230 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 113 juillet 1791.] c’est à vous à rechercher les moyens de vous lier provisoirement au pouvoir exécutif, de manière à lui faire partager la confiance dont jouit le corps constituant. Nous ne pouvons trop le répéter; c’est de la solution de ce problème intéressant, que peut dépendre le sort de la Révolution. Il nous reste encore à vous entretenir de quelques faits d’ordre public qui vous intéressent et sur lesquels nous avons pris des informations, quoiqu’ils ne fissent point partie de notre mission. La vente des domaines nationaux est partout dans la plus grande activité. Le prix n’en a point baissé, et l’ardeur de les acquérir ne s’est pas ralentie un moment. Les assignats circulent bien et, avant les derniers accaparements de numéraire, leur échange s’était soutenu à un prix modéré. Aujourd’hui l’on combat l’avidité des usuriers par l’établissement des caisses patriotiques. Nous en avons vu naître une à Sedan, et une autre à Charle-ville. On s’occupait d’en établir à Metz. Nous avons encouragé, autant que nous l'avons pu, cette utile industrie; et nous avons fortement recommandé de l'associer avec la petite monnaie, sans laquelle ses avantages sont médiocres. Ces institutions n’ont pour ennemis que les marchands d’argent ; mais elles ont pour appui la raison, les bons citoyens et la nécessité : ainsi leur succès n’est pas douteux. Un autre objet plus important encore nous a fort occupés, rétablissement de l’impôt et son recouvrement. Nous voulions surtout nous assurer du fondement que pouvaient avoir les bruits tant de fois répandus sur l’impossibilité de percevoir l’imposition foncière, sur l’effroi qu’elle allait répandre dans les provinces, et sur la résistance qu’éprouverait sa perception. Nous pouvons assurer à l’Assemblée que les directoires des départements de la Meuse, de la Moselle et des Ardennes nous ont dit, en termes exprès, que leur pays était soulagé; que la dîme seule payait la majeure partie de l’impôt; que le peuple l’acquitterait avec zèle, et que l’expédition des nouveaux rôles était même attendue avec une sorte d’impatience. Nous ne pouvons donner trop d’éloges au zèle et au patriotisme des corps administratifs. Tous ceux avec qui nous avons eu des relations justifient pleinement la confiance qui les a institués. ( Vifs applaudissements à gauche et dans les tribunes.) Plusieurs membres demandent l’impression du rapport de M. de Montesquiou et l’envoi dans les 83 départements. M. Frétean-Safnt-Just. Je sens combien il est nécessaire d’éclairer la nation sur sa position véritable. Aussi je suis bien loin de vouloir m’opposer à l’impression du rapport qui vient de vous être fait. Mais je dois observer que M. de Montesquiou ayant avancé des faits contradictoires à tout ce qui nous a été dit jusqu’à présent et qui seraient de nature à alarmer la nation, il est nécessaire que ces faits soient constatés de manière à ne laisser aucun doute. Il y a en effet, au commencement de ce rapport, un mot qui m’a infiniment touché, je dirai même effrayé; ce mot qui, je le répète, est en contradiction avec des récits très circonstanciés faits à l’Assemblée nationale. Ce mot porte sur l’état des approvisionnements pour l’armée. 11 a été dit ici à la tribune, il n’y a pas quinze jours, que l’armée, en la supposant de 150,000 hommes, était approvisionnée pour 18 mois; par conséquent, en la supposant de 220,000 hommes, elle doit l’être au moins pour un an; et le commencement du rapport de M. de Montesquiou fait supposer, et malheureusement des lettres de Lille viennent à l’appui, que l’armée n’est pas approvisionnée. De plus, M. de Montesquiou a dit eu finissant qu’il y a des provisions suffisantes pour les garnisons et les troupes dans le département de la Moselle, mais que celui des Ardennes en manque encore. Si l’Assemblée nationale ordonne l’impression de ce rapport, je demande qu’il passe auparavant sous les yeux du comité militaire, et qu’il en soit conféré avec ceux qui ont avancé qu’il y avait des vivres pour l’armée. Il y a un autre point qui n’est pas moins intéressant. Le comité militaire nous a exposé qu’il avait été distribué depuis la Révolution environ 700,000 fusils ; ces 700,000 fusils ne sont probablement pas sortis du royaume, ou du moins c’est en très petite quantité. Je demande donc qu’il soit joint à ce rapport un état