavantageux. Faut-il mécontenter les autres provinces pour ne pas en indisposer un petit nombre, qui s’en dédommageront d’ailleurs par les avantages de notre nouvelle Constitution? Elles ont donné l’exemple du civisme le pluséclatant dans toutes les occasions ;leurs députés nous enassurent; cesseraient-elles d’y correspondre quand elles croiraient leur intérêt personnel compromis ?... Mais ce qui doit surtout réunir tous nos vœux par la conservation du tabac, c’est l’insuffisance des moyens du comité pour le remplacer. D’abord le calcul qu’il vous présente donne un résultat inférieur au prix actuel de la ferme du tabac, perte qu’il faudra réparer par une nouvelle taxe certainement plusonéreuse au peuple. Enfincequi me touche sensiblement est la révolution qui s’opérerait par la culture du tabac sur le sol de toute la France. Plusieurs moissons fertiles n’ont point empêché que le blé n’ait été rare presque partout. Si l’enthousiasme ou la cupidité couvre de tabac nos terres, s’il remplace le blé, où trouverons-nous du pain pour nourrir le peuple, surtout dans les années infertiles et malheureuses! Prévenons ce fléau, et n’apprenons pas par des fautes de cette importance, à devenir sages à nos dépens. La liberté ne consiste pas à faire ce que l’on veut et à faire fructifier son champ à sa volonté, mais à ne pas faire ce qui nuit à autrui et à ne pas autoriser ce qui nuit à la chose publique. La loi qui prohibe la culture du tabac pour favoriser celle du blé doit être mise dans la classe des lois bienfaisantes; les changements qu’on vous propose introduiraient des malheurs et des abus intolérables; le Trésor public y éprouverait un dommage impossible à réparer sans fouler le peuple déjà trop accablé sous le poids des impôts. Une observation importante, et qui semble décider la question, c’est que la destruction de la ferme du tabac rendraitimpossible le reculement des barrières intérieures pour la perception des droits de traite à la frontière du royaume, que vous avez décrété. Vous manquerez votre but, et j’ose vous prédire que, si l’impôt du tabac ne marche pas de front avec celui des traites, que vous êtes obligé de conserver, cette dernière ressource, qui exige une armée de commis pour former la ceinture de toute la France, ne suffira pas peut-être à payer les frais de cette disposition solitaire, tandis que vous pourrez, par une économie sûre, vous les rendre communs à la vente exclusive du tabac, en employant les mêmes gardes pour les deux opérations. Si, au contraire, vous conservez l’une en sacrifiant l’autre , je forme des vœux pour qu’il n’en coûte rien à l’Etat; mais à coup sûr vous n’en tirerez aucun secours, et vous vous souviendrez à regret de ma prédiction ; d’où je conclus qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur le projet de décret qui vous est proposé pour la destruction de la ferme et la vente exclusive du tabac. Il faut ordonner, au contraire, qu’elle continue d’avoir lieu comme par le passé, jusqu’à ce que nous soyons arrivés à des temps assez Heureux pour nous affranchir de cet impôt, nécessaire aux charges de l’Etat, et qu’il sera nommé des commissaires pour, avec ceux qui seront choisis par la compagnie des fermiers généraux, travailler à la confection d’un règlement d’exécution pour en rendre la perception plus douce et l’étendre par tout le royaume. M. de Co uï mi ers, abbé d’Abbeeonrt, L'on ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 40# [Assemblée nationale.]1 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 novembre 1790.} a’diït dans cette Assemblée que sur neuf personnes it n’y en avait pas plus d’une qui prît du tabac ; il ne peut pas être juste d’imposer huit personnes pour un seul consommateur... Les échanges du commerce du tabac avec FA-Btérique septentrionale produisent annuellement à' la France 4 millions. Si vous abandonnez ce commerce, vous perdrez le fruit de votre dernière guerre. L’anéantissement de 8 millions crachats porterait en effet un coup trop sensible à votre alliée pour ne pas la détacher de vos intérêts... Permettez-moi de vous citer un passage de Jefferson, célèbre écrivain anglais: « La culture' du tabac, dit-il, est toujours ruineuse pour Hne nation ; elle dessèche les terres, ruine l’agriculture. » Je demande donc : 1° un ajournement indéfini de la question; 2° que la législature prochaine s’occupe du remplacement de 30 millions provenant de l’impôt du tabac, d’après les résultats des comités des finances, d’agriculture et des impositions; 3° que jusqu’à ce mpment cet impôt soit conservé, et que les administrations de départements soient spécialement chargées d’en protéger la perception ; 4° que les provinces qui ont eu jusqu’ici la liberté de la culture continuent d’en jouir, à moins que leur patriotisme ne leur en dicte le sacrifice. Je crois qu’il y aurait un moyen de diminuer dans ces provinces la culture du tabac d’un sixième à peu près par année : ce serait d’en défendre l'exportation chez l’étranger, et d’en fixer le prix. M. d’Estonrmel , député du Cambrésis (1). Messieurs, député d’une province réunie au royaume postérieurement à la déclaration rendue par Louis XIV, sur le tabac, il est de mon devoir de chercher à allier le droit dont