570 [5 avril 1791.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Liens qui seront échus au défunt par succession. Au surplus le propriétaire jouira de la pleine faculté de disposer de tousses biens. (L’Assemblée décrète l’impression du discours de M. Tronehet.) M. de Cazalès (1). Messieurs, j’ai lu avec attention le projet de décret qui vous est soumis et n'ai pu m’empêcher d’être profondément effrayé du nombre et de l’importance des changements qu’on vous propose. Ce projet de décret, renfermant dans ses dis-posiiions les règles des successions et des donations de toutes les espèces, c’est-à-dire presque toutes les lois sur lesquelles repose la propriété, embrasse par ses rapports directs ou indirects toutes les parties du Gode civil. À quel point on s’est joué de la volonté de l’Assemblée nationale, qui avait déclaré qu’elle voulait renvoyer à la législature prochaine la réforme du Gode civil, en la faisant délibérer sur un projet de décret qui, s’il était adopté dans son entier, changerait toutes les lois civiles de l’Empire? C’est de la bonté des lois civiles que dépend essentiellement le bonheur du peuple. Les lois politiques ne sont pour lui que des lois du second ordre. Et qu’importe en effet aux quatre-vingt-dix-neuf centièmes des habitants de l’Empire français d’être régi par un roi , par un sénat, par des états généraux, par une Assemblée nationale, par un parlement I Toutes ces questions politiques, dont nous faisons si grand bruit, n’intéressent .guère que quelques milliers d’intrigants qui, voulant dominer les autres, mettent une grande importance à faire prévaloir le genre de gouvernement qui multiplie le plus les chances de leur ambition. (Murmures.) Si de bonnes lois politiques n’étaient pas nécessaires pour que les lots civiles fussent respectées, si elles n’en étaient pas les gardiennes, elles seraient sans intérêt pour presque T université de la nation. Les lois civiles étant celles qui établissent et ordonnent la propriété, atteignent généralement tous les citoyens, le bonheur de tous en dépend; il est du plus grand intérêt pour tous qu’elles soient discutées et réfléchies avec la plus profonde maturité. Un membre : Eh 1 qu’est-ce que nous faisons ? M. de Cazalès. Changer les lois civiles d’un grand empire, est, sans" contredit, le travail le plus important dans son objet, le plus difficile dans son exécution, difficile à cause de cette foule de rapports qui s’y lient et que des législateurs vulgaires n’aperçoivent qu’après les avoir détruits ; difficile à cause de l’amour, à cause de l'attachement extrême que les peuples ont pour leurs coutumes et pour leurs lois. Je ne sais si au milieu des divisions qui nous agitent au milieu des circonstances qui nous pressent, des législateurs sages devaient entreprendre un travail aussi important. Ce que je sais, c’est qu’au parlement d’Angleterre, au milieu du calme profond dont jouit cet empire, de pareilles lois seraient discutées des années entières avant que d’être adoptées. Un membre : Tant pis ! M. de Cazalès. Ce que je sais, c’est que lorsque sur la demande d’Honorius, vos pères rédigèrent le Code salique, ils le discutèrent dans trois assemblées consécutives de la nation ; ils réfléchirent pendant 3 ans sur ces mêmes lois que vous avez détruites en trois quarts d’heure. Cependant c’est après une session de 22 mois, session la plus longue dont l’histoire du monde nous ait laissé le souvenir ; c’est à une époque où les forces physiques et morales de la plupart des dépotés de cette Assemblée sont épuisées; c’est à une époque où la nation demande avec impatience la lin d’une Constitution trop longtemps prolongée; (Murmures)... Plusieurs membres : A l’ordre du jour ! M. Canjuinais. Il faut le rappeler à l’ordre ; ce sont des réclamations contre la Constitution. M. de Cazalès... C’est à une époque où il était de notre devoir de nous renfermer strictement dans l’achèvement de cette Constitution tant promise, et qui, quoi qu’en puissent dire ceux qui veulent éterniser et leuts fonctions et nos travaux, n’est et ne peut être autre chose que la départition des pouvoirs politiques. (Murmures)... Voix à gauche : A l’ordre du jour! Il y a un décret. M. de Cazalès... C’est, dis-je, à cette époque qu’on vous propose un travail de cette importance ; qu’on vous propose des changements toujours dangereux, et qui certainement ne doivent être ordonnés qu’après la discussion la plus lente et la plus réfléchie. M. Dénicnnier. Monsieur le Président, pour engager M. Cazalès à vouloir bien traiter la question, je lui demande la permission de rappeler ce qu’il a oublié; que c’est lui-même qui a demandé que le comité présentât ce travail. On avait donné un projet de loi pour les successions ab intestat; le comité de Constitution, aussi pressé et plus pressé que personne d’accélérer les travaux de l’Assemblée, s’était borné uniquement à cet objet, qui encore lui avait été demandé antérieurement. M. Cazalès, à cette époque, demanda le titre sur les testaments, que nous discutons en ce moment. 11 se joue donc de l’Assemblée nationale? ( Applaudissements .) Plusieurs membres : C’est vrai! c’est vrai! M. de Cazalès. Si M. Démeunier, dont la mémoire me paraît très fidèle, voulait se souvenir en totalité de mon opinion à celte époque, il dirait ..... Un grand nombre de membres : A l’ordre du jour! à bas de la tribune! M. de Cazalès. Monsieur le Président, veuillez bien obtenir du silence. M. Démeunier dirait que j’ai motivé ma demande, que j’ai réclamé que le comité de Constitution présentât un travail complet et général sur les successions par l’espoir que j’avais que l’Assemblée nationale, effrayée de l’importance et de la difficulté de cette question, abandonnerait cette entreprise. (Murmures.) (1) Ce document n’est pas inséré au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 avril 1791.] 