de distribution de ces armes, de manière que si tout à coup il était nécessaire d’établir un état plus considérable d’hommes armés que ne l’exige l’état de paix, on pût, en s’adressant aux divers départements, revendiquer les armes, sauf à les rendre ensuite. On sait assez combien il y a d’intentions hostiles contre nous, et malheureusement de la part de Français importants. J’insiste donc pour que ce rapport ne paraisse qu’avec les modifications et explications qui peuvent empêcher que sa lecture ne jette une alarme excessive dans l’esprit des citoyens. Voilà quelle est ma motion. M. de montesquiou, rapporteur. J’ai demandé la parole pour répondre à M. Fréteau. Notre intention n’a point été de flatter l’Assemblée en lui dissimulant nos besoins. Nous avons pensé que, quand l’Assemblée nationale a envoyé de ses membres pour visiter les provinces, c’était la vérité qu’elle attendait d’eux, et non pas des vœux fabriqués d’après aucune raison ou opinion particulière. Je n’ai point dit, dans mon rapport, que la frontière lût dénuée d’approvisionnements de tous genres. J’ai dit nommément que, dans le département de la Moselle, il y avait un approvisionnement complet. J’ai dit que, dans le département des Ardennes, il y avait un approvisionnement très incomplet ; et j’ai dit une vérité dont je pourrais donner la preuve par tous les états d’approvisionnements. Le comité militaire ne peut pas en savoir plus que nous sur cela, parce que nous avons tout vu et que j’ai en main les pièces qui constatent les faits que j’ai avancés. Je crois qu’il n’est pas effrayant pour la nation de savoir qu’il faut acheter une certaine quantité de rations de fourrage et de farine pour approvisionner un département. Ainsi, quand le comité militaire aurait fait vingt fois le rapport, il ne nous persuaderait pas que le département des Ardennes est approvisionné, lorsque nous avons vu qu’il ne l’était pas. Quant aux armes, nous n’avons pas dit qu’il n’y avait pas de quoi armer les troupes de ligne et même le supplément qui serait fourni aux troupes de ligne, car nous avons dit expre;sô-ment le contraire; et c’est par cette raison que nous vous proposons de donner aux gardes nationales des campagnes les fusils du modèle 231 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juillet 1791.] de 1777, dont il y a une quantité suffisante pour l’armement dont je parle, et non pas plus qu’il n’en faut. Mais, en même temps, nous avons du vous dire que les districts des frontières étaient désarmés; et si nous eussions voulu entrer dans tous les détails, nous aurions pu ajouter que, dans ce qu’on appelle le poste de Château-Regnaud, il y a 17 communautés absolument limitrophes de la frontière, qui avaient envoyé à Metz, samedi dernier, des députations, et qui étaient très animées de ce qu’elles n’avaient pas encore reçu un seul fusil depuis la Révolution. Ainsi je ne nie pas qu’on ait délivré 700,000 fusils, car le royaume est assez grand pour en consommer davantage; mais en aurait-on distribué plus encore, il n’en est pas moins vrai que les districts des frontières en manquent; les campagnes en manquent. Il faudra donc en donner encore et nous n’avons pas un mot à retrancher à ce que nous vous avons dit. M. Alexandre de Lamcth. En demandant la parole, mon intention n’est pas de retarder l’impression de l'intéressant rapport de M. de Monles-quiou; mais, sans révoquer en doute tous les détails qu’il renferme, je pense qu’il est important que l’on sache que le comité militaire fera, après-demain, un rapport, dans lequel on verra clairement, et d’après les états les plus exacts, quels sont nos moyens de défense; dans lequel on verra que, si quelques postes ne sont pas parfaitement en état, les moyens matériels du royaume n’en sont pas moins très rassurants : qu’en fait de subsistances, il y a dans ce moment 295,000 sacs de blé dans les magasins, quantité suffisante pour nourrir pendant 6 mois une armée de 260,000 hommes, et que nous sommes à la veille de la récolte; qu’en fourrages, il y a également dans les magasins 2,800,000 rations suffisantes pour 26,000 chevaux pendant 4 mois, et que les foins se font dans ce moment; qu’en artillerie la France en a dans ses arsenaux et dans ses places un tiers de plus que le reste de l’Europe entière. A ces moyens, nous vous proposerons d’en réunir d’autres, et d’ajouter à la force de l'armée de ligne