SÉANCE DU 28 VENDÉMIAIRE AN III (19 OCTOBRE 1794) - N° 54 293 rappeler les mémorables journées des 9 et 10 thermidor, sans bénir la Convention nationale ; mais aussi sans verser des larmes amères sur les malheureuses victimes immolées dans nos contrées avant cette glorieuse époque. Nous avons, sous nos yeux, les décombres encore fu-mans d’une commune qui, par la fertilité de son terroir et l’industrie de ses habitans, alimen-toit nos marchés... Nous frémissons d’horreur en rencontrant, tous les jours, les femmes, les vieillards et les enfans de Bédoin devenus la proie des flammes... Mais hélas! un tableau de ce genre peut-il être tracé par des coeurs républicains? Pères du Peuple, transportez-vous un instant sur la scène de ces dégoûtantes horreurs; voyez-y des cabanes ouvertes à toutes les intempéries des saisons, servant d’asile à des familles plongées dans la plus affreuse misère; voyez-y un malheureux vieillard, qui, privé du seul appui de ses jours, et ne voyant, dans tout ce qui l’entoure, que la tristesse et le deuil, se trouve dans l’impuissance d’être secouru sur le reste d’une vie trop lente à s’évanouir. Et toi, patrie reconnoissante, verras-tu sans émotion, deux cent quatre-vingt-seize de tes défenseurs qui versent leur sang pour détruire tes ennemis, tandis qu’un tribunal inhumain répand froidement celui des auteurs de leurs jours, et livre leurs maisons et leurs propriétés aux flammes et au pillage? Voyez-y enfin le spectacle déchirant des exécutions les plus révoltantes... Le sol qui est encore teint de sang, vous désignera la place où un énorme échafaud servoit de perspective à de malheureux agriculteurs ; jugez vous-mêmes ensuite des intentions d’un tribunal qui, pour punir deux ou trois scélérats arracheurs d’arbres de la liberté par spéculation, a fait traîner au supplice, soixante-trois citoyens de tout sexe et de tout âge... Leurs mânes y citeroient surtout à votre tribunal auguste, un monstre abominable puant le sang humain; un être que sa nature paroît avoir vomi pour le malheur de nos contrées ; Suchet, commandant du quatrième bataillon de l’Ardèche, qui, pour se ménager la jouissance d’une fusillade, demande et obtient la moitié des victimes, pour donner à ses soldats le barbare plaisir d’une chasse nouvelle. Ah ! Législateurs, le sang de ces malheureux fume encore, c’est à la justice nationale à consoler celles de ces familles infortunées, qui n’ont pas à pleurer des coupables ; c’est à elle à donner de grands exemples, soit qu’il faille punir le crime, soit qu’il faille réparer l’injustice. Achevez donc de purger le sol républicain de tous les fripons : frappez indistinctement tous les scélérats, de quelque masque qu’ils se couvrent et quelque parti qu’ils embrassent; que le gouvernement révolutionnaire ne soit plus que la terreur des méchans, seuls ennemis qui restent à la République; restez à votre poste; dirigez sur eux la foudre nationale, et vous aurez sauvé la République. Lecture faite de la présente adresse, les membres ont délibéré de la faire imprimer, au nombre de cinq cents exemplaires, pour être envoyée à la Convention nationale, aux comités de Salut public et de Sûreté générale, aux autorités constituées des principales communes de la République, et à toutes les sociétés populaires avoisinantes. Duret le jeune, président, Liely, Imbert, Bosquier, secrétaires, suit un grand nombre de signatures. Il s’élève quelques discussions sur l’adresse de Carpentras, relativement à une lettre contraire aux principes, qu’elle dit lui avoir été écrite par le comité de Correspondance, et sur les secours qu’elle sollicite pour indemniser les habitans de Bédoin, des pertes qu’ils ont faites (110). Rovère demande que cette adresse soit renvoyée aux comités de Sûreté générale et des Secours. Il demande en outre que les représentans qui sont en mission à Carpentras, puissent donner aux malheureux habitans de cette ville, des secours provisoires. Barras demande que la Convention fasse un acte de justice en donnant du pain à ces malheureux victimes qu’on n’a pas jugé dignes de la mort, mais dignes de mourir de faim. Il appuie la proposition de Rovère (111). Barras appuie la proposition tendante à accorder des secours aux malheureux habitans de Bédoin; mais il demande que la Convention désapprouve la réponse faite par le comité de correspondance, à la prétendue société populaire de Carpentras. Bassal nie que jamais le comité de Correspondance ait écrit à personne. Barras demande que le désavoeu de Bassal soit consigné au procès-verbal. Rovère demande que les propositions soient divisées : que d’abord on s’occupe des secours à accorder aux Bédoins. Ensuite, dit-il, nous nous occuperons de la proposition de Barras. Un membre voudrait que la demande des secours fut renvoyée au représentant du peuple en mission dans le département de Vaucluse (112). [Rovère appuyé la demande de la société, et demande que le comité des Secours soit chargé de faire un prompt rapport sur ces malheureux, il est appuyé par Barras, qui demande de plus qu’une somme de 50 mille livres soit envoyée par la commission des secours aux autorités constituées pour le soulagement provisoire de ces malheureux. Plusieurs membres demandent le renvoi pur et simple au comité des secours qui en fera son rapport dans trois jours. Ce dernier avis est adopté.] (113) Un autre membre demande à donner des explications : il déclare que, dans la commission des dépêches, section du comité de correspondance, il est effectivement d’usage d’accuser ré-(110) Débats, n° 757, 422; M. U., XLV, 7. Les journaux placent la lecture de cette adresse après celle de la lettre du représentant Goupilleau (voir plus bas, n° 56). (111) J. Mont., n” 7. (112) Débats, n" 757, 422. (113) J. Paris, n° 29. 