[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 avril 1791. | 4 1 3 mer, tu deviendras vice-amiral, si tu vis assez pour atteindre ce grade. » Mais cette éducation ne peut pas être éternelle ; il faut qu’elle ait un terme fixé. Je proposerai donc que lorsqu’un aspirant aura joui pendant un temps déterminé de ce titre et de l’espèce d'éducation qui pourra y être attachée, s’il n’est pas fait enseigne, qu’il soit obligé de se retirer et de rentrer dans la foule des navigateurs. Il me reste à parler des capitaines de commerce. C’est avec satisfaction que je m’empresse de rendre une justice éclatante à cette classe de citoyens estimables par leur loyauté, par le patriotisme dont ils ont fait preuve, et qui sont si dignes de l’estime de la nation et de l’intérêt de l’Assemblée nationale. Je suis partisan de tous les encouragements qu’il est possible d’accorder à cette profession ; mais, lorsqu’il est question de commerce et d’agents de commerce, cet encouragement se trouve toujours dans ce mot que je ne puis trop répéter: Liberté! liberté! Vous favoriserez cette classe en lui laissant la liberté entière d’en exercer les fonctions, en la dérobant à la dépendance du corps militaire que l’on a quelquefois accusé d’avoir abusé de ses droits. Les capitaines de commerce ne sont pa3 fonctionnaires publics ; mais l’Etat, pour ne pas compromettre sa sûreté, doit les surveiller. C’est avec raison qu’on exige d’eux 6 ans de navigation. Mais je ne sais pourquoi on a étendu à 12 mois le temps qu’ils doivent passer sur les vaisseaux de guerre. 11 faut qu’un capitaine de commerce sache sur quel pied il servira. On ne peut lui donner moins que le grade d’enseigne. Voilà en quoi le plan du comité est oppresseur; c’est qu’à 24 ans un capitaine pourra être enseigne, et il pourra encore l’être à 60. N’est-ce pas faire injure à ceux qui exercent cette profession, de croire qu’ils ont besoin d’une école étrangère? Les professions les plus utiles sont maintenant les plus honorables. Celle-ci conduit à la fortune par le plus beau chemin, le travail et les dangers. Je vais maintenant vous faire lecture de mon projet de décret. « Art. 1er. L’Etat contiendra un corps d’officiers de mer de tous grades, pour être spécialement voués à son service. « Art. 2. Le nombre des aspirants sera limité. Ce titre sera donné au concours ; on ne pourra être aspirant plus de 6 années. « Art. 3. Le grade d’enseigne sera donné par un examen au concours sur la théorie et la pratique. Seront admis à ce concours tous les capitaines de commerce et les aspirants ayant un temps déterminé de navigation. Les enseignes et ceux qui parviendront à ce grade par celui de maître, seront constamment entretenus. « Art. 4. Les enseignes parviendront au grade de lieutenant par rang d’ancienneté de navigation faite en cette qualité sur les vaisseaux de l’Etat, pourvu qu’ils n’aient pas passé l’âge de... Cette ancienneté déterminera aussi le rang des enseignes entre eux. <« Art. 5. Il y aura un sixième des places de lieutenant laissé au choix du roi. Ce choix pourra porter sur les enseignes et sur les capitaines de commerce qui se seront distingués par leurs talents ou leurs services en commandant les bâtiments de commerce. « Art. 6. Les navigateurs pourront être reçus capitaines après six années de navigation, *un examen public, et un âge déterminé. « Les capitaines reçus ne pourront être appelés au service public dans une qualité inférieure lre Série. T. XXV. à celle d’enseigne, et seulement dans le cas déterminé ci-aprés. « A l’époque d’armements extraordinaires pour lesquels le corps des officiers de mer entretenus par l’Etat serait insuffisant, le Corps législatif décidera, sur la proposition du roi, s’il faut pourvoir aux besoins du service en augmentant par le concours le corps des entretenus et en appelant au service les capitaines du commerce. « Art. 7. Les capitaines appelés au service prendront rang avec les autres enseignes, suivant leur ancienneté respective, parviendront de même au grade de lieutenant. Ceux qui auront été employés deux ans de suite sur les vaisseaux de l’Etat seront de droit entretenus, sans être assujettis