74 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 août 1790.] Messieurs, il existe à Ingrande, ville frontière de la Bretagne et de l’Anjou, un bureau des traites. Une portion égarée du peuple s’est portée, le 28 juin dernier, contre ce bureau dans l’intention de le détruire. Le projet avait pour objet d’enlever plusieurs bateaux qui avaient été arrêtés pour s’être soustraits au payement des droits; mais la surveillance de la municipalitéd’Ingrande mit obstacle à cette première tentative des émeu-tiers. La municipalité requit le secours de la garde nationale dont une partie refusa d’obéir, sous prétexte qu’elle ne voulait pas protéger des commis du bureau des traites. Un renfort de 30 dragons fut appelé d’Àncenis; néanmoins, la municipalité ne put empêcher le lendemain l’enlèvement des bateaux par le peuple soutenu par des mariniers de Chalonnes en Anjou. Le procès-verbal de la municipalité porte, en même temps, que le peuple força, sous peine de la vie, Jes officiers municipaux rassemblés à l’hôtel de ville, à renvoyer les dragons. Dans cet état, la municipalité demande la poursuite des coupables, et c’est pour réprimer ces excès que votre comité vous propose un projet de décret. Plusieurs membres présentent quelques courtes observations. Le décret suivant est ensuite rendu : « L’Assemblée nationale, sur le compte qui lui a été rendu par son comité des rapports, de l’événement arrivé à Ingrande le 29 juin dernier, et de ce qui l’a accompagné et suivi, approuve la conduite de la municipalité de ladite ville ; déci ète que son président se retirera par devers le roi, pour prier Sa Majesté de donner les ordres nécessaires pourqu’i) soit in forméfet jugé, par le présidiald’An-gers, sur les faits consignés dans le procès-verbal des officiers municipaux d’ingrande, en date du 29 juin, et qu’à cet effet, les pièces remises au comité des rapports seront envoyées sans délai au procureur du roi du même siège. » M. de Crillon l'aîné { ci-devant le marquis), propose, au nom du comité militaire, un ‘projet de décret sur V affaire du régiment de Poitou. D’après le procès-verbal des officiers, qui a été communiqué aux soldats et qu’ils n’ont pu contredire, les soldats de ce régiment ont nommé des commissaires pour s’informer de l’état de la masse où ils croyaient trouver 40,000 francs; comme la masse était absolument vide, ou a entouré le lieutenant-colonel, on l’a saisi et conduit en prison, là on lui a fait souscrire des billets pour quarante mille francs. M. Palasnede Champeaux blâme la conduite du régiment, mais il pense qu’il est excusable sous divers points de vue et propose d’adoucir diverses dispositions du décret dont l’une consiste à retrancher le mot insurbor donné. M. de Marinais demande que le projet soit fait aux fauteurs et instigateurs de ces désordres suivant les ordonnances militaires, car, sans cette sévérité salutaire, l’armée tomberait dans une décomposition telle que tous les citoyens seraient obligés de s’armer pour courir sus” aux soldats, comme sur des bêles féroces. M. d’Estourmel demande qu’on substitue aux mots : improuvant la conduite , ceux-ci : indignée de l'égarement. M. du Châtelet annonce à l’Assemblée l’insubordination de la garnison de Nancy qui n’est pas encore rentrée dans l’ordre et conclut à un grand exemple. M. de La Gallissonnière dit que s’il est dù 40,000 livres au régiment, il faut les lui faire remettre; mais que s’il a extorqué ce qui ne lui est pas dû, il faut faire rendre aux soldats sur leur augmentation de paye. M. Gaultier de Bianzat demande que, pour calmer les inquiétudes du régiment, on annonce dans le décret qu’il sera statué sur la réclamation. (Ces divers amendements sont rejetés. ) Le projet du comité est décrété en ces ternies : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité militaire, improuve }a conduite insubordonnée dessous-officiers et soldats du régiment de Poitou, infanterie, ainsi que les violences dont ils se sont rendus coupables, contre le sieur de Bévy, leur lieutenant-colonel : décrète que si ledit sieur de Bévy n’est pas déjà en pleine liberté, il y sera remis immédiatement; que les huit billets qu’il a été forcé de signer, jusqu’à la concurrence de 40,000 livres, sont nuis, incapables de l’obliger et de produire aucune action contre lui; que ceux qui les ont reçus sont tenus de les rendre, ou de déclarer ïq disposition qu’ils en ont faite, et, en ce cas, d’en représenter la valeur, le tout dans 24 heures, sous peine de prison ; sauf les réclarpations qui pourraient être faites, légalement, soit contre le lieutenant-colonel, soit contre tous autres officiers du régiment; eh exécution de i’grticle 3 du décret du 6 de ce mois. « Décrète que son Président se retirera dans le jour devers le roi, pour prier Sa Majesté de sanctionner le présent décret, et de donner des ordres pour qu’il soit exécuté et envoyé à tous les régiments de l’ariuée. » Un de MM. les secrétaires donne lecture d’une adresse faite par le sieur Gallet, prêtre et sous-principal du pensionnat du collège de Vienne, par laquelle il supplie l’Assemblée nationale d’agréer l’hommage qu’il lui fait d’un cours d’institution nationale, à l’usage des jeunes citoyens, ouvrage de sa composition. M. le Président annonce que le résultat des scrutins pour l'élection des secrétaires et du président de l'Assemblée. Les trois secrétaires élus pour remplacer MM. Rewbell, Goster et Boutteyilie-Durnetz, sont MM. ûelacour-d’Ambezieux, Buzot et Dinocheau. M. Dauchy et M. Dinocheau ont eu le même nombre de suffrages, mais M. Dinocheau se trouve élu comme plus ancien d’âge. Le scrutin pour l'élection du président n’a pas donné de résultat. Les suffrages se sont répartis entre MM. Dupont (de Nemours), de Jessé et de Richier. M. le Président. L’ordre du jour est un rapport du comité des recherches sur les nouveaux troubles de la ville de Schelestadt en A lsace. M. Henry {ci-devant de Longuève), député (Assemblé* national®,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, (14 août 1790.] à’ Qvléans, rapporteur (1). Messieurs, lorsque le comité ties rapports eut L'honneur de vous rendre compte, au mois de juin dernier, des difficultés qui s’étaient élevées à Schlestadt, sur la formation de la nouvelle municipalité, il établit, par des faits positifs et des preuves incontestables : 1° qu’indépendarament des reproches de violences, de manœuvres et d’incapacité personnelle qu’on articulait contre plusieurs des élus, l’élection en elle-même était radicalement nulle, pour raison de l’infraction formelle et répétée de vos décrets, et des faux caractérisés des procès-verbaux qui en attestaient