574 Un grand nombre de membres : A l’ordre du jour! M. de Cazatès. Puisque M. Démeunier m’a interpellé, j’ai sûrement le droit de lui répondre. M. le Président. Monsieur de Gazalès, ayez la bonté de rentrer dans la question. M. de Cazalès. Gomme je suis fort peu sujet avarier dans mes principes et dans mes opinions, j’aurais voulu que M. Dé meunier rapportât le fait tout entier, lorsque j’ai réclamé le titre second. (Murmures.) M. Gaultîer-Blauzat. On demande l’ordre du jour, Mon-ieur le Président. Je vous prie de le mettre aux voix. M. «le Cazalès. Dès que l’Assemblée me prêtera silence, je me renfermerai dans la question; j’ai voulu justifier que mon opinion n’est pas variable. Si, fidèle à son usage, l’Assemblée nationale eût ouvert la discussion sur l’ensemble de ce projet, j’aurais donné plus d’étendue à ces considérations, et, tirant mes conclusions du danger éminent qu’il y a dans tous les temps à changer les lois civiles d’un empire, de l’inopportunité des circonstances où cet important et difficile travail vous est présenté, circonstances qui nous entraînent malgré nous, et qui, soit fatigue de la part des membres de cette Assemblée, soit impatience de la part de la nation, ne nous permettent plus de discussion réfléchie, et nous font adopter, avec une précipitation vraiment effrayante, les décrets les plus importants, j’aurais demandé que ce projet de loi tout entier fut renvoyé à la législature prochaine; mais puisque l’Assemblée nationale, en décrétant les premiers articles, semble avoir rendu nécessaire de délibérer sur le autres; puisque j* suis forcé malgré moi de m’occuper d’une loi que toutes les convenance-, que toutes les règles de la prudence humaine devaient nous engager à renvoyer à nos successeurs, je vous proposerai de prendre le parti qui, par le fait, opérera le moins de changements dans les coutumes des peuples; de prendre le seul parti qui puisse empêcher que vous ne fassiez un nombre infini demécontents. Cepartiest d’étendre à tout le royaume la faculté de tester sous les limites imposées par la loi romaine. (Murmures.) Puisque l’Assemblée nationale, se laissant aller au système séduisant, mais dangereux de l’uniformité, condamne toutes les provinces du royaume à être régies par les mêmes lois civiles; système d’où il suit que s’il est vrai que des lois civiles ne sont ni des règles de géométrie, ni un code de morale; mais que s’appliquant à des objets réels, étant faites pour avoir leur exécution, elles doivent être appropriées au climat, au soi, aunombre, aux mœurs et au génie des peuples qu’elles sont destinées à régir, il est nécessaire que deux provinces aussi différentes sous tous ces rapports, que sont la Provence et la Normandie, étant régies par les mêmes lois, il y en ait au moins une des deux de mal gouvernée; Un membre : Point du tout! M. «le Cazalcs... Du moins paraît-il juste que parmi les lois qui vous gouvernent vous choisissiez pour l’étendre à tout l’empire, celle qui régit le plus grand nombre de provinces; c’est le moyen d’arriver à notre système favori d’uniformité, en faisant le moins de mal, le moins de changement possible. Comme on ne manquera pas de m’objecter qu’à l’aide de l’effet très étendu que la loi romaine accorde aux dispositions des mourants, nous verrons renaître par les testateurs une partie des inégalités, une partie des préférences que les coutumes avaient établies, et que pour rendre ces inégalités et exceptions admises, votre comité vous les a présentées comme des conséquences du régime féodal, j’en marquerai rapidement l’origine. Je dirai dans quel esprit les substitutions, la loi paterna paternis , l’inégalité des partages fuient établies, et il demeurera prouvé que ces différentes institutions, que ces différentes coutumes sont entièrement étrangères à la féodalité. J’examinerai les lois sur les successions dans leur influence sur les mœurs des citoyens et sur l’amour de la patrie; je les examinerai dans leurs rapports avec la meilleure culture et la multiplication des denrées, dans leur effet sur le commerce et l’industrie nationale. Je prouverai (Murmures)... Est-ce que je ne suis pas dans la question actuellement? (Murmures.) Je prouverai... M. l’abbé Masiry. Le moyen de ne pas entendre, c’est de ne 'pas écouter; ayez la bonté d’écouter, vous allez entendre une superbe opinion. M. de Cazalès Je prouverai que la faculté de tester, telle qu’elle est établie par la loi romaine, est une conséquence nécessaire de la puissance paternelle; de celte puissance à qui Rome a dû 500 ans de gloire et de vertu. Enfin si votre principal objet est d’attacher tous les citoyens, tous les propriétaires à votre nouvelle Constitution, l’adoption de la loi romaine remplit parfaitement votre dessein, car il ne se peut pas qu'il y ait un seul propriétaire mécontent d’une loi qui lui laisse la plus grande liberté possible dans la disposition de son héritage et qui étend l’empire de la propriété par delà même les bornes de la vie. C’est à Rome que naquirent les substitutions. Si l’on en cherche le motif, on Je trouve dans une idée religieuse, qui voulait qu’on fît faire après sa mort des sacrifices qui n’étaient valables qu’autant qu’ils étaient faits par votre héritier. On le trouve dans un sentiment de civisme, dans un sentiment qui tenait à l’amour le plus pur de la patrie. Ce sentiment faisait que chaque citoyen se croyait obligé, en mourant, de laisser, dans la République qu’il abandonnait, un citoyen qui le remplaçât, et ce citoyen ne pouvait être autre que sou héritier. C’est de ce mélange d’idées religieuses et civiques que s’était formé un préjugé très utile à la République, qui faisait que l’on regardait comme un grand déshonneur de mourir sans héritier; c'est à cet utile préjugé; c’est à la crainte de mourir sans héritier que Rome dût L’établissement des substitutions, que Rome dût l’usage des adoptions; cet usage en honneur chez les Germains et qu’il serait peut-être digne d’un peuple libre de renouveler au milieu de lui. La loi paterna paternis , materna maternis , cette loi qui veut que les biens du père reviennent aux parents du père ; que les biens de la mère reviennent aux parents de la mère, est 872 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 avril 1791.) une loi de Romulus; son esprit est évident, il est le même que celui qui avait présidé au partage des terres, à l’époque de la fondation de Rome; il est le même que celui qui régnait dans toutes les Républiques de la Grèce, il tendait à conserver à chaque famille la part qui lui avait été attribuée, à maintenir la division des propriétés, à empêcher que le patrimoine de plusieurs familles ne fût cumulé dans une seule ; et si cettemême loi reparaît en partie, dans Jes différents codes barbares, c’est que ces codes de lois, rédigés sur la demande d’Honorius et sous les yeux de Sti-licon, ne sont eux-mêmes que des modifications de la loi romaine, et avaient adopté une grande partie de ses