elle jouit avec la nécessité de maintenir une branche d’imposition qui est une grande ressource pour l’Empire. Le projet de décret qui est soumis à notre délibération tend à donner à la culture du tabac une étendue telle que tous les départements puissent également en jouir ; la liberté de la culture du tabac, qu’ont actuellement plusieurs provinces, n’est point un privilège, mais une faculté qui ne p mi leur être enlevée, puisque, en principe, il doit être aussi libre de cultiver une plante de tabac que toute autre production de la glèbe. L’impôt du tabac a été justement appelé la plus heureuse des inventions fiscales. C’est le contribuable lui-même qui va, en quelque sorte, au-devant de cet impôt; il règle à son gré la proportion dans laquelle il le supporte, et un produit annuel de trente millions est fondé sur un besoin créé par le caprice. Lorsque l'usage du tabac commença à s’introduire en France on s’occupa des moyens d’y rendre cette plante indigène; les premiers essais forent faits vers 1661, ils eurent partout des succès, et particulièrement dans les provinces méridionales; mais la prévoyance fiscale s’alarma bientôt des facilités que cette culture pouvait offrir à la fraude; on pensa que le seul moyen de prévenir les abus était d’interdire les plantations de tabac; cette branche d’agriculture fut proscrite, parles lois les plus sévères, dans toutes les provinces soumises au privilège exclusif : la déclaration de 1674, titre primitif de la vente exclusive, n’en excepta que les provinces d’Alsace, de (1) L’opinion de M. d’Estourmel est incomplète au Moniteur. Franché-Gomfé, du Hainaut, d’Artois et de Flandre. Par l’effet de cette prohibition, la France a appelé les nations étrangères, qui lui vendent des tabacs, au partage d’un impôt dont elle pouvait peut-être retirer seule tout le fruit. Depuis vingt ans cet inconvénient politique a frappé plusieurs administrateurs éclairés. La question a été de nouveau discutée; mais l’autorité du lise a prévalu, et l’on a craint de sacrifier un produit assuré à l’espérance d’une amélioration incertaine. Cependant, il faut en convenir, l’avantage de rendre à la seule culture qui paraisse leur être propre, plusieurs cantons, aujourd’hui presque stériles, de la Guyenne, du Béarn et de la Provence ; le grand intérêt que nous aurions à nous exempter du tribut en argent que nous payons aux nations voisines; l’exemple de la Prusse, où la vente du tabac a été, comme en France, soumise à un privilège exclusif et ou l’on ne consomme en général que des tabacs naiionaux, d’une qualité fort inférieure à celle que nous promet notre sol, le meilleur ordre qu’apporterait; dans la comptabilité de celte partie, l’uniformité des prix d’achat qui ne seraient plus subordonnés, à l’avidité d’un pourvoyeur étranger, ni aux mouvements politiques, ces motifs, dont l’importance méritait au moins d’être approfondie, sont peut-être d’un assez grand poids pour balancer les objections que le monopole privilégié, dominé par sa routine, renfermé dans le cercle étroit du calcul de ses profits, a pu élever contre le rétablissement de la culture des tabacs. Des considérations d’un ordre supérieur ont pu, sans doute, écarter cette idée. Lorsque la révolution survenue dans le nord de l’Amérique eut affranchi ses habitants du joug de l’Angleterre, on pouvait se livrer à l’espérance d’attacher à la France, par les liens du besoin, une république naissante qui lui devait eu partie sa liberté. On projetait un traité de commerce avec elle; elle ne pouvait nous donner, en retour de nos vins, de nos eaux-de-vie, de nos étoffes, que du riz, des bois de construction, surtout des tabacs; et, sur ce dernier objet, la balance des échanges ne pouvait que nous être favorable, puisque nous ne devions payer qu’en productions de notre sol ou de noire industrie, un approvisionnement que la ferme générale u’avait jusqu’alors soldé qu’en argent. Mais l’événement a déconcerté nos calculs; les Américains ont hasardé, par reconnai sance ou par nécessité, quelques expéditions en Normandie et en Bretagne, dans le cours de la dernière guerre; ils ont été trompés par nos manuf icturiers, et ils en conservent encore le souveuir (1). Les Anglais, que nous croyions éloignés d’eux pour toujours, reparaissent depuis plusieurs années dans leurs ports avec cette supériorité qu’ils ont acquise dans presque tous les marchés du monde. On a multiplié les encouragements pour ceux des négociants français qui iraient chercher en Amérique une portion des tabacs nécessaires à notre consommation ; et c’est dans les magasins d’Angleterre que presque tous ont pris leurs cargaisons. Les Américains nous ont fait quelques envois (1) Eii 1788, le résultat de nos importations dans l’Amérique septentrionale, a été de 500,000 livres, les Américains en ont renvoyé dans1 nos ports les 2/5 comme ne méritant pas d’entrer dans leur consommation. 