710 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 juillet 1790.) Lettre de MM. les lieutenants et sous-lieutenants du régiment de Touraine à M. de la Tour-du-Pin , ministre de la guerre , en date du 4 juillet. Monsieur le comte, nous avons lu dans le courrier extraordinaire, ou le premier arrivé du 24 juin, une lettre de MM. les officiers du régiment de Touraine , qui demandent à l'Assemblée nationale prompte justice du vicomte de Mirabeau; quelques officiers du régiment ont signé la lettre dont parle ce journal; ceux qui l’ont fait ne s’y sont déterminés que dans l’espoir de suspendre par là la fureur à laquelle s’étaient abandonnés les soldats de leurs corps, fureur qu’ils avaient déjà manifestée en emprisonnant le maire de la ville qu’ils menaçaient d’assassiner. Si les officiers du régiment de Touraine, qui ont signé au milieu des baïonnettes, n’avaient eu à craindre que pour leurs jours, jamais on n’aurait pu les contraindre à la demande de la punition d’un colonel dont les talents militaires lui ont acquis tant de droits à l’estime de l’armée française. Comment les officiers de son corps , pénétrés des vrais principes de la discipline militaire et des devoirs qui les obligent envers leurs chefs, auraient-ils écrit contre M. le vicomte de Mirabeau, si les jours de M. le marquis d’Aguilar n’eussent été dans le plus grand danger, et si les dispositions les plus hostiles n’eussent répandu parmi les bons citoyens une consternation qui a fait aux officiers une loi forcée d’une démarche qui répugnait si fort à leur façon de penser? Malgré ces excellentes raisons, qui ne peuvent échapper à la sagesse du ministre du roi, les officiers semestriers arrivés depuis ce fâcheux événement, ainsi que ceux qui n’ont signé cette lettre que par les raisons ci-dessus énoncées, s’empressent de vous adresser, Monsieur, l’expression de la douleur que leur occasionne la conduite insubordonnée de leurs soldats, qui ont exigé d’eux une demande de sévérité contre un chef qui a si bien mérité d’eux par ses vertus, ses talents et son amour connu et manifesté tant de fois pour sa patrie, son roi et son régiment. Nous désavouons, en outre, comme illégale, la députation composée de MM. de Thorene, capitaine ; Martin, sous-lieutenant ; Sauveton, fourrier et Babou, fusilier; déclarant que ces messieurs sont seulement porteurs des volontés des bas-officiers, caporaux et soldats et non des nôtres. Nous sommes avec respect, Monsieur le comte, vos très humbles et très obéissants serviteurs. Pour les lieutenants et sous-lieu tenants du régiment de Touraine. Le chevalier de la Porte, premier lieutenant, muni des pouvoirs. Le comte de Chamclos, capitaine adhérant. DEUXIÈME ANNEXE. Exposé sommaire des travaux du comité de judi-cature, par M. Tellier , député de Melun , membre de ce comité (1). L’invention purement fiscale de la vénalité des (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. offices avait érigé, pour ainsi dire, en patrimoine individuel la fonction redoutable de juger les hommes. L’Assemblée nationale n’a pas dû balancer un moment à détruire ce régime oppresseur, né de la détresse des finances de l’Etat. Sans être effrayée de la masse des remboursements que nécessite la suppression prononcée par les décrets des 4 et 11 août 1789, elle s’est élevée à des considérations fort au-dessus de celle d’un embarras dans le Trésor public, dont elle avait d’avance envisagé le remède. Elle a senti que le grand but de la Constitution était manqué, si l’organisation actuelle du pouvoir judiciaire échappait à la destruction des abus de l’autorité. Elle a regardé sa régénération comme une des bases essentielles de la liberté publique. Avant de poser cette base, il fallait d’abord renverser tout ce qui pouvait nuire à la stabilité du nouvel édifice qu’elle allait élever. Il fallait ensuite, en recréant l’ordre judiciaire, l’attacher fortement à la Constitution, l’identifier tellement avec elle, qu’il n’existât plus désormais que pour la soutenir et la défendre. C’est ce que l’Assemblée nationale exécute aujourd’hui. Quand il serait vrai que cette opération, aussi grande que hardie, dût coûter à l’Etat des sacrifices ; quand il serait vrai qu’elle dût imposer quelque charge extraordinaire et du moment sur les citoyens de l’Empire français, doit-on douter qu’ils ne la supportent avec joie, puisqu’à ce prix ils sont assurés de recouvrer l’avantage inestimable de choisir eux-mêmes les arbitres de leur fortune, de leur honneur et de leur vie ? Le comité de judicature, pénétré des principes de l’Assemblée nationale, n’a rien négligé pour seconder ses vues; il s’est livré avec zèle aux travaux qui lui ont été confiés. Chargé par le décret, duquel il tient son existence, « de s’occuper des règlements à faire sur la liquidation des offices de judicature, » il a tâché d’embrasser dans son examen toutes les questions auxquelles elle peut donner lieu. Sans perdre le temps à se faire un mérite d’avoir surmonté tous les dégoûts inséparables des détails longs et arides dans lesquels il a été obligé d’entrer, il se contentera d’exposer sommairement la marche qu’il a tenue dans ses travaux, pour se conformer à l’ordre que l’Assemblée en a donné à tous les comités. D’abord, en arrêtant son attention sur les termes des décrets des 4 et 11 août, il a été quelque temps incertain sur la plus ou moins grande latitude que l’Assemblée nationale avait voulu leur donner. Le premier porte : « Déclaration de l’établisse-« ment prochain d’une justice gratuite, et de la « suppression de la vénalité des offices. » Le second est ainsi conçu : « La vénalité des « offices de judicature et* de municipalité est « supprimée dès cet instant. La justice sera « rendue gratuitement, et néanmoins les officiers « pourvus de ces offices continueront d’exercer « leurs fonctions et d’en percevoir les émoluments « jusqu’à ce qu’il ait été pourvu par l’Assem-« hlée aux moyens de leur procurer leur rem-« boursement. » D’après le texte de ces deux décrets, les opérations relatives à la liquidation doivent-elles se borner aux offices de ceux qui remplissent les fonctions de juges dans les différentes espèces de tribunaux, ou doivent-elles s’étendre à tous les offices qui dépendent de l’ordre judiciaire ? Le comité a cru devoir se renfermer dans la [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 juillet 1790.] 7{4 première de ces interprétations. 11 a craint, en suivant la seconde, d’anticiper sur les décrets de l’Assemblée nationale, et de présupposer des suppressions entièrement subordonnées à la constitution du nouvel ordre judiciaire; il s’est gardé même de demander à ce sujet une solution à l’Assemblée, pensant bien qu’elle ne pourrait déterminer précisément l’étendue des réformes qu’elle entend faire, qu’après que la nouvelle organisation dont elle s’occupe lui en aurait démontré la nécessité. Le comité a, sur cette question, un rapport tout prêt qu’il fera imprimer et distribuer incessamment, et il attendra le moment où l’Assemblée en permettra la discussion. Sans chercher donc à pénétrer, dès à présent, les vues ultérieures de l’Assemblée, et de peur aussi de répandre inutilement l’alarme parmi les titulaires d’office sur lesquels l’Assemblée ne s’est point encore expliquée, le comité s’est fixé au sens le plus limité des deux décrets, en observant toutefois de préparer les matériaux qui pourraient être nécessaires dans le cas d’une suppression plus générale. Il n’a cependant pas cru devoir s’y renfermer avec une telle rigueur, qu’il ne dût pas comprendre, dans la suppression déjà prononcée, tout ce qui faisait partie des corps de judicature, ou y tenait presque essentiellement, comme les greffiers, receveurs des épices, huissiers-audienciers, les receveurs des consignations, et commissaires aux saisies-réelles. 11 a opéré même en présumant comme certaine la suppression des jurés-priseurs, contre lesquels l’universalité des cahiers s’est récriée si hautement, qu’il n’est pas permis de douter que l’Assemblée nationale ne consacre ce vœu du royaume entier. Après avoir ainsi déterminé l’étendue de son travail, le comité a demandé à M. le garde des sceaux les différents états sur les offices de judicature et de municipalité dont il avait besoin d’être aidé. On n’a rien pu lui fournir sur les finances originaires des offices. Tout le monde sait qu’une partie de ces finances est inconnue aujourd’hui, et que celles sur lesquelles on pourrait acquérir quelques notions, ont tellement varié depuis tous les édits qui les ont successivement augmentées ou grevées de différents droits, qu’il serait impossible d’en donner un état qui ne fût pas tout à la fois incomplet et incertain. Au surplus, quand il eût été possible d’obtenir cet état avec quelque exactitude, il serait parfaitement inutile, comme le comité se propose de le démontrer ; car les raisons de la plus grande force viennent en foule pour prouver que Je remboursement sur le pied de la finance est, en général, tout à fait inadmissible. L’évaluation