[Assemblée nationale.) ARCHIVES PA à l’article 2 du titre III, qui devait être proposé, il a à proposer au titre Ier deux articles additionnels. Le premier est relatif à la garde royale, la garde seigneuriale et le déport de minorité ; le second concerne les effets qui résultaient, sous le régime féodal, de la qualité noble ou censuelle des terres relativement aux estimations des biens, au douaire et à d’autres objets. Le rapporteur explique que la garde seigneuriale est ce droit en vertu duquel le seigneur féodal jouit, dans la province de Normandie, ainsi que dans quelques terres particulières de la Bretagne, des revenus des fiefs tenus immédiatement de lui, pendant que ses vassaux sont en bas âge, à la charge d’eutretenir les héritages et payer les dépenses annuelles dont ils peuvent être tenus. La garde royale est une espèce de garde seigneuriale, qui a néanmoins plus d’étendue, en ce qu’elle donne au monarque le droit de jouir de tous les fiefs, nobles et rotures, rentes et revenus même tenus immédiatement d’autres seigneurs, droit qu’il n’exerce jamais, et dont il fait toujours la remise à chaque ouverture par des brevets particuliers. Le déport de minorité, semblable à la garde seigneuriale, a spécialement lieu en Anjou. Ces droits dérivent du régime féodal puisqu’ils n’ont lieu que sur les vassaux. Les fiefs, ajoute M. Merlin, devinrent héréditaires avant que leur possession eût cessé d’assujettir au service militaire. Lorsque le vassal laissait, en mourant, un héritier en bas âge, il fallait à la fois que le service du fief se fît et que l’enfant qui devait y succéder, reçût l’éducation convenable pour pouvoir aussi le desservir un jour. Le prince obtenait ces deux buts en élevant l’héritier à sa cour, tandis qu’il chargeait une autre personne du service militaire et lui abandonnait la jouissance du fief jusqu’à ce que l’héritier eût atteint l’âge propre à porter les armes; il en était à peu près de même lorsque le vassal laissait en mourant une ou plusieurs filles pour héritières. Le prince les élevait jusqu’à ce qu’elles fussent nubiles et il leur donnait alors des époux capables de remplir l’obligation du service militaire. Un Anglais, disciple de Montesquieu, observe à ce suiet que ce n’était pas une loi dure que celle qui donnait ainsi le droit de disposer arbitrairement de la main d’une héritière, dans un temps où, réduites par leur éducation grossière à n’avoir aucun goût, les nouvelles mariées restaient des jours entiers dans les églises, jusqu’à ce que leurs amants eussent vaincu leur répugnance ou composé avec elles pour les en faire sortir. Mais cette belle institution, comme tant d’autres établissements féodaux, dégénéra partout en un vrai brigandage. Guillaume le Mauvais, roi de Sicile, au milieu du douzième siècle, en abusa tellement qu’il défendit à ses vassaux de marier leurs filles sans son consentement, qu'il ne donnait jamais ou qu’il donnait seulement lorsqu’elles avaient passé l’âge d’avoir des enfants, afin de réunir leurs fiefs à son fisc, à défaut d’héritiers. Dans l’état actuel des choses, il est évident que, les fiefs n’étant plus soumis au service militaire, la garde seigneuriale n’a plus de cause et dès lors elle doit nécessairement cesser. Le comité féodal vous propose d’adopter l’article suivant : « La garde royale, la garde seigneuriale et le déport de minorité sont abolis. »> Cet article mis aux voix est décrété sans contestation. LEMENT AIRES. [0 mars 1790.) 