à la condition du concours. « Art. 8. Les capitaines de navire pourront être faits lieutenants, sans passer par le grade d’enseigne, dans les cas déterminés ci-devant. » J’ai parlé à l’Assemblée nationale avec toute la simplicité d’un homme qui dit ce qu’il croit vrai, ce qu’il croit utile, parce que c’est son devoir, et qui le dit ni avec passion ni par intérêt. {Vifs applaudissements.) Plusieurs membres : L’impression! l’impression ! (L’Assemblée ordonne l’impression du discours et du projet de décret.) M. le Président. Quoique j’aie fait part à l’Assemblée, dans une précédente séance, de la lettre de M. Deschamps (1), qui constate suffisamment que la municipalité de Lyon, à laquelle le décret de l’Assemblée avait été adressé, a faitpar-venir ce document à M. Deschamps, cependant je crois devoir faire part à l’Assemblée de la lettre des maires et officiers municipaux de Lyon, attendu qu’elle contient une réponse de M. ües-champs, dont il est peut être bon que l’Assemblée ait connaissance. « Lyon, le 11 avril 1791. « Monsieur le Président, « Nous nous sommes empressés d’exécuter les décrets de l’Assemblée nationale, et M. Deschamps a répondu : « Je soussigné déclare que MM. Chalier etCha-« puis, officiers municipaux, m’ont remisaujour-« d’hui à 8 heures du soir la lettre et le décret « y mentionné, et j’ai déclaré à ces messieurs, « que, prévenu de cette remise, j’ai eu l’honneur « d’écrire, par le courrier d’hier, à l’Assemblée na-« tionale, en la personne de M. son Président, « en annonçant que j’attendrais la réponse que « l’Assemblée daignerait me faire. « Ce 9 avril 1791. « Signé : Deschamps. » « Nous sommes avec respect, Monsieur le Président, etc... « Signé : Les Maires et officiers municipaux de la ville de Lyon. » Un membre : Il n’y a pas de réponse. M. Dubois. On ne peut laisser M. Descbamps revêtu de son inviolabilité lorsque les causes pour (1) Voir celte lettre, Archives parlementaires, t. XXIV, Séance du 12 avril 1791, p. 722. 8 114 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. llo avril 1791. J lesquelles on a décrété son rappel subsistent toujours. Il faut prendre une décision définitive à son égard. M. le Président. La dernière lettre M. Deschamps porte que sa santé n’est pas encore rétablie, que son dessein est de se retirer à la campagne et qu’il ne prévoit pas qu’il lui soit possible de se remettre entièrement avant la fin de la législature. M. Victor de Broglie. C’est une véritable dérision que de voir un membre de l’Assemblée venir demander à l’Assemblée même si le décret qu’elle arendu porte réellement ce qu’il exprime. Je demande que l’Assemblée persiste dans son décret de rappel et qu’elle renvoie l’affaire au pouvoir exécutif pour qu’il prenne les mesures convenables et nécessaires à l’effet que M. Deschamps satisfasse à la loi que lui impose ce décret. M. Foucault-liardlmalle. M. üeschamps étant malade, il y aurait de l’inhumanité et de la barbarie à le rappeler ; on ne peut forcer un membre de l’Assemblée, que le dérangement de sa santé en éloigne, de s’en rapprocher avant que cela lui soit possible. M. Lavie. SiM. Deschampsest réellement malade et qu’il soit décidé à rester à la campagne, nous ne pouvons pas nous y opposer. L’humanité même nous sollicite de céder à cette résolution ; mais M. Deschamps ne me paraît pas aussi malade qu’il le dit. (Murmures.) Il déclare vouloir se retirer à la campagne pour y demeurer jusqu’à la fin de la présente session, il paraît du moins assez étrange qu’il prévoie devoir être malade tant que durera la législature. (Murmures.) Puisque sa santé est mauvaise, il faut qu’il donne sa démission, parce qu’alors il sera dépouillé de son inviolabilité et la municipalité pourra le poursuivre s’il fait quelque démarche qui puisse troubler l’ordre public. M. Populus. La démission de M. Deschamps est véritablement acquise. M. Deschamps a demandé dans sa lettre un congé jusqu’à la fin de la législature constituante. M. Deschamps doit être considéré comme un militaire qui écrirait au ministre, en temps de guerre, qu’il ne peut joindre son régiment qu’après la fin de la guerre. (Applaudissements.) Le ministre très