près de 100,000 gardes nationales que vors entretiendrez dès ce moment, et qui défendront vos frontières concurremment avec les troupes de ligne ; enfin, Messieurs, nous espérons que la connaissance exacte et authentique de votre situation sera également propre à détruire et les espérances de nos ennemis et les craintes des citoyens. (Applaudissements.) M. F réteau-Saint-Just. Je demande que le rapport dont vient de parler M. de Lameih soit imprimé en même temps que celui de M. de Montesquiou, afin que les deux paraissent à la fois. (Oui! oui!) M. de Woailies. Eu appuyant la demande d’impression du rapport fait au nom des trois commissaires, je demande l’adjonction de ceux-ci au comité militaire ; il me semble que, dans ce moment, il est extrêmement précieux de s'entourer de tous les renseignements qu’ils ont pu recueillir et de l’expérience qu’ils ont acquise dans leur mission sur les frontières. J’observerai en outre que les propositions faites par M. de Montesquiou, sur la situation actuelle de notre armée, doivent être prises en très sérieuse considération. ( Applaudissements .) (L’Assemblée décrète l’impression du rapport de M. de Montesquiou et ordonne l’adjonction des 3 commissaires au comité militaire pour en faire l’examen.) M. de Aismes, un des commissaires. Messieurs, le décret du 22 juin ordonnait que le premier de vos commissaires viendrait, immédiatement après le serment des troupes, rendre compte de l’état des départements qu’ils auraient visités. Cette disposition nous a fait douter si nous ne devions pa=q M. Colonna et moi, attendre sur les lieux de nouveaux ordres de l’Assemblée. Voici les réflexions qui nous ont déterminé à venir avec M. de Montesquiou. D’abord il nous a semblé que notre commission était devenue indivisible par le décret du 23 juin, qui nous charge indistinctement de nous éclairer sur la conduile des officiers sous les ordres de M. de Bouillé, et de suspendre ceux qui nous paraîtraient suspects. Nous avons considéré ensuite que, quand ce décret du 22 juin a été rendu, on ne connaissait encore ni les obstacles mis à l’évasion du roi, ni la trahison et la fuite de M. de Bouillé. Alors de prochaines entreprises contre la France pouvaient paraître vraisemblables ; alors la présence de quelques commissaires de l’Assemblée nationale devenait nécessaire dans les lieux où les hostilités étaient à craindre et au moment où elles viendraient à éclater; mais les justes motifs de votre prévoyance ne se sont pas réalisés. Les desseins pervers des ennemis de l’Etat ont été déconcertés, et le calme qui règne sur la frontière que nous avons parcourue laisse toutes les facilités de pourvoir à sa défense. Enfin, nous nous sommes convaiucus que le véritable objet de notre mission est rempli, autant que les circonstances pouvaient le permettre; car ce n’est point sans doute une reconnaissance approfondie de tous les détails militaires que vous demandiez : vous étiez trop éclairés pour l’attendre de nous, et il eut été indiscret de notre part de les promettre. Vous aidiez avoir une idée générale des 3 départements, et de justes notions sont les mesures principales qu’exige leur sûreté. Or, après avoir recueilli des renseignements qui nous ont paru propres à remplir ce but, notre devoir nous a paru nous imposer la loi chère à nos cœurs de venir avec empressement reprendre notre poste auprès de vous. Au surplus, Messieurs, si vous eo jugez autrement, si d’après le rapport que vous venez d’entendre vous pensiez qu’il restât quelque chose à faire pour compléter l’objet de notre mission, diles un mot, et dès ce soir nous volerons exécuter les nouveaux ordres que vous daignerez nous donner. (Applaudissements.) L’ordre du jour est un rapport des comités militaire, diplomatique, de Constitution , de révision , de jurisprudence criminelle, des rapports et des recherches sur les ëvé?ieme?its relatifs à l'évasion du roi et de la famille royale. M. Muguet «le Hanthou, rapporteur . Messieurs, la Constitution était presque achevée; vous touchiez au moment, où, après avoir été dépositaires de tous les pouvoirs, vous redeveniez simples citoyens, et vous alliez donner l’exemple de la soumission aux lois que vous aviez faites. La nation reconnaissante, convoquée en assemblées primaires, voyait arriver cette époque heureuse où la première législature succédant au pouvoir constituant, toutes les espé-