l’observation. Il établit, en second lieu, que l’emprisonnement et la détention pendant trois mois des sieurs Armbruster et Fuchs étaient nuis et vexatoires : d’abord, parce qu’lis avaient été faits sans instruction ni décret préalable, contre la réclamation constante du procureur de la commune, et longtemps avant la plainte par laquelle on avait cherché depuis à les légitimer ; ensuite, parce que cette plainte elle-même avait pour objet une réclamation régulière, qui vous était directement adressée, et dont le jugement vous était soumis; enfin, parce que l’emprisonnement avait été ordonné par ceux-là mêmes contre lesquels cette réclamation était dirigée, par ceux dont l’élection était contestée, et qui dès lors, parties directes dans la contestation, ne pouvaient, en aucun cas, s’en constituer les juges. Ces faits démontrés alors, et qui sont encore aujourd’hui susceptibles de l’être, par les pièces que les officiers municipaux ont eux-mêmes fournies, vous déterminèrent, Messieurs, à prononcer. conformément à l’avis de votre comité, la nullité des élections et l’élargissement des prisonniers que vous autorisâtes à se pourvoir contre les ailleurs de leur détention. Vous crûtes même devoir ajouter au décret qui vous était proposé, que disposition pénale. Vous mandâtes à la barre les officiers municipaux que vous veniez de destituez, à l’exception de ceux qui s’étaient constamment opposés à i’emprispnnement de leurs concitoyens. Vous ordonnâtes que les nouvelles élections seraient faites en présence de quatre commissaires choisis par le département du Bas-Rhin, et vous les autorisâtes à maintenir la police des assemblées et de la ville entière, jusqu’à l’instal-laiiun des officiers municipaux qui seraient élus; à l’effet de quoi ils pourraient requérir l’assistance de la force militaire, si les circonstances l’exigeaient. Lorsque vous rendîtes ce décret, Messieurs, le sieur Herrenberger, alors maire de Schlestadt, et l’un de ses collègues étaient présents à votre Séance j c'était sur les pièces qu’ils avaient fournies, c’étajt après six semaines de conférences et de discussions journalières avec eux, que l’état delà question avait été fixé. Il était donc impossible qu’ils ignorassent les motifs qui déterminaient votre decret. U eût été naturel que le sieur Herrenberger, mandé par vous à la barre, restât à Paris, puisqu’il s’y trouvait, et qu’il y appelât ses collègues pour satisfaire avec eux à votre jugement. Mais il avait publiquement annoncé qu’il voulait être réélu, et, en conséquence, il repartit pour S hlegtadt, au moment même où vous le mandiez ici. Un bal qu’il donna Je soir même de son ar-(1) Le Moniteur ne donne qu’une courte analyse du rapport de M. Henry de Longuève. in rivée, des repas prodigués les jours suivants, aux portes de la ville, à tous ceux qui appuyaient ses prétentions, des menaces, des voies de fait contre ceux qui les avaient combattues : tels sont les moyens par lesquels on vous annonce qu’il parvint à affaiblir, à détruire même en grande partie la dé* faveur résultant contre lui d’un décret qu’il disait d’ailleurs n’avoir été rendu que pour la forme, et dont il affectait de retarder l’exéeuioo. Après avoir ainsi préparé ses succès, le sieur Herrenberger revint à Paris, et il sollicita de vous la permission de paraître seul à la barre au nom de tous ses collègues dont la présence lui avait paru plus nécessaire à Schlestadt. Cette fa* veur lui fut refusée, et', dès lors, il ne restait au-* cun prétexte aux anciens officiers municipaux pour retarder leur comparution. Mais les élections venaient d’être ouvertes par les commissaires que vous aviez délégués; et ceux-ci, malgré leurs avertissements, malgré leurs sommations réitérées, ne purent ni déterminer les officiers destitués à partir avant la fin de l’élection, ni les empêcher d’v prendre une part très active. Il en est résulté, Messieurs, le rétablissement dans les fonctions municipales, de tous ceux que vous veniez d’en exclure, à l’exception de celui d’entre eux que sa bonne conduite à l’égard des prisonniers vous avait fait dispenser de paraître devant vous. Mais cette nouvelle nomination parut aux commissaires tellement illégale, qu’ils ont refusé de la proclamer jusqu’à votre décision, et qu’en effet elle ne l’est pas encore. Les officiers municipaux n’en avaient pas moins rempli leur but en tout ce qui dépendait d’eqx. Ils songèrent alors à exécuter votre décret ; ils se réunirent à leur maire pour se présenter à votre séance, et ce qui vous paraîtra sans doute bien extraordinaire, c’est que, partis de Schlestadt, après leur élection consommée, ils consignèrent dans un imprimé qui est joint aux pièces, ils arti-r culèrent ici comme une preuve de la confiance générale qui les entourait, qu’ow uenait de les élire , malgré leur absence. La partie de votre décret par laquelle vous leur aviez enjoint de se rendre à la barre, n’était pas, Messieurs, un préalable de votre décision; elle n’était pas une précaution destinée à l’éclairer : c’était la suite de ce jugement lui-même : c’était une disposition pénale provoquée par la conduite injuste et despotique des officiers municipaux, et dont l’objet était de leur faire éprouver personnellement votre censure. Us l’avaient si bien senti, qu’ils se bornèrent dans leurs conclusions à réclamer votre indulgence. Mais tandis qu’ils n’osaient attaquer ouvertement la fidélité du rapr port que vous aviez entendu, ni la sagesse du dé? crel que vous aviez porté, ils essayèrent de faire tomber l’un et l’autre par un long plaidoyer dans lequel, en feignant d’ignorer et de rechercher les motifs qui les avaient fait appeler devant vous, ils présentèrent des observations sur toutes les dispositions de votre décret. Je fus obligé d’observer alors, et j’ai l’honneur de répéter encore que cette discussion fondée sur des allégations fausses, sur des réticences coupa? blés, et sur l’altération des faits les plus impor-tants, ne présentait pas même la première idée de ia question,- et que les moyens justificatifs des officiers municipaux avaient tous été présentés dans le premier rapport, avec plus de développement et de soin qu’ils n’en avaient mis eux-mêmes dans leur défense. Mais le sieur Her? renberger et ses collègues avaient sans doute 76 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 août 179Q.] calculé, pour exciter l’intérêt du public et le vôtre, sur l’oubli des faits qui vous avaient déterminés dans le jugement que vous aviez rendu. L’éloge fait par eux-mêmes de leur patriotisme, la qualification d 'aristocrates, articulée contre leurs adversaires, le défaut d’adhésion à vos décrets