faite en exécution de l’édit de 1771, offrait des résultats plus justes et plus sûrs; le comité a tout employé pour en acquérir la connaissance la plus complète. Il a trouvé les plus grands secours dans l’état que M. Necker en avait fait dresser en 1778; mais il n’a pas été longtemps sans apercevoir que ce travail, quelque lumineux qu’il fût, ne pouvait point encore lui suffire. Depuis qu’il avait été terminé, il était survenu divers changements dans les offices ; plusieurs avaient été supprimés ou réunis, d’autres créés, d’autres avaient varié dans leur évaluation, d’autres enfin, et en très grand nombre, n’avaient pas été évalués. Il fallait d’ailleurs connaître les dettes des compagnies, et cet état n’en fait aucune mention. Il fallait s’assurer de la différence du prix de l’évaluation avec celui des contrats d’acquisition, qui n’est connu que des propriétaires. Il fallait calculer, au moins par aperçu, les frais de provisions, droits de mutation, marc d’or, etc., tous objets sur lesquels le comité a cru devoir prendre des instructions, afin d’être prêt à mettre sous les yeux de l’Assemblée nationale tous les tableaux "de comparaison et les éclaircissements qu’elle pourra exiger, lorsqu’il s’agira de choisir entre les modes de remboursement. La communication que le comité a prise des pièces déposées à la chancellerie ou aux parties casuelles, la nécessité d’en extraire de nouveaux états avec les divisions appropriées aux décrets rendus et à ceux qu’il était possible de prévoir; l’examen auquel il a été obligé de se livrer pour arriver à reconnaître ce qui lui manquait dans les matériaux qui lui étaient fournis ; tout cela, comme il est facile de le concevoir, a pris un temps considérable, pendant lequel le comité n’a pu que se tracer à lui-même la route qu’il avait à parcourir. Après toutes ses recherches, il s'est convaincu qu’il n’avait de secours à espérer que de la part des titulaires d’offices, sur tous les points qui restaient à constater. Il les a demandés par une première lettre circulaire envoyée à tous les tribunaux du royaume, dont la liste lui a été fournie à la chancellerie. Cette liste, prise sur l’état des évaluations, a donné de grandes facilités au comité ; mais il a eu lieu d’observer que beaucoup de tribunaux supprimés y étaient compris, tandis que d’autres existants avaient été omis. Il lui a été Impossible de suppléer tout à fait à cette imperfection. A l’égard des municipalités en titre d’office, le comité a été encore moins heureux ; il n’a pu jusqu’ici s’en procurer une liste, qu’on s’occupe d’achever. Mais cet objet, moins important à vérifier, parce qu’il ne présente pas autant d’incertitudes et de variations que les offices de tribunaux, paraît d’ailleurs connu assez sûrement par l’état donné ensuite de celui des offices de judicature, qui le fait monter à environ 8,600,000 livres. Le but principal des lettres envoyées par le comité, était d’acquérir des éclaircissements sur les dettes des compagnies, leurs causes et les autorisations en vertu desquelles elles avaient été contractées. Mais il s’en faut de beaucoup qu’on ait satisfait à sa première demande. Une partie de ces renseignements ne lui est point parvenue; une autre a laissé à désirer ; beaucoup de détails nécessaires auxquels ou en avait substitué d’entièrement étrangers à la liquidation, et qui, se trouvant sans ordre et sans objet, rendaient les dépouillements interminables. Le comité a pris de nouvelles mesures pour diriger vers son but les réponses qu’il attendait. En expédiant une seconde lettre circulaire, encore plus instante que la première, il y a joint une instruction facile à suivre, et un modèle de tableau -qu’il ne s’agissait que de remplir, afin d’éviter à chaque tribunal le moindre doute à élever, la moindre difficulté à résoudre. Ge second envoi a eu plus de succès que le premier ; mais la dispersion de quelques compagnies, l’indifférence de quelques autres à satisfaire le comité, et quelques omissions involontaires de la part du comilé lui-même, laisseront encore beaucoup d’inexactitudes dans les dépouillements qu’il se propose d’offrir à l’Assemblée. Ces obstacles n’ont point arrêté le comité, persuadé, comme il l’est d’ailleurs, que la précision 712 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 juillet 1790.] rigoureuse dans les résultats des remboursements à opérer ne sera possible et nécessaire qu’à mesure de la liquidation effective, et que l’Assemblée peut se contenter, quant à