dispositions. L’inégalité des partages est antérieure de plus de 500 ans à l’établissement des fiefs. Cette inégalité existait dans les forêts de la Germanie, aux temps où nos pères les habitaient, et les fiefs n’ont été rendus héréditaires que vers la fin de la seconde race. L’inégalité des partages est établie par le code des abus ; or, les abus étaient la propriété commune, la propriété opposée à celle qui dérivait des fiefs. L’inégalité des partages est établie par la loi salique, qui dit que les filles ne succéderont pas à la terre salique, et la terre salique était la vraie propriété des Germains ; elle était le champ au milieu duquel leur maison était située ; elle était la seule propriété foncière que possédassent des peuples pasteurs, tant qu’ils habitèrent les forêts de la Germanie ; elle était en tout différente des terres lutiques qui étaient des espèces de bénéfices que les Romains donnaient aux peuples barbares qu’ils chargeaient de la garde de leurs marches ou frontières, et qu’il eût été plus excusable à notre comité de confondre avec les fiefs. Voilà ce que nous apprennent et Tacite et Montesquieu, et surtout les différentes chartes qui nous sont restées de ces temps reculés. Mais ce que Tacite et Montesquieu ne nous apprennent pas (le principe de l’exclusion des filles de la terre salique), il n’est pas de paysan normand qui ne vous l’apprenne. Eh quoi ! vous dira-t-il, dans sa naïve simplicité, il faudra qu’après ma mort, mes filles partagent ce champ à la propriété duquel j’avais associé mes garçons par leur travail, tandis que mes filles ne Payant pas cultivé, n’y ont aucun droit. Ainsi, l'inégalité des partages, loin d’être une conséquence de la loi des fiefs, dérive de la règle primitive de toute propriété, dont le travail est le premier titre. Ce principe de l’exclusion des filles, trop juste, trop simple, pour n’avoir pas échappé à tant de savants auteurs qui ont écrit sur cette matière vous sera appris par le premier paysan normand que vous interrogerez à cet égard ; 20 siècles n’ont pu en altérer la tradition, et il est tellement vrai que c’était là le motif de l’exclusion des filles au partage des propriétés foncières, que, chez ces mêmes Germains, elles avaient une part égale à celle des garçons, dans le partage des richesses mobilières, dans le partage des troupeaux, qui étaient leur principale fortune. Je crois avoir prouvé que les substitutions, la loi paterna paternis, l’inégalité des partages, loin d’être des conséquences du système féodal, étaient des institutions républicaines ; qu’elles avaient leur source dans cet esprit constant de la république, qui voulait donner une certaine fixité au patrimoine des citoyens, pour les attacher davantage au sol qui les avait vus naître ; dans cet esprit, dont la tendance était d’empêcher le patrimoine de plusieurs familles de se cumuler dans une seule ; que l’inégalité des partages surtout tenait à cette idée si simple, à cette idée si juste, à cette idée si faite pour être sentie par des peuples qui touchaient encore à la naissance de la propriété, à ce principe qui veut que le travail en soit le premier titre. Je crois avoir prouvé combien est grossière l’erreur dans laquelle est tombé votre comité de Constitution, lorsque, aveuglé par sa haine contre le régime féodal, imitant ces chevaliers errants qui se battaient contre des fantômes, il voit et combat encore la féodalité dans les institutions qui lui sont les plus étrangères, dans les institutions qui, même en France où elles ne sont pas nées, ont précédé de plusieurs siècles la naissance du régime féodal. Non que je veuille en induire que ces différentes coutumes, que ces diverses institutions appropriées aux mœurs, aux habitudes, au sol des peuples qui les avaient adoptées, soient demeurées également bonnes, quand ces peuples les ont portées dans les nouvelles habitations qu’ils ont conquises, soient demeurées également utiles après que 14 siècles ont entièrement changé leurs mœurs et leurs habitudes ; mais comme je pense que si l’Assemblée nationale détruisait la faculté de tester, on la rendait illusoire, en la restreignant dans les limites que notre comité de Constitution vous propose de lui imposer, elle porterait une loi funeste à la prospérité de l’empire. Avant d’établir les exceptions, avant de marquer les modifications que je crois nécessaires d’apporter cette loi générale de l’égalité des partages, j’ ii cru devoir effacer l’empreinte de défaveur que votre comité avait jeté toute exception sur toute inégalité quelconque, en les faisant dériver du régime féodal. Je n’examinerai pas les lois sur les successions d’après les principes du droit naturel, parce que ce n’est pas d’après les principes du droit naturel qu’elles doivent être réglées. La loi naturelle, dit Montesquieu, oblige les pères à nourrir leurs enfants, mais ne les oblige pas de les faire héritiers. Les lois sur les successions, étant le seul moyen légitime qu’ait une société instituée pour influer sur le partage des terres, ayant un effet direct et immédiat sur les mœurs, sur les vertus, sur la prospérité publique, il est évident que les successions doivent être réglées d’après les principes du droit politique et civil. Le rapport le plus important sous lequel les lois sur le partage des terres puissent être considérées, est sans contredit celui qui lie à l’amour de la patrie, sans lequel il n’est pas de bonnes lois, et avec lequel les mauvaises lois sont bonnes. Ne pensez pas que ce rapport entre le partage des terres et l’amour de la patrie soit un rapport chimérique. C’est par l’amour de la propriété qu’on s’élève à l’amour de son pays ; c’est par l’amour de la famille qu’on s’élève à l’amour de ses concitoyens! Ces idées plus réelles, ces sentiments privés et plus fortement sentis, sont des intermédiaires nécessaires à la plupart des hommes, surtout dans un grand Etat, pour s’élever à l’idée abstraite, au sentimeat factice et général de l’amour de la cité. Pour que chaque citoyen soit fortement attaché à sa propriété, il est nécessaire qu’elle ait une certaine étendue, il faut au moins qu’elle suftise à le nourrir, il faut surtout qu’il y ait une certaine fixité dans le patrimoine des citoyens. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 avril 1791.) 