37 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 juillet 1791.] fondé sur des distinctions de noblesse et de rang qui n’existent plus. «• Art. 2. Tout français qui demanderait ou obtiendrait l’admission ou qui conserverait l’affiliation à un ordre, association ou corporation, établis en pays étranger, dans lequel on exigerait d’autres conditions que les talents et les vertus personnelles, perdra la qualité et les droits de citoyen français. « Art. 3. Il sera incessamment statué sur l’application et les conséquences des principes contenus en l’article 1er, à l’égard des différents ordres ci-devant existant en France. (La discussion est ouverte sur ce projet de décret.) M. Kianjninais. Il faut dire clairement, comme on l’a fait pour les ordres religieux, que notre intention est de supprimer tous les ordres; au lieu de mettre dans l’article 1er les mots association et corporation, il faudrait mettre : ordre de chevalerie. Je propose donc purement et simplement de dire : « Tous les ordres de chevalerie sont supprimés et il ne pourra en être rétablis de pareils à l’avenir. » Voilà mon 1er article. Je passe à ce qui regarde la décoration. En suivant la rigueur des principes, on ne pourrait pas même admettre de décoration permanente, si elle n’est attachée à une fonction publique; il serait inconstitutionnel d’attacher à une seule profession des marques distinctives. Il faut que toutes les professions qui sont utiles à l’Etat jouissent de la récompense honorifique décernée par l’Etat. Vous avez, par plusieurs décrets, consacré la décoration militaire ; il n’est donc pas vraisemblable que l’Assemblée se porte à faire à cet égard des suppressions peut-être indiscrètes. D’après ces considérations, il faut craindre de préjuger ce que pourront faire nos successeurs, et de laisser des doutes sur l’observation exacte de votre fameux décret du 19 juin 1790. Le décret porte : « qu’il est défendu à toute personne de prendre le titre de chevalier ». Or, tout le monde sait qu’à l’instant où l’homme reçoit la croix de Saint-Louis ou celle du Mérite, il reçoit un diplôme royal qui l’institue chevalier : voilà ce qui ne doit plus subsister; il faut donc que cela soit clairement exprimé dans le décret. Voici comme je rédigerais les premières propositions : « Néanmoins la croix de Saint-Louis et la croix du Mérite sont conservées provisoirement comme récompenses personnelles et individuelles, qui ne peuvent servir de base à une corporation, ni attribuer la qualité de chevalier abolie par le décret du 19 juin 1790. « Tout français qui demanderait, recevrait ou conserverait l’affiliation à un ordre de chevalerie établi en pays étranger, et à j toute association ou corporation fondée sur des distinctions de rang ou de naissance, ou qui porterait à l’avenir une décoration supprimée par le présent décret, perdrait la qualité et les droits de citoyen français, et ne pourra remplir aucun emploi dans le royaume, ni exiger aucun traitement du Trésor public. » Telles sont, Messieurs, les principales observations que j’ai à faire en ce moment. M. Rœderer. La discussion de cette matière est extrêmement simple ; et j’ose dire que la décision en est non seulement préparée, mais arrêtée dans tous les esprits qui ont attaché quelque im-ponance à la Constitution et à vos décrets. Il y a deux espèces d’ordre en France, c’est à cette division qu’il faut s’attacher. Les uns supposent et exigent des preuves de noblesse; les autres n’en supposent pas. L’ordre de Malte, l’ordre du Saint-Esprit supposent des degrés de noblesse, ainsique beaucoup d’autres. L’ordre de Saint-Louis ne suppose que des services personnels, ou une longue durée de service militaire, ce qui n’entre pas dans l’ordre du jour. Gela posé, le décret à rendre est extrêmement simple. Il m’a paru qu’il y avait beaucoup d’embarras dans l’énonciation du premier article qui vous est proposé par les comités; il est facile de le réduire à un petit nombre d’expressions simples qui rempliront le but auquel tout le monde tend. Voici