407 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 novembre 1790.] directs; mais en général, ils n’ont voulu en recevoir le prix qu’en lettres de change sur Londres, et c’est là qu’ils sont allés chercher leurs chargements de retour. D’un autre côté (et cette-observation est très importante), il paraît que si sous son ancien régime, l’Amérique septentrionale a soumis son sol aux spéculations despotiques de la métropole, devenue libre au jourd'hui, elle se dégoûte d'abandonner son territoire le plus fertile h la culture du tabac; déjà plusieurs propriétaires de la Virginie et du Maryland ont substitué à cette culture celle des blés, des chanvres, etc., et leur exemple acquerra d’autant plus de poids par l’expérience, que l’approvisionnement,, même interlope des colonies voisines, en grains et en denrées de première nécessité, offre bien plus de ressources-aux Américains du Nord, des retours plus prompts, des recouvrements plus faciles, des échanges plus avantageux, que la vente qu’ils peuvent faire de-leurs tabacs à l’Angleterre ou à fa France. Si l’on se fixe ensuite sur la masse énorme du numéraire qu’enlèvent annuellement à la France les achats de tabacs ; sur l’accroissement inévitable du prix de cette plante et du tribut en argent que nous payons aux étrangers qui nous la vendent ; sur les effets d’un commerce aussi inégal : je dis plus, aussi humiliant pour notre industrie, on se persuadera aisément qu’on ne peut, sans exposer cette portion importante des propriétés nationales, à des dégradations successives, maintenir le système actuel de son administration. Il est temps que l’expérience nous donne enfin des leçons utiles, et nous avons acheté assez cher l’instruction tardive que nous pouvons retirer de nos erreurs. Depuis 1774, jusqu’en 1783, la moyenne proportionnelle du produit brut du tabac présente un résultat annuel de 43 millions. Considérons quel a été, pendant le même espace de temps, le-montant de la dépense des achats eu y comprenant celle de la fabrication. Ces frais, qui, pendant, l’année 1775, n’avaient été que die — . ....... ...... . . . 5,282,264 üv. ©ut été portés : En 1776 à ........... ............ 7.640,680 1777 à .................. ... 11,284,693 1778 à ...................... 11,759,797 1779 à ..................... 19,884,504 1780 à ..................... 17,529,663 1781 à .................. ... 15,231,168 1782 à .............. . ....... 14,210,030 1783 à ......... ...... ..... 12,934,832 Et ils sont entrés dans le calcul des charges du bail, renouvelé à la ferme générale, au 1er janvier 1787, pour près d e 11 mi liions, c’est-à-dire pour le double de ce qu’ils coûtaient en 1775. Ce n’est point sur la ferme générale qu’on doit faire tomber le reproche de cette augmentation, ui serait incroyable, si elle. n’était établie sûtes pièces authentiques elle a été déterminée par des circonstances impérieuses auxquelles la prévoyance d’une compagnie de finance pouvait 'difficilement atteindre; la guerre rendait à la fois les matières plus rares, les achats plus difficiles, les transports plus coûteux ; peut-être les avances que les fermiers généraux avaient faites au gouvernement, leur avaient-elles ôté la ressource des approvisionnementsanticipés; aurait-on pu, d’ailleurs, exiger d’eux qu’ils se portassent à des sacrifices dont le dédommagement pouvait devenir éventuel, d’après la limitation de leur bail? Mais sans chercher à appeler d’inutiles regrets sur de» pertes irréparables, on ne peut au moins se refuser à une réflexion r c’est que dans le feu de-la guerre, au moment où l*e-Trésor royal avait besoin de toutes ses ressources, en même temps qu’il était privé, par l’accroissement du prix d’achat, d’une portion de celles qu’il devait attendre dm produit de la ferme du tabac, ce surcroît de dépense tournait en grande partie au profit de la nation même que nous avions à combattre, et qui nous vendait, par la médiation de la Hollande, des tabacs qu’elle avait eu la prudence d’accaparer pour nos besoins. Il est heureusement présumable que cette crise ne se renouvellera plus; mais ce qu’on peut prévoir et ce qu’on doit craindre, c’est la rareté et le renchérissement successif des tabacs américains si, comme on est fondé à le croire, liés propriétaires du Maryland et de la Virginie-,. trouvent de l’avantage à en restreindre la culture. Ou pourrait même soupçonner que ce calcul n’était pas échappé à la ferme générale lors du renouvellement du bail actuel, puisqu’elle a exigé que le roi lui assurât une indemnité dans le ca3 où le prix des tabacs d’Amérique excéderait 40 livres par quintal, pendant le cours de ce traité, quoique leur prix moyen, en 1785 et 1786y ne s’élevât qu’à 33 livres. Ainsi, l’administration pourrait, avant peu d’années, se trouver dans l'alternative inquiétante, ou d’éprouver encore une disette de tabacs, ou de les payer aussi cher qu’en 1779 (1) ; peut-éttre, même, être à la fois réduite à ces deux extrémités, en même temps que ses ressources pour l’avenir s’épuiseraient de plus en plus. Si l’on oppose à cette effrayante perspective tous les avantages que semble promettre le rétablissement de' la culture des tabacs en France, notre agriculture, enrichie par la conquête d une nouvelle matière première, la sûreté des approvisionnements, l’emploi utile des terrains aujourd’hui sans valeur, on conviendra sans peine que si l’examen d’une question que les préjugés du fisc avaient jusqu’à présent écartée, est aujourd’hui commandé par l’intérêt public, jamais aussi, circonstance ne fut plus favorable pour s’y livrer. La