573 Or, s’il arrivait (et il arriverait nécessairement) dans un temps plus ou moins rapproché, qu’à l’aide des partages forcément égaux de génération en génération, la propriété serait tellement divisée, que chaque part de cette propriété serait intiniment médiocre, qu’elle ne suffirait plus à nourrir celui qui la posséderait, et qu’à la mort de chaque chef de famille, on serait obligé de vendre son héritage ; la médiocrité des propriétés foncières, Pinsuffisance où elles seraient de nourrir leur maître, la mobilité qui s’établirait dans le patrimoine des citoyens diminuerait infiniment l’amour de la propriété; et s’il est vrai ue l’amour de la patrie se compose de l’amour e la famille, et de l’amour de la propriété, s’il est vrai, comme je le prouverai dans la suite de mon opinion, que les partages forcément égaux sont merveilleusement propres à détruire l’amour de la famille, il demeurera démontré que l’amour de la patrie s’éteindrait par la destruction des éléments qui lecomposent; la République finirait par être composée d’hommes qui, à cause de la modicité, qui à cause de la mobilité de leurs propriétés foncières, se rapprocheraient beaucoup de l’indifférence qu’ont pour la chose publique ceux qui ne possèdent rien, ou qui n’ont que des richesses mobilières. Cependant il serait également immoral, et il serait impolitique que les lois empêchassent la division des grandes propriétés, ou qu’elles favorisassent la réunion des petites, car alors toutes les terres se trouveraient appartenir à un petit nombre d’individus, la majeure partie des citoyens serait sans propriété, et par conséquent sans intérêt à la chose publique. (Applaudissements à droite.) Il est donc également funeste que les propriétés soient ou trop divisées, ou trop réunies. Dans le premier cas, vous n’avez que des citoyens indifférents; dans le second, la plupart des individus n’élajit pas propriétaires ne sont pas même citoyens. Il faut, pour être bonnes, que les lois sur les successions aient pour objet la division des grandes propriétés et le maintien des petites dans toute leur intégrité. Cette vérité avait été généralement reconnue par tous les anciens législateurs, qui ne s’étaient pas attachés à favoriser la division, ni l’accumulation des différentes propriétés ; mais dont toutes les lois tendaient évidemment à donner au patrimoine des citoyens, cette fixité si nécessaire pour les lier au territoire, et à maintenir la propriété foncière dans les mêmes mesures où elle avait été distribuée à l’époque de l’institution de la République. J’admire à cet égard la sagesse des anciennes institutions, qui loin d’admettre ces maximes générales de nos politiques modernes, qui nous disent que la population De peut pas être trop nombreuse, ni la propriété trop divisée, tendaient toutes à maintenir et la population et la division des terres dans la proportion qu’elles croyaient être la plus avantageuse à la stabilité de la République et au bonheur des individus qui la composaient. Personne de vous n’ignore que plusieurs républiques de l’ancienne Grèce, et celles-là étaient mieux instituées, mettaient autant de soins à contenir la population dans ses justes bornes, que la plupart des gouvernements modernes en ont mis à la multiplier hors de toute mesure. En examinant la division des terres dans ses rapports avec la prospérité de l’agriculture, et la multiplication des denrées, vous reconnaîtrez que cette division est utile ou funeste selon la qualité du terrain, et la nature des denrées que l’on cultive. Dans les terres à blé, la division des propriétés contribue puissamment à l’amélioration de la culture; mais dans les bois, dans les pacages, dans les vignes, dans les habitations à sucre, dans toutes les espèces de propriétés qui exigent des exploitations chères, des bâtiments considérables, des soins recherchés, la trop grande division des propriétés en serait la ruine! Et sans doute que c’est par cette raison que l’inégalité des partages était établie dans le Cotentin, dont le produit est en herbages; tandis que dans la Beauce, dont le blé est l’unique denrée, les partages étaient égaux; et sans doute que c’est la même raison qui fait qu’en Angleterre, dont jadis le principal produit était en pâturages et où ils font encore une grande partie de la richesse nationale, les partages sont inégaux et le territoire divisé en grandes masses. Demandez aux Bourguignons, demandez aux Bordelais ce que deviendraient leurs crus les plus fameux s’ils étaient divisés arpent par arpent? Ils vous diront que, leurs vins perdant toute leur qualité, la valeur de ces propriétés serait infiniment diminuée et que le très lucratif commerce que nous en faisons avec l’étranger, serait anéanti. Aussi la Bourgogne et la Guyenne sont-elles régies par le droit écrit, qui permet des exceptions au partage égal des terres, et qui s’oppose, d’après la volonté particulière du chef de la famille, exprimée par son testament, à la trop grande division des propriétés. ( Murmures et interruptions.) Un membre : Et la Champagne? M. de Cazalès. Monsieur le Président, ces interruptions ne favorisent pas l’émission de l’opinion présente. ( Interruptions .) Si l’Assemblée est impatiente et qu’elle veuille ajourner à demain.., Plusieurs membres : Non! non! M. de Cazalès Alors je demaude qu’on m’écoute. Il n’est pas dans cette Assemblée un seul individu ayant quelque connaissance de la culture des Antilles, qui ne vous dise à quel point les habitations à sucre sont dégradées par leur division. If n’est pas un colon qui ne reconnaisse combien est nuisible dans ces contrées la loi qui ordonne le partage égal des terres ; il n’en est pas un qui n’ait souvent gémi de l’absurde ignorance de notre ancien gouvernement, qui, sans autre examen, par le seul empire de l’habitude, avait soumis les Antilles au même régime que l’Ile-de-France, donné à Saint-Domingue les lois qui régissent la Beauce, et crut qu’il n’y avait pas plus d’inconvénient à partager des terres à sucre qu’à partager des terres à blé. Si vous considérez l’égalité des partages sous le rapport du commerce, de l’industrie et de la population, peut-être trouverez-vous que cette égalité de partage sans exception, sans modification quelconque, en serait destructive. Si la nation française passe pour la plus active et la plus industrieuse de l’Europe, peut-être devons-nous et cette activité et cette industrie, au grand nombre de cadets qui existent dans le royaume, 574 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 