294 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE ception des adresses. Mais, ajoute-t-il, cette lettre est imprimée; elle est conçue dans une forme commune à toutes les lettres de ce genre. On y déclare que la commission a reçu, tel jour, telle adresse; qu’elle a été lue à la Convention et insérée au bulletin, ou renvoyée à tel ou tel comité. Bassal demande la représentation de la réponse citée par Barras. Cette proposition est appuyée par Bourdon (du Loiret), qui demande le renvoi de la proposition de Barras à un comité auquel il justifiera de l’existence de la pièce. Barras déclare que c’est sur la foi de l’adresse de Carpentras, qu’il a fait sa proposition. Au reste, il demande l’ajournement de cette proposition, jusqu’au moment où la société de Carpentras pourra lui faire parvenir cette réponse. Ichon observe que si l’on surseoit à l’adoption de la proposition, il faut aussi surseoir à l’insertion de l’adresse au bulletin, pour ne pas laisser planer le soupçon sur le comité de Correspondance. On demande l’ordre du jour sur le tout; il est adopté (114). La Convention décrète l’insertion par extraits de cette adresse au Bulletin. Un membre [ROVÈRE] (115) : Je demande que le commandant du 4e bataillon de l’Ardèche, qui est accusé par la société populaire de Carpentras d’avoir commis les plus grandes horreurs dans ce pays, soit mis en arrestation. On demande le renvoi au comité de Sûreté générale. TALLIEN : J’appuie le renvoi. Ce n’est pas sur l’assertion d’un simple individu qu’on peut ordonner l’arrestation d’un citoyen. Je demande que l’Assemblée ne porte jamais de décret d’arrestation contre personne, sans avoir entendu un rapport préalable. Un membre : Il y a un décret qui consacre la proposition que vient de faire Tallien. Je demande l’ordre du jour, motivé sur ce décret, et qu’on ordonne seulement le renvoi au comité de l’affaire particulière. Ces propositions sont décrétées (116). 55 La Convention rend, en outre, le décret suivant : La Convention nationale décrète que le comité des Secours publics fera, sous trois jours, un rapport sur les secours à accorder aux habitons de la commune de Bé-(114) Débats, n° 757, 422-423; Ann. Patr., n° 657 ; C. Eg., n° 792; J. Paris, n° 29; Rép., n” 29. (115) J. Fr., n* 754. (116) Moniteur, XXII, 291. Débats, n° 757, 424; Ann. R.F., n° 28; J. Fr., n° 754; J. Mont., n” 7; Rép., n" 29. Décret de renvoi attribué à Tallien par C* II 21, p. 14. doin, département de Vaucluse, dont les maisons ont été brûlées par jugement d’une commission établie par le représentant du peuple alors en mission dans ce département (117). La séance est levée à quatre heures. Signé , CAMBACÉRÈS, président; A.P. LOZEAU, PELET, BOISSY [d’ANGLAS], ESCHASSERIAUX, jeune, LAPORTE, Pierre GUYOMAR, secrétaires (118). AFFAIRES NON MENTIONNÉES AU PROCÈS-VERBAL 56 On fait lecture de la lettre suivante : [Ph. -Ch. -Aimé Goupïlleau, représentant du peuple, à la Convention nationale, de Béziers, le 28 vendémiaire an III] (119). Vous savez, comme moi, citoyens collègues, que la dernière ressource des ennemis de la patrie est de calomnier ceux qui se font gloire de la bien servir; la justice et l’humanité sont converties en modérantisme; si l’on comprime les agitateurs, les sectateurs de Robespierre, ce sont autant de patriotes qu’on persécute; tel est à peu près, depuis un mois, le résumé de la correspondance des Jacobins ; telle est l’épreuve personnelle que j’en fais. Le n" 153 du Journal de la Montagne, qui vient ici de me tomber entre les mains, contient contre moi une dénonciation de prétendus patriotes d’Avignon, à laquelle il est de mon devoir de répondre. Reportez-vous, je vous prie, citoyens collègues, au moment où, honoré de votre confiance, je suis venu dans les départements méridionaux : Marseille étoit dans la plus forte agitation; des agens de la société populaire de cette commune étoient disséminés sur toutes les parties de la République; on y crioit Vive la Montagne ! d’une aussi bonne foi que les royalistes et les fédéralistes crioient l’an passé Vive la république, une et indivisible! Ce qui s’est passé depuis dans cette commune vous a (117) P. V., XLVII, 271-272. C 321, pl. 1337, p. 49. Décret anonyme selon C* II 21, p. 14. Ann. Patr., n° 657; J. Paris, n° 29; Rép., n° 29. (118) P. V., XLVII, 272. (119) Bull., 28 vend, (suppl.). Moniteur, XXII, 289-290; M. U., XLV, 7-12; mention dans Débats, n 757, 422; Ann. Patr., n 657 ;Ann. R.F., n° 28; C. Eg., n° 792; F. de la Républ., n° 29; Gazette Fr., n° 1022; J. Fr., n° 754; J. Paris, n” 29; J. Mont., n° 7 ; J Perlet, n 756 ; Mess. Soir, n” 792 ; M. U., XLFV, 445 ; Rép. , n” 29.