la rédaction que je propose : « Tout ordre, toute décoration, tout signe extérieur qui suppose des distinctions de naissance, est supprimé, et il n’en pourra être établi de semblables à l’avenir. » On a parlé de décréter le principe ; il me semble qu’il ne peut pas être décrété en termes plus simples ( Applaudissements .), qu’on ne peut consacrer le principe d’une manière plus nette et plus précis ', en balayant les restes, qui sont encore sous nos yeux, du fumier de l’aristocratie. (Applaudissements à gauche .) M. de Croix. On vous a dit, Messieurs, qu’on ne voulait rien préjuger; mais les articles proposés par votre comité préjugent absolument la question la plus intéressante peut-être pour votre commerce, qui est celle de l’ordre de Malte. Quant à moi, qui n’aspire pas au funeste honneur de voir tout bouleverser par l’Assemblée ( Murmures dans la partie gauche.), je demande que l’on ne se borne pas à nous présenter les principes purement et simplement; mais qu’on veuille bien y joindre les conséquences. Lorsque dans la question des émigrants, on voulait faire séquestrer tous leurs biens, vous avez été effrayés des conséquences du principe qu’on voulait faire adopter : je demande donc que la question proposée aujourd’hui soit ajournée jusqu’à ce qu’on nous présente une loi complète, dans tous ses détails. (Murmures à gauche.) Si je voulais répondre aux injures et à l’imputation faite à la noblesse de n’avoir d’autre prétention que de devenir valet de cour, cela me serait facile en disant que les hommes de loi n’ont pris ce titre que pour avoir le droit de piller les gens du peuple; (Murmures à gauche ; Applaudissements à droite ); mais je serais aussi injuste que celui qui a ainsi calomnié la noblesse. Je ne généralise donc pas les idées ; je me borne à proposer l’ajournement jusqu’à ce que la loi soit complète. M. Anthoïne. Il est impossible que l’Assemblée ne se détermine pas sur-le-champ à abolir toute marque extérieure de distinction. Retarder d'un seul jour ce décret, ce serait retarder le bonheur des Français. (Murmures.) L’égalité est la principale, jedirai même presque la seule base sur laquelle repose la Gonstitu ion. Or, il n’y a plus d’égaliié dès qu’il existe des distinctions même personnelles. (Murmures.) Un membre : Viendrait-on justifier les craintes que manifestait M. Buzot? M. Anthoine. Gela est vrai en principe : Toute 38 [Assemblée ôfctiônâle.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES» [30 juillet 1191.) distinction extérieure est distinctive de l’égalité. Que 4 personnes se présentent dans une société où elles sont également inconnues : si l’uné d'elles est décorée (fune marque destinctîve, tous les égards, toutes les marqués de considération lui sont réservés. (Murmure* et rite*.) Un Membre : C’est Qu’elle l'aura méritée. M. 'Tuattf de Ki& Beuverie, si elle a sauvé la patrie ? M. Amlioitie. Si lès Français étaient assez philosophes et assez éclairés sur lés bienfaits de la liberté et sur les principes de l’égalité civique, ils aboliraient par Un Seul décret tous les ordres et autres distinctions de ce genre. Les Américains qui se connaissent en liberté avaient une seule marque de distinction : l’ordre de Cincinnatus. Eh bien ! Messieurs, ils en ont reconnu l’inconvénient et déjà chez eux on ne porte plus cet ordre qu’ils ont aboli. En résumé, Messieurs, je distingue trois classes de chevalerie. La première est celle pour laquelle il faut des preuves de noblesse héréditaire, cette classe d’ordres a été abolie par la Constitution. Dans la seconde classe sont les ordres de Malte et de la Toison d’or et autres ordres étrangers à la France. Je ne prétends pas que nous puissions abolir ces ordres dont le chef-lieu est en pays étranger ; ce serait suppose? que les étrangers pourraient rétablir la noblesse en France ; nous ne devons plus nous en mêler. Dans la troisième classe sont le cordon noir et la croix de Saint-Louis» Nous ne sommes pas encore parvenus à ce degré de perfection que nous fassions le bien sans qu’il nous