15 avril 1791.] peut-être notre industrie a-t-elle besoin d’être réveillée par l’aiguillon de la nécessité! L’égalité des partages appellerait à la propriété un plus grand nombre de citoyens : ci tte propriété, quand même elle ne suffirait pas à les nourrir, fortifiant en eux cette paresse si naturelle à l’homme, éteignant toute industrie, tout désir de s’enrichir, ôterait aux arts, aux manufactures, au commerce, un grand nombre de bras qui leur sont nécessaires; la division des grandes propriétés, diminuant infiniment le nombre des consommateurs (car ce sont les grands propriétaires qui consomment et font consommer), il arriverait que votre commerce, que vos manufactures, privées à la fois d’ouvriers et de consommateurs, seraient détruites et avec elles périrait celte nombreuse population, dont on peut dire avec vérité, que le commerce est l’enfant et le père. (Murmures.) Peut-être même serait-il à craindre que, dans ce siècle de corruption, oùi’ou calcule, et les devoirs les plus saints et les plaisirs les plus doux de ia nation, cette part égale qu’on serait oblige de donner à ses cadets, ne les empêchât de naître ! Si vous considérez que ia population de Paris est sans cesse recrutée par des cadets arrivés du fond des provinces méridionales du royaume. qui viennent y remplacer les familles que ces coupables calculs ont fait éteindre! Si vous considérez que la plupart des fortunes qui se sont faites à la cour, à l’armée, dans le commerce, à tous les métiers honnêtes ou malhonnêtes, ont été faites par des cadets! Si vous considérez que la Normandie, que les provinces méridionales du royaume, où, par le fait, on partage inégalement, sont infiniment plus industrieuses, plus peuplées que les provinces du centre, où les partages sont égaux; qu’en Angleterre, où l’industrie est si active, où le commerce est si florissant, les propriétés sont divisées en grandes masses, peut-être trouverez-vous que ces craintes ne sont pas sans fondement, et que ces calculs méritent d’être approfondis ! Enfin, Messieurs, si les terres étaient trop divisées, chaque propriété étant à peine suffisante à nourrir son maître, et l’impôt ne devant et ne pouvant être établi que sur le superflu, nul impôt direct ne pourrait être perçu (1). Et puisque dans nos institutions modernes nous ne savons rien faire avec des hommes, que tout se fait ou se supplée avec de l’argent; que la machine entière du gouvernement repose sur la fiscalité ; faute de revenu public, l’association politique serait détruite. Mais quand cette hypolhèse paraîtrait exagérée, quand on ne voudrait pas l’admettre jusque dans ses dernières conséquences, toujours serait-il exactement vrai que la trop grande division des terres opposerait un obstacle, et un obstacle presque invincible (surtout le peuple étant armé), à la perception de tout impôt direct. Il suit de cet exposé que lorsqu’à la naissance des sociétés le législateur distribue aux peuples il) Le territoires du rojaumo de France contient 500 millions d’arpents, dont les trois quarts sont cultives. S’il était partagé par portions égales entre 25 millions d’habitants qui composent sa population, chaque individu aurait environ 3 arpents de terre et personne n’aurait de quoi vivre. Si seulement le quart des habitants était appelé à la propriété, chaque propriété foncière n’étant que de 12 arpents, c’est-à-dire de la valeur de 90 livres de rente aurait par sa modicité les inconvénients que j’ai exposés. (Note de l'opinant.) qu’il institue les terres qu’ils doivent cultiver, ce partage doit être combiné d’après la fertilité du terrain, la nature des denrées qu’il produit, et surtout d’après le but de l’institution. Si les terres sont fertiles, si leur production la plus commune est le blé, si ces peuples ne sont pas trop nombreux, s’ils ne veulent être que pauvres et libres, la propriété sera très divisée : mais si le territoire est stérile, si des denrées de luxe y sont cultivées, si cette nation veut être industrieuse et commerçante, il sera nécessaire qu’il soit divisé en plus grandes masses, et les grandes propriétés y seront sans inconvénients; et c’est ainsi qu’à Sparte et dans l’ancienne Rome, dont le territoire était fertile, dont l’institution n’avait pour objet que la liberté, pour moyen que la vertu, les parts des citoyens furent très pentes, et les lois veillèrent avec'la plus sévère attention à ce que le patrimoine de plusieurs familles ne fut pas cumulé dans une seule; et c’est ainsi qu’à Athènes, dont le territoire était planté de vignes et d’oliviers, qu’à Carthage, dont l'institution avait pour but l’industrie et le commerce, le territoire fut distribué en plus grandes masses; et c’est ainsi que dans Rome moderne, lorsque les. conquêtes et le commerce, les arts et Je luxe, qui marchent toujours à leur suite, en eurent chassé les vertus et la pauvreté; lorsque ces maîtres du. monde, fatigués d’être pauvres et libres, aimèrent mieux être riches et asservis, les lois qui maintenaient la division des terres tombèrent en désuétude, les patrimoines de plusieurs familles se réunirent, et l’on vit se former ces grandes propriétés, aliment nécessaire du commerce et des arts. Et puisque, dans une société déjà instituée, le législateur n’a d’autre moyen légitime d’influer sur le partage des terres, que par les lois sur les successions; avant de porter ces lois, il doit examiner attentivement dans quelle mesure les propriétés sont déjà distribuées; il doit les combiner de manière qu’elles amènent successivement et sans secousse les terres à être divisées dans la mesure la plus favorable aux productions, aux moeurs et à la prospérité de l’Etat auquel il donne des lois. Parmi quelques grandes propriétés qui existent dans le royaume, il en est une foule de petites. Le territoire en est généralement fertile; mais il en est une portion considérable qui a besoin d’une culture chère et recherchée. Le blé est la denrée la plus commune et la plus précieuse; mais les pacages, mais les bois, mais les vius, mais les eaux-de-vie, mais les huiles, mais les sucres forment une grande parlie de la richesse nationale! Le royaume est essentiellement agricole; mais vous ne voulez renoncer ni à son commerce ni à son industrie ! Il ne faut donc pas que vos lois favorisant sans exception, sans modification quelconque, la division des terres, car la division des petites propriétés vous serait plus funeste