constitutionnels, et de soumission pour l’achat des domaines nationaux reprochés à l’ancienne municipalité, quoique la seule dont le sieur Herrenberger n’eût pas été ie chef, eût été par lui destituée dès le mois de juillet 1789, c’est-à-dire, avant que la Constitution fût commencée, et les biens nationaux mis en vente, tel fut le dernier moyen que le sieur Herrenberger et ses collègues employèrent pour se rendre favorables. Ils se flattèrent d’y avoir réussi : vous allez connaître, Messieurs, de quels événements cette présomption est devenue la cause. C’était par les officiers municipaux que vous aviez appris que leur nouvelle nomination était contestée, et que les commissaires refusaient de la proclamer; c’était lors de leur admission à la barre, qu’ils vous avaient supplié de porter à cet égard une prompte décision. Mais ils ne jugèrent pas à propos de l’attendre, et ils repartirent sur-le-champ pour Schlestadt. Ils s’y firent décerner une espèce de triomphe, dont le détail imprimé a été répandu jusque dans la capitale. Il contient l’annonce, ou plutôt la menace claire et frappante de ce qui vient d’arriver depuis. La ville de Schlestadt avait été calme pendant l’absence de sa municipalité, son retour y ramena subitement le désordre. Au moment même de leur arrivée, sans avoir été ni pu être reconnus ni proclamés, sans forme, sans installation, sans avoir prêté le serment, le sieur Herrenberger et ses collègues se mirent en possession des fonctions que peu de jours auparavant ils vous avaient annoncé leur être contestées. Des procès-verbaux authentiques que les commissaires vous ont adressés, constatent que le sieur Herrenberger alla maltraiter jusque dans sa maison un citoyen qui était au nombre des réclamants ; qu’il se permit hautement les menaces les plus caractérisées contre tous ceux qui n’étaient pas de son parti ; que la prétendue garde nationale dont il s’est fait le créateur et le chef armé, maltraita plusieurs particuliers pour la même cause; que tous ses partisans, hommes, et femmes surtout, annonçaient les desseins les plus criminels contre les Jaunes : c’est ainsi qu’on désigne à Schlestadt ceux qui ne tiennent pas pour le maire. Bientôt une lettre écrite de sa main, et signée par les officiers delà garde nationale, dont plusieurs nous paraissent être en même temps officiers municipaux, vous annonce nettement que si vous n’accélérez pas votre décision sur le sort de la municipalité, les citoyens chasseront tous les aristocrates et le commissaire. Or, il faut vous observer, Messieurs, qu’on vous désigne ainsi, sous le nom d’aristocrates, ceux qui vous uni dénoncé les irrégularités de l’élection que vous avez annulée, ceux qui n’ont cessé de réclamer pour le maintien et l’exécution de vos décrets, et dont la réclamation a été par vous accueillie et couronnée par le succès. Mais cette classe de citoyens est la moins nombreuse, et la raison en est simple. Les commissaires vous attestent, Messieurs, que le riche patrimoine de la ville de Schlestadt est abandonné à la discrétion du peuple. Il y a dès lors beaucoup de gens intéressés au désordre, et attaches à ceux qui le tolèrent ou l’encouragent. Il y eu a beaucoup qui se trouvent réduits au silence par la crainte de la multitude, par celle des violences qu’elle se permet, et dans lesquelles il paraît qu’elle est secondée par les villages de Chatenois, Dambach et quelques autres, dont les officiers municipaux et les gardes nationales semblent avoir pris ceux de Schlestadt pour modèles. C’est ainsi, Messieurs, qu’on préludait aux scènes affligeantes dont nous allons vous faire le détail. Le trouble était depuis longtemps sur le point d’éclater, mais la présence et la bonne conduite de la garnison, la prudence du commandant avaient toujours empêché le désordre. Les malheureux événements survenus à Lyon ayant forcé de diminuer la garnison de Schlestadt, de toute la partie du régiment de la Marck qui sy trouvait placée, la circonstance de son départ parut favorable à l’explosion qu’on méditait. Deux des commissaires du département venaient de se réunir à celui de leurs collègues qui avait constamment résidé à Schlestadt, pour y vérifier les plaintes que chaque jour on leur portait contre la municipalité. Ces commissaires voyant la ville sans tribunal et sans officiers municipaux reconnus, ne pouvant prévoir combien durerait cet état de souffrance et de nullité dans tous les pouvoirs, crurent qu’il était de leur prudence de faire publier un arrêt du conseil souverain d’Alsace, rendu dès l’année dernière, et qui ordonnait que, conformément à vosdécrets, l’ancien magistrat, illégalement destitué, reprendrait provisoirement ses fonctions pour les exercer jusqu’à la formation des nouveaux tribunaux . Cette publication devint le signal de l’émeute. Des femmes s'attroupèrent; l’une d’elles maltraita l’huissier proclamateur et le tambour qui l’accompagnait. Les commissaires, spécialement chargés par vous de la police et de la tranquillité de la ville, firent arrêter cette femme, et la firent conduire en prison : cette scène eut lieu le 31 juillet. Mais c’est dans les dépêches officielles du département du Bas-Rhin et du commandant de Strasbourg, que vous devez suivre les détails et vous instruire des événements postérieurs. (Ici le rapporteur a donné lecture à l’Assemblée des pièces suivantes :) 1° Lettre des commissaires délégués à Schlestadt par le décret du 8 juin, à M. le Président de V Assemblée nationale, en date du 1 eT août 1790. Monsieur le Président, Les commissaires nommés par votre décret du 8 juin dernier pour la formation d’une nouvelle municipalité à Schlestadt, croient devoir vous informer que les maire et officiers municipaux qui avaient été mandés à la barre, sont arrivés le 23 juillet dernier en cette ville. Pendant leur absence tout était parfaitement calme et tranquille; ce n’est que depuis leur retour que la fermentation est à un tel point, que nous craignons à tout instant une explosion fomentée par leurs menées et manœuvres odieuses. Vous verrez, M. le Président, par les procès-verbaux que nous avons l’honneur de joindre, que le ci-devant maires’estlivréàdifférents excès. Le n° 1er justifie les menaces qu’il a faites en arrivant ici. Le n°2 renferme la déclaration d’un commis au bureau de la loterie, dans la maison duquel il s’est transporté, où il a tenté de l’assassiner à coups d’épée. Le n° 3 fait connaître que c’est encore lui qui a fait exécuter les 77 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 août 1790. J voies de fait sur un perruquier et sa femme. Le n° 4 le rend suspect du désordre qui vient d’arriver au moment que