soit besoin de marques distinctives pour récompense. Mon intention n’esfrelle pas non plus d’abolir toute marque distinctive* et je proposerai une décoration pour tous ceux qui auront rendu des services dans quelque situation que ce soit. Vous voudrez sans doute aussi* Messieurs, que la famille royale soit distinguée par une décoration. (Rites.) Cette famille a un privilège que nous n’avons pas, celui de succéder au trône. (Nouveau# tirés.) D’après les observations que je viens de présenter. voici mon projet de décret ; « L'Assemblée nationale, considérant que toute marque extérieure de distinction qui b’est pas fondée sur l’utilité publique, porte atteinte à l’égalité, première base de la Constitution, a décrété ce qui suit : « Art. lw. Tdus les ordres de chevalerie actuellement existant en France sont abolis, à dater de la publication du présent décret; il est défendu d’en porter les marques, à peine de déchéance des droits de ciioyen français. « Art, 2. Il est défendu sous la mômf peiné à tout citoyen français, de devenir ou de demeurer membre d’aucun ordre de chevalerie étranger* et d’en porter les marques distinctives» « Art. 3. Le roi, l’héritier présomptif et les chefs des différentes maisons qui composent la famille royale, seront distingués par un cordon aux couleurs de la nation, et par Une plaque à huit pointes, brodée sur l’habit* au milieu de laquelle on lira ces mots : « La nation, la loi et le roi. » « Art. 4. Il sera créé une marque de distinction personnelle pour les citoyens qui, dans tous les Etats, auront bien mérité de la patrie ; îe comité de Constitution est chargé de prêsebter incessamment ses vues à cet égard. « Art. 5. Tous les militaires dëcorésde la croix de Saint-Louis ou de celle du Mérite militaire, recevront cette marque de distinction : jusqu’à son établissement ils pourront continuer à porter leur décoration actuelle. » M. Anson. Pour pouvoir discuter, il faudrait fixer l’état précis de la fluestion. En arrivant Ici, j'ai vu afficher ici sur le tableau t Rapport sur les ordres. Ced est extrêmement vague. Il faudrait donc d’abord poser ainsi la question : Pour entrer dans un ordre, sera-bon obligé de faire des preuves? (Murmures.) Seconde question : Continuera-t-il d’y avoir des ordres? Plusieurs membres : Cela ôst jugé. M. Hlalouet. Messieurs, en considérant sous les rapports purement politiques les distinctions qu’il est question aujourd’hui de détruire, on pourrait peut-être les séparer des sentiments de vanité qui s’y attachent, et montrer comment un autre sentiment de vanité peut s’attacher à les détruire. (Applaudissements.) M. le rapporteur vous a dit que le comité ne proposait la destruction d’aucun ordre étranger : moi je prétends qn’en décrétant le troisième article, vous détruisez autant qu’il est en vous l’ordre dé Malte en France ; et si cette destruction est évidemment nuisible aux intérêts commer-merciaux de la France, vous trouverez bon que cette question soit traitée avec maturité et examinée dans tous ses rapports. Or, il n’est pas difficile de vous démontrer que vous détruisez effectivement le commerce du Levant, si vous détruisez l’ordre de Malte en France. (Murmures.) Je vous prie de remarquer que si aucun citoyen ne peut être affilié à i’ordre de Malte en France, les propriétés et commânderies seront données à des sujets étrangers : (Murmures.) dès lors l’ordre de Malte n’aura plus d’intérêt éminent à protéger votre commerce, et vous n’aürez plus de citoyens français à pouvoir influer Sur rordre de Malte et sur celte protection ; car il ne faut pas que vous ignoriez que la majorité des chevaliers français influe sur l’ordre de Malte, et fait une grande prépondérance dans les objets d’administration et de gouvernement de l'ordre, et que ses déterminations sont toutéB au profit de la nation. Vous connaissez, Messieurs, l’importance du commerce du Levant; c’est le seul qui soit intact; c’est îe seul que le dernier traité avec l’Angleterre n’ait point altéré d’une manière désastreuse. Le commerce du