que la division des granités propriétés ne vous serait utile; cette division en volatilisant pour ainsi dire la propriété, diminuerait nécessairement l’amour de la patrie; elle diminuerait les productions de votre territoire, car elle détériorerait vos vignes, vos bois, vos pacages, vos habitations à sucre, bien plus qu'elle n’améliorerait vos terres à blé. Cette division serait destructive de votre commerce et de vos manufactures qui, n’ayant plus ni ouvriers ni consommateurs, seraient nécessairement anéanties. D’où ii résulte que pour que vos lois sur les [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |5 avril 1791. | 575 successions arrivassent directementiaubut qu’elles doivent se proposer, ia division des grandes propriétés et le maintien des petites, il faudrait qu’elles variassent à cnaque pas, d’après la différence des terrains et la masse des propriétés qu’on aurait à partager ; il faudrait que les partages fussent égaux quand les successions s’élèveraient à la valeur fixée par la loi, dans chaque es-pècede propriété, et qu’ils fussent inégaux, quand elles resteraient au-dessous de cette valeur. Mais de pareilles lois seraient une source interminable de discussions et de procès : mais de pareilles lois, qui établiraient une différence dans le mode de partage, non seulement de province à province, mais de champ à champ, seraient bien contraires à cette uniformité que vous voulez établir dans tout l’Empire ! Je ne connais qu’un moyen de concilier l'uni-formité des lois sur les successions avec les exceptions, les modifications que nécessitent les circonstances que je vous ai exposées, ce moyen est d’étendre à tout l’empire ia loi du pays de droit écrit. La loi romaine, sur les successions, établit en principe l’égalité des partages ; mais elle permet aux pères de familles d’ordonner les exceptions qu’ils trouvent convenables. Ces exceptions étant ordonnées, en vertu d’une loi générale, ne blessenten rien le système d’uniformité que vous voulez établir ; cés exceptions étant ordonnées par le testament du père, ne peuvent être une source de discussion et du procès. Le droit d’or. tonner ces exceptions est confié aux propriétaires, aux chets de famille c’est-à-dire à ceux qui connaissent le mieux ce qu’exige la circonstance particulière de la propriété qu’ils possèdent, à ceux qui prennent le plus tendre intérêt au bonheur de leurs enfants et à la prospérité delà République. La loi romaine me paraît avoir fait, à cet égard, ce qu’il y a de plus sage et de plus convenable, elle me paraît réunir tous les avantages que vous désirez, l’uoiformiié de la loi civile, la destruction des procès que faisait naître la diversité de nos coutumes ; elle me paraît obvier aux inconvénients très graves, que je crains, et que j’ai montré dériver nécessairement, soit dans un temps, soit dans un autre, des partages forcément égaux. Enfin la faculté de tester telle qu’elle est établie par ia loi romaine, est une conséquence nécessaire de la puissance paternelle : cette sainte institution qui a fait des biens infinis à la nature humaine, et que sans doute vous ne voudrez pas détruire au moment où elle devient le plus nécessaire ; au moment où si elle n’existait pas il faudrait l’établir. C’est par la faculté de tester que les pères gouvernent leur famille, c’est par elle qu’ils obtiennent de leurs enfants, jusque dans la plus extrême vieillesse, des égards, des respects qu’ils attendraient en vain de leur vertu. Plus votre gouvernement devient libre, plus il est dans sa nature que le ressort de la police publique y soit relâché, plus il devient nécessaire de fortifier la puissance paternelle qui seule peut la remplacer. Dans une monarchie absolue, la vigilance, la sévérité, l’arbitraire même de la police, empêchaient que de très mauvaises mœurs ne fissent commettre de grands crimes ; mais une telle police n’est plus compatible avec les principes de liberté que vous avez établis. Dans une petite République, sur un territoire borné, les magistrats peuvent être censeurs ; mais dans un grand Etat cette censure serait impossible à exercer, impossible à supporter. Dans un graud Etat, sous un gouvernement libre, les pères sont les seuls à qui l’on puisse confier le dépôt sacrédes mœurs publiques, seuls ils peuvent exercer une censure d’autant plus utile qu’elle est de tous les moments, et qu’elle s’exerce jusque dans l’intérieur des familles. Eli 1 quelle surveillance pourrait être plus exacte , plus douce, plus appropriée à ceux qui lui sont soumis ? Elle ne punit pas les désordres, elle les prévient ; non contente de réprimer les vices elle est la source de toutes les vertus : c’est par cette institution, dit un écrivain célèbre, que les Romains tirent de si grandes choses sans le secours de l’éducation publique ; c’est elle qui faisait que dans l’ancienne Rome toutes les maisons étaient autant d’écoles de citoyens. Le pouvoir des pères sur les enfants mit tant de sévérité dans la police particulière, que le père, plus craint que le magistrat, était dans son tribunal domestique, le censeur des mœurs et le vengeur des lois. Ah ! s’il était dans cette Assemblée quelque individu qui doutât de la salutaire influence qu’a sur les mœurs la puissance paternelle, qui ignorât à quel point elle contribue à l’union des familles, comme elle en resserre les liens, comme elle augmente le bonheur domestique des individus, qu’il vienne dans les provinces méridionales du royaume; qu’il vienne dans ces contrées où le père régit la famille avec un grand empire, dans ces heureuses contrées où les pères ne meurent jamais; où celui de ses enfants que le père a choisi, le remplace dans son affection comme dans ses droits;... Voix à droite : C’est vrai ! Voix à gauche : Jamais! M. «le Caziilès... qu’il vienne apprendre comme on y chérit son père, comme on y chérit son frère, comme on y aime ses enfants ! La maison du frère aîné, la maison de l’héritier du père ne cesse pas d’être la maison paternelle : les cadets y sont reçus avec la même affection, avec la même bonté. (Murmures.) Plusieurs membres à droite : G’est abominable qu’on ne veuille pas entendre. M. de Cazalès. Il n’est pas rare de voir des frères aînés payer les dettes de leurs frères quoiqu’ils ne leur doivent rien; il est sans exemple que leur maison ne leur soit pas commune, et s’il en était un seul qui osât repousser du foyer paternel celui qui fut