plantation du tabac s’est maintenue dans plusieurs provinces ; l’Artois, la Flandre, le Hai-naut, le Gambrésis;, l’Alsace, la Franche-Comté'. Le tabac du Palatinat et de l’Ukrdine, dont la Hollande s’est approprié la fabrication, ressemble à peu près à celui de ces provinces; son bas prix peut seul en assurer le débit. — La qualité du tabac de Prusse ne lui est pas supérieure, mais quelque médiocre qu’elle soit, Frédéric II, qui ne séparait jamais l’intérêt de ses revenus de celui de l’agriculture de ses Etats, pensa que L seul moyen de rendre vraiment utile l’impôt dont il voulait frapper cette plante, était d’associer à ses produits le cultivateur regnicole, et il parvint à réaliser le projet si décrié par le lise fcaaçats de concilier la culture avec la vente exclusive. . Le procédé qut’il adopta fut simple : il imposa aux cultivateurs du tabac la loi de livrera. un prix fixe, à ses agents, la dépouille entière; de P urs champs ; il soumit les plantations à une vérification que le mode même de ta culture du talmc reud facile; et par la forme derégie qu’il établit, id mit le propriétaire définitif dans l’impossibilité d’eu détourner la moindre partie, sans s'expose* (1) Plus de 17 millions, déduction faite des frais de fabrication. 4Q8 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 novembre 1790.] à payer les plantes qu'il aurait soustraites, beaucoup plus cher qu’il n’aurait pu les vendre. ■ Si, depuis cette époque, le gouvernement de la Prusse a renoncé au double avantage que présentait ce régime, ob n’en doit rien conclure de défavorable au projet de concilier la culture avec le privilège exclusif de la fabrication et de la vente : d’ailleurs, on peut supposer que ce sacrifice inconsidéré contribue au déficit que présente, dans l’état actuel, l’état des finances de la Prusse. En développant les détails de cette méthode, on prouvera combien elle peut aisément s’appliquer à la France. Mais une circonstance particulière à cet Empire, si comblé de tous les dons de la nature, et qu’on ne prétend pas présenter comme la meilleure preuve du discernement de ses anciens administrateurs, c’est que la culture du tabac n’a élé maintenue et protégée que dans les provinces qui ne pouvaient en produire que d’une qualité inférieure, et que dans celles où sa supériorité, bien constatée par 1 expérience, appelait déjà avec succès la consommation étrangère, on en a détruit et prohibé les plantations avec autant de soins, que tout autre gouvernement en aurait mis à les encourager. Cette spoliation fiscale, dont la tradition a perpétué le souvenir dans les familles des anciens cultivateurs méridionaux, conserve encore aujourd’hui, dans leurs récits, le caractère de ces fléaux destructeurs, qui laissent après eux l’affliction, les regrets et la misère. Et malgré l’avantage avec lequel les préposés de la ferme générale luttent contre l’heureuse disposition du sol, contre l’mtérét des habitants, quelques pieds de tabac y croissent dans des champs semés de maïs qui le dérobe à tous les yeux, et quoique enseveli sous cette plante qui lui dispute le soleil qui doit le mûrir et la sève qui lui est nécessaire, même dans cet état de dégradation, il acquiert une telle supériorité que, sans préparation, il se vend dix fois plus cher que le tabac de Virginie, et que mélangé avec lui, dans la plus faible proportion, il lui communique la saveur la plus recherchée. tes colons, profitant des facilités qu’offrent les circonstances actuelles, commencent à donner un développement plus libre à cette culture,, parce qu’ils prévoient,sans doute, que le système d’expropriation, sous lequel ils ont gémi, ne peut se concilier avec les principes actuels, et ce doit être un motif de plus pour le fisc, de ne plus opposer sa routine étroite à l’intérêt des propriétaires et aux lois du climat. Depuis un an les cantons de Glairac, de Ton-neins, de Turenne, deForcalquier, les pays limitrophes d’Artois et Gambrésis ont été plantés en tabacs. Dans ces déserts incultes que l’on nomme les landes de Bordeaux , les pâtres jettent, sans précaution, quelques grains de tabac sur un sable aride, il y croît, et quoique inférieur à celui de Glairac, il est d’une qualité très estimée. Une nouvelle preuve de la destination privilégiée de ces cantons, à la culture du tabac, se Suise dans les anciens registres des douanes de arseilleet de Cette; lorsque cette culture était permise, il sortait annuellement, par ces ports, une quantité considérable de tabac de Glairac, delà vicomté de Turenne, deForcalquier, pour Livourne et Gênes, d’où il se répandait dans toute l’Italie. Il ne faut pas perdre de vue que cesont les terrains les plus ingrats de ces provinces, les moins propres à la production des grains, qui fournissent le meilleur tabac; que dans les terres fortes de Tonneins, d’Agen, de Marmande, il est fort au-dessous de celui de Glairac, Furcalquier et Turenne. Quant aux provinces du Nord, elles paraissent bien plus particulièrement appelées, par laqualité de leur sol, à la culture d’une autre matière pre-mièrequi n’est pas un approvisionnement de pure fantaisie, et dont la disette, relativement à nos besoins, nous rend annuellement tributaires envers l’étranger, de près de 25 