présent, des aperçus par approximation qui lui seront soumis. A la suite de ce travail, le comité s’est occupé de dresser le projet des différents articles de règlement pour parvenir à la liquidation des offices. Les plus importants, sans doute, étaient ceux qui devaient déterminer les bases de remboursement, et l’acquittement, s’il doit avoir lieu, des dettes contractées par les corps supprimés. Le comité est prêt à faire à l’Assemblée un premier rapport, dans lequel il exposera les difficultés insurmontables, et plus encore les injustices qui Daitraieut d’asseoir les remboursements à faire, sur le pied de la finance des offices. Il ne restera donc plus auchoix del’Assemblée que deux modes possibles, celui de l’évaluation, ou celui des contrats d'acquisition *, le comité discutera ces deux moyens, et après avoir balancé les avantages et les inconvénients de chacun d’eux, il proposera celui qui lui a paru le plus facile et le plus généralement juste. Il exposera aussi ses doutes sur la question de savoir si les frais de provision, droits de mutation et marc d’or doivent être remboursés en tout ou partie aux titulaires, ou s’ils doivent être entièrement écartés. Il indiquera les mesures qu'il croit convenables de prendre pour les offices non évalués. En un mot, il entrera dans le détail des exceptions particulières que l’Assemblée doit prévoir, et sur lesquelles elle prononcera. Dans un second rapport, le comité rendra pareillement compte à l’Assemblée de la nature des dettes contractées par les corps supprimés, du classement qu’il en fait, des décisions qu’il croit nécessaires, tant sur les dettes anciennes, et particulièrement sur celles qu’il n’est pas possible de vérifier, que sur les dettes plus récentes dont les causes sont mieux connues, et qui peuvent être plus sûrement allouées ou rejetées, et enfin sur les questions accessoires à ces questions principales. A la suite de chacun de ces deux rapports le comité joindra les projets de décrets réglementaires qu’il croitindispensables de rendre pour guider ceux qui seront chargés de liquider les offices supprimés. Enfin, sur toutes les suppressions qui ne sont point encore prononcées, le comité combine ses autres travaux, de manière qu’ils puissent être utiles à l’Assemblée, dans les différentes hypothèses que la marche de ses décrets déjà portés peut lui rendre probables. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. C.-F. DE BONNAY. Séance du mardi 6 juillet 1790, au matin (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. Christln présente une adresse du district de Saint-Claude, qui supplie l’Assemblée natio-(1) Cette séance est incomplète au Moniteur . nale de laisser à Saint-Claude le siège de l’évêché du département du Jura. Un de MM. les secrétaires annonce une adresse des commissaires du roi pour la formation du département du Gard, par laquelle ils rendent compte des mesures qu’ils ont cru devoir prendre pour calmer les agitations de la ville de Nîmes. Ils demandent que, attendu l’évasion des officiers municipaux, l’ Assemblée nationale leur donne des pouvoirs suffisants pour le maintien de l’ordre pendant les opérations relatives au département. Cette adresse est renvoyée au comité des rapports. Il est donné lecture des décrets présentés à la sanction du roi, hier 5 juillet : Des 25, 26 et 29 juin. Décret sur la ventes des domaines nationaux aux particuliers, auquel sont joints des articles du décret du 14 mai dernier, avec les changements d’expressions nécessaires pour adapter ces articles au présent. Du 3 juillet. Décrets sur les difficultés qui se sont élevées entre la nouvelle municipalité de Hague nau et les anciens magistrats de cette ville. Dudit jour. Décret qui prescrit au commandant de l’escadre actuellement en armement de se rendre à la fédération générale. Dudit jour . Décret qui autorise les États du Cambrésis à prêter aux officiers municipaux de Cambrai la somme de 64,558 livres 18 sols, pour le remboursement des blés vendus par le sieur Wanlerbergt. Dudit jour. Décret qui statue ultérieurement sur plusieurs points relatifs aux droits féodaux. Dudit jour. Décret qui prescrit la formule du serment à prêter par les députés des gardes nationales lors de la fédération du 14. Dudit jour. Décret portant que l’Assemblée ne recevra aucune adresse, et ne prendra aucune délibération hors du lieu ordinaire de ses séances. Dudit jour. Décret tendant à assurer le transport des poudres et autres munitions tirées des arsenaux de la nation.