son frère, il serait en horreur, il serait en exécration à toute la contrée. (. Applaudissements à droite ; murmures à gauche .) Comparez ces mœurs, comparez ces vertus domestiques avec les mœurs qui sont sous vos yeux, avec les mœurs du pays que nous habitons 1 Les tribunaux y retentissent de scandaleux débats entre les pères et les enfants ; ceux-ci leur font rendre compte, avec une rigoureuse âpreté, des biens qu’ils prétendent leur apparle-nir ; il en est qui nagent dans une honteuse opulence, tandis que leur père est réduit à ia dernière misère; leur reconnaissance ne dure qu’autant que leurs besoins. A peine ont-ils atteint l’âge de raison qu’ils deviennent étrangers les uns aux autres; ils vont habiter les extrémités les plus opposées de cette immense ville; ils ne conservent ni respect ni égards pour 576 lAssemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 15 avril 1791.) des parents dont la morale les fatigue, dont la raison leur paraît absurde, et dont la longue vie les importune. Quelques froids devoirs de bienséance les réunissent à de longs intervalles, mais l’orgueil d’une folle indépendance, mais la cupidité, mais des intérêts différents ont éteint en eux les plus doux sentiments de la nature. Législateurs d’une nation corrompue... ( Bruit prolongé.) Un grand nombre de membres à gauche : A l’ordre! à l’ordre! A basl à bas! M. Lucas. Jamais on n’a jugé le tout sur une partie. M. de Cabales. Législateurs d’une nation corrompue, ce n’est pas de ses mœurs que peuvent dériver les lois que vous allez lui donner; ce ne sont pas ses mœurs qui peuvent vous garantir la durée de votre institution! Obligés de tenter la difficile entreprise, de rectifier les mœurs par les lois, où trouverez-vous un plus puissant moyen que l’autorité paternelle? Ah! sans doute vous vous hâterez d’accorder à la nation française le plus grand bienfait qu’elle puisse attendre de vous, et d’étendre à tout. l’Empire cette salutaire institution. Je ne suivrai pas plus loin ces différents rapports par lesquels les lois, sur le partage des terres, se lient d’une manière si intime avec toutes les parties de la législation, avec toutes les parties de la prospérité publique; et parce que le temps me presse (1), et parce que le génie nécessaire pour les approfondir ne m’a pas été départi; mais quoique présentés en masse, quoique insuffisamment développés, ces aperçus doivent fournir aux hommes sages qui m’écoutent une abondante matière de réflexions; ils doivent suffire pour les mettre en garde contre les maximes générales qu’on ne cesse de débiter dans cette tribune. Pour leur rappeler qu’en fait d’administration, il n’est pas de vérité absolue, et ue l’esprit de système qui, ne connaissant pas 'obstacle, croit pouvoir tout gouverner par des lois générales, est précisément le contraire du génie de l’administration, où tout est difficulté, où tout est exception. Peut-être même qu’au milieu des incertitudes que ces considérations doivent avoir laissées dans l’esprit de ceux qui savent douter, de ceux en qui une présomptueuse ignorance n’a pas entièrement étouffé les lumières du bon sens et de la raison, elles suffiront pour les déterminer à adopter la loi romaine, celte loi qui a pour elle l’expérience de vingt siècles, et l’imposante autorité d’un peuple qui cinq cents ans étonna l’univers de sa sagesse et de ses vertus. Le parti que je vous propose a l’avantage bien précieux dans tous les temps, mais incalculables dans les circonstances où nous sommes d’opérer par le fait le moins de changement possible, et de ne pas faire de mécontents ; car, je le répète, il ne se peut pas qu’il y ait un seul propriétaire, un seul chef de famille qui soit mécontent d’une loi qui lui laisse la plus grande liberté possible (1) La tumultueuse impatience do l’Assemblée nationale ne m’a pas permis d’examiner les lois sur les successions, relativement aux biens des femmes; cette puissante cause de luxe et d’inégalité dans les fortunes, ce qu’il est d’une société bien ordonnée de régler avec attention et sévérité. ( Note de l'opinant.) dans la disposition de son héritage, et qui étend l’empire de la propriété par delà même les bornes de la vie. Presque la moitié du royaume est régie parla loi romaine. Dans les pays coutumiers, les changements qui pourront avoir lieu seront déterminés par la volonté du propriétaire, par le jugement du chef de la famille, et non par la coaction de la loi; manière douce, manière tout à fait conforme aux principes de justice et de liberté, qui doivent être la base de votre gouvernement, d’amener les peuples à des coutumes plus raisonnables et plus sages. Si vous adoptez l’avis du préopinant, ou celui de votre comité; si vous détruisiez la faculté de tester, ou que vous la rendiez illusoire, en la restreignant dans les étroites limites que votre comité vous propose de lui imposer, il n’est pas un chef de famille, il n’est pas un propriétaire, surtout dans les provinces régies par le droit écrit, qui, par le seul fait de cette loi, ne devînt l’ennemi de la Constitution; jamais vous n’auriez réuni contre elle, ni de plus nombreux, ni de plus puissants ennemis, car à la longue ce sont les propriétaires qui font le destin des empires ; et si, dans les temps de faction, dans les temps d’orages, ils semblent perdre quelque chose de leur puissance, cette éclipse de leur crédit est nécessairement passagère. Il faut qu’ils reprennent tout leur empire, ou que la société soit détruite, puisqu’elle ne repose que sur la propriété. Jamais votre Constitution n’eût été exposée à un plus grand danger, que celui que vous provoqueriez imprudemment contre elle, en changeant ainsi, d’une manière injuste et violente, toutes les lois, toutes les coutumes, qui, depuis quatorze siècles, régissent les habitants de l’Empire français, Que les états de 1356 vous servent de leçon. Comme vous iis se ressaisirent des droits de la nation, trop longtemps méconnus; comme vous ils augmentèrent l’influence des communes dans les assemblées nationales ; comme vous, ils se montrèrent les ennemis les plus fermes du despotisme; mais égarés par leur zèle, emportés par des chefs factieux, ils eurent la dangereuse manie de vouloir tout réformer, tout changer ; ils oublièrent que la modération et la sagesse sont les seuls garants de la durée des institutions humaines, et leur fol ouvrage a disparu avec eux; ils ont succombé sous la