nous avons voulu faire publier l’arrêt qui rétablit les juges dans leurs fonctions, obtenu sur la lettre de M. le garde des sceaux. La populace s’est attroupée, en arrachant les papiers des mains du sergent, et perçant le tambour du crieur. Nous avons encore l’honneur de vous observer que, si les officiers municipaux ont été réélus, ce n’est qu’à force de cabales et d’intrigues; qu’ils en ont imposé à l’auguste Assemblée par leurs remontrances, en exposant qu'ils n’avaient pas été présents à l’élection, n’étant partis que le lendemain. Nous ne finirions pas, M. le Président, si nous voulions mettre sous vos yeux tous les ressorts que ces officiers municipaux font jouer ici pour empêcher le rétablissement de l’ordre et de la tranquillité publique. Nous ne pouvons que désirer que l’auguste Assemblée veuille prendre un parti définitif pour la conservation et les intérêts de cette ville, dont la ruine parait devenir inévitable. Nous croyons devoir vous assurer que les maire et officiers municipaux ne pourront jamais s’en justifier. Nous sommes avec un très profond respect, etc. 2° Lettre du département du Bas-Rhin, séant à Strasbourg, à l'Assemblée nationale , du 2 août. Messieurs, L’Assemblée nationale ayant mandé à la barre les officiers municipaux de Schlestadt, a chargé l’assemblée de département de nommer des commissaires, en présence desquels il serait procédé à l’élection d’uDe nouvelle municipalité : cette élection a eu lieu, et les mêmes personnes qui étaient les auteurs de tous les troubles qui ont agité cette ville, ont été réélus de nouveau. Les commissaires n’ont pas cru devoir procéder à la proclamation et installation du maire, puisque les registres des impositions faisaient apparoir qu’il ne payait que 3 livres ; iis l’ont déclaré par leur procès-verbal, et qu’ils en rendraient compte à l’Assemblée nationale, ainsi qu’au ministre, pour atteindre la décision ; et par suite, les municipaux mandés à la barre de l’Assemblée nationale, à laquelle ils ne s’étaient pas encore rendus, n’ont de même été proclamés définitivement, ni installés comme de fait ils en ont rendu compte, sans avoir reçu depuis ni réponse, ni décision. Afin qu’il pût être pourvu à la police de cette ville, l’un d’eux y a constamment resté : le service public qui les appelait autre part, n’ayant pas permis à tous les quatre de faire une aussi longue absence. Le calme s’est assez bien soutenu jusqu’au moment du retour du maire et des officiers municipaux qui, sans avoir été mis en fonctions, sans avoir prêté serment, se sont emparés de l’administration, et paraissent avoir formé le complot de chasser de la ville, le commissaire qui y était en notre nom. Ils ont pris pour l’exécution de leur dessein, le jour où le départ du régiment de la Marck, qui ne devait être remplacé que deux jours après, diminuant considérablement la garnison, assurait l’impunité de leurs manœuvres. Deux des commissaires que nous avions chargés de se rendre momentanément à Schlestadt pour approfondir la vérité des rapports qui nous avaient été faits, et en imposer par leur présence, ont cru bien faire, pour se rendre aux vœux de différents particuliers qui réclamaient l’administration de la justice, de faire faire la publication d’un arrêt du conseil souverain, qui rétablissait le magistrat dans les fonctions de la justice dont on l’avait illégalement privé. Cette publication a causé du trouble et un attroupement, surtout de femmes, qui ont insulté le tambour, et empêché le sergent de remplir ses fonctions. Lesdits commissaires, pour prévenir de plus grands désordres, se sont vus forcés de faire emprisonner une femme qui a paru avoir joué le plus grand rôle dans cet attroupement. Le lendemain 1er août, un grand nombre de femmes est venu, avec menaces, demander au commissaire l’élargissement de l’emprisonnée, et s’est porté de suite aux prisons pour la délivrer; trente hommes postés sur la place y ont maintenu le calme. Tout à coup, on ignore précisément par les ordres de qui on a sonné le tocsin, on a battu la générale, et en peu d’instants toute la ville, hommes et femmes, s’est trouvée sous les armes. Le commissaire, pour calmer la rumeur, a sur-le-champ ordonné que la femme arrêtée serait relâchée, et il a requis en même temps la garde nationale, la maréchaussée et les troupes de ligne, de pourvoir à la sûreté de la ville. Ayant sommé les attroupés de lui déclarer les motifs qui les rassemblaient, ils lui ont répondu qu’ils ne voulaient point de leur ancien magistrat, ni des commissaires, et qu’ils voulaient se venger des uns et des autres. La présence des troupes de ligne ayant paru aigrir les esprits, le commissaire s’est "retiré avec elles au quartier, et, dans ce moment, le peuple avait enfoncé l’arsenal, afin de s’armer. Le commissaire ayant demandé la publication de la loi martiale, la garde nationale se porta à l’une des portes de la ville avec le drapeau rouge. Elle y fut jointe par les gardes nationales de Dambach, de Ghatenois et plusieurs autres accourues au son du tocsin, ou peut-être même averties d’avance. Alors plusieurs officiers de la garde nationale sont venus prier le commissaire de quitter la ville, et que c’était le seul moyen de calmer le peuple, promettant de se réunir aux troupes de ligne pour le faire rentrer dans l’ordre. Le commissaire, cédant à la force, y a consenti ; mais à peine arrivé hors de la porte, le maire et la municipalité, accompagnés d’un grand nombre d’hommes armés, se sont présentés avec un soi-disant procès-verbal, dans lequel les faits étaient faussement représentés, et entièrement à l’avantage des auteurs de la sédition. Sur son refus de le signer, différents citoyens delà garde nationale l’ont couché en joue, et pour conserver la vie, il a été forcé de le signer, ainsi que M. de Montbel, commandant de la place, qui se trouvait avec lui pour le défendre. Reconduit en ville par tout le peuple, le commissaire fut invité de nouveau par le maire, accompagné de quatre citoyens, de la quitter sur-le-champ, et sans lui laisser seulement le temps de prendre ses papiers, on l’en fit sortir. Nous sommes avec respect, Messieurs, vos très humbles, etc. P. S. Dans le moment, l’un des commissaires nous remet la copie d’une lettre qu’il a eu l’honneur de vous écrire, Messieurs, avant son départ de Schelestadt, il craint que l’insurrection, qui a commencéimmédiatement après sa sortie de ladite ville, n’ait empêché le secrétaire d’expédier la 7g [Assemblée nalionàiè.j ARCHIVÉS É ARliÉMENTAiRES . [14 août 1790.1 lettfëi êt des prodès-verbauX y mentionnés, (1) que peut-être même elle ne soit égarée ou enlevée par des forcenés