Levant nous est utile, non seulement par les importations dans les échelles du Levant et par le retour que produisent ces importations, mais encore par le cabotage d’échelle en échelle qui entretient au service de la navigation nationale au moins 10,000 matelots. Nous devons uniquement ce bénéfice à l’ordre de Malte. (Murmures.) Vous allez le voir, Messieurs* et je réclame sur cela le témoignage de la chambre de commerce de Marseille et des députés de Provence. Les Levantins, les Grecs surtout, ont une très-grande aptitude au commerce maritime, et iis n’én sont détournés que par l'état d’oppression dans lequel ils sont soüs les Turcs, et parce que les Maltais toujours en guerre contre les Turcs et contre les régences barbarêsques s’efinparent souvent de leurs navires. Le pavillon Français est [Assemblé* nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [3Q juillet 1191.] 39 celui que les turcs savent être le plus respecté par l’ordre de Malte. En conséquence, tous les négociants Turcs, les Arabes et Egyptiens qui ont des transports à faire à Smyroe, à Constantinople, chargent des bâtiments français, üe plus, le commerce français a obtenu une prépondérance dans les Etats du Grand-Seigneur, non seulement à cause de notre ancienne alliance avec la Porte, mais par l’influence que le gouvernement français a sur le conseil de Malte, dont il dirige les croisières à son gré; car lorsque le Grand-Seigneur fait demander au roi de France que tel parage de l’Archipel ne soit point exposé à voir des corsaires Maltais, la simple réquisition de l’envoyé de France à Malte suffit pour faire disparaître les corsaires maltais. Toutes ces considérations et cette continuité de déférence qu’a l’ordre de Malte pour le commerce français, pour la nation française, ont imprimé aux Levantins une telle opinion, qu’ils nous regardent comme propriétaires de l’île, et j’oserai dire que nous le sommes à plusieurs égards; que l’hôpital de Malte est particulièrement aux ordres et au service des français; que le port et la rade de l’îie sont continuellement prêts à recevoir les bâtiments français. Ce n’est pas tout, l’ordre de Malte nous fournit sur la simple réquisition des administrateurs; sur ma simple réquisition, on m’a envoyé tous les matelots dont j’avais besoin à Toulon. A tous ces détails, je dois ajouter que lorsque les vaisseaux et les galères de la religion sont à la mer, au moindre signe de besoin du commerce de France, sans attendre la réquisition du gouvernement maltais, le commandant des vaisseaux a ordre de voler au secours des Français ; et l’année dernière, je réclame encore le témoignage de MM. les députés de Marseille, l’année dernière une flotte venant d’Alger est attaquée par des corsaires d’Alger, par la suite d’un malentendu ; les vaisseaux de Malte étaient à la mer, Ils en furent instruits, et dans l’instant ils allèrent ramasser les vaisseaux français, non seulement sur nos côtes, mais encore jusqu’à Malaga; ils allèrent escorter les vaisseaux français venant des côtes de Barbarie, et reçurent avec juste raison les témoignages de la plus vive reconnaissance de la ville et de la chambre de commerce de Marseille. Non seulement nous recevrons tous les secours de bonne amitié, mais tous ceux que pourrait produire une dépendance effective de l’ordre de Malte envers la nation française. Cependant, les autres nations payent comme nous les revenus de l’ordre de Malte : cet ordre a des fondateurs dans tous les royaumes catholiques de l’Europe; et il arrive, par la position de nos côtes, que la nation française est la seule à profiter de cette protection active et continue, et que le port de i’île de Malte, le plus important de la méditer-ranée, est précisément entre leurs mains pour le compte de la nation française. Je vous prie de considérer, Messieurs, quelle serait pour nous la différence, si ce port changeait et de destination et de maître. Vous n’ignorez pas que la Russie avait fait des propositions à la religion, non pas pour lui céder la souveraineté de l’îleet