45 M. Merlin donne lecture du second article relatif aux effets qui résultaient sous le régime féodal de la qualité noble ou censuelle des terres relativement aux estimations des biens. M. de Lachèze propose à cet article un amendement relatif aux veuves et aux femmes mariées; il est adopté et fondu dans l’article. Le décret suivant est ensuite rendu : « Sont pareillement abolis tous les effets que les coutumes, statuts et usages avaient fait résulter delà qualité féodale ou censuelle des biens, soit par rapport au douaire, soit pour la forme d’estimer les fonds, et généralement pour tout autre objet quel qu’il soit, sans néanmoins comprendre dans la présente disposition ce qui concerne le douaire des femmes actuellement mariées ou veuves, et sans rien innover, quant à présent, aux dispositions des costumes de nantissement, relativement à la manière d’hypothé-quer et aliéner les héritages, lesquelles continueront, -ainsi que les édits et déclarations qui les ont expliquées, étendues ou modifiées, d’être exécutées suivant leur forme et teneur, jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordonné. » Ges décrets formeront les articles 11 et 12 du titre premier du règlement général sur les droits seigneuriaux. M. l’abbé Maury. Je dois rappeler à l’Assemblée que, depuis plusieurs jours, elle a chargé le nouveau comité des rapports de lui rendre un nouveau compte des faits relatifs à la dénonciation portée contre M. de Bournissac, grand prévôt de Provence, au sujet de sa procédure prévotale dans l’affaire de Marseille et dans l’affaire de Baux. L’état d’insurrection manifeste dans lequel se trouve la ville de Marseille m’oblige à demander que le comité presse le rapport de cette affaire. Un membre du comité des rapports répond que le rapport pourra, peut-être, être fait dans la séance de ce soir. M. le Président. Je dois informer l’Assemblée que la commune de Paris et des députés extraordinaires de la ville du Havre demandent à être entendus à la barre. (Il est arrêté que ces députations seront reçues dans la séance de ce soir.) M. Dnpont (de Bigorre) demande qu’il y ait séance demain dimanche pour l’audition des comptes des trésoriers des dons patriotiques. Cette proposition est adoptée et la séance est fixée à onze heures du matin. M. le Président. Un de MM. les secrétaires va donner lecture du mémoire de M. Neeker sur les finances. Cette lecture, à peine commencée, est interrompue par un incident extraordinaire. Par ordre exprès du président, les huissiers avaient fait sortir de la salle des séances, les étrangers qui y avaient été admis faute de place dans les tribunes. Néanmoins, un suppléant, dont on ignorait d’abord le nom, était resté assis sur les bancs du côté droit de la salle. Un huissier, ayant remarqué l’étranger, le prie de se conformer aux ordres du président et de sortir de la salle. Refus obstiné de l’inconnu : le président lui enjoint alors de se retirer et donne l’ordre à l’officier de garde de l’expulser. 16 [Aisemhlée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 mars 179Ô.1 Enfin, le suppléant sort, mais en s’en allant, il exprime son mécontentement par des gestes qui sont comme une menace adressée au président. Cette conduite excite dans l'Assemblée une vive désapprobation. M. le comte de* Mirabeau. M. le président, nous avons tous vu la personne envers laquelle vous avez exercé votre droit vous menacer, c’est-à-dire menacer l’Assemblée. J’ai l’honneur de vous observer que ni vous, ni nous, n’avons le droit de remettre un tel délit; c’est une insulte grave qui doit être punie sévèrement. Je demande que la personne soit jugée à l’instant même. M. le Président. Si l’outrage me regarde comme individu, je prie l’Assemblée de considérer qu’il est des délits en eux-mêmes, si ridicules et tellement insensés qu’ils ne doivent, en vérité, mériter que de la pitié; si c’est comme président que la menace m’a été faite, j’observe qu’il ne peut y avoir d’injure que d’égal à égal et que le président de l’Assemblée nationale ne connaît point d’égal. M. le comte de Mirabeau. C’est parce que nous n’avons pas considéré ce délit comme une insulte particulière que j’ai demandé que la personne lût punie; j’ai pensé que le délit devait être l’objet d une délibération soudaine; nous avons incontestablement le droit d’exercer la police dans cette salie et nous ne devons pas nous exposer au reproche de n’avoir pas fait respecter le Corps législatif. Je propose que le coupable soit envoyé pour 24 heures aux prisons de l’Abbaye. M. Hébrard. Je propose, en outré, qu’il soit décrété que