capables de tout. 3° Lettre des mômes . Strasbourg, le 3 août 1790. Messieurs, nous n’avons eu que le moment de vous informer à la hâte, par le dernier ordinaire, de ce qui venait d’arriver à Schlestadt : attroupement séditieux excité ou fomenté par l’ancien maire et municipalité, qui ont su s’attacher le peuple en abandonnant à ses dévastations, les plus belles forêts et le plus riche patrimoine de la commune. Les gardes nationales de Dambach et de Chatenois appelées au son du tocsin pour favoriser l’émeute ; la troupe de ligne, pressée et sur la défensive ; l’arsenal forcé, et plus de mille armes enlevées , le commandant de la place, vieillard respectable, et qui avait toujours cherché la pacification, forcé par les menaces à livrer les clefs des portes de la ville entre les mains des factieux, et de s’échapper de nuit par les remparts, pour mettre sa vie en sûreté; l’un de nos commissaires, établis à Schlestadt, par le décret de l’Assemblée nationale, pour faire les fonctions de la police, et pourvoir à la sûreté de la ville, traîné dehors ignominieusement ; le même environné de gardes nationales, qui le couchaient en joue, forcé de signer, ainsi que le commandant de la place, un procès-verbal contenant un tissu d’impostures pour disculper les attentats du parti de la municipalité, et ce procès-verbal à eux présenté par l’ancien maire qui, avec cet appareil, a exigé leurs signatures; la ville enfin, ses portes et la troupe de ligne entre les mains de cette municipalité, et de leufs adhérents, tant du dedans que de la Ville de Dambach, de Chatenois, de Kieu-tzheim et des environs. Telle a été, Messieurs, lasituationdeSchlestadt, lorsque nos commissaires sont venus nous en rendre compte, et que lecommandant de laplace, fuyant également, s’est rendu pour le même objet par devers M. de Klinglin, commandant pour le roî en celte province. Ün aide-de-camp envoyé aussitôt par Ce général y Schlestadt, pour prendre connaissance des suites qui ne pouvaient être qu’inquiétantes, vient de nous apprendre à son retour, qu’il a trouvé la barrière fermée; que lui avant été ouverte, il a été frappé en entrant d’une tranquillité taciturne; que bientôt il a appris que, d’après les ordres publiés par le Sieur Herrenberger, se qualifiant de maire, et se trouvant partout en uniforme de chef de garde nationale, tout le monde se trouvait rassemblé sur la place devant l’hôtel de ville; que là, sous l’annonce de traiter de la paiX, le parti opposé jusqu’ici à l’ancien maire, et à la municipalité, se trouvait entouré d’un bataillon carré, tant de milice nationalede Schlestadt, que de celle de Dambach, Chatenois et Seherviller; ü’au haut de la place, un notaire, devant une taie, faisait lecture d’un acte d’accommodement tout dressé, et qu’il a fallu signer, portant que ledit parti opposé était repentant de tout ce qui s’était passé; qtie, pour le maintien dé la paix et Se procurer la tranquillité, il consentait à payer, avec toute la commune, tous les frais de procédures, (1) Cette lettre, en effet, n’est point arrivée en origi* nal, mais seulement la copie jointe à la présente, telle qu’on l’imprime ici. Les procès-verbaux y énoncés sont parvenus à l’Assemblée par une autre Voie. dépenses extraordinaires voyages, tant dudit sieur Herrenberger, qtiê de sa ci-devant municipalité ; en conséquence, qu’on se départait de toute opposition qui avait été faite contre ledit maire et ladite municipalité, reconnaissant efi ce moment leur élection comme bonne et valable, ainsi que la garde nationale, comme légitimement élue et constituée, et comme de bons et braves ci* toyens, parmi lesquels il serait permis au parti opposé dé s'incorporer ;qu’enfin, le même accommodement aurait également lieu pour la communauté de Dambach, où le maire avait exercé les mêmes excès de despotisme, et que les mêmes articles y seraient exécutés, et ce, sous l’hypothèque générale et spéciale des biens de chaque individu. Pour faciliter davantage ce prétendu traité, et cette reconnaissance de la légitimité de l’élection du maire et de la municipalité, on l’avait fait précéder par les insultes, par le pillage et le brisement des portes, fenêtres et meubles des maisons des honnêtes citoyens qu’on Voulait soumettre à cette proposition ; et il y en avait sans douté assez pour rendre très dociles les assistants environnés d’un bataillon carré de satellites dé l’ancien maire ; l’arsenal avait été forcé ühe Seconde fois dans l’intervalle de la scène d’avant - hier, et le reste des armes enlevé; les troupes de ligne se sont tenues dans leurs quartiers. Le maire a rendu néanmoins les clefs des portes sur la réquisition de .l’aidé de camp de Mj dé Klinglin ; mais, sur la demandé qu’il lui a faite de la restitution des armes enlevées du magasin, le sieur Herrenberger lui a répondu qu’il se contenterait de lui en donner un reçu. Tel est, Messieurs, l’eXemple contagieux dé Violences, d’émeute, de mépris pour vos décrets que donnent dans la partie supérieure de notre département les anciens maire et municipalité et le parti factieux et despote de la ville de Schlestadt. Ce n’est pas à nous, Messieurs, à vous en peindre les conséquences et à vous faire connaître la nécessité d’en faire constater promptement les faits, d’en punir les auteurs et fauteurs et de faire rentrer dans le devoir ceux qui se sont laissé séduire, la conviction de cette nécessité se trouve dans les faits mêmes et dans le même esprit de tyrannie et d’insubordination qui règne déjà dans les endroits voisins et qui va se communiquer plus loin. Chargés par vos décrets, Messieurs, et sous l’au-torité du roi, de maintenir l’ordre et la sûreté oü ils existent encore et de les rétablir oü ils sont troublés, nous croirions manquer à votre confiance et à nos obligations de ne point y employer sur-le-champ les moyens qui dépendent de nous et sans lesquels nos fonctions seraient méprisées et le but de notre institution, ainsi que de nos vues pour la tranquillité des citoyens, manqué. Nous avons arrêté en conséquence qu’il serait informé prévôtalement des excès, violences et mépris de vos décrets commis dans la ville de Schlestadt ; que nos commissaires y retourneront incessamment pour y continuer la surveillance et les fonctions de la police dont Ils sont chargés par lë décret de l’Assemblée nationale du 8 juin, sanctionné par le roi* jusqu’à cé qu’il Vous ait plu de statuer sur la Validité de la dernière réélection de la municipalité. Et comme la force militaire peut seule appuyer ces dispositions lorsque les gardes nationales sont devenues elles-mêmes les instruments et les complices du désordre, nous avons requis M. de Klin-glin de vouloir bien nous donner la troupe de ligne nécessaire et dont il sent lui-même le besoin ; nous sommes convenus d’un bataillon d’in- [Assemblée national©.