millions delivres : celles des chanvres, des lins, des colzas ei autres graines oléagineuses; mais elles ont, surtout les provinces belges, un motif puissant pour conserver la culture du tabac; c’est que lorsque la rigueur des hivers a fait périr les blés qu’ils ont semés, lorsque l’intempérie des printemps a détruit les colzas substitués aux blés, une troisième culture, celle du tabac, dédommage le colon des avances qu’il a faites en pure perte pour les deux premières. En supposant, comme tout porte à le croire, que l’Amérique diminue successivement sa culture en tabac, il est évident que la France ne pourra remplacer cette matière première, qui, dans l’état actuel, est pour le Trésor public le principe d’un produit annuelde plus de 30 millions de livres, qu’en la rendant indigène, et en l’appropriant aux cantons où, par sa qualité, elle rivalise, avec avantage même, avec le tabac américain. En supposant que, malgré la réunion des preuves qu’on vient d’offrir, une administration sage croie ne devoir se porter qu’avec circonspection et mesure à une grande innovation, que des intérêts politiques exigent que nous maintenions le commerce désavantageux, que nous entretenons avec l’Amérique pour nos approvisionnements de tabac; encore faut-il, pour prévenir le surhaussement progressif des prix d’achats, tâcher d’opposer, du moins aux tabacs américains eux-mêmes, la rivalité des tabacs français qui coûteraient moins cher; encore faut-il, avant de condamner de nouveau les terrains qu’on Vient de désigner comme uniquement propres à cette plante, à une stérilité qui devient presque un larcin public, se convaincre par des essais faits en giand, par des recherches et des expériences impartiales, si l’opinion qui place le tabac de Glairac, par exemple, au-dessus de tous les tabacs connus, n’est pas un préjugé absurde, ou si plutôt, en restituant aux habitants de ces cantons la liberté d’en cultiver, et en acquérant par là une heureuse indépendance dans ses ressources, on ne donnerait pas en même temps le plus grand essor à leur agriculture et à leur commerce ? Il ne reste plus qu’à prouver que la culture du tabac, soumise à des règles faciles à observer et à maintenir, n’est pas incompatible avec le despotisme nécessaire et la sûreté de la vente exclusive, et on tâchera ensuite de démontrer qu’une meilleure administration, une combinaison mieux mesurée de l’impôt du tabac, peut, en augmentant des produits se rapprocher davantage des besoins et des moyens des différents consommateurs. La France, en y comprenant les provinces exemptes de l’impôt, consomme annuellement 27 millions de livres de tabac, réductibles à 18 millions effectifs (1) par le déchet que la fabrication fait subir à cette plante. (1) Ce déchet pourrait devenir beaucoup moindre sur des tabacs qui ne seraient pas exposés à être avariés par les transports maritimes etc., etc. mais pour ae [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 norembre 1790.] 4QQ Elle exige les engrais plus actifs ; mais elle porte avec elle le plus puissant de tous, et celui qui lui convient le mieux, dans le bourgeon même qui croît dans l’intervalle des feuilles, et qu’il est important d’arracher, pour leur donner plus de développement et de force. Le terme moyen de la productibilité de chaque arpent en tabac est d’environ six quintaux. On pense que, pour ne pas nuire aux autres objets de culture, il faudrait restreindre celle du tabac à 45 arpents par paroisse, dans les départements susceptibles d’en produire, en adoptant leur circonscription actuelle. Chaque paroisse, d’après la proportion qu’on vient d’établir, produirait 270 quintaux de tabac. La récolte de mille paroisses fournirait donc la quantité de 270,000 quintaux, ou de 27 millions de livres, qui est la mesure de l’approvisionnement nécessaire à la France. On est dispensé de dire que cette étendue de terre pourrait être restreinte dans les proportions plus ou moins fortes de tabacs étrangers que nous serions dans le cas d’acheter : on veut seulement prouver la possibilité de faire produire à la France tout le tabac qu’elle consomme, sans préjudice pour ses autres cultures, puisque chacune des mille paroisses où il serait récolté n’y contribuerait que pour 270 quintaux et ne consacrerait à celte culture que les portions, aujourd’hui presque infécondes de son territoire (1). Ces mille paroisses seraient pour l’application du régime auquel elles devraient être soumises, partagées en divisions, soumises à des inspecteurs. Le système de la régie d’observation s’établirait sur le mode même de la culture. L’habitant qui voudrait planter du tabac déclarerait l’étendue du terrain qu’il se propose de consacrer à cette culture. Le tabac se sème par couche, et il se plante ensuite au mois de mai. Six semaines après sa transplantation, on l’é-bourgeonne, et on détermine la quantité de feuilles que la plante doit porter, en retranchant celles qui excèdent le nombre utile. Ce nombre est ordinairement de douze, sans y comprendre les quatre feuilles extérieures qui servent d'enveloppe aux autres, et qui peuvent difficilement entrer dans la consommation. Chaque plante n’acquiert l’accroissement et la maturité nécessaires que dans un espace de quatre-vingts