les commettants nommeront un suppléant nouveau. M. l’abbé de Barmond. Je cède au désir que témoigne l’Assemblée de connaître les faits d’après un témoin oculaire et auriculaire. Je me permettrai de contredire M. le comte de Mirabeau sur quelques faits. La personne à qui l’huissier s’est adressé lui disait : je suis suppléant, je désire entendre la lecture du mémoire du ministre des finances, on ne doit pas aller aux voix; je n’ai pas trouvé place dans la tribune, je puis donc demeurer dans la salle sans inconvénient. Nous lui avons dit qu’il devait cependant sortir, et, en s’en allant, il a accompagné ses paroles de gestes qui ne regardaient point M. le président. M. le comte de Mirabeau. Nous ne parlons ni du même lieu, ni du même fait, je ne parle que des gestes que cette personne a faits au haut de l’escalier. Je ne me serais pas fié à la vue d’un seul homme, mais quand j’ai entendu un grand nombre de voix s’écrier : il menace le président, , je me suis élevé contre cette offense. Le haut de l’escalier est le moment où le prévenu a manqué à l’Assemblée. S’il pouvait y avoir des doutes sur uu fait aperçu par tout le monde, je demanderais que l’officier de garde fût entendu; mais le fait est connu de tous et je persiste dans mon opinion. (On demandeà aller aux voix sur la motion de M. le comte de Mirabeau.) M. lé Président, Je viens de recevoir du suppléant, sur le sort duquel vous délibérez, la lettre suivante : « Monsieur le Président, « J'apprends à l’instant que je suis accusé d’avoir insulté par mes gestes l’Assemblée nationale j je jure que jamais mon intention n’a été de lui manquer de respect, et certainement il y aurait de la démence à insulter l’Assemblée nationale, Si je n’obtiens pas la permission de venir me justifier à la barre, je vous supplie, Monsieur le Président, de vouloir bien exprimer mes sentiments, et combien je suis douloureusement affecté de cette accusation. « Je suis avec respect, « Monsieur le Président, « Votre très humble et très obéissant serviteur, « Signé : DË BLAIR, député suppléant de la Prévôté et Vicomté de Paris . » Plusieurs membres proposent, pouf clore l’incident, d’insérer cette lettre d’excuse au procès-verbal. Cette proposition est mise aux voix et adoptée. M. le b Aron de Menou. Je demande qu’à l’avenir on use de la plus grande sévérité envers les étrangers qui s’introduiraient dans la salle et qui viendraient troubler les travaux des représentants du souverain. Cette motion est renvoyée aux commissaires nommés pour la rédaction a’un règlement de police intérieure pour l’Assemblée; ils sont chargés de la prendre comme un des éléments de leur travail. M. le Président. L’Assemblée reprend sou ordre du jour. Un de MM. les secrétaires va continuer la lecture du mémoire de M. Necker. Mémoire de M. le premier ministre des finances envoyé à l’Assemblée nationale {Y}. Messieurs, ce n’est pas sans beaucoup de peine-que je me vois dans la nécessité de vous entr&- lenir, avec inquiétude, de la situation des finances, et cependant, éclairés par vos propres calculs, vous vous y attendez, et je ne dois pas différer de remplir le devoir que m’imposent ma place et la confiance du roi. Au mois de novembre dernier, je vous informai, Messieurs, qu’uu secours extraordinaire de 80 millions suffirait probablement aux besoins de l’année; mais je vous fis remarquer que ces. besoins s’accroîtraient : « Si, â commencer du l#r janvier prochain, (alors 1790) l’équilibre entre les revenus et les dépenses n’était pas encore établi dans son entier; « Si le remplacement de la diminution du produit sur la gabelle n’était pas effectué, à commencer pareillement du Ie' janvier prochain 1790: « Si le paiement de l’année ordinaire des droits et des impositions essuyait des retards ; « Si les anticipations sur l’année 1790, quoi-qu’infiniment réduites, ne pouvaient pas être renouvelées complètement. » (I) Il est nécessaire de faire remarquer que co mémoire doit être rapporté à la date du 20 février, époque à peu près de sa composition.