la propriété du port, mais pour obtenir d’être au même état où nous Sommes nous-mêmes. Le grand-maître repoussa cette proposition et les avantages qu'on y joignait. Il en résulta un évènement tel, que l’ordre faillit être détruit par un soulèvement qui a eu lieu à cette époque. Si donc, Messieurs, nos relations avec l’ordre de Malte sont, non seulement altérées, mais véritablement détruites, comme je le crois, comme je le crains, que pensez-vous qu’il arrivera de ce nouvel état de choses ? Ou le port de Malte, qui ne pourra plus être défendu, passera en la possession du seigneur suzerain, qui est le roi de Naples, et je doute qu’il soit en état de le défendre longtemps, ou il passera entre les mains d’une puissance étrangère, Vous savez qu’à deux époques différentes, dans la dernière guerre, il fut mis eu délibération au parlement d’Angleterre si on attaquerait l’île de Malte, et ce n’était certainement pas par mécontentement contre l’ordre: c’était uniquement pour nous priver de tous les secours, de tous les avantages dont nous profitons. D’après ces détails, je demande si ce n’est pas un objet bien important pour la nation de savoir dans quels termes vous devez traiter l’ordre de Malte, et s’il serait sage de vous engager danB toutes les conséquences du principe qu’on vous propose de décréter. J’insiste donc pour séparer dans la discussion actuelle ce qui est relatif aux ordres nationaux sur lesquels vous prononcerez ce que vous voudrez, d’avee ce qui est relatif à l’ordre de Malte. Il me semble que, pour la sûreté de vos principes, il suffit que l’ordre de Malte n’ait rien dans la Constitution ; qu’il n’ait aucune influence dans votre ordre politique, que ses membres n’aient droit à aucune espèce des distinctions sociales et politiques dans le royaume en qualité de chevaliers de Malte, Enfla, je vous prie, au nom de la nation, au nom de l’intérêt national, d’éearter le troisième article, M.Regnand (de Saint-Jean-d' Angély). Il me semble qu’il y a très peu de division dans l’Assemblée sur la question qui nous occupe. Voici à quoi elle se réduit ; 1° Supprimera-t-on les ordres en général? Tout le monde est d’accord qu’il en est ; qu’il faut conserver ? tel que l’ordre de Saint-Louis et l’ordre du Mérite... A gauche : Ce n’est pas un ordre. M. Regnaad (de Saint�-Jean-d'Angêly). Je me suis servi du mot ordre comme correspondant aux anciennes idées et je conçois que ceux qui veulent la conservation de cet ordre ne la veulent que comme distinction individuelle. 2° Opérera-t-on isolément sur chaque ordre étranger, ou bien la question sera-t-elle posée comme le comité l’a fiait? Je pense qu’il faut que vous agissiez comme le comité le propose. Je soutiens, contré l’opinion de M. Mâlouet, qu’il est indispensable que vous décrétiez que tout individu, qui entrera dans une corporation étrangère, renoncera par cela même a son droit de citoyen français; car je ne conçois pas qu’on puisse être revêtu d’une distinction qui exige des preuves de noblesse, et qu’on puisse être membre du souverain dans un pays où il ne peut y avoir de noble. Jusqu’à ce que l’on ait trouvé un moyen de concilier ces deux prétentions absolument contraires, je dirai : tout homme qui sera membre de cette association pourra bien encore conserver ses propriétés, parce qu’il n’aura pas perdu ce droit là qui est sacré; mais il aura perdu le droit d’être membre du souverain et d’avoir une fonction po* litique à exercer en France. 