à quatre-vingt-dix jours. Pendant son développement, elle exige des soins: il faut surtout en détacher les bourgeons et les faux rejets, et on a déjà dit quel devait être l’emploi de cette superfétation. Tous les pieds sont parallèlement alignés. La qualité du sol et l’extension que les feuilles peuvent y prendre sont la règle de la distance; il rien donner au hasard, il ne faul s’appuyer que suides bases connues. (1) On est également dispensé de dire, que si une longue continuité de terrain, comme une partie des landes de Bordeaux , par exemble, était uniquement propre à la culture des tabacs, on devrait s’écarter de la division roposée. Il -faut 45,000 arpents de terrain pour pro-uire 27,000 pesant de tabac; que les fractions de cette étendue soient plus ou moins fortes, cela est indifférent pour le résultat de la production, et même pour la régie, qui pourra toujours se plier aux besoins et anx convenances du cultivateur. On peut consulter sur cec calculs un citoyen qui s’y est livré, sur les lieux, aves le plus grand intérêt, et qui dans tous les temps, a donné des preuves de son amour pour la chose publique. est évident que l’énumération de tous les pieds de tabac, disposés dans cet ordre de plantation sur un espace donné, n’exige pas une longue combinaison. Pendant tout le temps de la végétation de la plante, le commis, qui a reçu la déclaration du colon, aurait le droit de visiter sa culture. Cette visite peut être fréquente, sans être laborieuse ; elle n’offre rien de pénible au colon lui-même, puisque c’est sous cette condition qu’il cultive. Dans la Flandre wallone, les Etats faisaient percevoir un droit de deux patards, ou deux sous six deniers, par perche, lorsque la plantation n’excédait pas dix perches, et de quinze deniers lorsque la plantation était de plus de six perches, ce qui porte à 6 livres 5 sous le droit sur un arpent. Chaque colon faisait tous les ans, au greffe des Etats, la déclaration du nombre de perches qu’il se proposait d’emblaver en tabac. A l’époque de la récolte, l’inspecteur ferait le recensement des quantités de pieds que chaque cultivateur devrait recueillir. Il en comparerait le résultat à celui des déclarations. Le temps de la récolte arrivé, le planteur, lié par sa déclaration, par le recensement qu’il aurait subi, et surtout par son intérêt, mettrait les pieds de tabac en état d’être livrés au magasin national. — Pour y parvenir, après avoir fait sécher les feuilles, il les diviserait par exemple en paquets, composés chacun de trois douzaines de feuilles entières. Les paquets seraient vérifiés; cette vérification n’exigerait qu’un procédé simple qui consisterait à prendre au hasard dans le lot du même planteur quelques paquets : s’ils se trouvaient complets, la présomption sufliraitpour le reste. Il existerait des moyens de s’assurer que le colon aurait fidèlement livré la dépouille entière de son champ. Il sera aisé d’en donner les détails ; mais ils appartiennent particulièrement au plan de régie relatif à la nouvelle administration de l’impôt national du tabac, qu’il serait nécessaire dVtablir, et ce plan est préparé dans toutes les parties; il réunirait toutes les mesures propres à prévenir les versements frauduleux qui pourraient être faits par les cultivateurs, à empêcher que la culture du tabac ne prît, par l’attrait du gain, un accroissement démesuré et nuisible aux autres productions utiles et à intéresser tous les corps administratifs, et les municipalités en particulier, à protéger et à défendre, dans le nouvel impôt, la fortune publique, dont il fera partie. L’exécution de ce plan a été proposée pour la province de Guyenne, par i VI. Dupré de Saiut-Maur, lorsqu’il l'administrait. On doit présenter l’aperçu des dépenses qu’il occasionnerait. Celle de la régie observatrice s’élèverait environ à 368,000 livres. 11 faut y ajouter : 1° les frais d’achat, de 27,000,000 de livres de tabac, à 6 sous la livre, qui forment un objet de 8,100,000 livres ; 2° les frais de fabrication et de distribution dans le royaume. Les premiers coûtent, dans l’état actuel 2,500,000 livres. On porte au même niveau les secondes, d’après les nouveaux soins qu’exigera la vente partielle du tabac; et ces deux objets réunis s’élèveront à 5 millions. Ges trois résultats portent le total des dépenses intérieures de la régie du tabac à ,13,868,000 livres. Il faut maintenant examiner quels seront les 410 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 novembre 1790. [ produits présumables de l’impôt du tabac dans sa nouvelle organisation. On ne doit pas craindre de diminution dans la consommation de cette poudre : elle ne pourra que s’accroître, si la régie sait se plier au g oûl et aux moyens du consommateur. Le seul reproche qu’on ait peut-être pu faire jusqu’à présent à l’impôt du tabac, est d’avoir pesé dans une proportion plus forte sur l’indigent, qui s’approvisionne en petite quantité, que sur le consommateur riGhe qui échappe au profit que le distributeur fait sur les fractions. Le système d’homogénéité parfaite qu’on a voulu établir dans la fabrication de toute espèce de tabacs, est une recherche de perfection chimérique. Il faut varier la qualité des tabacs, suivant la variété du goût des