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [liaotH 1790. j ?Q fanterie et de deux escadrons, qu’il nous a promis de faire passer avec les précautions convenables dans Schlestadt; la prudence guidera tous les pas de nos commissaires, mais ils sont chargés de recourir à la loi martiale si le besoin les y forçait. Nous rendons compte également au ministre de ces faits et de nos mesures, elles sont nécessitées par les circonstances et par notre devoir, et nous n’hésiterons point, Messieurs, de vous assurer que, sans l’énergie la. plus prompte, nous ne serions plus à même de répondre ni de l’obéissance à vos décrets et aux ordres du roi, ni de la tranquillité des citoyens, ni de la sûreté et de la liberté de ceux qui refusent de participer aux violences de cette classe d'hommes qui se nourrit du désordre. Daignez, Messieurs, nous honorer au plus tôt d’une réponse; la décision sur cette municipalité, arrivée plus tôt, eût peut-être prévenu le mat dont nous sommes forcés de vous faire le tableau. Nous sommes avec respect, Messieurs, vos très humbles, etc. P. S. Depuis notre lettre écrite, il nous a été assuré, d’après le témoignage de différentes personnes, qu’un détachement de la garde nationale de Colmar et un autre de la troupe de ligne en garnison à Neufbrisach se sont rendus de leur mouvement à Schlestadt, sur le bruit de l’émeute qui y a eu lieu; que le sieur Herrenberger, proclamé maire par son parti, avait fait faire des préparatifs pour ériger une potence sur la place pour intimider ceux qui refuseraient de reconnaître son autorité; que la crainte des uns et le repas de fraternité des autres donnaient à la ville des apparences, peut-être trompeuses, de tranquillité; que le sieur Pfeiffer, maire deDambach, imitait à peu près dans cette dernière ville l’exemple de ce qui se passe à Schlestadt; que la crainte avait déjà fait sortir plus de quarante personnes deDambach pour se mettre en sûreté; qu’en place de haches et de pioches, dont un grand nombre de gens de ce lieu et de Chatenois étaient venus armés à Schlestadt le jour de l’émeute, ils étaient retournés chez eux armés de fusils, dont ils s’étaient emparés au pillage de l’arsenal de ladite ville. Nous n’ajouterons d’autres réflexions à ceci que celles du danger qu’il pourrait y avoir dans le concours des gardes nationales des différents lieux, si elles ne sont légalement appelées; vous en pèserez vous-mêmes les conséquences. 4° Lettre de M. de Klinglin, commandant de Strasbourg , à M. de La Tour du Pin, ministre de la guerre, du 4 août. Mon général, J’ai eu l’honneur de vous mander hier que je faisais partir le 1er bataillon du régiment d’Alsace, sur la réquisition du département, ce qui a eu lieu; mais quant aux deux escadrons du régiment de Champagne, en garnison à Brisach, qui m’avaient été demandés par la même réquisition, les événements fâcheux dont je vais vous rendre compte m’ont fait suspendre leur marche. Les chasseurs de Champagne, en garnison à Brisach, ayant appris le danger que couraient les habitants de Schlestadt, et peut-être leurs camarades, avaient résolu de seller leurs chevaux et d’aller à leur secours. Le lieutenant de roi, ainsi que les officiers de ces deux escadrons, s’opposèrent, comme de raison, à leur départ. Ce refus indisposa les chasseurs; la fermentation s’établit le lendemain 2 du mois; elle éclata d’une manière fâcheuse. Le major, commandant ces deuxesca-drons, les fit assembler au manège; ils y vinrent avec leurs sabres et des pistolets dans leurs poches. Les plus mutins invectivèrent leurs officiers, et rien ne put les ramener. Les chasseurs se rallièrent dans un cabaret, où ils projetèrent des scènes fâcheuses pour la nuit. Différents émissaires de Schlestadt ayant rendu compte de la position où était cette ville, la municipalité de Brisach fit une réquisition à M. de Roque, lieutenant du roi, pour l’engager à envoyer des troupes conjointement avec la garde nationale de Colmar, qui avait donné rendez-vous à quelque distance de Schlestadt. M. de Roque, doué d’une éloquence mâle, se rendit au cabaret où étaient les chasseurs, leur parla le langage de l’honneur pour marcher au secours des citoyens qu’ils connaissaient et de leurs Camarades ; aussitôt les chasseurs quittent le cabaret, volent aux écuries, et dans un quart d’heure cent hommes sont à cheval et partent conjointement avec la garde nationale et la compagnie de grenadiers du régiment de Deux-Ponts. Ils joignent un détachement de la garde nationale de Colmar, et le tout arrive à Schlestadt hier, 3 de ce mois, à quatre heures du matin. Vous avez dû voir, mon général, dans la dépêche que vous a adressée aujourd’hui le département que le sieur Herrenberger, se disant maire de Schlestadt, ainsi que sa municipalité, à l’aide des gardes nationales de üambach, Chatenois et Sherviller, avaient forcé à un traité de paix tout le parti d’opposition. La tranquillité régnant donc dans Schlestadt, les muuicipaux s’empressent de donner beaucoup de vin aux nouveaux arrivés; cette disposition eut un grand succès. Les cent chasseurs de Brisach entraînèrent dans l’indiscipline les deux escadrons de la garnison de Schlestadt. Il fallut consentir à beaucoup d’actes de complaisance pour obteuir le départ de ces cent chasseurs. La nuit fut tranquille ; l’arrivée du second bataillon du régiment d’Alsace, au-devant duquel les officiers municipaux et la garde nationale de Schlestadt avaient été, occasionna des orgies bachiques pendant toute la journée. Le compte que j’ai l’honneur de vous rendre, mon général, m’étant parvenu, j’en ai fait part au directoire du département, pour lui faire sentir que l’objet de sa réquisition ayant été d’avoir main-forte en cas de besoin, pour faire faire les informations en présence des commissaires du département, il me paraissait que deux escadrons qui étaient dans une insurrection aussi scandaleuse que ceux de Brisach, ûe pourraient leur être bons à rien, et qu’ils achèveraient peut-être de pervertir les deux escadrons de Schlestadt, sur lesquels on conserve encore quelque espérance. Ces raisons, jointes au nouvel effort que ne manquera pas de faire la garde de Schlestadt, vis-à-vis du régiment d’Alsace qui y arrivera demain, ont déterminé le directoire à retarder de quelques jours une information qui ne sera que plus complète, quand on aura eu le temps d’en rassembler les matériaux. M. de Montbel ayant été forcé de quitter son poste, ainsi que j’ai eu l’honneur de vous le