40 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 juillet 1191.] Ce n’est pas que je ne sente, comme le préopinant, qu’il y a un très grand intérêt à conserver nos relations avec l’ordre de Malte; j’en suis persuadé, et je crois qu’il est important de ne rien décider dans cet instant sur ce qui concerne cette importantequestion, et qu’il faut charger le comité diplomatique, lorsque vous aurez mis vos principes constitutionnels à couvert, de vous rendre un compte détaillé de tous les intérêts que vous avez à traiter avec l’ordre de Malte, et les autres puissances intéressées à sa conservation, et qui sont, en quelque sorte, les coassociées de la France pour maintenir son existence. Je crois qu’il est îacilede prouver que l’article 2 ne touche pas à cette question. Et, en effet, l’ordre de Malte n’existe pas en France; et quand vous supprimeriez toutes les distinctions établies en France, vous ne touchez nullement à l’ordre de Malte. Il suffit donc que vous ne statuiez rien sur l’ordre de Malte, avec lequel vous avez toujours traité comme de souverain à souverain, puisqu’il y a un ambassadeur de Malte en France; et à cette occasion j’observerai que lorsque M. de Montmorin a notifié la fuite du roi aux ambassadeurs étrangers auprès de nous, l’ambassadeur de Malte fut seul qui répondit d’une manière positive pour reconnaître dans cette occasion l’autorité de l’Assemblée nationale et correspondre avec elle. En convenant, avec M. Malouet, de l’intérêt qu’il y a à considérer isolément les relations politiques et commerciales qui vous lient avec l’ordre de Malte, je dis qu’il est très important de détruire tons les soupçons que l’on a voulu semer pour diviser l’Assemblé nationale, et conséquemment de donner une nouvelle force au décret qui prescrit toutes distinctions du rang. Je demande donc que l’on mette aux voix cette première question : Discutera-t-on si l’on supprimera toute sorte d’ordres existants actuellement en France, on si on déclarera que ce ne seront que des distinctions individuelles? M. Chabroud. J’ai peu de mots à dire à l’Assemblée. Je crois que, dans la discussion présente, tous les esprits ont cette intention-ci : il faut extirper, par rapport aux ordres de chevalerie, tout ce qui peut avoir une influence dangereuse à la Constitution, et contraire au régime nouveau que vous avez introduit en France. D’après cette observation, je dis qu’il faut distinguer les ordres qui ont leur établissement en France, et à leur égard vous avez une grande latitude, d’avec les ordres dont l’établissement est en pays étranger, à l’égard desquels votre attention ne doit porter que sur ce qui est dangereux à votre Etat. A l’égard des ordres dont l’établissement est en France, je ne crois pas qu’il puisse y avoir le moindre doute. Il faut nettement en prononcer la destruction : ces ordres exigent pour la plupart des preuves de noblesse, et, sous ce point de vue, la noblesse héréditaire étant abrogée par votre Constitution, vous ne pouvez pas conserver des institutions pareilles; mais vous devez promptement et franchement en prononcer la suppression. Je passe maintenant aux ordres de chevalerie dont l’établissement est en pays étranger. 11 est évident qu’à leur égard, vous ne pouvez pas prononcer de suppression ; vous ne pouvez pas porter une loi qui devrait s’exécuter hors des limites de l’Empire ; mais des ordres de chevalerie établis chez l’étranger peuvent avoir sur vous une influence dangereuse et contraire à la Constitution : je prends, pour exemple, l’ordre de Malte dont on a parlé. Pour être admis dans cet ordre, il faut, pour la plupart de ses places, faire des preuves de noblesse; les preuves se font en France. M. d’Aubergeon-Muriuais. Je vous demande pardon, Messieurs, elles ne se font pas en France. M. Croupilleau. M. Murinais, qui est chevalier de Malte, doit savoir qu’il y a en France une commission établie pour faire les preuves de noblesse nécessaires à l’admission dans l’ordre Malte. M. d’Aubergeon -Murînais. S’il fallait m’expliquer là dessus, je vous prouverais que ce que vous dites n’est pas juste. M. Chabroud. Je ne peux pas donner à l’Assemblée le détail des formes qui s’observent pour l’admission à l’ordre de Malte, car je l’ignore; mais ce qui me paraît évident, sans aller au delà, c’est que si les preuves sont consacrées en dernier résultat à Malte, au moins est-il indubitable qu’elles se préparent en France : au moins est-il indubitable que, par des commissaires, il faut qu'on ait vérifié en France les titres exigés. Cela me suffit pour observer qu’il y a ici une atteinte à la Constitution; je