puissante coalition des mécontents qu’ils avaient faits, et pendant quatre siècles les droits de la nation furent oubliés, et pendant quatre siècles nos pères gémirent dans un honteux esclavage, parce que nos ancêtres avaient abusé d’un moment de liberté. Vous ne pouvez calculer le mécontentement que vous ferez dans le Midi. Un membre à gauche : C’est faux ! M. de Toulouse-Lautrec. C’est vrai! c’est vrai 1 M. de Cazalès. C’est dans le Midi du royaume que se forma la ligue sous laquelle ils succombèrent ; c’est dans ce même Midi que les divisions civiles et religieuses qui nous agitent ont le plus de violence; c’est dans ce Midi que dès le commencement de la Révolution les mécontents ont semé tous les germes de la division. Il est incalculable le désespoir auquel vous réduiriez ces riches provinces, si vous détruisiez l’au- 577 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 avril 1791.] torilé paternelle qu’elles révèrent, si vous leur ôtiez la faculté de tester, dont elles sont si jalouses, situées aux extrémités de l’Empire, assises entre les Alpes et les Pyrénées, défendues par le Rhône, et les montagnes d’Auvergne; l’Océan et la Méditerranée baignent leurs côte-, et le canal de Languedoc, ouvrage du génie de l’immortel Riquet, en réunit la navigation dans leur sein. Elles ont fait, avec le soleil du Midi, une éternelle alliance, et cette alliance fait croître, sur leur sol privilégié, les huiles de Provence, les Tins de Bordeaux, les eaux-de-vie de Languedoc, c’est-à-dire toutes les denrées qui déterminent en notre faveur la balance du commerce de l’Europe; plus de 200 millions de leur numéraire viennent chaque année grossir les trésors de la capitale et augmenter les richesses des provinces du Nord. Si elles avaient la coupable pensée de s’isoler du reste du royaume, ce jour-là même serait le dernier jour ne la gloire et de la prospérité de l’Empire français. ' Quelle honte pour nous ! Combien nous serions coupables si celte Révolution tant vantée n’abou-tissat t qu’au morcellement du royaume, qu’à la division du plus beau rassemblement d’hommes dont l’histoire du monde nous ait conservé le souvenir ! 25 millions d’hommes parlant la même langue, ayant les mêmes mœurs, la même religion, les mêmes habitudes, habitant presque sous le même climat. • Luin de nou3 une si coupable pensée ! Notre patriotisme, notre amour pour le nom français, surtout votre justice, saura nous en garantir. Vous ne détruin z pas en un jour des lois auxquelles les habitants du Midi sont soumis depuis 2000 ans. Vous n’ôterez pas à ces provinces des coutumes qu’elles aiment avec idolâtrie et que les peuples barbares qui les ont conquises ont été forcés de respecter. Un membre : Ce sont les provinces elles-mêmes qui le demandent. M. de Cazalès. Je conclus.. > Voix à gauche : Ah ! ahl M. de Cazalès. Je passerais ces interruptions dans les questions d’un intérêt de parti; mais ceci regarde l’intérêt commun. Il est 20 personnes hors d’état d’avoir aucune conception, qui m’interrompent sans cesse; il n’y a rien de si bête que cette manière. (Murmures.) Je conclus à ce que l’Assemblée nationale étende à tout le royaume le bienfait de la loi romaine; tous les proprié aires, tous les pères de famille applaudiront à votre décret ; jamais vous n’aurez porté, jamais vous ne porterez une loi plus favorable à la vertu, à la prospérité publique. • M. le Président annonce l’ordre du jour de la séance de ce soir. La séance est levée à quatre heures. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. TREILHARD, EX-PRÉSIDENT. Séance du mardi h avril 1791, au soir (1). La séance est ouverte à six heures et demie du soir. Un de MM. les secrétaires donne communication des adresses suivantes : 1° Des gardes nationales du canton de Vézénobres, qui, après les expres>ions de félicitation, de dévouement et d’adhé-don, supplient l’Assemblée de leur procurer des arums. 2° De la commune de Hinx, district de Dax , à laquelle est joint le procès-verbal de la cérémonie qui y a eu lieu, lorsqu’on y a appris que M. Saurine avait accepté l’évêché du département des Landes, auquel il a été élu. 3° Des perruquiers de Châtellerault, qui supplient l’Assemblée d’ordonner le remboursement de leurs maîtrises suivant leur valeur réelle. 4° Du sieur Picq , maître de pension et d'école , à Chaunay, à laquelle sont jointes diverses attestations de son zèle à insiruire ses élèves suivant les principes de la Constitution. 5° Des amis de la Constitution de la ville d'Aix , qui sollicitent un décret portant injonction aux émigrants de rentrer dans le royaume dans le délai d’un mois, sous peine de confiscation de leurs biens. 6° Des administrateurs composant le département de la Haute-Garonne, qui annoncent que sur le refus de M. de Luménie, évêque de Sens, d’accepter le siège de la métropole du sud, le corps électoral y a nommé M. Hyacinthe Sermet, prédicateur. 7° Des administrateurs composant le directoire du département de l'Hérault, qui annoncent que d’après leur délibération, un Te Deum solennel a été chanté dans toutes les paroisses du département à l’occasion de la convalescence du roi. 8° Des administrateurs composant le directoire du district de la Tour-du-Pin, qui instruisent l’Assemblée que de 136 curés et 40 vicaires attachés aux paroisses de leur territoire, tous ont prêté le serment, à l'exception d’un seul curé et de deux vicaires, qui, ayant persisté à ne vouloir le prêter qu’avec restrietioa, n’y ont pas été admis. 9° Des administrateurs composant le directoire du département du Haut-Rhin, qui font part de la promotion de M. Arbogart-Martin, sous-prin-cipal du collège de Colmar, au siège épiscopal du département, resté vacant par l’empêchement de M. l’évêque de Lydda. 10° De l’assemblée électorale du département de la Lozère , qui annonce que M. Nogaret, curé de la Canourgue, a été élu à l’évêché du département, à la place de M. l’évêque d* Mende, déchu de son siège pour n’avoir pas prêté le serment. 11° De l’assemblée électorale du département du Nord, h laquelle est joint le procès-verbal de la nomination de M. Primat, prêtre de l’Oratoire, et curé de la paroisse Saint-Jacques de Douai, à l’évêché du département. 12° De l'assemblée électorale du département de la Gironde, à laquelle est joint le procès-verbal contenant l’élection .de M. Pacareau, ci-devant ir<5 Série. T. XXIV. (1) Cette séance est incomplète an Moniteur. 37