consommateurs : il faut en varier les prix, suivant la, disposition de leurs moyens respectifs. On propose d’établir trois prix différents : le premier à 40 sous la livre ; le deuxième à 4 livres ; le troisième à 8- livres (1). On a dit que les vingt-sept millions de matières brutes devaient se réduire à 18 millions de mi-tières fabriquées pour l’approvisionnement de tout le royaume, sans excepter les provinces franches. Le gouvernement en fabriquerait, an prix de quarante sous, 10 millions de livres, qui produiraient 20 millions. Au prix de 4 livres, 6 millions de livres, qui produiraient 24 millions. Au prix de 8 livres, 2 millions de livres, qui produiraient 16 millions. Et le résultat brut de la vente du tabac serait, dans ce nouveau système de 60 raillions. Une dernière précaution serait indispensable; elle consisterait à faire râper tout le tabac da ns les ateliers nationaux, et à le diviser eu livres, dont chacune serait enfermée dans une boîte de plomb très légère, et qu’une invention fort simple mettrait à l’abri de toute contrefaçon. On doit prévenir qu’il ne faut pas conclure, de ce que la masse des frais de garde, d’achat, de fabrication, de distribution, ne s’élèvent, d’après les précédents calculs, qu’à la somme de 13,868,000 livres, sur 60 millions de produits bruts, que les 46,132,000 livres forment un produit net absolu. Il faudra déduire de cette somme la contribution de la régie du tabac aux frais de la garde de la frontière, sur une étendue de neuf cents heues de côtes que déploie la France ; cette nouvelle dépense devra être partagée entre la régie des droits d’entrée et de sortie sur le commerce, et la régie du tabac, puisqu’elles auront un intérêt égal, l’une à repousser les marchandises prohibées, ou celles qu’on voudrait introduire en fraude ; l’autre, à écarter le tabac étranger, malgré le moindre attrait qu’aurait la contrebande, par la dépression du prix des tabacs français de dernière qualité. On estime que les, frais de garde des frontières, Êour la portion contributive de la régie du ta-ac, pourront s’élever à 3 millions de Livres.. On ajoute une dernière observation sur le plan (1) On prouverait que rieu n’est plus facile que de graduer les nuances de la qualité, et proportionnellement la différence du prix. présenté par ce mémoire : il existe aujourd’hui dans les magasins de la ferme générale un approvisionnement de tabac qui peut suffire aux besoins de deux ans et demi ou environ. La dispersion des employés de3 fermes, a facilité le versement du tabac à un point tel, que dans ce moment le tabac qui en Artois se vendait 15, 20 et 25 livres le cent, pesant en feuilles, s’y vend jusqu’à 40 livres. L’approvisionnement de la France est donc assuré pour quelque temps, et aucun intérêt ne peut être compromis par les essais de culture que l’on propose, puisque la consommation intérieure est assurée par le tabac étranger, jusqu’à l’époque où l’expérience aura pu faire connaître si le tabac indigène peut le remplacer en tout ou en partie. Ainsi, ce pian, porté à sa perfection, réunirait à l’inappréciable avantage d’empêcher une exportation annuelle de près de 9 millions de numéraire effectif, d’approprier cette somme à notre agriculture et d’en doubler dans la balance de notre commerce la valeur représentative, puisque nous payerions 9 millions de moins à l’étranger, et que les produits de notre sol s’élèveraient à 9 millions (1) de plus ; d’offrir aussi à la nombreuse et inactive population de la France un grand accroissement de travail et de ressources, le mérite si digne de considération dans les circonstances actuelles, de donner aux résultats fiscaux, du plus commode, du plus insensible et du moins immoral des impôts inlirects, une extension de plus de 14 millions par année, en même temps que son régime deviendrait plus doux, plus favorable aux contribuables, pur la nouvelle combinaison du prix de la vente exclusive. En effet, on a prouvé qu’en supposant que la consommation ne s’élevât pas au-dessus de son niveau actuel, les produits bruts de l’impôt du tabac seraient portés à 60 millions, dans la proportion suivante : 10 millions de livres à 40 sous. 20,000,000 iiv. 6. millions de livres à 4 livres. 24,000,000 2 millions delivres à 8 livres. 16,000,000 Total ..... 60,000,000 liv. Les frais de régie ont été évalués, savoir : ceux de la surveillance de la culture, à ...... Geuxd 'achats, à ............. Ceux de fabrication et de distribution, à. . . . Ceux de la contribution de la régie du tabac à la garde de la frontière ...... 768,000 liv. 8,100,000 5,000,000 | 3,000,000 iiv. 16,868,000 Reste, conséquemment, en produit net, pour le Trésor publie. . 43,1 32,000 liv. (1) La précision exigerait, d’après les précédents calculs, qu’on ne portât cette somme qu’à 8,100,1)00 livres . Mais il sera facile de démontrer que l’évalualion de 9,000,000 que l’on présente ici, n’est pas exagérée, et que les deux résultats ne sont pas discordants. [Assemblée nationale.] Ainsi, en cumulant les trois causes d’amélioration qu’on a développées : La cessation d’une exportation de numéraire de ............. . . 9,000,000 liv. L’emploi de la même somme ou environ, au profit de notre agriculture ........................ 