crois donc que c’est ici que l’empire de la loi française sur l’égalité doit commencer d’interveoir, sans quoi vous verriez bientôt renaître cette distinction de nobles et de non nobles, que vous avez proscrite. Je profiterai de l’occasion pour faire une autre observation. Après la suppression de la noblesse, je crois qu’il doit être défendu à tous citoyens français de prendre, daus les actes qu’ils feront, ni la qualité de nobles, ni aucune autre équivalente. (. Applaudissements .) Ce n’est pas tout; on a éludé les dispositions des décrets de l’Assemblée. On a bien vu qu’il ne fallait pas prendre directement la qualité de duc ou de comte ; mais on a un langage particulier, avec lequel on s’entend et on s’entendra éternellement. On prend la qualité de ci-devant duc , de ci-devant comte. (Rires.) Ces expressions, qu’on a grand soin d’employer dans les actes de famille, sont précisément la même chose que si l’on prenait les anciens, et serviront dans tous les temps à compléter des preuves de noblesse. Je crois donc, si vous voulez que l’égalité établie par votre Constitution ne soit pas bientôt intervertie, je crois que vous devez faire cesser les qualifications. Voilà, Messieurs, les observations que j’avais à vous faire et, d’après cela, voici nos conclusions : Je crois qu’il faut prononcer nettement et franchement la suppression entière, absolue, de tous les ordres de chevalerie en France. J’observe que, dans cette suppression, je n’entends point comprendre l’obligation à ceux qui portent la décoration militaire, de la quitter; mais je crois qu’on peut ajouter à la disposition de suppression une autre disposition qui conserve, comme simple décoration personnelle, la croix de Saint-Louis et la croix du Mérite militaire. Un membre : Il n’eu faut qu’une. M. Chabroud. Je suis parfaitement de l’avis de ceux qui veulent qu’il n’y ait qu’une distinction ; mais je ne crois pas que notre objet soit aujourd’hui de l’établir; je crois que c’est une disposi- 41 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 juillet 1791.) fion que vous devez réserver pour la suite ; dans ce moment, il s’agit seulement de la suppression des ordres de chevalerie. La seconde disposition, qu’il me paraît utile et nécessaire de prononcer, c’est la défense à tous citoyens français de prendre daus les actes auxquels ils interviendront aucune qualité relative a la noblesse héréditaire, ni même aucune expression rappelant l’existence ancienne de leur noblesse; qu’il soit en même temps défendu à tous officiers publics de donner à qui que ce soit pareille qualité. Je demande que l’Assemblée charge son comité de jurisprudence criminelle et son comité de Constitution de lui faire dans trois jours la proposition d’un projet de décret sur les peines qui pourront être infligées à ceux qui contreviendront à cette loi. M. le Président. La parole est à M. Prieur. Plusieurs membres : La discussion fermée! (L’Assemblée ferme la discussion.) M. Canins, rapporteur. La discussion qui s’est établie fait voir, en général, que l'on est tous d’accord sur le principe relativement aux ordres qui existent dans le royaume. MM. Lanjuinais et Rœderer ont proposé une rédaction plus claire du premier article : le comité ne peut pas s’y opposer. Voici, en conséquence, la motion de M.Lanjuinais, rédigée avec celle de M. Rœderer. « Toute corporation, toute décoration, tout signe extérieur qui suppose des distinctions de rang et de naissance sont supprimés. Il ne pourra en être établi de pareils à l’avenir. » M. Boissy-d’Anglas. M. Lanjuinais a pensé que non seulement il fallait détruire les cordons qui exigeaient de3 preuves de noblesse, mais encore les ordres qui supposeraient une distinction quelconque, parce que toute distinction est véritablement une noblesse (Non! non!) et qu’on pourrait substituer une autre noblesse à l’ancienne. Je demande donc que le mot ordre soit expressément inséré dans l’article. M. La Poule. Je prie M. le rapporteur d’ajouter à l’article le mot confrérie. (Rires.) Dans la ci-devant