sûrement, et avec beaucoup de justice, regarderait cette déclaration comme une démission. Cependant il faut que le département de Rhône-et-Loire soit représenté. M. Deschamps déclarant qu’il ne peut le représenter a par là-même donné sa démission. Ma motion est que l’on tienne la lettre de M. Deschamps comme une démission de sa place de député, et qu’il soit ordonné à son suppléant de venir prendre sa place. (L’Assemblée nationale décrète qu’elle tient la lettre de M. Deschamps comme une démission de sa qualité de député, et ordonne que son suppléant viendra le remplacer.) La suite de la discussion sur l'organisation de la marine est reprise. M. lie Chapelier. Il me semble, Messieurs, que les simples règles de la justice et du bon sens suffisent pour nous diriger dans la détermination que nous avons à prendre. Je me garderai bien de comprendre, dans les idées que j’ai à vous soumettre, les diverses questions dont on a environné le système général dans les deux opinions qui se combattent, pour les colorer et les faire adopter par l’Assemblée. Indépendamment des critiques particulières qu’on a faites sur le plan du comité, on en a fait aussi de générales qui attaqueraient le système entier; mais il me semble qu’elles ne portent nullement sur le premier article. En effet, ceux qui s’exercent sur les vaisseaux de l’Etat doivent tous être admis sur les vaisseaux consacrés à la défense de l’Etat. Vous avez décrété qu’il y aurait des classes, qu’il y aurait une conscription pour la marine. Eh bien! il résulte de là que les marins, étant obligés de servir quand ils en seront requis, doivent tous être habiles à venir servir sur les vaisseaux de l’Etat. Il me semble que la justice et la raison prescrivent cette règle, et dès ce moment nous ne devons pas regarder comme insignifiant le premier article proposé par le comité, qui établit cette maxime. Il est vrai que les expressions dont il s’est servi pour concevoir ce principe le rendent un peu insignifiant; mais rédigeons-le en des termes plus clairs, et vous allez voir les conséquences qui en sortiront. Disons que la marine française sera composée de tous les citoyens soumis à la conscription maritime, et nous dirons ce qui doit effectivement exister, ce à quoi personne ne peut s’opposer. Voyons maintenant la différence des deux systèmes. Les uns veulent que la marine militaire soit tellement séparée de la marine marchande, que celle-ci ne puisse venir dans la marine militaire que par accident, par occasion, par besoin. Nous au contraire nous demandons véritablement que tous les navigateurs qui naviguent sur les vaisseaux de commerce, et qui se rendent utiles à l’Etat, ne soient point exclus des grades de la marine militaire, quoiqu’ils ne soient pas entretenus. Veuillez considérer les inconvénients qui résultent du plan proposé par M. de Ghampagny, savoir que les marins du commerce ne seront appelés, comme ils l’étaient jadis, à servir sur les vaisseaux de l’Etat, que lorsque le besoin l’exigera. Le petit remède même qu il vous propose, de faire décider par le Corps législatif si le nombre des entretenus sera augmenté, ou si les capitaines des navires marchands seront entretenus, ce remède est absolument nul; car, quand on veut détruire des préjugés trop enracinés, quand on veut régénérer la nation entière, il faut faire des dispositions pour que les institutions actuelles ne se sentent plus des institutions passées. A ce sujet voici quel était l’état ancien, quel est encore l’état de la marine, puisqu’il n’est pas réformé. Là il y a une manne entretenue et des hommes qui se sont servis de ces mêmes privilèges de naissance pour faire faire une constitution de la marine; ceux qui viennent les aider dans ce service, quand le besoin de l’Etat l’exige, sont des hommes qui ont l’air d’être postiches dans cette marine, et qui, quelques services qu’ils rendent, ne font pas partie du corps, et sont condamnés à des humiliations perpétuelles. (Applaudissements .) Et que résulterait-il du système que l’on vous propose? Que ce sera toujours la même organisation; que des hommes n’ayant pas de grades militaires, quoiqu’ils soient entretenus, lorsqu’ils