9,000,000 L’accroissement des produits de la vente inlérieure, au moins. .. . 14,000,000 Le total de ces bonifications serait, pour la fortune publique, de ....... ....... . ............. 32,000,000 liv. Et si l’on a la prudence de n’opérer ces heureux changements qu’avec la mesure nécessaire ; si on ne marche qu’appuyé sur l’expérience; si l’on attend que des succès déjà obtenus garantissent les succès plus grands auxquels on pourra graduellement prétendre, la France jouira, avant une révolution de quelques années, de tous les avantages qu’on vient de présenter, sans convulsion, sans crise, sans que le régime du tabac éprouve aucune altération. Je me résume et je propose le décret suivant : Article 1er. La culture du tabac sera libre dans toute la France ; maL tout propriétaire qui voudra se livrer à cette culture sera tenu de faire, au directoire de son district, la déclaration de la quantité de terrain qu’il se proposera d’y consacrer. Chaque directoire de district enverra l’état de ces déclarations au directoire de son département, qui limitera l’étendue du terrain sur lequel ce genre de culture sera permis dans son ressort. Art. 2. Il sera établi, pour la fabrication et la vente du tabac, une régie nationale; cette régie aura seule le droit de le fabriquer et de le distribuer dans l’intérieur du royaume; les cultivateurs français ne pourront vendre qu’à elle seule les tabacs qu’ils récolteront, si mieux ils n’aiment les exportera l’étranger; ils se soumettront à recevoir la visite de ses préposés aux époques de la plantation et de la récolte du tabac; cette régie aura également seule le droit d’introduire, dans la consommation du royaume, les tabacs étrangers qu’elle aura fabriqués et préparés dans ses ateliers. Art. 3. Il sera incessamment statué, par l’Assemblée nationale, sur la composition et l’organisation de cette régie, sur la fixation du tarif de ses prix de vente, sur les procédés et les conditions de sa fabrication, ainsi que sur le mode des dispositions pénales qui seront nécessaires pour son maintien. M. le Président interrompt la discussion pour lire une lettre qui lui a été adressée par M. le maire de Paris. Elle est ainsi conçue : « Monsieur le Président, j’ai l’honneur de vous prévenir que la municipalité a fait ce matin trois adjudications des biens nationaux : « La première, d’une maison rue du Faubourg-Saint-Jacques, louée 550 livres, estimée 8,100 livres, adjugée 9,950 livres; « La seconde, d’un chantier dit le Cadran-Bleu, quai Saint-Bernard, loué 3,400 livres, estimé 50,000 livres, adjugé 95,500 livres; u La troisième, d’u ne maison quai des Théatins, louée 4,200 livres, estimée 51,400 livres, adjugée 81,300 livres. « Je suis avec respect, Monsieur le président, votre très humble et très obéissant serviteur, « Bailly. » m M. I�efort, député du département du Loiret, obtient une prolongation de congé pour un mois. M. le Président annonce que le résultat du scrutin d’hier, a donné pour adjoints au comité de liquidation : M. de Mirabeau. Je demande, pour des raisons que vous sentirez aisément, le renvoi de l’article 6 au comité diplomatique. Le tabac est la base de relations commerciales très importantes. Je suppose que le comité diplomatique. aura des notions intéressantes à vous fournir sur l’introduction du tabac étra iger en feuilles, et je crois très utile que l’Assemblée l’autorise à les communiquer. M. deFoïleville. L’article 6 étant essentiellement lié au fond de la question, je demande qu’on ajourne le rapport du comité diplomitique à un jour fixe, et que cet ajournement tombe pendant le cours même de la discussion. M. Malowet. Les relations commerciales dont il s’agit ne peuvent être inconnues aux nurnbes de l’Assemblée. Un mémoire de M. Duraouiier, ministre pléni totentiaire en Amérique, donne à ce sujet des notions très précises. Je pense que chacun l’a lu, et que tout le monde a recueilli les connaissances nécessaires pou’ se décider dans cette question. Il est donc inutile de séparer l’article 6 de la discussion. M. de Mirabeau. Je n’ai pas demandé qu’on isolât cet article; mais j’ai entendu que le comité diplomatique parlerait avant que la question fût décidée. M. l’abbé Maury. Je ne m’oppose pas au renvoi au comité diplomatique. Je me borne à faire remarquer que l’article 6 sera probablement repoussé par de simples considérations commerciales, en sorte que le renvoi ne me semble pas autre chose que du temps perdu. La disposition de cet article n’est qu’un leurre qui met le commerce national aux prises avec la concurrence éirangère. Le comité diplomatique parlera s’il le veut, mais il ne faut pas interrompre l’ordre de la discussion. (L’Assemblée ne délibère pas sur la mntion de M. de Mirabeau. Il est convenu tacite n ont que le comité diplomatique prendra connaissance de l’article 6.) M. de SSroglie. En examinant la question qui nous occcupe en ce moment, je ne consulterai pas seulement l’intérêt de la ci-devant province qui m’a choisi pour un de ses représentants ; je serai surtout animé par l’intérêt gémirai de la France et par la crainte de voir imprimer la tache honteuse du régime prohibitif sur une Constitution libre. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 noyembra 1790.]