province de Franche-Comté, il y a une confrérie de Saint-Georges dont les membres s’assemblent tous les 23 avril. Ils ont un petit Saint-Georges avec un cordon bleu. (Rires.) Cette confrérie existe depuis environ cinq siècles, sous le nom de « confrérie de Saint-Georges » . Ils prennent ce titre dans tous les actes. Je demande que cela soit expressément dit dans l’article. M. Camus, rapporteur. J’ajouterais volontiers confrérie; mais j’observe qu’il est fâcheux que, quand nous faisons une loi générale, chacun songe à la petite partie du royaume qu’il habite, ou à la petite chose qu’il connaît. Il résulte de là que dans beaucoup de nos lois, il y a des énumérations qui deviennent inutiles, superflues. Il faut que les lois, par leurs expressions mêmes, annoncent une disposition générale. Voici définitivement comme je propose de rédiger l’article : Art. 1er. « Tout ordre de chevalerie ou autre, toute corporation, toute décoration, tout signe extérieur qui suppose des distinctions de naissance, sont supprimés en France; il ne pourra en être établi de semblables à l’avenir. » (Adopté.) M. Camus, rapporteur. Je rédigerai le second article en ces termes : « La décoration militaire actuellement existante étant, comme toute récompense honorifique, purement individuelle et personnelle, ne peut être la base d’un ordre ou d’une corporation; pour la recevoir on ne pourra exiger d’autre serment que le serment civique. » M. Olraud-Duplessls. Je demande que l’on ajoute à l’article le mot provisoirement , parce que vous ne voulez sûrement pas, Messieurs, préjuger qu’à l'avenir il n’y aura de distinctions à accorder qu’aux seuls militaires. Chez les peuples barbares on ne connaît qu’un seul moyen de servir la patrie. Ceux qui portent les armes exigent des honneurs à main armée, et voilà comment les premières distinctions se sont introduites ; chez un peuple civilisé il y a différentes manières de servir sa patrie : ceux qui rendent des services dans les législatures, dans les administrations, dans les tribunaux, ont droit aux décorations dues à tous les citoyens qui ont bien mérité de la patrie. M. de Ufontesqnfon. La décoration militaire vous présente un monument d’intolérance religieuse, que vous ne devez pas laisser subsister. L’ordre du Mérite militaire n'est autre que celui deSaint-Louis appliqué à des protestants, et encore à des protestants étrangers; car les protestants français ne pouvaient pas le recevoir. Or, par le décret qu’on vous propose, on supprime les statuts de l’ordre de Saint-Louis et le serment de catholicité qu’il fallait prononcer. Je demande donc que, par ce même décret, l’ordre du Mérite militaire soit fondu au même instant dans l’ordre de Saint-Louis, et la décoration de l’un remplacée par celle de l’autre. (Applaudissements.) M. Lanjuinais. L’amendement de M. de Mon-tesquiou me paraît très convenable. Je demande, moi, que le ruban soit aux couleurs nationales (Applaudissements.) afin d’oublier, d’effacer toute ancienne distinction. (Applaudissements.) M. Tronchet. Il s’agit d’abord d’examiner si vous devez admettre des distinctions différentes ou une seule distinction nationale. Il y a, suivant moi, le plus grand inconvénient à établir des distinctions différentes attachées à différentes professions, parce que c’est rompre l’un i té de la nation; ce serait, pour ainsi dire, introduire dans le royaume autant de castes différentes. Maintenant j’observe que le mot provisoirement ne remplit pas l’esprit de l’amendement de M. Giraud et qu’il serait d’ailleurs très déplacé. Car mettre dans un second article le mot provisoirement ce n’est que faire une exception à la disposition du précédent article ; .et en mettant que cependant par provision le militaire pourra conserver sa décoration, il s’en suivrait que l’on conserverait cette décoration comme un ordre. Je propose de rédiger l’article ainsi : Art. 2. « L’Assemblée nationale se réserve de statuer s’il y aura une distinction nationale unique qui pourra être accordée aux vertus, aux talents et