mander, j’ai écrit à M. de Klockler, pour qu’il eût à se rendre à Schlestadt, et informer du moment où il croira que les troupes seront un peu rassises des orgies qu’on leur aura fait faire, pour pouvoir procéder aux informations que le département veut faire faire par ses commissaires, et leur donner main-forte. Je vous peindrai mal la juste douleur où je suis, de voir un régiment de la province qui avait ré- 80 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 août 1Y90.] sisté à toutes les séductions, livré à une insubordination aussi fâcheuse que criminelle. Je suis avec respect, etc. » Tel est, Messieurs, le dernier état connu des choses. Tel est le résultat auquel ou est arrivé à Schlestadt, par la violation de tous vos décrets, et le mépris de votre autorité. Nous n’ajouterons rien au récit que vous venez d’entendre, et sur lequel le département sollicite de vous une prompte décision. Votre comité n’a pas cru qu’il fût possible de se dissimuler les délits qui vous sont dénoncés. Il n’a pas cru qu’il fût permis de laisser jouir les auteurs des troubles du fruit de leurs coupables manœuvres, ni de ratifier cette paix prétendue, qui n’est évidemment autre chose que le calme forcé de la terreur et l’asservissement. Il n’a pas cru qu’il fût permis de maintenir ces actes imposteurs extorqués par la violence, et respectés par la crainte, qui contiennent le désistement d’une réclamation que vous avez jugée, l’obligation de ne pas exécuter le jugement que vous avez porté, et celle de payer des dépenses par lesquelles vous aviez voulu” punir ceux dont la conduite avait excité votre mécontentement, mérité votre censure. Vous êtes placés, Messieurs, dans l’alternative de savoir si vos délégués seront respectés, si vos décrets recevront leur exécution, ou si votre indulgence deviendra le signal des plus affreux événements dans une province importante, où quelques individus veulent exercer sur leurs concitoyens le despotisme le plus intolérable, étouffer jusqu’aux plaintes que la vexation leur arrache, et vous présenter encore comme ennemis de la Constitution ceux qu’ils ne tourmentent que pour l’avoir invoquée, que pour avoir invoqué l’autorité des lois, et béni la liberté que vous avez voulu procurer à la France, lors même qu’on osait les en priver en votre nom. Ce n’est plus ici, Messieurs, une affaire particulière ; ce n’est point, comme on a cherché faussement à vous le persuader, une querelle de parti suscitée par les ennemis de laRévolution. Elle est chère, elle est précieuse aux citoyens de Sche-lestadt; et s’il nous était permis de vous lire la réponse qu’ils vous ont adressée, à ce qui a été dit contre eux à la barre, vous y trouveriez à cet égard les preuves les plus claires, et les expressions les plus touchantes. Les seuls ennemis de la Révolution, les seuls qui soient à redouter, ce sont ceux qui la déshonorent, ce sont ceux qui violent la liberté, qui vexent les citoyens, fomentent le désordre , et sacrifient tout au désir de la domination et de la veogence. C’est aujourd’hui le département du fias-Rhin, c’est le district de Bennfeld, c’est l’Alsace entière par leur organe qui réclament votre justice et votre sévérité. Ce sont les députés de cette province qui vous attestent l’importance des mesures qu’on vous propose de prendre, et la vérité des faits qui les rendent indispensables. Vous voyez quel embrasement peuvent produire d’un instant à l’autre ces étincelles qui s’échappent par intervalles. Des troupes qui allaient à Schelestadt pour y rétablir l’ordre, n’ont pu y tenir elles-mêmes contre la séduction, et sont devenues momentanément les appuis du trouble qu’elles devaient apaiser. Tel est l’effet de la contagion; vous ne parviendrez à l’arrêter que par des remèdes prompts et des exemples frappants. Nous sommes cependant bien éloignés, Messieurs, de vous proposer de sévir dès à présent, et par un jugement précipité contre la municipalité de Schelestadt. Quelques certains que nous paraissent les faits, quelle que soit l’autorité de ceux qui vous les dénoncent, quoique les violences reprochées au sieur Herrenberger et à ses collègues soient d’autant plus croyables, qu’outre la foi due à des procès-verbaux authentiques, elles ressemblent absolument à celles dont ils se sont précédemment rendus coupables, il est de votre prudence, il est de votre justice de soumettre le jugement de cette affaire à toutes les formalités d’instruction qui peuvent assurer juridiquement la preuve des délits, et en autoriser la punition. Le département du Bas-Rhin et le district de Bennfeld ont déjà requis les informations nécessaires; il ne s’agit donc que de prendre des précautions pour en assurer la suite et le succès. Il ne faut que faire respecter, par tous les moyens qui sont en vous, l’autorité des juges et des commissaires que vous aurez délégués, et la plus parfaite liberté des témoins et de leurs dépositions. Il ne faut, en un mot, que confirmer par votre décret, que protéger par votre autorité les mesures qui ont été concertées. Elles ne nous paraissent s’écarter de la règle qu’en un point, et c’est le seul que nous vous proposerons de modifier. Il a été arrêté que l’instruction serait faite, et le jugement rendu par le prévôt de la maréchaussée : cette disposition, dictée sans doute par la considération de ce qu’il s’agissait d’émeutes populaires et d’attroupements séditieux , nous semble cependant peu convenable à l’espèce présente, à l’importance extrême de l’affaire et aux principes de la Constitution. Pour nous conformer à l’e3prit de vos décrets, nous vous proposons, Messieurs, de faire la distinction des deux espèces de faits qu’il s’agit de vérifier et de juger. Nous vous proposons d’attribuer au tribunal le plus voisin la connaissance de l’émeute, et au directoire du département du Bas-Rhin, celle de la validité ou nullité des dernières élections, et des manœuvres qu’on prétend avoir été pratiquées. Mais dès à présent, nous pensons aussi, Messieurs, qu’il vous est impossible de laisser subsister provisoirement l’autorité que se sont indûment attribuée les prétendus officiers municipaux de Schelestadt ; qu’il vous est impossible de ne pas leur interdire toute espèce de fonctions publiques jusqu’au jugement qui sera rendu. Le décret qui confie à des commissaires le maintien de la police subsiste toujours, puisque la municipalité n’est point formée. Il est donc tout naturel de laisser les choses dans l’état où elles étaient au mois de juillet dernier. Il est une seule précaution que nous croyons utile d’y ajouter ; on se plaint d’une dilapidation énorme” des revenus de cette commune, qui possède en propre plus de 4,000 arpents de magnifiques forêts, et d’immenses prairies ; c’est à l’abandon prétendu fait au peuple de ces propriétés, à la faculté qu’on lui laisse de les dévaster, qu’on attribue l’intérêt que les officiers municipaux réélus sont parvenus à exciter en leur faveur, et les divisions qui en ont été la suite. Il importe donc de connaître au vrai l’état des choses, et de faire rendre un compte à tous les administrateurs des biens communs qu’ils n’ont pas encore présenté. La discussion de ces comptes jettera le plus grand jour sur l’ensemble de l’affaire et en facilitera le jugement. Par ce moyen, il deviendra possible de statuer à la fois sur toutes les plaintes, sur toutes les causes de division qui subsistent dans cette malheureuse ville. (Assemblée nationale.] ARGHIVES PARLEMENTAIRES. (15 août 1790.] Tels sont, Messieurs, les motifs du décret que le comité a l’honneur de vous présenter. « L’Assemblée nationale, après avoir entendu sou comité des rapports, a approuvé le zèle du directoire du département du Bas-Rhin et du district de Benfeld, et les efforts qu’ils ont faits pour le rétablissement de l’ordre dans la ville de Schelestadt; elle décrète que le roi sera supplié de faire passer incessamment dans ladite ville, s’il n’y a déjà été pourvu, des troupes de ligne en nombre suffisant pour y maintenir la police et l’exécution des mesures qui seront ci-après ordonnées ; que par-devant le tribunal ordinaire, ayant connaissance des affaires criminelles à Colmar , il sera informé des troubles,, émeutes et violences générales et particulières qui ont eu lieu à Schelestadt, depuis son décretdu 8 juin dernier, et notamment les 31 juillet et jours suivants, pour être, les auteurs, fauteurs et complices desdits troubles, poursuivis et jugés conformément aux ordonnances. L’Assemblée renvoie au directoire du département du Bas-Rhin la connaissance de la validité ou nullité des dernières élections de la municipalité de Schelestadt,pour par lui, sur le vu des informations qu’il aura faites, et d’après l’avis du district de Benfeld, être statué ainsi qu’il appartiendra ; et cependant l’Assemblée lait provisoirement défense à M. Herremberger, et autres se prétendant élus officiers municipaux de ladite ville, d’y exercer aucune fonction publique, jusqu’au jugement des contestations ; autorise, en conséquence, les commissaires déjà nommés, à continuer leurs fonctions aux termes de son décret du 8 juin, et à gérer et administrer par intérim les biens communs ; comme aussi à faire procéder à la reddition des comptes de tous les administrateurs desdits biens qui sont en retard de les rendre, pour être lesaits comptes discutés, clos et arrêtés, s’il y a lieu, en la manière accoutumée. L’Assemblée ordonne que son Président se retirera par-devers le roi, pour le prier de sanctionner le présent décret et d’en ordonner la prompte et entière exécution. » M. Rewbell. J’adopte le projet de décret proposé , j’observe seulement qu’une de ses parties ne me paraît pas claire. Il y a à Colmar deux tribunaux, l’un est de l’ancien régime, et le beau-frère de M. Herremberger en est le greffier. D’ailleurs, ces tribunaux sont étrangers au département du Bas-Rhin. Je demande, et tous les députés d’Alsace le demanderont avec moi, que la municipalité de Strasbourg soit substituée au tribunal de Colmar. Cette municipalité a la justice ; elle a toute la force nécessaire pour l’exécution de ses jugements. M. Henry {ci-devant de Longuève).Le comité ne s’oppose point à l’adoption de l’amendement proposé par M. Rewbell. M. le Président met l’amendement aux voix. Il est adopté. En conséquence, le décret est rendu dans la teneur suivante: « L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des rapports, a approuvé le zèle du district de Benfeld, et les efforts qu’il a faits pour le rétablissement de l’ordre dans la vilie de Schelestadt, « Décrète que le roi sera suppliéde faire passer incessamment dans ladite ville, s’il n’y a déjà été pourvu, des troupes de ligne suffisantes, pour lro Série. T. XVIII. 81 y maintenir la police, et l’exécution des mesures qui seront ci-après ordonnées. « Décrète, que par-devant la municipalité de Strasbourg, ayant la juridiction criminelle , il sera informé des troubles, émeutes et violences générales et particulières qui ont eu lieu à Schelestadt depuis son décret du huit juin dernier, et notamment les trente-un juillet et jours suivants, pour être les auteurs, fauteurs et complices desdits troubles et violences, poursuivis et jugés conformément aux ordonnances. « L’Assemblée renvoie au directoire du département du Bas-Rhin, la connaissance de la validité ou nullité des dernières élections de la municipalité de Schelestadt, pour par lui, sur l’écrit des instructions qu’il aura faites, et d’après l’avis du district de Benfeld, être statué ainsi qu’il appartiendra. «Et cependant l’Assemblée nationale fait provisoirement défense au sieur Herremberger, et autres se prétendant élus officiers municipaux de ladite ville, d’y exercer aucune fonction publique jusqu’au jugement des contestations ; autorise . eu conséquence les commissaires déjà nommés à continuer leurs fonctions aux termes de son décret du 8 juin, et à gérer et administrer par intérim les biens communs, comme aussi à faire procéder à la reddition des comptes de tous les administrateurs desdits biens qui sont en retard, de les rendre, pour être lesdits comptes discutés, clos et arrêtés, s’il y a lieu, en la manière accoutumée. « L’Assemblée charge son Président de se retirer par-devers le roi, pour le prier de sanctionner le présent décret et d’en ordonner la prompte et entière exécution. » M. Madler de itlontjau. Je demande l’impression du rapport et du décret, afin d’effrayer u s municipalités qui seraient tentées de prévari-quer. (Cette proposition est accueillie.) (La séance est levée à dix heures et demie du soir.) ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. D’ANDRÉ. Séance du dimanche 15 août 1790 (1). La séance est ouverte à onze heures du matin. M. Buzot, secrétaire , donne lecture d’une lettre de M.de La Luzerne, ministre de la marine, qui se plaint de ce que la municipalité de Lorient s’est opposée à l’enlèvement des poudres qui se trouvent au château de Trisaven; il lit ensuite les délibérations prises par la municipalité de Lorient et le directoire du département de Morbihan qui croient devoir s’opposer à l’enlèvement desdites poudres en alléguant, comme motifs, la crise actuelle et la terreur des invasions des puissances étrangères sur le territoire delà France. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. 6